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André Lewin
Ahmed Sékou Touré (1922-1984).
Président de la Guinée de 1958 à 1984.

Paris. L'Harmattan. 2010. Volume II. 263 pages


Chapitre 23
9 mai 1957. — La marche vers le pouvoir


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Dès 1957, les jeux parlementaires de Paris intéressent moins Sékou Touré. On ne le voit et on ne l'entend plus guère au Palais Bourbon ; c'est qu'avec l'entrée en vigueur de la Loi-cadre Defferre, son centre d'intérêt se déplace de nouveau vers la Guinée, où il deviendra en mai 1957 vice-président du nouveau Conseil de gouvernement.

Gouvernement semi-autonome de la Guinee franaise. Loi-cadre. 1957
Le gouvernement semi-autonome de Guinée issu de la Loi-cadre, 1957-1958.
De g. à dr., 1er rang : MM. Fodéba Keita, Jean Mignard, Michel Collet, Sékou Touré
(vice-président du Conseil de gouvernement), Alioune Dramé, Jean Ramadier
(président du Conseil de gouvernement), Louis Lansana Béavogui
2e rang : Abdourahmane Diallo, Camara Bengaly, Dr. Roger Accar, Ismael Touré [T.S. Bah]

Les espoirs de ceux de ses adversaires (politiciens locaux ou administrateurs coloniaux) qui espéraient que son élection à l'Assemblée nationale française l'éloignerait durablement du pays natal et diminuerait progressivement son influence, sont déçus. C'est le contraire qui s'est produit. D'ailleurs, le haut-commissaire Gaston Cusin, ouvrant en novembre 1957 la session du Grand Conseil de d'AOF, explique: “Les interlocuteurs valables en Afrique noire ne se trouvent aujourd'hui ni dans les maquis, ni à l'étranger, mais sur les bancs des assemblées et autour des tables de gouvernement.”
Sékou retourne fréquemment en Guinée ; nombreuses, ses fonctions officielles montrent son ascendant, désormais indiscutable 60. Paris le consulte, en tant que vice-président du Conseil de gouvernement — mais même avant qu'il ne le soit —, pour les nominations et décisions importantes qui concernent la Guinée. Ainsi, lorsque le gouverneur Bonfils doit quitter son poste en 1956 après de meurtriers incidents qu'il n'a pu maîtriser 61, Gaston Defferre, ministre de la France d'Outre-mer, demande l'avis de Sékou Touré avant de choisir son successeur. Deux candidats se sont manifestés : Yvon Bourges et Jean Ramadier, fils de l'ancien président du Conseil socialiste, Paul Ramadier surnomé “le casse-assiettes” 62 ! Sékou Touré fera nommer le “casse-assiettes”, car, me dira-t-il plus tard, il trouvait Bourges “trop intelligent” :
— “Il aurait tout de suite compris tout ce que je manigançais derrière son dos.” 63

Sekou Toure et Jean Ramadier, 1957
Sékou Touré, député à l'Assemblée nationale française, maire de Conakry,
secrétaire général du PDG, vice-président et Jean Ramadier, gouverneur du territoire
et président du Conseil de gouvernement de la Guinée française. Conakry, 1957. [T.S. Bah]

