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Thierno Diallo
Dinah Salifou, roi des Nalous

Editions ABC. Paris — Dakar — Abidjan. 95 pages
Collection Grandes Figures Africaines
Direction historique: Ibrahima Baba Kaké. Agrégé de l'Université
Direction littéraire : François Poli


Introduction

Il est très difficile de faire une distinction très nette du point de vue morphologique entre les différents peuples qui habitent la côte guinéenne entre Bissau et Freetown. Cette côte, située entre Gambie et Sierra-Leone, appelée Rivières du Sud, est la partie la plus occidentale du golfe de Guinée. Elle est caractérisée par un relief de côte à rias, et un climat tropical de type guinéen, humide et pluvieux (six mois de pluie avec quatre mille millimètres cubes d'eau par an à Conakry). Cette côte est découpée par de larges estuaires, véritables bras de mer, débouchés de nombreux rivières et fleuves venus des derniers contreforts des montagnes du Fouta-Djallon. Quant aux populations, entre Bissau au nord-ouest avec les Bullam et les Balantes et Freetown au sud-est avec les Temné (ou Timené) et les Mende, on trouve successivement les Yolas, les Nalous, les Landouman, les Bagas et les Susus. Ce sont là les principaux habitants de la côte guinéenne, plus connue sous le nom de Basse-Guinée ou Guinée maritime.

L'origine de tous ces peuples se perd dans la nuit des temps. Et cependant, il y a eu véritablement des migrations successives qui se sont produites au cours des siècles de l'intérieur du continent vers la côte principalement. Il semble que les plus anciens habitants soient les Bagas, les Nalous et les Landouman. Plusieurs hypothèses ont été formulées pour les rattacher au groupe Ouolof-Serees, aux Apolloniens (apportés par la traite), ou aux Hawsas (ou Hansas, ou Haoussas). Elles ne sont fondées que sur des spéculations ou sur des apparences plus ou moins contestables. L'hypothèse la plus vraisemblable, la plus acceptable, paraît être celle qui rattache tous ces peuples aux premières tribus détachées de la grande famille, ou nation, mandé. Ils seraient ainsi le premier banc de l'invasion Mandingue en direction de l'ouest, bien avant l'arrivée des Susus (ou Sosos, ou Soussous).

Les Bagas, installés sur la rive méridionale du Rio Nunez, sur le Rio Pongo et jusqu'au delta du Konkuré, seraient venus du Jalonkadugu (ou Fouta-Djallon). On distingue plusieurs clans ou fractions tribales et, entre autres, on peut noter :

Les Landouman, installés en amont du Rio Nunez autour de Kakandi ou Kakandé (Boké), seraient venus du Jalonkadugu (Fouta-Djallon). Ils sont aussi répartis en grandes familles ou clans, mais avec cette particularité d'avoir subi un métissage intense avec les Mandingues. Les noms de leurs villages ont également subi l'influence de l'Islam à la suite des contacts avec les Jakhankés, les Soninkés et les Fulbés (par exemple, des noms comme Makka, Missira, Madina, etc.). Ils se regroupent surtout autour de Kakandé (Boké) et dans les villages voisins fondés par eux, dont le plus ancien serait Wakrya, situé à quatre kilomètres de Boké. Ils ont une organisation politique plus poussée que les Bagas, semble-t-il, en raison peut-être de leur concentration autour de Boké.

Les Nalous habitent sur la rive nord du Rio Nunez, sur toute la côte entre Kasini (ou Cassini) et le Cap Verga et dans les îles Tristao. Eux aussi seraient venus du Jalonkadugu (Fouta-Djallon). Leur organisation sociopolitique serait beaucoup plus familiale que tribale ou clanique, ce qui, en définitive, semble avoir permis aux Nalous de dépasser rapidement le stade des chefferies villageoises pour atteindre celui de l'Etat-nation. Leurs ancêtres Silatigi (chef des migrations équivalent de Ardo chez les Fulbés, chef des nomades) seraient deux frères, Yotpez et Yani. Leurs principaux villages sont : Kisasi près de Boké, Kakisan, Kasagba, Tambayeti, Boffa, Kutuba, Katerak, les îles Kesken, Kanoffe, et puis Kanfarandé (Victoria), Katenou, Kunsunku, Caniope, Sokoboly, etc.

