Assistant d'Ethnologie à l'Institut
Français d'Afrique Noire (IFAN)
Les Masques Kono (Haute-Guinée Française) : leur rôle dans la vie religieuse et politique
Paris. Librairie Orientaliste Paul Geuthner S.A. 1952. 200 p.
Chapitre IX
Nyomou Kpman néa
Son caractère
La nyomou (souvent prononcé nyon) kpman néa (planche VIII) bien qu'épouse légitime du masque guerrier, ne saurait être directement associée à l'idée de la guerre: la tuerie n'est nullement sa besogne. Au contraire, et parallèlement à la nyomou néa, le souci de la procréation et de la préservation des vies humaines figure parmi ses occupations principales.
Détention
Dans chaque village où le kokoun goundigui détient un mâle, on trouvera nécessairement aussi une femelle. Celle-ci, contrairement à ce que nous pourrions peut-être présumer, étant donné son caractère parfaitement pacifique, sera gardée par le premier des kôkounlaki kpô-bla, guerriers candidats formant la réserve militaire, autrement dit la deuxième ligne d'attaque, en cas de guerre 1.
Ses occupations
Quand une guerre se prépare, on ne s'adresse jamais à la nyomou kpman néa; dans ce système social 2, un être féminin n'est certainement pas qualifié pour contribuer directement à la victoire des armes. Aussi la nyomou kpman néa ne recevra-t-elle jamais à cette occasion d'offrandes propitiatoires, à l'exemple de son mari.
Mais la guerre une fois victorieusement finie, elle sortira volontiers pour accompagner le nyomou kpman hinè, et pour prendre une part, de second plan il est vrai, à la fête qui suivra 3.
En cas de maladie grave, elle peut cependant intervenir, plus activement, alternativement avec le mâle.
En tout cas, son rôle essentiel porte sur le domaine de la fécondité. De la sorte, les villages réputés pour leur grand nombre d'enfants sont les lieux des grands sacrifices collectifs, auxquels prennent part les villages voisins, moins fortunés ; et la nyomou kpman néa (accompagnée de son mari, dont la prépondérance hiérarchique s'effacera cette fois devant elle) sera le « personnage central », d'une telle fête. Car c'est d'Elle, et par Elle, qu'on espère obtenir une nombreuse postérité.
Individuellement, un mari, désireux que sa femme lui donne des enfants, s'adressera à Elle comme d'ordinaire par l'intermédiaire du dzogo-mou, sa demande étant toujours accompagnée d'une kola blanche (« pour porter bonheur ») et d'une kola rouge (« pour tenir à l'écart les mauvais esprits »).
Le lendemain, à l'heure fixée, le nyomou kpman néa viendra à la maison du postulant. Au milieu de la cour est posée une calebasse emplie d'eau, avec, au fond, deux moitiés de kola blanche et deux autres moitiés de kola rouge. Son interprète d'occasion (un des amis initiés du mari) qui se chargera du rôle sacerdotal ad hoc est assis par terre, à côté de la calebasse. Le dzogo-mou préside à la séance. Le masque bénit l'eau et prononce, de sa voix changée, les prières propitiatoires qui sont, phrase par phrase, traduites par l'interprète en diction normale. A chaque bénédiction, l'interprète sacerdotal verse une poignée d'eau par terre, en répétant les prières. A la fin de la cérémonie, il vide le contenu de la calebasse avec les kolas qui seront partagées comme suit : une moitié blanche appartiendra au postulant, I'autre à sa femme, tandis qu'une moitié rouge appartiendra au frère cadet de l'intéressé, et l'autre, à l'officiant.
Si l'enfant désiré vient au monde, le père sera tenu de récompenser le dzogo-mou, en lui faisant don d'une certaine quantité de riz, d'un poulet et d'une vingtaine de noix de kola. En outre, si le nouveau-né est un garçon, son père le présentera, avec ses remerciements et quelques petits cadeaux supplémentaires, à la nyomou kpman néa, en un geste rituel de reconnaissance, pour le mettre désormais sous sa protection morale.
Il va cependant sans dire que ce n'est pas le seul cas où ce masque se présentera dans le rôle de la « Mère du village »: p. ex. la nyomou kpman néa se rendra, de temps en temps sur la route pour « appeler » (exactement : pour faire revenir) un de ses « enfants » absent depuis longtemps ou disparu et dont on est sans nouvelles... L'appel (la prononciation du nom de la personne recherchée étant un acte magique par excellence) se fait à haute voix, à la lisière du village, dans la direction où le disparu était parti jadis. On répète cet appel quatre fois pour les hommes, trois fois pour les femmes, et la cérémonie peut être renouvelée plusieurs fois, pendant les jours qui suivent.
