André Lewin
Ahmed Sékou Touré (1922-1984).
Président de la Guinée de 1958 à 1984.
Paris. L'Harmattan. 2010. Volume I. 236 pages
Chapitre 27
29 septembre 1958
Les difficiles lendemains du référendum
Au “non” de la Guinée à de Gaulle (et davantage encore à Houphouët, comme nous le verrons) succède le “non” du général de Gaulle à Sékou Touré. Et, plus dommageable encore à long tenne, celui de la France à la Guinée 236.
Jean Risterucci annonce à Sékou Touré, dès 10 heures 30 du matin le 29 septembre, que la Guinée ne peut plus “recevoir normalement le concours, ni de l'administration de l'Etat français, ni de crédits d'équipement (…) Les fonctionnaires en service en Guinée demeureront à leur poste dans l'immédiat, mais un lan de transfert sera mis en connaît d'ailleurs de longue date, une note que le ministre de la France d'Outre-mer Bernard Cornut-Gentille a lui-même rédigée et qui traduit, par son style comme par son contenu, la déception et la colère de celui qui avait en vain espéré, jusqu'au dernier moment encore, influer sur la position du leader guinéen. Au cours d'une conférence de presse tenue dans l'après-midi (et toujours dans le Palais du Gouverneur), Jean Risterucci déclare au nom de la France : “L'indépendance de la Guinée est un fait acquis”. 238
Le 1er octobre, les bâtiments officiels sont transférés au gouvernement guinéen. Et le lendemain, dès la proclamation officielle de l'indépendance, le commissariat de police de la capitale est remis entre les mains d'un commissaiare guinéen.
Mais au-delà de cette constatation réaliste, le geste de Sékou Touré et le vote presque unanime des Guinéens provoquent à Paris des réactions très négatives et entraînent une brouille durable, dont les conséquences se font sentir aujourd'hui encore. Comme il le déclara lui-même en recevant à Conakry le président Valéry Giscard d'Estaing, le 21 décembre 1978 : “Le destin du jeune Etat de Guinée fut ainsi marqué par une rupture totale d'avec la France ; le reste n'est que la conséquence logique de ce premier pas.”
Le haut-commissaire à Dakar, Pierre Messmer, qui se chargea de mettre en oeuvre toutes ces mesures — dont il prit souvent lui-même l'initiative — s'explique sans états d'âme : “A l'époque, la rigueur dans l'exécution de ces décisions m'a été reprochée — non par le général de Gaulle qui m'a approuvé, ni par Sékou Touré qui n'a pas protesté (sic !) —, par de bonnes âmes, souvent étrangères, qui prêchaient le pardon des injures et la générosité sous toutes ses formes. J'étais et suis encore certain qu'il était nécessaire en 1958 de traiter la Guinée sévèrement. Seule de tous les territoires français à avoir voté “Non”, elle se trouve sous les projecteurs de l'actualité nationale et internationale. Son cas est devenu exemplaire. Nous devons, je dois montrer à tous les autres qui ont voté pour la Constitution de la Vème République que les avertissements du général de Gaulle ne sont pas des paroles en l'air. Le meilleur moyen est d'interrompre immédiatement toute aide et toute coopération, quitte à repartir plus tard sur de nouvelles bases …” 239 - 240
Le 30 septembre, Sékou exprime pourtant l'espoir que la France “sera la première nation à reconnaître la Guinée indépendante” et qu'elle “se chargera de nous faire reconnaître par les autres gouvernements et de nous faire entrer à l'ONU”. Et il ajoute : “Je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas nous associer avec la France, dans la mesure où l'on voudra bien de la Guinée. Si la Guinée était rejetée de l'ensemble français dont elle a fait partie jusqu'ici, elle serait amenée à envisager toutes les solutions compatibles avec sa dignité et conformes à ses intérêts.”