En juin 1957, à Dakar, il déclare à un petit cercle d'amis politiques :
— “Je me rends à Paris convoqué par Houphouët-Boigny qui hésite sur sa participation au gouvernement Bourgès-Maunoury (qui sera président du Conseil du 12 juin au 30 septembre 1957). Je suis pour sa participation 64. Houphouët m'a proposé la présidence du Grand Conseil, mais j'ai refusé (Sékou en est membre depuis un mois). Le problème n'est pas réglé. De toute façon, nous sommes opposés à la candidature de Gabriel d'Arboussier. Nous lui reprochons son opportunisme, son retour tardif au parti, le malaise qu'il a fait régner au sein du RDA, ses liens avec le parti communiste et les organisations du marxisme international avec lesquelles il n'a pas réellement rompu, sa précipitation à vouloir constituer son équipe au Grand Conseil avec l'administrateur Fourny et Diallo Telli comme secrétaire général, et enfin d'avoir favorisé Djibo Bakary aux élections du Niger en espérant qu'il passerait au RDA.”
Finalement, c'est Houphouët-Boigny lui-même qui sera élu président du Grand Conseil le 21 juin 1957 65. Le lendemain, Sékou intervient pour fustiger ceux (dont Senghor) qui avaient tenté de mobiliser les autres partis contre le candidat du RDA.
L'année suivante, Houphouët ne souhaite pas se représenter, et le 28 mars 1958, le Sénégalais Gabriel d'Arboussier sera élu à son tour président du Grand Conseil, grâce en particulier aux voix des conseillers mauritaniens qui votent pour le candidat du RDA. Une semaine après, le 5 avril, mécontent de la désignation de certains Grands Conseillers comme représentants dans divers organismes, Senghor s'en offusque en évoquant les difficultés entre les Noirs du Sénégal et les Maures et en affirmant :
— “Si (cette élection) est un acte politique, qu'on le dise !”
Sékou Touré réplique :
— “Je suis heureux que notre ami Senghor ait bien qualifié la nature de l'acte. ll est politique ! Il n'est pas irrationnel comme les précédents actes qui tendaient tout simplement à tenir compte de l'origine des grands conseillers. Tous les actes qui ont été commis au cours de cette session n'ont été que politiques (…). Il est temps d'abandonner le caractère territorial de nos positions !” 66
Sékou Touré profite de ses fréquents déplacements entre la France et la Guinée pour s'arrêter à Dakar, où il multiplie les contacts avec les services du haut-commissariat et avec le Grand Conseil de l'AOF. Il existe à l'époque cinq liaisons aériennes par semaine entre la France et la Guinée par un appareil Constellation d'Air-France 67, et toutes desservent la capitale du Sénégal ; mais Sékou n'apprécie pas Air France, car très souvent, on prétend qu'il n'y a plus de place pour lui. Aussi privilégie-t-il chaque fois que possible l'une des compagnies concurrentes privées — UAT, plus tard UTA — dont le représentant à Dakar, Jean-Daniel Richon, qui deviendra vite un ami, lui facilite au contraire les embarquements. Cette compagnie assure également cinq vols par semaine (dont le mardi “La Flèche de Guinée” avec une seule escale à Dakar.
La loi du 18 novembre 1955 relative à la réorganisation communale généralise dans les Territoires d'Outre-mer les communes de plein exercice (semblables aux “vieilles” communes du Sénégal que sont Saint-Louis, Dakar et Rufisque), à la condition qu'elles aient “un développement suffisant pour qu'elles puissent disposer des ressources propres nécessaires à l'équilibre de leur budget” (art. 2).

[Erratum. Ces communes furent créées entre 1872 et 1887, et étaient au nombre de quatre et non trois : Gorée, Dakar, Saint-Louis, Rufisque. — T.S. Bah]

Ce type de commune pourra être créé par décret après avis de l'assemblée territoriale ; mais par dérogation, la loi elle-même institue une série de communes de plein exercice — vingt-six pour l'AOF, six pour l'AEF ; pour la Guinée, ce sont Konakry, Kindia, Kankan, Mamou et Nzérékoré.
Dans les villes ainsi retenues, des élections municipales devront avoir lieu dans l'année, les conseillers municipaux étant désormais élus au suffrage universel direct et secret ; la représentation proportionnelle jouant en fonction des résultats des listes en présence. Le maire (jusqu'ici nommé) sera élu en son sein par le conseil municipal. Les gouverneurs peuvent aussi créer par arrêté des communes de moyen exercice (ex-communes mixtes), où auront également lieu des élections municipales, mais le maire restera nommé par arrêté du gouverneur. En Guinée, dix communes de moyen exercice sont par ailleurs instituées : Beyla, Boké, Dalaba, Faranah, Forécariah, Kissidougou, Kouroussa, Labé, Macenta et Siguiri.
Au cours de la campagne électorale pour la mairie de la capitale, quelques mois plus tard, Sékou Touré critique vivement la gestion du précédent maire (nommé) de Conakry, Jean Herly, l'accusant d'agir d'ores et déjà afin de rendre impossible l'action d'une municipalité africaine. Le 30 septembre 1956, lors d'une réunion tenue au cinéma Vox devant 3.000 militants enthousiastes, il affirme que Conakry aura un maire noir ; c'est lui qui nommera désormais les commissaires de police et leur dictera ce qu'ils doivent faire ; il prétend qu'on ne paie pas d'impôts en Sierra Leone (sic !), qu'on trouvera les caisses de la mairie de Conakry vides, mais qu'il sait bien comment les remplir. “Je demande le calme absolu, mais sachez montrer aux provocateurs que vous êtes des hommes lorsqu'ils viendront chez vous”, conclut-il.
Lors des élections municipales tenues le 18 novembre 1956 68, le PDG enlève toutes les communes de plein exercice ; les maires qui seront élus peu après sont tous des militants du PDG :

Commune Maire
Kindia Nfamara Keita
Mamou Saïfoulaye Diallo (où il bat la liste qui a le soutien de l'influent almamy Ibrahima Sory Daba ?! Barry)
[Erratum. Lire Ibrahima Sory Dara Barry. — T.S. Bah]
Kankan Magassouba Moriba
Nzérékoré Mamadi Sagno
Conakry Sékou Touré, élu maire le 20 novembre avec 31 voix 69

