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Presse écrite


Rapport sur les détournements Friguia - Anaim
A l'attention des députés !

Le Lynx. N° 400 - 22 novembre 1999

C'est la conclusion du rapport de la commission chargée de faire la lumière sur les détournements qui a ravivé les tensions au sein de l'Assemblée Nationale elle-même. Nos dépités de la majorité n'ont rien voulu savoir. Ils se sont opposé à sa lecture pour soutenir dans un vote mécanique, comme d'habitude le gouvernement… jusqu'au bout. Eh oui, nos législateurs ne légifèrent sur les vols que quand ils sont bien "localisés". Le rapport peut aller se faire voir ailleurs. Peut-être sur Internet. Dans l'hémicycle rectangulaire, la tension monte, vraiment. Ma parole !

Monsieur le président, mes chers collègues,

Après six mois de travaux effectués tant à Conakry et à l'intérieur de notre pays qu'à l'étranger, après avoir réuni, recoupé, et analysé de nombreuses informations, nous sommes parvenus à une douloureuse conclusion. A savoir que des cadres guinéens et non guinéens, se sentant protégés par les relations intimes et très suivies, disons des relations de copinage qu'ils entretiennent avec de hautes personnalités du pays, se croyaient de ce fait même parfaitement intouchables. Aussi se sont-ils livrés, des années durant, à des actes frauduleux aux dépens du patrimoine national, tant à travers certaines entreprises d'Etat, qu'à la tête des administrations.
Malheureusement pour nous, les malversations ainsi découvertes à Friguia ont confirmé le jugement de nos partenaires étrangers au sein de cette société, qu'il n'est pas possible pour une entreprise installée en Guinée de travailler sans avoir la garantie d'une maîtrise complète de la gestion. Maîtrise qui précisément, fut refusée à Frialco, d'où la rupture d'octobre 1998.
Heureusement que le Ministère des Mines et de la Géologie semble avoir tiré les leçons de cette triste affaire qui, si elle avait perduré, aurait abouti à une grave perte de confiance de tous les grands groupes mondiaux de l'aluminium envers la Guinée. Le contrat de location gérance liant Friguia à la compagnie Américaine REYNOLDS, et signé le 2 septembre 1999 à Paris, montre que le Ministère est désormais disposé à faire preuve d'un grand réalisme pour arriver à sauver le fleuron de l'industrie guinéenne dont, autrement, la disparition aurait eu des conséquences incalculables, tant sur le plan psychologique et social que politique. Certes, le contrat signé avec REYNOLDS n'a pas été à l'heure qu'il est, entièrement finalisé.
Il ne prendra effet que lorsque l'investisseur remettra au Gouvernement, et ce au plus tard le 31 décembre 1999, une convention de financement pour la rénovation des installations de Friguia. Convention qui sera bien entendu, soumise à la ratification de notre auguste Assemblée et qui précisera toutes les autres conditions techniques et surtout sociales posées par REYNOLDS. Mais nous pouvons d'ores et déjà imaginer que ces conditions ne seront pas si différentes de celles posées par nos anciens partenaires. Car les groupes auxquels la Guinée a affaire en matière de bauxite, d'alumine et d'aluminium, sont pratiquement sinon les mêmes, du moins très liés, se connaissent parfaitement et s'informent mutuellement et régulièrement sur tout. Au demeurant, avec les récentes fusions qui s'opèrent sous nos yeux entre ALCOA et REYNOLDS d'une part, ALCAN, PECHINEY et ALUSUISSE, d'autre part, il n'y a pratiquement plus que deux (2) grands groupes mondiaux de l'aluminium qui vont se partager le marché. La Guinée devra alors nécessairement compter avec l'un ou l'autre, sinon avec les deux: à la fois.
La réalité, c'est que depuis la fin du conflit EST-OUEST, en 1989, le continent africain a cessé de constituer un enjeu politique et surtout idéologique sur la scène internationale. Mais, la "guerre froide" a été remplacée par une lutte d'une autre nature tout aussi redoutable. Il s'agit d'une compétition mondiale de tous les pays entre eux, pour attirer des investissements, et créer des emplois, donc une compétition à caractère économique et financier.
Dans un tel contexte de globalisation, les investisseurs aussi bien industriels que financiers, choisissent froidement, d'abord les pays qui disposent des meilleures conditions cadres sur le plan politique, juridique et économique et ceux offrant les meilleures perspectives de développement. Si l'analyse des conditions cadres énoncées ci-dessus révèle des faiblesses et des lacunes significatives dans un pays, aucune entreprise ne prendra le risque d'y investir des capitaux, car ce faisant, elle mettrait sa propre existence en péril.
(…)
Pour sa part, la Guinée se doit de faire des progrès substantiels pour rejoindre le peloton de tête des pays africains et conquérir la place que son potentiel l'autorise sinon à occuper, du moins à espérer conquérir un jour. L'on sait que des investissements industriels en Afrique, et notamment en Guinée, sont plus coûteux à cause de la faiblesse du tissu industriel. C'est ainsi qu'il est généralement admis par les experts qu'un investissement dans le secteur de l'aluminium qui coûterait en Australie 100, en Inde 80, et en Guinée 150.
Pour surmonter ce handicap, la Guinée devrait, si elle veut progresser, mobiliser tous les atouts dont elle peut se doter pour dynamiser ses conditions cadres. A cet égard, les textes législatifs sont un pas important, mais ils demeureront sans effet si leur application pratique est entravée par des interférences de quelque nature que ce soit.
Quoi qu'il en soit la volonté politique, qui est maintenant perceptible en Guinée, d'attirer les investisseurs étrangers, doit se traduire par une approche réaliste des problèmes que pose l'impératif du développement. Le but étant d'améliorer la perception de la Guinée par les investisseurs tant nationaux qu'étrangers, afin qu'ils soient convaincus de pouvoir maîtriser intégralement la gestion de leurs investissements dans le strict respect des lois de notre pays.
Cette évolution notable des esprits apparaît du reste clairement dans une récente déclaration de notre Ministre des Mines M. Facinet Fofana qui dit:

