Paris, Maspéro, Coll. Cahiers libres, 1964. 205 pages
Pour juger de ce programme, reflétant les préoccupations
de l'aile gauche du Gouvernement guinéen, il ne faut pas négliger
l'attitude de ce même Gouvernement vis-à-vis des capitalistes
étrangers.
Dans un interview en février 1959 au Journal allemand Spiegel, Sékou
Touré exposait sa politique vis-à-vis du capitalisme :
C'est un fait que la Guinée protège la propriété privée sans permettre que les travailleurs soient exploités. Le capital étranger est protégé par l'Etat et nous respectons strictement et loyalement nos conventions. Nous offrons notre protection à tous ceux qui ont la volonté sincère de collaborer avec nous, pour leur avantage et pour le nôtre. Une seule chose nous importe : développer la Guinée et plus tard toute l'Afrique, et satisfaire aux besoins du peuple.
Cette attitude ambivalente à l'égard du capital étranger fut légalisée en mai 1960 par une ordonnance sur les investissements privés, qui d'une part sélectionnait les entreprises susceptibles de s'installer en Guinée d'après un critère d'intérêt national, et qui en contrepartie accordait à ces entreprises des privilèges, tels que la possibilité de transtert illimité qui n'existait en droit dans aucun autre pays en voie de développement.
Les personnes physiques ou morales désireuses d'investir des capitaux en Guinée pourront soit participer à des entreprises mixtes en association avec la puissance politique guinéenne sur la base de conventions particulières conclues entre les deux parties, soit se constituer en sociétés guinéennes privées conformément à la législation sur les sociétés.
Ne seront autorisés que les investissements susceptibles d'exercer une action favorable sur la balance des paiements. En cas de nécessité vitale pour l'économie guinéenne, l'Etat se réserve le droit de racheter les entreprises privées ou la part de capital privé des entreprises mixtes dans des conditions fixées par accord entre les parties.
Sont garantis aux investissements de capitaux privés, les transferts à l'étranger des revenus des investissements, des fonds d'amortissement et des économies des travailleurs expatriés. Les quantités transférables, tant pour les revenus que pour les fonds d'investissements, seront fixées pour chaque cas dans le décret autorisant l'investissement. Les autorisations de transferts seront accordées notamment en fonction de l'état de la balance des paiements.
Les préférences du Gouvernement allaient à des sociétés
mixtes où le Gouvernement guinéen posséderait 50 %
des parts.
Cette ordonnance toutefois n'avait qutune portée limitée dans
la mesure où ses dispositions n'étaient pas applicables aux
principales entreprises capitalistes: les sociétés d'exploitation
minière, les compagnies d' assurances, les compagnies de transports
aériens et maritimes et les banques.
Elle ne s'appliquait notamment pas aux grands projets capitalistes internationaux.
La Guinée posait donc le problème du colonialisme sous l'angle
exclusif du commerce extérieur et des compagnies de traite, à
l'heure exacte où le néo-capitalisme le posait en termes d'industrialisation.
Dès avant l'Indépendance, la littérature néo-colonialiste s'était brusquement étendue sur les avantages mirifiques que l'industrie de l'aluminium n'allait pas manquer d'apporter à la Guinée.
Mais cette 'industrialisation n'était en fait que la création
de complexes miniers littoraux, à des emplacements permettant une
évacuation aisée et peu onéreuse du minerai vers l'Europe
ou l'Amérique.
L'intérêt que le capitalisme porta vers les années 1953-1957
à la Perle des Rivières du Sud n'était ni original,
ni fortuit. Ce territoire qui n'avait bénéficié d'aucun
investissement spectaculaire à l'ère commerciale de l'exploitation
des pays d'outre-mer, avait été soudain placé, grâce
à ses ressources minières - fer, bauxite - et à ses
ressources énergétiques -chute du Koukouré - à
l'avant-garde des territoires africains. Il ne s'agissait nullement d'une
promotion quelconque La Guinée n'était que le premier des
pions dans les projets miniers que les monopoles internationaux caressaient
en Afrique Noire, nouvelle et radicale forme de pillage des matières
premières.
En immolant les intéréts coloniaux traditionnels, la Guinée
ne supprimait pas l'exploitation colonialiste. Simplement, elle appuyait
dans le sens de la reconversion économique voulue par les trusts
miniers. En multilatéralisant son commerce extérieur, elle
allait vers l'internationalisation des trusts, à propos de laquelle,
dans le Journal colonialiste Industries et Travaux d'OutreMer en
février 1961, on disait :
La taille de ces gisements impose la mobilisation de sommes très importantes, dépassant la centaine de milliards d'anciens francs. La réunion de tels moyens ne peut étre effectuce dans le même pays occidental et impose de ce fait une très large coopération internationale. Il y a là, incontestablement un terrain éminemment favorable à cette solidarité internationale effective qui devient de plus en plus la condition indispensable de succès de tout programme de développement qui évitera les surenchères actuelles.