Le même jour, il montre beaucoup d'assurance — avec cependant un peu de légèreté et de méconnaissance des réalités financières — en affirmant : “Il ne se pose pas pour nous de problèmes financiers. Même si la France nous réclame le remboursement rapide de l'avance consentie par le Trésor, nous paierons immédiatement. S'il le faut, les salaires seront réduits de 50 % et nous lancerons un emprunt au peuple.” 241.
Selon certains témoignages, il aurait aussi envoyé un télégramme personnel à de Gaulle : “… Nous avons dit “Non” à la Constitution, mais “Oui” à la France. Vous êtes mon père et ma mère, donnez-moi la main pour me montrer le chemin …” 242.
Mais à Paris le ressentiment est vif. Le général de Gaulle estime “qu'on ne fera jamais rien avec cet homme là.” Il le fera immédiatement sentir 243.
Dans certains milieux français, et jusqu'à Matignon, on pense que deux mois de blocus économique et fmancier mettront le nouveau régime guinéen à genoux 244.
Les services spéciaux proposent même de provoquer un soulèvement au Fouta Djalon, ce que Barry Diawadou, sollicité, révélera sans délai à Sékou Touré 245.
Aucun des dirigeants du RDA n'envoie de message de félicitations ou même d'amicale compréhension à Conakry. Pourtant, en Afrique, beaucoup de cadres, de jeunes, d'étudiants, de syndicalistes, déclarent que “la Guinée a sauvé l'honneur de l'Afrique” et donnent au geste de Sékou une immense résonance.
L'écrivain malgache Jacques Rabemananjara, militant nationaliste (libéré l'année précédente, en 1957, après dix années de détention), futur ministre et vice-chef du gouvernement de son pays, écrit que “la fermeté du geste guinéen (…) acquit instantanément une valeur de sacrement et a permis au nègre à l'échine courbée de se redresser de toute sa hauteur, de se laver d'une longue souillure (…) Qu'il en ait clairement ou confusément conscience, chaque Africain, chaque colonisé, est concerné par la décision guinéenne. Lancée comme une gageure, brandie comme un défi, cette indépendance-ci ne ressemble pas tout à fait aux autres indépendances ; elle tranche sur ses aînées par son origine de pile ou face, par son caractère de bravade qui lui prêtent une allure à la fois provocante et séduisante.” 246.
Aimé Césaire, dans deux poèmes qui seront publiés en juillet 1959 dans la revue Présence africaine, “Salut à la Guinée” et “Pour saluer le tiers monde”, exalte l'impulsion libératrice qui a pris naissance sur le continent africain. L'écrivain camerounais Mongo Béti fait part de son enthousiasme dans un article de la revue Preuves 247. Très rares sont ceux qui minimisent l'apport de Sékou, comme le fait par exemple l'historien Djibril Tamsir Niane, qui affirme que Sékou n'était jusque-là qu'un “primaire, (…) un homme obscur (…) souvent utilisé comme piquet de grève.” 248
[Erratum. Lire mon blog sur la confusion de périodes et épisodes historiques distincts par André Lewin. — Tierno S. Bah]
Au Maroc, le journal officieux Al Ahd il Jadid a sa propre interprétation : “La France a sacrifié ce petit territoire pour justifier l'intégration de l'Algérie et des autres peuples africains, et pour prouver le caractère démocratique du référendum.” 249.
Il est intéressant de noter la réaction de Moktar Ould Daddah, président du Conseil du gouvernement et futur président de la Mauritanie, qui, dans une déclaration faite à Saint-Louis du Sénégal après le vote “Non” guinéen et le vote “Oui” des Mauritaniens, prévoyait que son pays ferait “un stage de quelques années dans la Communauté, qui nous permettra de parfaire notre structure politique et d'asseoir notre économique sur des bases solides. Lorsque les tâches essentielles auront été menées à bien, nous déciderons de notre indépendance, sans pour autant rompre les liens qui nous unissent à la France et aux États de la Communauté.”
