Jeune Afrique
n°1992 — 15 au 22 mars 1999. pp. 20-23
Le choix de Lansana Conté
Lansana Conté a nommé Sidimé Lamine à la tête du gouvernement, en remplacement de Sydia Touré. Celui-ci n'avait pourtant pas démérité …
Un « Guinéen de l'extérieur » en remplace un autre à la tête du gouvernement. Exception faite de leur compétence, de leur intégrité et de leur discrétion, c'est le seul point commun entre Sidimé Lamine , le nouveau Premier ministre, et son prédécesseur, Sydia Touré . Réélu le 14 décembre dernier, le général Lansana Conté a pris tout son temps avant de se décider. Il a finalement choisi de désigner celui devant lequel, le 30 janvier 1999, il avait prêté serment pour la deuxième fois : le président de la Cour Suprême en personne.
Le lundi 8 mars, le journal télévisé ? Soit la reconduction pure et simple de Sydia Touré, soit la nomination de son grand rival, Ibrahima Kassory Fofana. Interrogés, l'un et l'autre avaient catégoriquement démenti…
De fait, ni l'un ni l'autre ne répondaient au besoin de changement, de sang neuf, de consensus. Sydia Touré, qui, au départ, s'était vu confier les pleins pouvoirs pour remettre la machine économique en marche, les a progressivement perdus au fur et à mesure qu'il réussissait… Kassory Fofana, l'étoile montante du gouvernement, a pris l'Economie et les Finances en main dès le début de 1997, laissant au Premier ministre la coordination des affaires gouvernementales et les relations avec les bailleurs de fonds. Au cours des derniers mois, même ce dernier secteur avait été récupéré par le puissant ministre. Trop proche du président de la République, celui-ci, qui est un « Guinéen de l'intérieur » ne disposait pas — compte tenu du contexte politique — des atouts qui lui auraient permis de rétablir le consensus après une élection présidentielle mouvementée. Il fallait un homme de dialogue, sans appartenance politique.
En effet, le président Lansana Conté (65 ans), au pouvoir depuis la mort de Sékou Touré (en 1984), avait un autre nom en tête : Sidimé Lamine , qu'il a discrètement reçu, à plusieurs reprises, avant de faire son choix définitif. « C'est l'un des meilleurs, commente un diplomate. Un homme modeste, sérieux et droit. Et en plus, il est magistrat. Jamais vous n'entendrez un Guinéen lui adresser le moindre reproche. »
Agrégé de droit, Sidimé Lamine (55 ans) n'appartient a aucun parti. Originaire de Haute Guinée, le fief de l'opposant Alpha Condé (le président du Rpg, emprisonné depuis le 16 décembre) Sidimé est un Malinké, l'une des principales ethnies du pays. « C'est un facteur d'équilibre, même si ce n'est pas décisif » , remarque un observateur. L'ancien Premier ministre, lui, est issu d'un groupe minoritaire. Les trois autres grandes régions du pays sont représentées au sommet de l'Etat.
Le « consensus à la guinéenne » dont rêve le général Conté à la veille de la célébration de ses quinze années de pouvoir, le 3 avril, n'en sera que plus facile à réaliser. Dans le même ordre d'idées, on s'attend à un verdict plutôt clément dans le procès (terminé en ce qui concerne la procédure) des auteurs de la mutinerie des 2 et 3 février 1996, qui faillit quand même coûter la vie au chef de l'Etat…
« Entre le pouvoir et certains opposants, le dialogue a, en effet, repris, même s'il est encore informel. Nous espérons qu'il aboutira bientôt a quelque chose d'officiel. Tout le monde n'a qu'un seul objectif : la paix sociale. Même l'affaire Alpha Condé, actuellement en cours d'instruction, est gérée dans la sérénité » , confie un responsable politique qui souhaite garder l'anonymat.
Le fait que le Premier ministre soit un magistrat ne peut que contribuer à effacer les séquelles de la campagne électorale.
« Rien n'est définitivement acquis, rien n'est définitivement achevé. Je veillerai à ce que le gouvernement, davantage que par le passé, assure la défense des libertés et de la sécurité individuelle »
a déclaré Lansana Conté dans son discours d'investiture, le 30 janvier. Il s'est engagé à ce que tous les abus, y compris ceux commis par les forces de l'ordre, soient sévèrement punis.
« Ce quinquennat (1999-2004) sera celui d'une croissance économique plus forte et du progrès social pour tous » , a par ailleurs estimé le chef de l'Etat, qui attend du chef du gouvernement qu'il « mette en oeuvre avec plus de compétence et de détermination » le programme de redressement national. Pourtant, sur le plan économique et financier, le bilan que Sydia Touré laisse à son successeur est bien meilleur que celui dont il avait hérité lors de sa nomination, en juillet 1996. Beaucoup a été fait en moins de trois ans, même si beaucoup reste à faire compte tenu des retards accumulés à l'époque de Sékou Touré et de l'instabilité ultérieure.
Est-ce à dire que tout baigne ? Evidemment non.
Sidimé Lamine a du pain sur la planche. Outre le rétablissement du dialogue avec l'opposition — en vue des prochaines élections municipales et, surtout, des législatives de 2001 —, il a devant lui de très importants chantiers.
Le premier, c'est le système judiciaire. « Il faut sécuriser les droits du citoyen et de l'homme d'affaires, conditions sine qua non de la relance des investissements privés » , affirme le F.M.I.. De fait , l'objectif de croissance pour les années 1999-2002 — 5.5 % par an, en moyenne — est tributaire de l'amélioration de l'environnement des affaires. Engagée, en février 1997, par Ibrahima Kassory Fofana, le ministre de l'Economie et des Finance, la lutte contre la corruption et la fraude devra être amplifiée et généralisée. « Il faut moraliser la chose publique » , lit-on dans le nouveau programme conclu avec le F.M.I..
Deux autres grands chantiers, parmi des dizaines d'autres, attendent le nouveau gouvernement :
L'avenir de la Guinée passe par là, au moins autant que par les privatisations et la réduction de la dette extérieure — qui atteint, il est vrai, 3 milliards de dollars, soit les trois quarts de la valeur de la production annuelle ou quatre années de recettes d'exportations.
Note
Un « Guinéen de l'extérieur » est, en fait, un exilé. Aux yeux des « Guinéens de l'intérieur » , il a le privilège d'avoir échappé aux plus dures années du régime de Sékou Touré (1958-1984)
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