Cet aspect nouveau du colonialisme n'était pas contemporain de
l'indépendance politique de la Guinée. Il lui était
même nettement antérieur. Les projets connus en Guinée
datent des années 1953 où furent élaborés les
projets de sidérurgie atlantique, soubassement économique
de l'O.T.A.N., auxquels participèrent étroitement Roland Pré,
alors Gouverneur de la Guinée, devenu depuis Président du
Bureau de Recherches Géologigues et Minières, et les grandes
banques d'affaires dont notamment la Banque Rothschild. Il s'agissait alors
de décentraliser la métallurgie européenne pour la
rendre moins vulnérable en cas de guerre et ce dans des conditions
de rentabilité maximum pour le capitalisme. Dans le cadre français,
cette décentralisation portait sur la production de produits semi-finis
en Afrique et sur l'installation dans des ports métropolitains, Dunkerque
notamment, de centres métallurgiques de produits finis. Cette politique
élaborée sous la Quatrième République s'amplifla
sous la Cinquième, preuve de la continuité capitaliste des
deux régimes, symbolisée par la présence du Général
de Gaulle à de nombreuses cérémonies minières
d'outre-mer, autant sous un régime que sous l'autre.
Cette industrie primaire trouvait d'elle-même ses limites dans la
maximation de la rentabilité pour l'Europe. Il n'était nullement
question de promouvoir sur le sol africain une industrie lourde et des industries
légères annexes.
Cependant, toute une école d'économistes plus ou moins consciemment
au service du néo-colonialisme répétait les thèses
d'industrialisation qui trouvaient une oreille docile chez les nouveaux
dirigeants. Sékou Touré donnait publiquement comme but à
sa politique ce qui était en fait le désir du néo-capitalisme
: la transformation de la bauxite guinéenne en alumine. Or il ne
réclamait pas la même transformation en matière de fer,
laquelle n'était nullement envisagée par les trusts.
Au moment de l'Indépendance, I'implantation minière en Guinée
se composait essentiellement d'un groupe sur le fer et de deux sur la bauxite.
La Compagnie Minière de Conakry, au capital de 30 millions de nouveaux
francs, répartis entre 35 % pour des capitaux anglais (B.l.S.C.),
20 % pour les Mines de Bor. 20 % pour C.O.F.R.A.M.E.T. et 25 % pour le Bureau
Minier, exploitait le fer du Kaloum depuis 1949. Les exportations tombées
en 1958 à moins de 400.000 tonnes étaient dirigées
essentiellement vers la Grande-Bretagne et la Pologne. Les réserves
de bauxite, les plus riches du monde, environ 1 million de tonnes, étaient
exploitées depuis 1952 à Kassa dans les lles de Loos par les
Bauxites du Midi (Société canadienne à capitaux américains)
qui avaient également des projets à Boké, et surtout
dans les contreforts du Fouta-Djalon par la Société F.R.I.A.,
dont le premier chargement d'alumine devait avoir lieu le 4 mai 1960. Cinq
groupes financiers, essentiellement étrangers mais avec un jeu d'actions
majoritaires qui donnaient plus de 50 % des voix aux groupes français,
se partageaient le capital de la Société d'alumine proprement
dite et des sociétés annexes, S.l.S.F.R.l.A. pour la cité
de logement et T.R.A.N.S.F.R.I.A. pour les transports, les unes et les autres
présidées par un des conseillers de de Gaulle, Raoul de Vitry,
membre du trust Péchiney.
Malgré l'ampleur des investissements, les conséquences de
ces complexes industriels ne pouvaient être que fort réduites
sur le revenu national guinéen, si par national, on entend celui
des natifs. Les investissements se limitaient en effet à la plus
stricte infrastructure indispensable : équipement de la mine, chute
hydro-électrique, voie de chemin de fer, port minier, cités
de logements pour les cadres et le personnel, services sociaux et d'enseignement
technique minima.
Les salaires distribués aux Guinéens étaient ensuite fort minces.
Outre l'accentuation du pillage du capital naturel de la Guinée que provoquaient ces sociétés, elles constituaient un autre danger dans la mesure où leurs exportations vers les zones monétaires fortes représentaient la seule garantie réelle du Franc Guinéen qui, échappant aux dictats du capitalisme français, risquait de tomber sous ceux du capitalisme international.1
Le diamant, seule ressource locale, entre les mains de l'Etat depuis sa nationalisation en décembre 1960, était insuffisant pour soutenir le cours international du Franc Guinéen.
1. En 1962, sur 11.086 millions d'exportations, 8.399 millions représentaient la valeur des exportations d'alumine, de bauxite et de fer respectivement.
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