Alors que les envoyés spéciaux de la presse anglo-saxonne, italienne ou allemande rendent compte de l'événement avec une relative objectivité et sans cacher les difficultés de l'entreprise, une partie de la presse française se déchaîne. Le Figaro, par exemple, écrit : “Sékou Touré, en appelant à voter “non” s'est entièrement démasqué. Il est depuis dix ans un pion que l'appareil soviétique pousse dans le complexe politique de l'Afrique. Son passé sur ce plan se porte garant de l'avenir. Clandestin jusqu'à ces dernières semaines, le rôle de M. Sékou Touré consiste aujourd'hui à faire de la Guinée, pour le compte de l'appareil soviétique, un Etat d'agitation au coeur de l'Afrique noire.” 250.
Dans "L'Aurore", Robert Bony se félicite “de la netteté et de la fermeté exemplaire du gouvernement français qui vient de signifier à la Guinée qu'elle n'ait plus à compter sur la générosité de la France ; on ne pourra plus renier l'amitié française et frapper à sa caisse, se plaindre de son oppression et lui demander son aide”.
Et Paris-Presse du 7 octobre titre : “Le Général de Gaulle joue mieux au poker que M Sékou Touré”. Vingt ans après, Pierre Limagne, qui avait accompagné de Gaulle en Afrique, écrit : “Bafouer de Gaulle en public est redoutable, pèserait-on le poids de la Russie ou de l'Amérique. A plus forte raison si l'on est un pauvre halluciné à la puissance bien limitée.” 251.
En revanche, "L'Humanité" souligne la popularité que la Guinée s'est acquise dans le monde par son vote courageux et écrit : “On a cru possible, dans les sphères gouvernementales, d'amener la Guinée à ‘mettre les pouces' en ignorant ses offres d'accord, en espérant aussi qu'il était encore possible que des troubles suscités viennent prouver que l'indépendance ne pouvait conduire qu'au désordre. L'échec était prévisible et il amène aujourd'hui la Guinée à choisir une autre voie.” 252.
D'autres publications plus progressistes (comme "Témoignage Chrétien" et "France-Observateur") plaident pour l'association. Des journaux de centre-gauche, comme "La Croix", qui s'étaient pourtant montrés critiques vis-à-vis de l'indépendance, craignent que l'on rejette la Guinée vers d'autres partenaires. En revanche, l'organe du parti socialiste, "Le Populaire", soutient la ferrneté du gouvernement : “M. Sékou Touré veut visiblement être persuasif. Dommage qu'en d'autres discours, il ait tenu un langage agressif dont persiste le souvenir. Les plaies laissent des traces.” 253.
André Blanchet, dans "Le Monde", explique la problématique qui va s'enclencher sans tarder : “Candeur ou défaut d'imagination, parti pris de s'illusionner ou incrédulité ? Il semble bien que le bouillant leader guinéen n'ait pas envisagé comme instantanées ni concrètes les ‘conséquences' dont le général de Gaulle, dans la réplique qu'il lui fit à Conakry le 25 août, assortissait l'éventuel vote négatif d'un territoire (…) Le traitement à réserver au “dissident” et qui implique de toute évidence une certaine discrimination par rapport aux autres, crée inévitablement pour la métropole un cas de conscience épineux. Les rivalités latentes entre les différents territoires de l'AOF font que ceux qui ont répondu “Oui” ne toléreront pas que la France octroie la moindre assistance à la Guinée, fût-ce dans des conditions moins avantageuses que celles dont bénéficieront les membres à part entière de la Communauté. Des hommes politiques africains prédisent d'ores et déjà que tous les territoires, dans ce cas, imiteraient sans tarder l'exemple de la Guinée.” 254 - 255.
Jusqu'au "Canard Enchaîné" qui se lance dans une explication alambiquée tendant à prouver que… c'est le général de Gaulle qui a été manipulé dans cette affaire ; c'est la thèse d'une article publié quelques jours après le référendtun sous le titre : “Guinée is very good for you” 256.
