Le Lynx. N° 406, 3 janvier 2000
Le 30 décembre 1999, nos députés ont clos la dernière session budgétaire du siècle. Le président Biro Diallo en a profité pour égrener quelques maux de notre Etat. Insuffisances du projet de budget, gabegie et corruption, L'affaire Alpha Condé, le cas du groupe l'Indépendant… Tout y passe.
Nous voici au terme de nos travaux de la dernière session budgétaire de la présente Législature…
Comme vous le savez, chers collègues, le budget d'une nation est l'expression chiffrée de la politique générale du gouvernement. Voilà pourquoi la présentation de la loi des finances devant les représentants du peuple que sont les députés a toujours été pour le gouvernement l'occasion de faire une déclaration de sa politique générale de développement. C'est ce qui permet au parlement d'apprécier le bien fondé, c'est-à-dire la qualité de cette politique.
Malheureusement, chers collègues, vous l'avez constaté, depuis que l'actuel premier ministre est en fonction, notre institution n'a pas été gratifiée de cette déclaration de politique générale qu'on attend toujours avec impatience et avidité.
A l'ouverture de la première session de l'année 1999 (session des lois) à laquelle il devait s'adresser à l'Assemblée Nationale pour la première fois en sa qualité de Premier Ministre, son Excellence Maître Lamine Sidimé s'est excusé de ne pouvoir nous présenter un programme de gouvernement pour la bonne raison qu'il venait d'être nommé à ce poste. Les Honorables Députés l'ont compris et ont accepté.
Malheureusement à l'ouverture de la deuxième session 1999 (session budgétaire), nous sommes restés sur notre faim. En effet, Monsieur le Premier Ministre s'est purement et simplement contenté de commenter le discours d'ouverture du Président de l'Assemblée Nationale, discours qui n'était pas encore lu.
Donc nous ne saurons jamais plus autour de quel programme évolue monsieur le premier ministre avec son gouvernement. En effet cette session était la dernière occasion pour le faire. Si cela n'a pas été fait est- ce par méprise ou par indifférence? Peut-être les deux à la fois !
S'agissant du budget de l'an 2000, chers collègues, vous avez constaté les mêmes insuffisances qui ont été déjà dénoncées par le passé:
Vous avez aussi à maintes reprises attiré l'attention du gouvernement sur la mauvaise répartition géographique de ces projets.
Or cette distorsion suscite inévitablement le sentiment d'injustice, de frustration très dangereux pour l'Unité Nationale.
Monsieur le ministre de l'Economie et des Finances, contrairement à ce que vous pourriez penser, nous ne faisons pas que des critiques négatives, loin de là. Nous saluons les efforts louables que vous avez déployés avec acharnement, opiniâtreté et détermination pour réussir à infléchir la rigueur de nos partenaires de la Banque Mondiale et du Fonds Monétaire International face à nos fréquents et importants dérapages financiers.
Une étape importante vient d'être franchie, à condition que nous puissions en profiter en tirant objectivement les leçons du passé.
En effet, nos difficultés se situent à notre seul niveau. Si vous ne déployez pas plus d'effort, plus d'acharnement, plus de détermination, plus de rigueur dans la lutte contre les vols, les détournements, la corruption, le manque de transparence et d'honnêteté dans la gestion, tous les soutiens extérieurs ne seront que peine perdue.
Monsieur le Ministre de l'Economie et des Finances, vous venez, après l'issue heureuse de votre combat de lancer un appel aux travailleurs salariés de l'Etat pour qu'ils acceptent de geler leurs revendications pendant cette période difficile que traverse le pays.
Votre appel sera certainement bien entendu, pourvu que les sacrifices qu'on leur demande ne soient pas à sens unique.
Nous, hauts cadres de l'Etat, nous devons donner l'exemple, en revoyant à la baisse notre standing de vie. Vous comprendrez aisément Monsieur le Ministre, l'état d'âme de l'enseignant, de l'agent de la santé, de l'élevage, de l'agriculture, etc.… qui, journellement, sur le chemin de leur lieu de travail, longent nos villas et buildings au luxe insolent, croisent nos grosses cylindrées rutilantes, face à votre appel.
Par ailleurs, des sanctions exemplaires par leur sévérité doivent être appliquées à tous les voleurs des milliards de nos francs et autres biens de l'Etat. La lumière doit enfin être faite sur tous les scandales financiers qui ont terni l'image de notre pays.
L'occasion est opportune pour remercier très sincèrement, féliciter et encourager les représentants des pays amis et des Institutions Internationales accrédités en Guinée pour le soutien discret mais très efficace dont ils vous ont fait bénéficier tout au long des pourparlers avec les différents bailleurs de fonds.
