Jeune Afrique Economie No. 261 du 30 Mars au 12 Avril 1998.
Le procès des mutins de 1996 s'est ouvert à huis clos. La population attend un verdict de clémence pour tourner la page dramatique de l'histoire du pays.
Autour du périmètre du palais de justice à Conakry, dans le centre-ville de la capitale guinéenne, c'est le branle-bas de combat ce 26 février 1998. Il est 10 heures du matin. Les forces de l'ordre ont encerclé tout le quartier.
Toute personne étrangère au procès ne peut
passer. La Cour de sureté de l'Etat, juridiction d'exception
créée par ordonnance présidentielle le 10
août 1985, se réunit pour juger les 96 personnes
inculpées dans le procès des mutins des 2 et 3
février 1996. A huis clos.
C'est la deuxième audience. Le procès avait
été ouvert le 12 février 1998. Sous la haute
autorité du juge Mamadou Sylla, plus connu sous son pseudonyme
de Syma. Ce magistrat est sans nul doute appelé à
devenir aussi célèbre que son collègue
Chérif Doura, à l'époque procureur de la
République, qui avait instruit le fameux procès des
gangs qui avait passionné le public guinéen en
1995.
Cette fois, les enjeux sont plus importants. Car la plupart des
inculpés risquent la peine de mort. La Cour de
sûreté de l'Etat doit juger toute une fraction de
l'armée guinéenne qui était entrée en
rébellion les 2 et 3 février 1996. Une mutinerie qui
s'était soldée par plus de 50 morts, de nombreux
blessés graves et plus de 40 milliards de francs
guinéens (20 milliards de F CFA environ) de dégats
matériels.
Sur le banc des accusés, toute l'élite des forces
années nationales. Il y a là
On peut aujourd'hui reconstituer le film des
événements des 2 et 3 février 1996 qui ont
failli bouleverser fondamentalement le destin de la Guinée.
Lors des débats à la session budgétaire de
l'Assemblée nationale, en octobre 1995, un parlementaire
réputé pour son esprit frondeur et son franc-parler,
JeanMarie Doré, unique député de son parti,
l'Union pour le progrés de la Guinée (UPG),
dénonce « les conditions de vie déplorables des
militaires dans les casernes, sans oublier l'indifférence dans
laquelle ils sont abandonnés sur les fronts du Liberia et de
la Sierra Leone ». Diffusés en direct par la
télévision nationale, ces propos rencontrent un large
écho au camp Almamy Samory, lieu de résidence du chef
de l'Etat, le général Lansana Conté, et au carnp
Alpha Yaya.
De fait, il y avait de graves motifs de mécontentement dans
l'armée guinéenne. En tête des sentiments de
frustration, la disparité des soldes entre la police et
l'armée. « Quand nous partons au front, ceux qui tombent laissent des familles sans soutien. Le ravitaillement n'est pas correctement assuré. La police, qui est aux carrefours
où elle gagne quelque chose et qui ne va pas au front, est
mieux payée que nous », déclare l'adjudant chef Sory Gbalo au nom d'un groupe de soldats lors d'un rassemblement général supervisé par le chef
d'état-major général des forces armées,
le colonel Oumar Soumah, un fidèle du général
Lansana Conté.
La disparité des soldes entre l'armée et la police est
ainsi le premier motif de mécontentement. Par un
arrêté de la fonction publique de 1991 et qui a
été appliqué en 1995, les salaires des
militaires sont indexés à 132 et ceux des policiers
à 198. « Les soldats percevaient donc cette distorsion
comme une faiblesse et un manque d'attention vis-à-vis de
leurs problèmes vitaux, de la part de leurs chefs,
qualifiés alors de corrompus, d'incapables et
d'égoistes », écrit le commissaire du
gouvernement, le lieutenant-colonel Sama Panival Bangoura, dans
l'acte d'accusation, pièce maîtresse du
procès.
Les soldats réclamaient aussi la prime globale d'alimentation
(PGA) réservée aux militaires non-gradés. Ce
complément de solde n'était plus attribué depuis
longtemps. Des tracts ont commencé à circuler dans les
casernes pour revendiquer cette prime.