Toutes ces migrations du massif du Fouta-Djallon vers la côte seraient consécutives à l'arrivée d'autres populations de l'intérieur des empires du Mali et du Gao, ou Songhay. Ces populations seraient les Jalonkés (Jalunkas), les Susus (ou Sosos) et enfin les Fulbés. La question qui se pose est de savoir pourquoi ces Jalonkés, apparentés aux Susus, ont repoussé hors du massif montagneux les Bagas, les Nalous et les Landouman. Auraient-ils été eux-mêmes bousculés par les Fulbés, pasteurs nomades en perpétuel déplacement à la Recherche d'eau et d'herbe fraîche pour leurs animaux ? Mais alors pour quelle raison ? Serait-ce à la suite d'un dessèchement progressif du Sahara ? Ou bien à cause des guerres et des persécutions ? Ou bien, enfin, ont-ils été bousculés eux aussi par d'autres ? Lesquels ? Pourquoi ? Autant de questions qui restent sans réponse.

Les Fulbés (appelés aussi Peulhs, Fulanis ou Foulahs) ne sont pas véritablement des habitants des Rivières du Sud. Ils sont de l'intérieur, de l'arrière-pays, mais leur action et leur présence sont si constantes dans cette région qu'il convient de ne pas les oublier. Ce sont des pasteurs nomades sédentarisés ou en voie de l'être depuis plusieurs siècles, dans le massif montagneux du Fouta-Djallon. Leurs ancêtres y seraient arrivés aux XIe, XVe et XVIIe siècles, par trois grandes vagues successives, venant du Ferlo, du Tooro, du Macina et du Sahel. Mais on pense qu'ils sont originaires de la vallée du Nil, car on ne peut les rattacher morphologiquement à aucun peuple de l'Ouest africain. Ils sont essentiellement éleveurs, bouviers ou pasteurs de bovidés. Vers la fin du XVIIe et au début du XVIIIe siècle, ils ont réussi à instaurer un Etat religieux (théocratie), au nom de l'Islam, en obligeant tous ceux qui vivaient là à se convertir ou à déguerpir sous peine de subir la servitude jusqu'à ce qu'ils adoptent la nouvelle religion.

Une fois maîtres du massif montagneux, les Fulbés estimaient que leur mission ne serait pas terminée aussi longtemps qu'il resterait des peuples païens, animistes, autour d'eux. C'est ainsi qu'ils réussirent à imposer leur tutelle, par l'intermédiaire du chef de la province du Labé (Alfa-Mo-Labé) au nom du souverain (Almamy) du Fouta-Djallon résidant à Timbo, sur les habitants du Naloutaye et du Landoumantaye en voie d'islamisation, et qu'ils cherchaient à le faire sur ceux du Bagataye, beaucoup plus récalcitrants. Comme leur pays était beaucoup plus grand (deux fois comme la Suisse) que celui ou ceux de leurs adversaires pris ensemble ou séparément, ils contrôlaient aussi la vie économique locale. Ainsi, Kakandi (Boké) était devenue leur fenêtre sur la mer, le seul port du pays. Tout leur commerce avec la côte passait soit par Kakandi-Boké soit par Freetown-Sierra Leone. Le cuir, la cire, le miel, le morphil, le caoutchouc, l'orange et son essence, et l'or, etc., constituaient les principaux produits. Il y avait aussi les esclaves, mais, en fait, eux-mêmes en avaient souvent besoin pour la culture de leurs champs, ou le labour de leurs lougans (c'étaient des nomades éleveurs qui détestaient le travail de la terre).
Ainsi, pour des raisons politiques, religieuses et économiques, les Fulbés ne pouvaient pas se désintéresser des Etats et des peuples des Rivières du Sud, car ils voulaient aussi profiter des rivalités coloniales très intenses dans cette partie du continent.