Au sein de la presse française, il est intéressant de réserver une place spéciale à "Paris-Match", qui, une semaine avant et deux semaines après le référendum, se livre à des commentaires fort pertinents. Dans le numéro du 20 septembre 1958, Raymond Cartier, son éditorialiste-vedette, procède à une analyse du projet de Constitution par rapport à la situation de la France et à la personnalité du général de Gaulle, et conclut que le texte est l'un des instruments qui, pour la France, permettront de faire l'indispensable raccord entre son passé et son avenir. Son numéro du 11 octobre consacre deux pleines pages de photos à Houphouët-Boigny en tournée dans les villages, avec comme légende: “En votant ‘oui’ à 99,9 %, la Côte-d'Ivoire a non seulement répondu à la Communauté, mais à la, voix de celui qui en est l'un des artisans : Houphouët-Boigny, ministre d'Etat et maire d'Abidjan. Il a fait la tournée des villages. Partout des centaines de mains se tendaient vers lui rien que pour le toucher. Il avait fait un pari : “Il y aura ici plus de ‘oui’ que de ‘non’ dans la Guinée voisine.”
Les deux pages illustrées suivantes sont consacrées à Sékou Touré et au “non”, avec comme légende : “Guinée : avec Sékou Touré, les femmes ont dit “non”. En votant “non” à 97,2 %, la Guinée plébiscitait Sékou Touré, son chef de 36 ans et son idole. Dès le lendemain, 2.000 des 7.000 Français retenaient à Air-France un billet de retour. Ce jour là, la population refusa de payer dans les chemins de fer. Pour elle, l'indépendance voulait dire transports gratuits. Sékou Touré le démentit aussitôt en annonçant une année d'austérité.”
Et c'est Jean Farran, l'autre bonne plume de l'hebdomadaire, qui se livre ensuite à une intéressante analyse de la position guinéenne, sur la base d'un reportage sur place réalisé par un envoyé spécial, Charles Courrière. Les considérations sur l'Afrique, et spécialement sur la Guinée, sont reproduites en annexe.
Par delà même le ressentiment que pouvait éprouver le général de Gaulle du fait de ce “non” isolé, les arguments avancés par certains leaders africains contribuèrent fortement à durcir les réactions françaises. Sans doute quelques uns manifestent-ils de la compréhension et tentent-ils d'intervenir en faveur de la Guinée. Ainsi Senghor affirme-t-il le 29 septembre: “La Communauté n'est pour nous qu'un passage et un moyen ; le moyen de restaurer deux Fédérations d'Afrique noire ; le moyen aussi de nous préparer à l'indépendance (…) La différence entre le ‘Oui’ et le ‘Non’ n'est pas une différence de nature, c'est une différence de qualité, plus exactement de méthode”.
Selon Sourou Migan Apithy, président du Conseil de gouvernement du Dahomey, “la France doit porter la Guinée sur les fonts baptismaux (…) et la Communauté devra offrir au jeune Etat toute l'aide possible” ; et le comité directeur du PRA réuni à Paris le 14 octobre précise que “la république guinéenne ayant exprimé de façon explicite sa volonté de rester dans l'ensemble français, le comité directeur émet le voeu que le gouvernement de la République française réponde favorablement à ce geste de bonne volonté”.
Un peu plus tard, Mamadou Dia, ultérieurement président du Conseil du Sénégal, tente lui aussi d'intercéder, comme il le rappelle dans l'un de ses ouvrages : “Avec la France, Sékou Touré — il me semble — ne voulait pas d'une rupture totale. C'est de Gaulle qui lui a imposé la rupture. J'en ai eu la confirmation, par la suite, puisque, quand il a eu ses difficultés, Sékou Touré m'a envoyé un émissaire pour me demander d'entreprendre de Gaulle pour savoir si, derrière cette position, il ny avait pas des possibilités de
trouver des arrangements, d'établir des relations avec la France. J'ai la certitude que, si de Gaulle s'était montré plus compréhensif, Sékou Touré aurait certainement accepté de négocier, tout de suite, des accords de coopération avec la France. Je suis d'avis qu'il faut mettre toute la responsabilité de cette affaire sur l'humeur du Général de Gaulle qui n'a
voulu rien entendre. Il a voulu faire les choses de façon spectaculaire.” 257.
