8 mars 1999
Plusieurs hauts cadres de l'Etat seraient impliqués dans un grand scandale financier qui a éclaté à l'usine Friguia. Que s'est-il réellement passé ? Notre enquête.
Parmi les maux qui gangrènent notre société depuis plus d'une décennie, il y a la mauvaise gestion de la chose publique.
Apparemment, on ne sait comment s'attaquer à cet hydre à têtes multiples (qui régénèrent chaque fois qu'on les coupe), tant il semble puissant, invulnérable et indéracinable. Certains grands commis de l'Etat, forts de la confiance placée en eux, ont tenté de prendre le mal à bras le corps. Ils l'ont appris à leurs dépens. C'est dire que l'assainissement des finances publiques, condition sine qua non d'un véritable décollage économique, n'est pas pour demain. La troublante affaire de Friguia est là pour illustrer cette assertion. Elle revêt quatre aspects :
C'est uniquement du fisc que nous parlerons ici.
Friguia est la première et l'une des plus importantes unités industrielles du pays. L'Etat, en association avec les géants de l'aluminium, tels que Péchiney et Alcan, avait édifié cette usine à Fria. Malheureusement le mariage, sans nuages au départ, a fini par se fissurer et aboutir à un divorce sur demande des partenaires de la Guinée. La principale raison ou le principal reproche du conjoint, c'est la mauvaise gestion. On a parlé de surfacturations, d'abus de biens sociaux, de gaspillage
Réunis en France pour une ultime réconciliation, les mariés se sont séparés sur un constat d'échec. Si bien que les partenaires sont tous partis, nous laissant sur les bras un Friguia malade, avec 90 millions de dollars de dette consolidée, un minerai qui coûte plus cher à la production (120 dollars US la tonne) qu'à la vente (90 dollars US la tonne). En attendant un hypothétique repreneur de l'entité industrielle, le gouvernement a nommé en la personne de l'Américain Jacobs, un administrateur pour gérer l'ingérable dossier. Ce dernier commença par se défaire de l'omniprésent et incontournable secrétaire général, Bocar Ly, en l'expédiant étudier l'anglais aux Usa. A sa place, il fit venir un autre cadre en la personne de M. Ibrahima Diallo. Et pour mieux assainir l'écurie d'Augias, il fit appel aux compétences d'un cabinet d'audit canadien, Price Waterhouse, pour éplucher les comptes de la société à partir de 1995. Les surprises, les experts de ce cabinet en rencontrèrent en grand nombre à travers les irrégularités d'écritures, des pièces justificatives qui ne justifiaient que la prévarication et la gabegie qui ont prévalu, des années durant, dans l'entreprise industrielle. On peut estimer aujourd'hui à plus de dix milliards de Gnf, le préjudice subi par Friguia ou plutôt par l'Etat du fait de la mauvaise gestion. Au centre de cet imbroglio figurent non seulement des cadres de la société, mais aussi de hauts cadres de l'administration publique, voire quelques membres du gouvernement, apparemment au-dessus de tout soupçon. Il va de soi que nous détenons leurs noms, mais nous nous abstenons provisoirement et volontairement de les citer en attendant de réunir plus d'éléments sur leur compte.
Pour l'instant, nous pouvons édifier nos lecteurs sur le procédé utilisé pour organiser l'énorme supercherie au détriment du Trésor Public. Au départ, on créa des sociétés-écrans à la tête desquelles on plaça des hommes de paille. En même temps, on sollicita la collaboration de certaines sociétés en place dont une société de transit, l'une des plus importantes de la place. Ensuite on mit certains membres des services financiers de l'entreprise dans le secret. Et la machine put se mettre en branle. La méthode était simple. Chaque année, la direction des Impôts adressait à la société une correspondance relative aux sommes dues à titre d'impôts. Un chèque, portant le montant indiqué sur le document, était alors émis. On le datait et on le faisait signer sans indiquer, toutefois, le nom du bénéficiaire. Le chèque ainsi libellé, était photocopié. Et c'est sur la photocopie que l'on portait le nom du bénéficiaire : le Trésor public. Après quoi, ladite photocopie était photocopiée à son tour et la nouvelle photocopie était classée dans le dossier des pièces justificatives. On portait alors sur le chèque original le nom du bénéficiaire autre que le Trésor public, notamment une des deux sociétés-écrans d'un cadre de la direction des impôts, célèbre pour ses javas. Une fois la somme encaissée, le directeur général de ladite société prélevait sa commission et procédait à la distribution entre les comparses, parmi lesquels on retrouverait des membres du gouvernement et des directeurs nationaux, les premiers se taillant la part du lion, évidemment. L'affaire mise à nue, révèle que seul l'Etat a été le perdant dans l'affaire. Plainte en bonne et due forme a été portée en justice. Comment Price Waterhouse a-t-il procédé pour découvrir le pot au roses ? Par un heureux concours de circonstance. En effet, le service des impôts avait adressé une lettre à l'entreprise pour réclamer des arriérés d'impôts. Or, il existait, dans les dossiers des pièces justificatives de paiement desdits impôts. Vérification faite au niveau du Trésor, on ne trouva aucune trace desdits chèques. La banque d'émission, fut alors contactée grâce aux photocopies de chèques trouvées dans les dossiers. C'est ainsi que furent connus les bénéficiaires illégaux parmi lesquels, un expatrié. L'un des membres du gouvernement impliqués dans ce méli-mélo a tenté de se dédouaner en tentant, par tous les moyens, de convaincre l'un de ses directeurs d'endosser toute la responsabilité de cette malversation par un acte écrit. Le directeur a refusé. Ni les menaces, ni les promesses les plus mirobolantes n'y purent quelque chose. On dit que ledit ministre passe son temps à le maudire. Le dossier est entre les mains de la justice et on espère qu'après son enrôlement, son contenu sera porté à la connaissance du public.
Nous avons dit plus haut que d'autres scandales financiers au niveau de la douane, du fuel et des surfacturations, concernant Friguia, existaient. L'affaire a été discutée en conseil interministériel. Selon certaines sources, le préjudice portait sur plus de 7 milliards de nos francs. Le président de la République pour sa part, exige le remboursement intégral des sommes frauduleusement soustraites avant toute action judiciaire.
Voici un scandale financier de plus. Le petit peuple ne s'attend guère à la divulgation de la liste des coupables, tant on a pris l'habitude d'escamoter ce genre de documents pour mettre à l'abri les vrais et colossaux fossoyeurs du denier public. Pendant ce temps des gagne-petits ont été jetés à la pâture, radiés et sommés de payer de l'argent qu'ils n'ont souvent pas utilisé à des fins personnelles. Est-ce une affaire à suivre ? Peut-être !
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