Quoi qu'il en soit, à la période qui nous intéresse, toutes ces populations sont sur place, là où elles vivent actuellement. Et on admet d'après leur tradition orale qu'elles sont venues de l'intérieur à des dates indéterminées. Bagas, Nalous et Landouman, les premiers arrivés sur la côte, ont été rejoints par les Susus et une partie des Jalonkés beaucoup plus tard, à la suite des pressions consécutives à l'arrivée des Fulbés musulmans par vagues successives sur le Jalonkadugu, qui devient Fouta-Djallon : pays des Peulhs-Fulbés et des Jalonkés unis dans et par l'Islam, après plusieurs années d'affrontements sanglants.
Ainsi, la formation de l'Etat nalou, ou Naloutaye, est contemporaine de celle du Bagataye et du Landoumantaye. Mais ces deux derniers ne semblent pas avoir eu à jouer un rôle aussi important que celui des Nalous (à sa de sa position favorable, ou de ses dirigeants
En fin de compte, on peut dire que le Bagataye, le Naloutaye et le Landoumantaye ont été absorbés et assimilés par le dynamisme de la nation susu (soso), ou Susutaye. Ce sont les Susus qui sont les unificateurs des Rivières du Sud. Ils ont donné à toute cette région leur langue susu devenue une sorte de koiné, ou lingua franca, pour tous les peuples de la zone côtière de Guinée. Les Susus ont ainsi intégré, digéré les mœurs, les coutumes, et les croyances de leurs devanciers. Ils en ont fait une civilisation susu, dont le culte du Simo, sorte d'association politico-socio-religieuse, fut l'expression le plus parfaite avant leur islamisation progressive. Ainsi, les Susus par leur dynamisme, par leur capacité d'adaptation ont fini par dominer entièrement la région de la Guinée maritime. Sur le plan politique, les Susus se sont adaptés, en les améliorant, aux institutions trouvées sur place :

Sur le plan économique et social, tous ces peuples vivaient leurs traditions et les Susus s'y sont souvent conformés dans toutes les activités : l'agriculture (riz, maïs, manioc, huile et vin de palme); la pêche (fabrication des pirogues avec des troncs d'arbres et des filets); l'artisanat (bijouterie, forges, instruments de musique); l'élevage (volailles, caprins et ovins, les bovins étant généralement confiés aux Fulbés, spécialistes de ces animaux)
Il semble que le système de castes, instauré à l'endroit des gens de métiers ou artisans, n'existait pas à l'origine, ni chez les Bagas, ni chez les Nalous, ni chez les Landouman, ni chez les Susus, et c'est pourtant avec ces derniers qu'il fut connu plus ou moins, par influence des Mandingues de la Savane sans doute.
Si, donc, on parle encore de l'Etat Naloutaye, c'est à cause de la valeur de ses souverains fondateurs, les ancêtres de notre héros Dinah Salifou. Celui-ci fut un homme qui a voulu collaborer loyalement, honnêtement avec les Européens, en croyant sincèrement qu'il pouvait le faire d'égal à égal, d'homme à homme. Sa bonne foi a été trahie. Il n'a pas été compris et quand il le fut, c'était trop tard. Et pourtant, il suffisait de très peu de bonne volonté pour comprendre la loyauté et l'honnêteté d'un homme plein de bonne volonté. Mais l'administration coloniale n'a pas pu appliquer normalement les beaux principes dont elle se réclamait (ou n'a pas toujours eu des hommes dignes de cette tâche). Il lui suffisait de comprendre ou de dialoguer avec les conseils des anciens. Ainsi, par exemple, lors de l'arrestation de Dinah Salifou, c'est le conseil des anciens qui conduisait les affaires de l'Etat du Naloutaye, parce que c'était l'institution la plus stable dans les sociétés africaines. Et les colonisateurs européens étaient bien obligés d'en tenir compte, malgré leur répugnance à utiliser des intermédiaires qui n'étaient pas leurs créatures, mais qui étaient issus des sociétés traditionnelles plusieurs fois millénaires. Telle était la situation du Naloutaye, et des Rivières du Sud en général, à l'aube du XIXe siècle.


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