En revanche, Houphouët-Boigny manifeste son hostilité irréductible, ainsi que nous l'avons déjà vu. Il est ulcéré par l'attitude de son ancien jeune protégé, dont il fustige l'ambition, l'ingratitude et l'aventurisme. C'est son influence qui prévaut auprès du général de Gaulle, qui est au fond de lui-même du même avis, et qui fait totalement confiance à son ministre pour tout ce qui touche à l'Afrique 258.
Houphouët déclare le 4 octobre à l'hebdomadaire Marchés Tropicaux que “la France et la Communauté doivent savoir tirer les leçons du vote négatif de la Guinée.” C'est à la
demande du leader ivoirien que, dès le 7 octobre, le bureau du comité de coordination du RDA — réuni à Paris — décide à l'unanitnité de proposer à la prochaine réunion du Comité d'exclure Sékou Touré personnellement et, le PDG du mouvement, tout en affirmant que “les négociations avec tout Etat africain désireux de bénéficier du Titre XIII de la Constitution ne pourraient être conduites que par la Communauté”.
Le président du RDA précise sa pensée en affirmant : “Ou bien Sékou Touré a pris la décision de faire voter ‘Non’ à la dernière heure, décision contraire à notre idéal d'indépendance dans le cadre d'une communauté, décision qu'aucune raison valable ne justifie à nos yeux, décision contraire à la ligne constante du RDA, depuis 1946, à laquelle Sékou Touré a toujours adhéré, et nous regrettons une improvisation malheureuse qui engage l'avenir de nos frères guinéens. Ou bien cette décision correspond à une finalité politique ; alors Sékou Touré aura abusé de la confiance de ses amis du RDA et notamment de celle du président du Mouvement dont le soutien et les conseils d'aîné ne lui ont jamais été ménagés. 259.
Prenant les devants sans attendre d'être officiellement expulsé, Sékou Touré annonce le 19 octobre son retrait du RDA 260. Et il transforme la signification du sigle RDA (Rassemblement Démocratique Africain) en Révolution Démocratique Africaine.
A l'évidence, le général de Gaulle fait sienne la thèse d'Houphouët ; il estime que “la Guinée totalitaire, sortie de notre orbite, ne manquera pas, à défaut de notre concours, de recourir à ceux que lui offrent des étrangers : Union soviétique, États-Unis, Allemagne, Grande-Bretagne, Ghana, également satisfaits, quoique pour des raisons diverses, de la voir s'éloigner de la France.” 261.
En janvier 1959, dans une interview à l'influent hebdomadaire allemand Der Spiegel, Sékou Touré déclare que “tandis que la Guinée a opté pour son indépendance, les chefs politiques des autres territoires africains ont choisi le passé, mais les peuples ne les suivront pas longtemps. Le processus de dissolution a commencé il y a longtemps, et la France perdra tous ses territoires africains … Le général de Gaulle n'a pas voulu comprendre qu'il ne s'agit pas de sa personne ; sa personne n'est pas en cause chez les millions d'Africains qui aspirent à vivre dans un Etat qui est le leur et dont ils assument la gestion. Le général est un grand homme qui mérite respect. Je lui témoigne le respect qui lui est dû. Mais cela n'est pas une raison pour approuver sa politique … Je lui ai dit ce qui était à dire et que personne ne lui avait dit avant son arrivée à Conakry. Ensuite, nous avons procédé à des élections, et c'est tout. C'est cela la démocratie.” (Der Spiegel, 28 janvier 1959).
