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Bohumil Holas

Assistant d'Ethnologie à l'Institut Français d'Afrique Noire (IFAN)

Les Masques Kono (Haute-Guinée Française) :
leur rôle dans la vie religieuse et politique

Paris. Librairie Orientaliste Paul Geuthner S.A. 1952. 200 p.


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Chapitre VI
Nyomou Hinè Tè

Son Rôle

Dans chaque village kono, un nyomou hinè té ( signifiant noir) au moins coexiste à côté de son puissant « père » : le Rouge.
Mais il arrive qu'une jalousie plus ou moins déclarée se manifeste entre eux de temps en temps, sans conséquences graves cependant. Tempérés par le dzogo-mou en chef, et soumis à ses ordres, ils ne cherchent pas, sauf exception, à se faire du mal l'un à l'autre. Bon gré mal gré, le Noir doit toujours s'effacer devant son supérieur, le nyomou hinè gblôa.
Moins méchant, le nyomou hinè tè ne se sert pas de poisons.
Pendant les grandes cérémonies d'initiation son rôle est d'importance secondaire. Il se charge surtout des relations de la forêt du poro avec le village ; et, parfois, à l'instar du kwî néa, de la collecte des vivres pour le poro. Dans ce dernier cas, il sera accompagné d'un ou de deux bî tiyan-bla (au sing.: bi tiyan-mou, signifiant le grand sac en raphia, et tiyan ou téan, porter), tandis que d'autres collecteurs, munis de bînga, auxquels sont accrochées quelques clochettes, parcourent tous les quartiers du village.
Le nyomou sinè té ne s'occupe pas des circoncisions (non plus que le nyomou hinè gblôa). Cependant partout où les rites d'initiation se trouvent réduits à un simple acte de cette sorte (Vépo et Saouro), ils interviennent tous les deux simultanément, mais en assumant des rôles différents.
Numériquement, ce type de masque l'emporte sur tous les autres masques kono. Ses sorties sont fréquentes, notamment pendant la période qui suit la récolte du riz (vers la fin de l'année), et durant toute la saison sèche. Ce nyomou peut être appelé à des sacrifices d'importance très inégale, et nous l'avons surpris, p. ex., dans le rôle de guérisseur de bébés malades qui ont été remis dans ses bras par le crieur public (lourougbô-mou) local 1, substitut, en quelque sorte, du griot ; c'est aussi à ce personnage, que le masque a chuchoté ensuite sa diagnose, ainsi que son conseil thérapeutique. Bref, ce nyomou est, pour ainsi dire, le « masque de tous les jours » du pays kono.

Aspect extérieur

La partie faciale de ce masque est sculptée sur un bois noirci (à l'aide des teintures végétales du pays ou, simplement, à l'encre, achetée au marché de Nzo, de Lola ou ailleurs) et verni 2. Sa barbe est faite de poils de colobe noir, jamais de la crinière de cynocéphale. En somme, il ressemble de façon frappante à son père rouge.
Son vêtement est tout à fait semblable à celui que porte le nyomou hinè gblôa, et parfois même plus soigné, plus bariolé. Seulement son kongolon sera d'une couleur unie, sans ornements appliqués. Il lui est cependant — rarement, il est vrai — permis de porter des tissus à dessin rouge (mais pas entièrement écarlate car c'est la couleur réservée au Rouge). A l'exception du bâton sculpté (nyomou toungo) du masque rouge 3, il porte les mêmes armes, et notamment le ké ngo (excepté dans le canton Vépo). Mais il peut se munir seulement d'un petit van à manche, servant d'éventail ou, à l'instar du kwi néa, d'une tige ou deux de toa, pour s'en servir à l'occasion ( voir plus loin)

Nyomu hine te
Fig. 6. Nyomou Hinè Tè.
Aspect caractéristique de masques mâles de type nyomu hinè, kwî néa, etc. au repos.

Son cortège

Sa suite comprend, également, un guide-interprète (nyomou lâhébo-mou, sing.) et une bande de musiciens, sans compter quelques jeunes gens qui se tiennent toujours à ses côtés; ce sont les amis personnels (évidemment initiés) du nyomou koulo-mou qui l'aident à s'habiller et à se déshabiller, qui lui apportent quelques rafraîchissements au cours de sa sortie, qui l'éventent au moment de ses repos, etc.

Détention

La détention (une propriété, au sens légal du mot, n'ayant jamais lieu) de ce masque est confiée à une famille spécialisée. La transmission de ce droit s'hérite du père (vieux ou mourant) à celui de ses fils qui a manifesté qu'il est susceptible de devenir (s'il ne l'est déjà) un dzogo-mou.
Il convient cependant de souligner que ce successeur ne se recrutera jamais dans la famille d'un dzogo-mou en chef qui est déjà le propriétaire du nyomou rouge. Toutefois, et il nous paraît presque superflu de revenir sur ce point, le nyomou noir, comme tous les autres masques du village, sera soumis aux ordres de ce dernier.
Il est bien évident que le porteur du nyomou noir sera toujours choisi, sauf de très rares exceptions, dans la famille qui le détient.
D'ailleurs, dans chaque village d'une certaine importance, il y a toujours plusieurs masques de ce type et, par conséquent, plusieurs familles autorisées : ils seront toujours moins nombreux (deux ou trois) dans le secteur à initiation; on peut en compter une dizaine dans le secteur à circoncision, la coutume étant alors moins rigoureuse, et, par suite, les conditions d'acquisition (ou de détention) plus faciles.