En cas de réussite, deux alternatives peuvent être encore envisagées: ou bien le disparu arrive en bonne santé mais sans argent, ou bien il revient riche Et si quelques noix de kola font l'affaire dans le premier cas, dans le second, les heureux parents seront obligés d'offrir un cadeau plus substantiel au dzogo-mou, et ils inviteront le masque femelle à accomplir le rite habituel des remerciements.
Sa suite
A la différence de son mari turbulent, la nyomou kpman néa est d'une humeur plutôt calme et équilibrée, de sorte que rien ne s'oppose à ce qu'elle soit accompagnée d'un interprète permanent (nyomou lâhébo-mou, prononcé par quelques-uns de nos interlocuteurs: nyomou ndâhilimbo-mou), autorisé à percevoir les cadeaux que la population offrira au masque. L'orchestre qui accompagne ses sorties est composé des musiciens du village (les tambours étant admis à en faire partie).
Les caractéristiques de la nyomou kpman néa
En général, les formes plus archaïques de ce type de masque sont d'un aspect extérieur plus fruste que les adaptations modernes, plus raffinées mais d'un effet artistique moindre ; nous n'avons pas pu d'ailleurs constater de visu de différence foncière. En voilà la description sommaire :
La face, toujours noire dans les villages du canton de Lola, porte parfois, dans l'Est du pays kono, au niveau des yeux, une bande de tissu rouge encadrée dans de minces bandelettes d'aluminium ce qui le fait, dans ce dernier secteur, toujours distinguer du masque mâle (fig. 12).
Les orbites sont également marquées par les cadres métalliques et ont la forme tantôt oblongue tantôt ronde.
La coiffure consiste en deux grosses tresses temporales, ou en un système de mèches traditionnelles tombant sur la nuque. Elle ne porte jamais le dzibli, ce haut bonnet qui est propre à la nyomou néa.
Les lèvres peuvent être soulignées d'un doublage en tissu rouge.
La dentition des masques anciens n'était généralement marquée haute que de deux paires de dents. Cependant, dans la fabrication moderne, leur nombre tend à s'accroître progressivement.
Les trois cicatrices disposées à la circonférence de la partie faciale (parallèlement au système des trous de fixation) se retrouve plus souvent chez ce type de masque (femelle) que chez le nyomou kpman hinè même.
On les signalera plus particulièrement dans les régions adjacentes à l'habitat des Yomalo et des Togbalo, conformément à notre conception de l'emprunt étranger (cf. plus haut, p. 76). Ces trois cicatrices semblent souvent manquer chez les masques provenant de la partie ouest du pays kono, mais I'insuffisance du matériel documentaire ne nous a pas permis jusqu'ici d'arriver à des conclusions définitives.
Un autre phénomène assez étonnant consiste en ce que la nyomou kpman néa porte parfois une longue barbe, confectionnée en fibres noircies de palmier à huile. Mais, et ici il n'y a pas d'exception à la règle, on n'utilise jamais à cette fin la peau de singe.
La nyomou se coiffe volontiers d'un mouchoir de tête en toile du pays, la somptueuse couronne de plumes (gbuguè) étant rigoureusement réservée à son mari.
Son costume est, par contre, toujours plus beau que celui de son époux un peu négligé; il est toutefois moins luxueux que celui de la nyomou néa, sa supérieure hiérarchique;
N'étant pas armée, elle se présente coram populo toujours les « mains vides ».
Son comportement est tranquille et presque doux, sa voix basse et distinguée, ses mouvements très gracieux. Elle ne se fâche pas; elle ne frappe jamais. Et, tandis que son mari affolé parcourt à pas rapides le village, elle danse au rythme de l'incessante musique.
Noms personnels
A Kooulenta (ou Kéoulenta), dans le Vépo, la nyomou kpman néa a reçu le surnom Gbagoli ce qui signifie Affaire, Evénement. A Gbakoré, on l'appelle tendrement pour sa beauté: Nyékplin, Petits-Yeux ; une autre s'appelle: Néa-plo, Vieille-Femme. Lyôpou4 de Gbéké, canton de Lola, porte le nom que l'on donne dans le pays kono aux femmes exceptionnellement « belles et noires », pour traduire littéralement les paroles de nos informateurs.
Notes 1. Cf. chapitre 5 pp. 72 sq. 2. Se rappeler que d'autres civilisations de l'Ouest africain connaissent l'institution de guerriers-femmes (p. ex. Ies amazones fon au Dahomey). 3. Voir plus haut, le chapitre Vlll consacré au nyomou kpman hinè. 4. Cf. chapitre 17