"L'Etat (Guinéen), il y a une dizaine ou une quinzaine d'années, tirait au moins 200 millions de dollars de CBG. Cette année, on a moins de 100 millions de dollars. Pendant ce temps, je le dis souvent, un petit pays comme la Jamaïque, qui a moins de bauxite que la Région de Gaoual, a quatre usines d'alumine, et le Gouvernement en tire plus de 800 millions de dollars par an. Qu'est-ce-que ces gens-là savent faire que nous on ne sait pas faire? C'est ce qu'on essaie de corriger. Il n'y a pas de secret en matière d'investissement. L'argent des capitalistes est fluide. Ils ne peuvent s'accommoder à l'état d'âme de tel ou de tel gouvernement. Ils s'investissent là où ils se sentent en sécurité, là où ils se sentent rentabilisés"… (voir l'interview de M. Facinet Fofana dans le journal Le Citoyen N° 079 en date du 20 octobre 1999).

Monsieur le Président, mes chers collègues,
Tout en sollicitant une fois de plus, votre indulgence pour les faiblesses et imperfections que vous avez sans doute notées dans notre rapport, vous nous permettrez, avant de finir, de rendre ici un vibrant hommage aux cadres, ingénieurs, techniciens, ouvriers, travailleurs et responsables syndicaux qu'il nous a été donné de rencontrer au cours de notre visite à l'usine de Kimbo. Il est vrai qu'un adage bien de chez nous dit qu'il suffit d'un seul grain de néré pourri pour rendre l'eau de toute une rivière nauséabonde et par voie de conséquence imbuvable. Mais (…) ce n'est pas parce qu'une poignée d'égarés se sont rendus coupables de détournements et ont été pris la main dans le sac du patrimoine national qu'il faut suspecter et même condamner tous les cadres guinéens de l'administration et du secteur public et parapublic. Au cours de la mission que nous a confiée l'Assemblée Nationale, nous avons été vivement impressionnés par la qualité professionnelle, le sérieux et l'esprit patriotique de la plupart des cadres, ingénieurs, techniciens et ouvriers que nous avons rencontrés. Etant donné la compétence avec laquelle ils maîtrisent le fonctionnement complexe du précieux outil de travail qui leur a été confié, ces compatriotes constituent un gage certain que l'avenir industriel de la Guinée se trouve dans des mains fiables. A condition d'être soutenu, encouragé, stimulé par une politique gouvernementale résolue, réaliste et claire. Cet avenir nous paraît non seulement rassurant, mais particulièrement prometteur. Car en définitive, l'opinion nationale et internationale ne doit sous aucun prétexte confondre l'infime minorité de cadres compromis dans cette sombre affaire de détournements que nous avons découverte, avec la majorité qui travaille jour et nuit dans nos usines, nos carrières et nos chantiers, souvent dans des conditions très difficiles, pour faire de la Guinée un pays moderne et prospère, où il fait bon vivre dans la paix, la démocratie, la justice et la solidarité entre tous ses enfants.

Conakry, le 11 novembre 1999

La commission


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