A la demande d'augmentation des soldes se sont ajoutées des
revendications plus générales. Les soldats protestaient
contre « le favoritisme dans le recrutement, le
relâchement dans la discipline militaire et la dilapidation des
biens de l'armée ». Les officiers d'encadrement de
l'armée engageaient à l'Ecole militaire interarmes
(Emia) en priorité leurs parents et leurs proches dont
certains n'étaient même pas titulaires du brevet
d'études élémentaires alors que des
diplomés de l'Université qui avaient obtenu du chef de
l'Etat la réouverture de cette institution ne pouvaient y
accéder.
Les soldats dénonçaient aussi l'utilisation, à
des fins personnelles, par des officiers supérieurs, des biens
de l'armée. Il est de notoriété publique que des
véhicules militaires sillonnaient les marchés
hebdomadaires dans les campagnes pour faire du transport de
marchandises et de personnes pour le compte des gradés.
Le commissaire du gouvernement, le lieutenant-colonel Sama Panival
Bangoura, décrit ainsi les conditions d'existence au BSC du
camp Alpha Yaya
« Des soldats et des sous-officiers sont entassés dans le "camp des mariés", qui ressemble à s'y méprendre à un ghetto avec, notamment, la promiscuité el le délabrement des habitations, toutes sortes d'activités génératrices de délinquance : vente d'alcool et de chanvre indien; prostitution; des civils venant de la ville pour se mêler aux militaires... »
Les chefs de l'armée étaient donc suffisamment
avertis du malaise au sein de la troupe. A la décharge du
ministre de la Défense nationale, le colonel Abdourahmane
Diallo, il faut dire que celui-ci prend contact, le 9 janvier 1996,
avec le chef d'état-major général des forces
armées, le colonel Oumar Soumah. Il lui demande de prendre
toutes les dispositions nécessaires pour satisfaire les
revendications des militaires et rétablir le calme dans les
casernes.
Des missions sont alors mises en place au niveau de tous les chefs
d'état-major particuliers des différentes armes et de
l'Intendance générale pour améliorer l'ordinaire
des militaires et recueillir leurs doléances.
Mais ces instructions ne reçoivent même pas un
début d'exécution. Pendant ce temps, la situation ne
cesse de pourrir. Au point que le 30 janvier 1996, il n'était
plus un secret pour personne que la troupe allait se révolter.
Surtout que des officiers supérieurs, sensibles aux
revendications de la base, n'hésitent pas à diffuser,
le 29 janvier 1996, dans les casernes, l'arrêté
d'augmentation des soldes des policiers, supérieures à
celles de l'armée.
Le lendemain, lors du rassemhlement général au BSC du
camp Alpha Yaya, les soldats déclarent tout net au chef
d'état-major général des forces armées,
le colonel Oumar Soumah : « nous ne voulons plus de promesses ;
nous ne voulons plus voir quelqu'un si ce n'est pour confirmer
l'augmentation et l'argent à la fin du mois de janvier.
»
Embarrassé et pris de court, le colonel Oumar Soumah rompt le
rassemblement, mais sans parvenir à calmer les esprits.
Conscient du danger qui menace, il revient le 1er février pour
informer le commandant du camp, le lieutenant-colonel Sény
Bangoura, de sa volonté de rencontrer à nouveau la
troupe le lendemain en présence de l'inspecteur
général des forces armées, le colonel Kerfalla
Camara.
Ce 2 février est un jour fatal. C'est pourtant un vendredi,
jour saint en islam et le 13ème du mois sacré de
ramadan. Le chef d'état-major général des forces
armées ne se présente pas au rassemblement sous le
drapeau. A l'heure de la levée des couleurs, il n'y a, comme
autorités, que l'inspecteur général et le
commandant du camp. Lorsque le premier prend la parole pour demander
à recueillir les revendications des soldats, ceux-ci prennent
cette ultime tentative de conciliation comme une provocation et
réagissent par un mouvement d'indiscipline.
Ils se ruent sur les magasins d'armement, s'emparent des armes et
des munitions et descendent vers l'aéroport tout proche et sur
la route du Niger qui mène au centre-ville, à 15
kilomètres de là. Commence alors une folle
journée que les habitants de Conakry n'oublieront pas de
sitôt.
Près de 3 000 militaires quittent le camp Alpha Yaya et
investissent l'aeroport international de Gbessia-Conakry qu'ils
ferment au trafic. Ils s'emparent de tous les véhicules qu'ils
rencontrent. Tirant des coups de feu en l'air, les soldats se rendent
rapidement maîtres de la ville, terrorisant la population.