Notes
236. Il faut citer ici une phrase de Sékou Touré lui-même, revenant en février 1979, un an environ après la réconciliation de Monrovia, d'un premier voyage depuis bien des années en Côte-d'Ivoire. Comme l'auteur lui demandait ses impressions sur le développement économique, notamment rural, de la Côte-d'Ivoire, Sékou répondit, après avoir exprimé son appréciation pour ce qu'il avait vu dans les villes, les villages et les campagnes : “Pour la première fois, j'ai compris ce que le ‘Non’ de 1958 avait coûté à la Guinée”. Il avait cependant ajouté, après un temps de réflexion : “Mais je ne regrette pas ce que j'ai fait.” En une autre occasion, il avait dit à l'auteur, mi-sérieux, mi-plaisant, que si les électeurs guinéens devaient à ce moment-là sur prononcer sur le statut de la Guinée, la plupart opteraient pour devenir département français !
[Note. Cette anecdote confirme que président Sékou Touré était conscient de son échec. Mais il ne va pas jusqu'au bout, notamment en faisant l'auto-critique et l'acceptation de son propre rôle — primordial — dans la destruction humaine, sociale et économique du pays. — T.S. Bah]
237. A la veille de l'indépendance, 4.575 fonctionnaires et agents publics sont en service en Guinée. Les enseignants, dont la plupart sont encore en vacances en France au moment du référendum, seront priés d'y rester. C'est Pierre Messmer qui, depuis Dakar, se charge des opérations. Il écrit dans Après tant de batailles (op. cité) : “J'ai insisté auprès du gouvernement pour retirer très vite notre administration et j'ai étendu le retrait aux fonctionnaires français des services fédéraux servant en Guinée : douanes, police des frontières, sécurité maritime et aérienne, etc. Tous nos fonctionnaires auront quitté la Guinée avant le délai de deux mois imparti (…) Entre temps, j'ai dérouté et fait affecter à d'autres territoires les fonctionnaires français dirigés vers Conakry à l'issue de leurs congés et deux bateaux de riz qui devaient débarquer leur cargaison que personne ne pouvait payer. J'ai aussitôt été traité d'affameur et désavoué par Paris.” Il s'agissait en particulier du cargo Atlas qui transportait du riz chinois. Le directeur des pêches fut l'un des très rares à ne pas accepter de quitter Conakry.
238. Le ministère de la France d'Outre-mer envoie alors un télégramme contenant de nouvelles instructions : “Vous devez vous abstenir des conférences de presse inutiles et imprudentes comme celle que vous avez faite hier (…)”.
239. Pierre Messmer, Après tant de batailles (op. cité).
240. Jean Foyer, ancien ministre de la coopération, qui est à cette époque conseiller juridique de Félix Houphouet-Boigny et représentait ce dernier au groupe de travail sur le projet de constitution, dit à ce sujet : “Une autre conséquence (que la reconnaissance de l'indépendance) fut tirée de la sécession guinéenne par le gouvernement français, la cessation de l'aide. Cette conséquence n'était pas juridiquement nécessaire, car l'aide n'est pas contradictoire avec l'indépendance, mais elle s'imposait politiquement. Il eût été incompris des territoires qui avaient approuvé le texte constitutionnel et qui allaient choisir la condition d'Etat de la Communauté, de maintenir à l'État sécessionniste les mêmes avantages qu'aux territoires fidèles.” (témoignage donné à Dakar, le 5 juin 1997, lors du colloque L'État africain à l'aube du 3ème Millénaire). Dans un autre propos, cité par le journaliste du Monde, mais contesté ensuite par l'intéressé, Jean Foyer aurait dit au sujet de la Guinée: “Il fallait d'abord lui donner une leçon de droit.”
241. Déclarations faites à Conakry le 30 septembre. Marchés Tropicaux du 4 octobre 1958.
242. Témoignage de Jean-Marie Cadoré (lettre à l'auteur du 20 septembre 1986). Le texte de ce télégramme n'a cependant jamais été rendu public, ni par Conakry, ni par Paris, et il ne semble guère au style habituel de Sékou. On peut avoir de sérieux doutes sur sa réalité.