Ses sorties

Le nyomou hinè té
  1. « non habillé » peut sortir:
    1. seul, en profitant d'une nuit sombre, pour se procurer quelques victuailles, quelques noix de kola, etc.
    2. cependant, dans les grandes occasions, il peut se faire accompagner de la voix de sa femme : ce cas s'est p. ex. produit récemment dans le Vépo, en 1949, au retour à N'Zo du chef Gbato Duolo évadé au Libéria, et il se produit très fréquemment quand les cérémonies du poro sont en cours. Nyomou néa gaoulo touni, c'est la « Diablesse », qui chante, dit-on.
      Dans les deux cas (1 a, 1 b), les habitants non-initiés du village, avertis par les cris des hérauts, doivent se cacher dans leurs cases.
  2. Quand le nyomou noir sort habillé, il peut venir au village sans précautions spéciales :
    1. seul ou
    2. en compagnie de sa femme nyomou néa, également travestie en masque.

Dans la première éventualité, chaque habitant du village (qu'il soit initié ou non), après avoir consulté le devin, et sur le conseil exprès de ce dernier, est en principe autorisé, par l'intermédiaire du dzogo-mou, à faire appel au nyomou noir (le choix de tel ou tel nyomou étant prescrit par le devin). L'intéressé adresse alors sa demande, en l'accompagnant d'une kola blanche et d'une kola rouge 4, à l'intermédiaire sacerdotal. Le dzogo-mou invite alors le nyomou à sortir, et il le charge d'assister à un sacrifice propitiatoire dont le mécanisme sera décrit dans l'Appendice.
Le plus souvent, on demandera au nyomou hinè lé la bonne chance dans une entreprise en vue, la réussite d'un long voyage, une femme pour mariage, une bonne récolte. Et si les vœux du postulant se sont réalisés, celui-ci devra une récompense au nyomou.
Dans ce cas, à côté du nyomou hinè té, apparaîtra son épouse nyomou néa, tous deux habillés, à la grande joie de tous les villageois. Le même matin, l'intéressé rendra visite au dzogo-mou pour le remercier et s'entendre avec lui sur les conditions de la prochaine sortie. Il apportera, à cette occasion, une natte toute neuve pour le dzogo-mou et une autre, pour le couple des nyomounga afin qu'ils puissent « s'y asseoir sans se salir ». En outre, il offrira une ou deux dizaines de noix de kola 5, et le dzogo-mou, son tour, en prélèvera quelques-unes qu'il offrira à l'assistance. Comme apport personnel au festin, il apportera un mouton ou, mieux, un chien. Le mouton sera sacrifié suivant le rite devant la case du dzogo-mou, sa viande, préparée par les femmes (de la famille de l'intéressé) sera mangée par les hommes. Cependant les deux porteurs de masques s'en régaleront en secret, à l'intérieur de leurs cases. Par contre, le chien ne doit pas être tué dans le village même; on l'emmènera au gbéa sou, où il sera sacrifié, loin du regard des femmes.
Au cas où les deux animaux seraient offerts, à la fois au dzogo-mou par un postulant très reconnaissant, le chien sera épargné et désormais gardé par le dzogo-mou pour une autre occasion solennelle, peut-être.
Notons que l'exorcisme proprement dit ne figure qu'exceptionnellement parmi les attributions de ce masque, la lutte contre les « sorciers » et les « mauvais esprits » (synonyme de maladies ou de décès) étant confiée, en premier lieu, aux guérisseurs et à d'autres spécialistes qualifiés.

Noms personnels

Un des nyomounga noirs de Gbéké (canton de Lola) a été nommé : Sinhouya 6 — Insulteur, et l'autre, réputé pour son activité infatigable: Ngou-Ma-Souyo ou Ngou-Ma-Siyo (littéralement: Chair-de-la-Tête). Un de ceux de Kooulenta (canton de Vépo) s'appelle Lâba, Vigoureux.
Le nom Bérè (ou Gbérè) d'un nyomou hinè té du village de Bakoré (canton de Lola) est d'une signification symbolique. Gbérè veut dire fonio (Digitaria exilis) en dialecte kono ; et la parabole remplir un trou avec du fonio rappelle que toute faute commise (le trou) devra être réparée moyennant une amende (fonio). Dans le même village, un nouveau nyomou noir a été introduit récemment, pour aider son collègue pendant les initiations de 1951 : il s'appelle Yôgpo, le Joli, Beau-Garçon.

Notes
1. L'événement dont nous avons été témoin s'est produit à Lola.
2. Cf. le chapitre III.
3. Qu'il n'est autorisé à porter que « lorsqu'il est d'un âge trés avancé », au dire de nos informateurs du Vepo.
4. Jamais d'argent.
5. Une noix de kola valait 2 fr. 50 C. F.A. à Nzérékoré dans l'été 1949.
6. Nom personnel assez fréquent dans le pays, prononcé aussi: Sôhouya.


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