Entre alors en action le bataillon des blindés où le
lieutenant Mory Laye Kébé, à la tête d'une
colonne de plusieurs engins, prend la direction du Palais des
nations, siège de la présidence de la
République, à l'extrémité ouest de la
presqu'île du Kaloum, en bordure de mer.
Comment expliquer cette tournure dramatique des
événements ? Le commissaire du gouvernement, le
lieutenant-colonel Sama Panival Bangoura, en donne la clé :
« Dès la dislocation du rassemblement
général raté devant les bureaux du BSC le matin
du 2 février 1996, le commandant Doumbouya, commandant du
Bata, écrit-il dans son acte d'accusation, se mettait à
la tête de plusieurs dizaines de soldats armés pour
arriver au groupement d'artillerie. Sur injonction des soldats en
colère, tous les grades avaient été
enlevés, ce qui venait en ajouter au trouble qui naissait.
»
Le commandant Kader Doumbouya du Bataillon autonome des troupes
aéroportées apparaît ainsi comme l'homme qui a
décidé de récupérer le mouvement de
mécontentement des soldats pour renverser le régime.
Accompagné de dizaines de soldats menaçants, il se
présente devant le commandant Yaya Sow, chef du groupement
d'artillerie du BSC au camp Alpha Yaya. Il lui demande de se joindre
à eux pour faire aboutir les revendications des militaires.
Pour cela, il faut envoyer une colonne blindée au Palais des
nations, pour soumettre ces doléances au chef de l'Etat, le
général Lansana Conté.
Le commandant Yaya Sow n'a pas le choix. Cet homme aguerri, qui a
fait ses armes sur les champs de bataille au Liberia et en Sierra
Leone où la Guinée entretient des contingents
militaires, après une formation en Union soviétique et
à Fort Leavenworth dans le Kansas aux Etats-Unis, est
habitué au commandement. Sous la menace des armes des soldats,
il décide, en une fraction de seconde, de se ranger du
côté des hommes de troupe. Il est 10 heures ce matin du
2 février. A partir de ce moment, son destin et celui du
commandant Kader Doumbouya vont basculer. Mais, alors que le premier
est totalement inconnu du public, le second avait déjà
été arrêté pour tentative de coup d'Etat.
Le commandant Doumbouya n'en est donc pas à son premier coup
d'essai.
En homme de commandement, Yaya Sow fait sortir les armes lourdes pour
aller capturer le chef de l'Etat, mais sans lui faire de mal, et
l'amener à satisfaire les revendications des soldats. A aucun
moment, cet officier foncièrement loyal n'a envisagé de
prendre le pouvoir alors qu'en tant que chef des blindés, il
pouvait le faire aisément.
Le lieutenant Mory Laye Kébé et une dizaine de soldats,
toutes armes confondues, prennent la tête d'une colonne de
blindés transportant un grand nombre de militaires. Direction,
le Palais des nations.
Au même moment, le sous-lieutenant Mohamed Lamine Diarra,
proche parent de l'ancien premier ministre Diarra Traoré qui
avait fait un putsch manqué dans la nuit du 4 au 5 juillet
1985, parachutiste du Bata, prend la tête d'un contingent et se
rend à l'Aviation militaire pour amener les aviateurs à
suivre leur mouvement.
Mais le chef d'état-major de l'Aviation militaire, le colonel
Raymond Bangoura, avait pris la poudre d'escampette en compagnie du
chef d'état-major général des forces
armées, le colonel Oumar Soumah. Ils ne réapparaitront
que le 4 février l996 après que la situation a
été normalisée.
Il est 10 heures. Les marins et des soldats venus du camp Alpha Yaya
investissent le Bataillon du quartier général (BQG) au
camp Almamy Samory où réside le chef de l'Etat et
où se trouve le ministère de la néfense, dans le centre-ville de Conakry.
Avec la complaisance des soldats du quartier
général, ils se rendent rapidement maîtres des
lieux. Ils capturent le ministre de la Défense, le colonel
Abdourahmane Diallo et vont le séquestrer au BSC du Camp Alpha Yaya.
Peu après 10 heures ce matin du 2 février, le
général Lansana Conté, reçoit le
lieutenant Mory Laye Kébe et ses hommes venus lui
présenter les doléances des militaires. Il n'est plus
entouré que d'un dernier carré de fidèles, dont
l'ancien capitaine Thiana Diallo, descendant de l'illustre Alpha Yaya Diallo, l'un des grands résistants africains à la
pénétration coloniale et qui a donné son nom
à la caserne militaire proche de l'aéroport
international de Gbessia-Conakry.