243. C'est dans cet esprit qu'il faut comprendre la campagne menée par la France contre la reconnaissance internationale du nouvel État et contre son admission à l'ONU (voir mon ouvrage Diallo Telli, le destin tragique d'un grand Africain, où cet épisode est décrit en détail, ainsi que le chapitre 12). Auprès de la République fédérale d'Allemagne, qui n'est alors pas membre de l'ONU mais envisageait par ailleurs de reconnaître la Guinée (ce qu'elle fera d'ailleurs, en dépit des objections françaises), de Gaulle profite d'un entretien avec le chancelier Adenauer pour exprimer le fond de sa pensée à propos de Sékou : “Hier, j'ai fait la Communauté avec les pays noirs. Tous ont été d'accord, sauf la Guinée, à cause de son maître communiste Sékou Touré. Je retire de ce pays les maires, les fonctionnaires et les fonds. Sékou Touré se tourne vers en vue d'une alliance. Le Ghana marque son accord, les Anglais aussi d'ailleurs, et donnent à Sékou Touré 12 millions de livres sterling. Ce n'est pas cela “l'alliance”… (Extrait des entretiens en tête-à-tête — et donc pas en plénière — entre le général de Gaulle et le chancelier allemand Konrad Adenauer à Bad Kreuznach, dans l'après-midi du 26 novembre 1958, publié dans les “Documents diplomatiques fiançais”, 2ème semestre 1958)
244. Selon Georges Chaffard, Les carnets secrets de la décolonisation, tome 2, op. cité.
245. Il est possible que Sékou Touré fasse allusion à cette affaire — peut-être parmi d'autres — lorsqu'il déclare à la fin de l'année 1959 : “Si les intéressés avaient fait ce qu'ils étaient chargés de faire, il y aurait eu pour eux le poteau.” (Afrique Nouvelle, 18 décembre 1959)
[Note. Ici, la perfidie et la cruauté de Sékou Touré s'étalent au grand jour. En effet, il effaça de sa mémoire cette preuve de loyauté et de solidarité de la part de Barry Diawadou, qui, autrement, aurait pu et dû étouffer le régime du PDG dans l'oeuf. Pis, Sékou l'accusa de complicité, s'empara de ses biens, persécuta sa famille et le fit assassiner en 1969 dans le faux “Complot Kaman-Fodéba”. — T.S. Bah]
246. Ecrit en 1959 ; repris dans La pensée politique du Président Ahmed Sékou Touré. Publications RDA, Conakry, 1975.
247. Entretien avec l'auteur à Paris le 4 décembre 1999.
248. In “Les luttes politiques et la marche fulgurante du RDA vers l'indépendance en Guinée de 1951 à 1958”, Colloque international sur l'histoire du RDA, Yamoussoukro, 18-27 octobre 1986.
249. Edition du 1er octobre 1958. Ce journal, dont le titre signifie en français L'ère nouvelle, fut lancé en 1956, prenant la suite du journal arabophone de la Résidence, qui s'appellait Le Bonheur. Ce fut donc le journal porte-parole du Palais Royal, qui évolua ensuite, en changeant de nouveau de nom pour s'appeler L'Aurore, jusqu'à sa disparition (à une date qu'il ne m'a pas été possible de déterminer).
250. Le Figaro, 29-30 septembre 1958.
251. Pierre Limagne, La Vème République, de Charles de Gaulle à Georges Pompidou. Paris, Éd. France-Empire, 1978.
252. Robert Lambotte, L'Humanité, 15 octobre 1958.
[Note. Sur les positions ambigües du Parti communiste français et son “spécialiste” sur la Guinée, Robert Lambotte, lire I. Baba Kaké, Sacko Condé et Alpha Condé. — T. S. Bah]
253. André Bidet, Le Populaire de Paris, 2 octobre 1958.
254. Le Monde, 28 septembre 1958, sous le titre: “Le ‘oui’ de la Côte d'Ivoire, le ‘non’ de la Guinée.
255. Autre conséquence de cette attitude, la Guinée cesse d'être associée au Marché Commun dès l'indépendance et ne sera pas invitée à signer les conventions de Yaoundé de 1962 et de 1969. Quinze ans plus tard, en revanche, elle signera la convention de Lomé en 1975 et restera ensuite associée à la CEE puis à l'Union européenne, comme toutes les anciennes possessions coloniales des pays membres.