Honorables Députés, au cours de la session qui s'achève, vous avez eu à débattre en marge du budget, de problèmes très importants concernant des secteurs vitaux de la Nation. C'est ainsi qu'après avoir écouté et analysé objectivement le Rapport de la commission d'enquête sur la structure des prix de l'eau, de l'électricité, et du téléphone, vous avez voté la résolution qui a sanctionné vos débats. Le document a été transmis à la Primature qui en a accusé réception. Cette réponse vous a été communiquée. La balle est maintenant dans le camp du gouvernement.
D'autre part, la commission générale qui a en charge les départements du commerce, de l'industrie, des mines que vous avez mandatée pour vous donner des informations claires et précises sur le scandale de la société Friguia a, après six mois de travail de taupe déposé au Bureau de l'Assemblée Nationale un volumineux rapport extrêmement important.
Ce rapport a été programmé pour être débattu en séance plénière. Mais une majorité au sein de notre institution s'y est catégoriquement opposée, prétextant que la Justice s'est saisie du problème.
Malheureusement, à ce niveau, les principaux accusés tentent d'impliquer fortement leurs Ministres et d'autres cadres. Si cela se confirmait, le Tribunal de Première Instance n'étant pas compétent pour entendre les Ministres, il ne serait pas exclu que l'Assemblée Nationale demande à la Haute Cour de Justice de s'intéresser au dossier, nul ne devant être au-dessus de la Loi.
Monsieur le Premier Ministre, vous êtes, de par votre fonction, le coordonnateur des activités du Gouvernement. Vous êtes un éminent homme de Droit. Nous sommes dans un Etat de Droit, nous l'affirmons en tout cas, haut et fort, partout, et à chaque occasion. Ce qui caractérise l'Etat de Droit, c'est le respect de la loi et de la légalité; cela est également incontestable.
Nous avons affirmé solennellement dans le préambule de notre Constitution, notre opposition fondamentale à tout régime fondé sur la dictature, l'injustice, la corruption etc.… Au Titre II de cette constitution, il est souligné entre autres:
Monsieur le Premier Ministre, à entendre nos textes fondamentaux et à considérer ce que nous vivons quotidiennement sur le terrain, il y a réellement à se demander pourquoi et pour qui ces textes ont été conçus. En effet, les arrestations extrajudiciaires sont monnaies courantes.
J'en citerai comme preuve entre tant d'autres le récent cas du Fondateur du Groupe de Journaux "L'Indépendant". Il est arrêté un samedi, donc un jour férié, à domicile et conduit, comme un vulgaire bandit de grand chemin, au siège de la Compagnie Mobile d'Intervention de la Sécurité où il sera gardé plus de quarante huit heures dans la totale illégallité.
Ses services sont expulsés manu militari, sans préavis réglementaire, d'un bâtiment loué. Ses journaux sont saisis et le rédacteur en chef kidnappé et gardé au secret total.
Dans les mêmes conditions, Monsieur Hervé Vincent Bangoura, ancien ministre, ancien ambassadeur a, lui aussi été arrêté et libéré sans autre forme de procès.
Vous savez également, monsieur le Premier ministre,voilà maintenant plus d'un an que notre collègue, l'Honorable député Alpha Condé est en prison, en dépit de l'immunité que lui reconnaît la Loi Fondamentale, immunité qui n'a jamais été levée. Cette Loi Fondamentale stipule, à l'alinéa trois de son Article 52:
Aucun député ne peut, hors session, être arrêté ou détenu qu'avec l'autorisation du bureau de l'Assemblée Nationale, sauf le cas de flagrant délit, de poursuites autorisées par l'Assemblée Nationale ou condamnation définitive".
Monsieur le Premier ministre, Honorables députés, j'estime qu'il faut purement et simplement libérer monsieur Alpha Condé puisqu'on ne veut pas le juger pour des raisons que seule la justice peut indiquer.
Honorables députés, je ne saurais terminer cette allocution sans vous présenter, au seuil de la nouvelle année, du nouveau siècle et du nouveau millénaire, mes voeux les meilleurs à vous personnellement, à vos familles et à tous ceux qui vous sont chers, voeux de bonheur, de bonne santé, et de prospérité.
Honorables députés, je voudrais que vous vous joigniez à moi pour présenter les mêmes voeux aux membres du gouvernement, et des institutions de la République, ainsi qu'aux Représentants du Corps Diplomatique et des Institutions Internationales…
Honorables députés, je voudrais adresser mes voeux au peuple de Guinée et formuler le souhait ardent que la paix, la prospérité et le bonheur s'installent en Guinée pour le prochain millénaire.
S.E. El Hadj Boubacar Biro Diallo
Président de l'Assemblée Nationale.
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