Les revendications des soldats portent sur cinq points dont
Le procès des mutins en cours devrait permettre de savoir
si le président Lansana Conté avait promis l'amnistie
aux militaires rebelles. Toujours est-il que le chef de l'Etat donne
son accord à l'ensemble des revendications des militaires. Il
limoge le ministre de la Défense. Le lieutenant Mory Laye
Kébé reprend le chemin du camp Alpha Yaya pour en faire
le compte rendu aux soldats et aux officiers réunis au
siège du BSC. Ces hommes sont décidés
désormais à franchir le Rubicon.
Parmi eux, il y a le commandant Gbago Zoumanigui,
le plus déterminé à renverser le régime.
Il avait déjà participé au coup d'Etat du 3
avril 1984 qui avait suivi la mort de l'ancien président Ahmed
Sékou Touré (le 26 mars 1984).
Il y a aussi le commandant Kader Doumdouya, le chef du Bata, le
fameux Bata, le commandant Yaya Sow, chef du groupement d'artillerie
du BSC, le lieutenant Mory Laye Kébé qui vient de
rencontrer le chef de l'Etat et le sous-lieutenant Mohamed Lamine
Diarra. Ces hommes décident de prendre le pouvoir.
Le sous-lieutenant Mohamed Lamine Diarra reçoit l'ordre
d'aller prendre possession de la Radiodiffusion
télévision guinéenne (RTG), accompagné du
journaliste militaire John Kékoura Lèlano.
A partir de 11 heures, la RTG diffuse, sur fond de musique militaire,
un communiqué affirmant que toutes les institutions de la
République sont dissoutes et qu'un comité de salut
public a pris le pouvoir. Les officiers ne peuvent plus faire marche
arrière. Ils engagent alors l'artillerie lourde. Un premier
tir touche le quartier de Coronthie et fait huit morts peu
après la prière du vendredi. Il est 14 heures. Les tirs
se poursuivront, et des scènes de pillage se multiplieront,
occasionnant des degâts aujourd'hui estimés à pas
moins de 31,3 milliards de francs guinéens.
Pendant ce temps, le chef d'état-major de l'armée de
terre, le colonel Ibrahima Sory Diallo, organise la défense du
chef de l'Etat retranché dans les sous-sols du Palais des
nations.
L'assaut contre le Palais aux orgues de Staline durera toute la nuit.
Le lendemain matin 3 février, le général Lansana
Conté sort de sa retraite du sous-sol du Palais et se
présente courageusement devant le lieutenant Mory Laye
Kébé et ses hommes. Il est conduit sous escorte au camp
Alpha Yaya.
Entre-temps, les officiers n'ont pas réussi à s
'entendre sur le nom de celui d'entre eux qui allait prendre la
tête de l'Etat en raison de divergences à
caractère ethnique. Dès lors, le putsch a
échoué. Le général Lansana Conté
est accueilli au camp Alpha Yaya par les cris des soldats rebelles
« L'argent, l'argent... Nous n'avons pas besoin du pouvoir...
Vive le général Conté. »
Par un réflexe propre aux anciens maquisards, le
général Lansana Conté reprend le contrôle
de la situation. Se présentant sous le mât devant les
soldats rassemblés et sous la protection des blindés
désormais contrôlés par le colonel Ibrahima Sory
Diallo, le chef d'état-major de l'armée de terre, il
les exhorte à regagner leurs cantonnements et s'engage
à satisfaire toutes leurs revendications.
Le lendemain 4 février, il convoque un rassemblement
général de tous les militaires de Conakry sous le
drapeau au Camp Almamy Samory. Mais tout n'était pas
terminé. Un groupe d'officiers et de soldats
jusqu'au-boutistes fait irruption au camp Alpha Yaya le 22 mars 1996.
Ils assassinent le commandant du carnp, le lieutenant-colonel
Sény Bangoura, et prennent la fuite. Mais ils seront tous
arrêtés quelques jours plus tard.
Ce sont les hommes qui ont pris part à ces mutineries qui
comparaissent à I'heure actuelle devant la Cour de
sûreté de l'Etat. Cependant, l'opinion publique
guinéenne prône un verdict de clémence et
d'apaisement pour tourner définitivement la page sur ce
douloureux épisode de l'histoire du pays.
Cinq officiers sont les meneurs de la mutinerie d'une partie de l'armée guinéenne les 2 et 3 février 1996. Ce sont :
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