256. Titre évidemment inspiré de la publicité pour la bière britannique “Guiness is good for you”. Le texte de cet article est reproduit en Annexe 1. C'est qui en revanche est exact dans cet article, c'est que nonobstant les mauvaises relations — voire l'absence de relations diplomatiques — entre les deux pays, l'exploitation de la bauxite et la production d'alumine par Pechiney ne connaîtront pratiquement pas de difficultés majeures, même pendant les années de rupture entre Paris et Conakry.
[Note. Lire au sujet de Fria les contributions de B. Ameillon et J. Suret-Canale. — T.S. Bah]
257. Mamadou Dia, Mémoires d'un militant du tiers-monde (Publisud, 1985). Il ajoute : “Une fois, Sékou Touré, qui n'ignorait pas l'audience que j'avais auprès de De Gaulle m'a envoyé un émissaire pour me faire tenir un message : ‘Si de Gaulle souhaite qu'il y ait coopération entre la Guinée et la France, disait-il, nous sommes prêts. Mais, évidemment, dans la dignité…’ Et je n'ai pas manqué d'intervenir auprès de de Gaulle. Mais, sur la Guinée, je l'ai trouvé toujours braqué (…) Alors que, sur l'Algérie, il a fini quand même par céder. Je crois que si sur la Guinée il est resté intransigeant, intraitable jusqu'au bout, c'était dû à une question d'incompatibilité d'humeurs. Le ‘non’ de Sékou Touré avait profondément meurtri le chef de l'État français et ébranlé tous ceux qui y voyaient un exemple dangereux.”
258. Rencontrant à Accra Louis de Guiringau — futur ministre français des affaires étrangères, alors ambassadeur de France au Ghana, Sékou Touré met clairement en cause Houphouet-Boigny dans la crise avec Paris: “M. Sékou Touré a insisté à plusieurs reprises (…) sur les causes purement africaines du malentendu. Il a évoqué son entrevue du 3 août avec le chef du gouvernement, dont il était sorti rassuré. Mais les ‘manoeuvres’ ultérieures du président du RDA avaient, selon lui, complètentent faussé les données du problème, et il n'était pas étonné que le général de Gaulle, mal averti de la situation, ait été surpris en arrivant à Conakry.”
(Télégramme diplomatique N° 615-616 du 24 novembre 19S8, signé Guiringaud). Sékou Touré reprendra cette explication, ménageant le général de Gaulle, lorsqu'en 1982 il fera en France son premier voyage depuis 19S8 ; mais il ne mettra plus aussi nettement en cause le Président Houphouët-Boigny, toujours au pouvoir, et avec lequel il s'était réconcilié à Monrovia en mars 1978.
259. Le communiqué final du 10 octobre est signé de la main même d'Houphouet (Archives privées de Jacques Foccart, carton 213, dossier S98).
260. Un communiqué du PDG publié dans La Guinée Nouvelle du 22 octobre 1958 proclame même : “Périsse le RDA pour l'unité et l'indépendance de l'Afrique !”
261. Mémoires d'Espoir, Tome 1, Le Renouveau, Paris, Plon, 1970. On notera cependant que le général de Gaulle fera au moins indirectement allusion au choc à la situation et à l'évolution de la Guinée dans son discours du 13 décembre 1959 prononcé devant l'Assemblée fédérale du Mali, alors que vont débuter les négociations qui conduiront à l'indépendance de cette Fédération. Le texte complet figure en annexe à ce chapitre. Déjà la veille, le 12 décembre, à Saint-Louis, présidant en tenue militaire la 6ème et dernière réunion du Comité exécutif de la Communauté, le général de Gaulle avait déclaré : “La Communauté accepte toutes les évolutions ; les indépendances seront reconnues ; seule l'association est importante.” Mamadou Dia, président du Conseil, qualifie alors Saint-Louis de “haut-lieu où fut célébrée la messe solennelle des derniers jours de la présence française en Afrique Noire”·