A la seule exception de Labé et de Dalaba, le Parti obtient également la majorité dans les autres communes : Beyla, Boké, Faranah, Forécariah, Kissidougou, Kouroussa, Macenta, Siguiri 70. Au total, le PDG obtient 243 sièges de conseillers municipaux sur 327.
Au lendemain de son élection, Sékou Touré adresse au haut-commissaire de l'AOF à Dakar, Gaston Cusin, un message par lequel, au nom des populations guinéennes, il affirme “solennellement” son attachement “aux idées et aux principes démocratiques qui font honneur à la France et assureront (…) la pérennité de sa grandeur”, et marque sa volonté de travailler “à la construction économique, sociale et politique de l'Union Française, au sein de laquelle la condition humaine sera progressivement élevée sur les bases de la liberté, de la fraternité et de l'égalité.”
Abandonnant son mandat de conseiller général de Beyla, Sékou se fait élire conseiller général de Conakry lors des élections du 31 mars 1957 à l'Assemblée territoriale, où son parti, qui n'avait jusque-là qu'un seul élu (lui-même), en obtient 56 sur 60, seul Pita ayant élu trois conseillers (dont Ibrahima Barry dit Barry III) n'appartenant pas au PDG, et Dinguiraye ayant élu un indépendant, Habib Tall, qui se ralliera d'ailleurs au PDG en septembre suivant 71. A Dalaba, l'élu du PDG/RDA, qu'il a rallié spectaculairement à la veille du scrutin, est le propre fils du redouté chef de canton, Bah Thierno Ibrahima.

[Erratum + note. Le chef de canton était Thierno Oumar Diogo, mort en 1948. Thierno Ibrahima était son fils puiné. En 1971, sous le prétexte de chercher des armes de la “5è colonne”, Emile Cissé profana la tombe de Thierno Oumar Diogo sans rien y trouver. Quelque deux ans plus tard, il grossit les rangs des “traîtres de la révolution” avant de mourir de diète noire au Camp Boiro. — Tierno S. Bah]

Quelques Européens sympathisants ou membres du PDG sont élus sur ses listes : le secrétaire général de la Chambre de commerce Robert Célestine, l'avocat progressiste Robert Bailhache, l'exploitant de salles de cinéma Jacques Demarchelier, Jean-Eugène Mignard (qui, selon Sékou, a travaillé vingt ans en Guinée sans avoir jamais offensé un Africain). Partout, les candidats présentés par d'autres partis, notamment le BAG, mordent la poussière, même à Dabola, circonscription du puissant chef de canton Aguibou Barry, le père de Diawadou Barry.
Conformément aux instructions énergiques données par Gaston Defferre, l'administration a dans l'ensemble respecté la neutralité.
En plus de ses autres fonctions, Sékou Touré devient membre du comité régional d'Aménagement de la Guinée ; le 15 mai 1957, il est en outre élu par l'Assemblée territoriale membre du Grand Conseil de l'AOF (en même temps que Saïfoulaye Diallo, Moussa Diakité, Doudou Gueye et Joseph Diallo, tous membres du PDG). Il participe à la première séance du Grand Conseil à Dakar le 21 juin 1957 72.
Dès le lendemain, il critique violemment l'attitude de la Convention Africaine et de Senghor, qu'il accuse de vouloir marginaliser le RDA.
Ultérieurement, il sera choisi comme rapporteur de l'inter-commission des finances et des affaires diverses.
Le 9 avril 1957, l'Assemblée territoriale élit Saïfoulaye Diallo à sa présidence ; elle compose aussi son bureau 73, ainsi que sa Commission permanente 74.
Le décret du 4 avril 1957, pris en application de la Loi-cadre Defferre, instaure les Conseils de gouvernement, comme organes du pouvoir exécutif local. Leader du groupe qui détient la majorité de l'Assemblée territoriale, Sékou Touré est investi par cette assemblée le 9 mai 1957 comme vice-président du Conseil de gouvernement de Guinée 75 ; il nomme aux postes ministériels des camarades proches, ainsi que quelques Européens 76. De grandes réjouissances populaires sont organisées à travers le pays ; le 11 mai est déclaré chômé et payé. Le 12 mai, Sékou Touré présente son cabinet au stade municipal de Donka (plus tard Stade du 28 septembre), où il fait s'envoler un épervier “symbole de la liberté” ; le 14 mai a lieu l'installation officielle. Avec l'accord du gouverneur, il assumera en fait la présidence du Conseil de gouvernement ; une ordonnance du 26 juillet 1958 régularise cette pratique, en Guinée comme pour les autres territoires, manière pour le général de Gaulle d'indiquer clairement que la primauté appartient désormais aux responsables africains et non plus au représentant de Paris.
Le 12 août 1958, le gouverneur Ramadier procède officiellement à la passation à Sékou Touré des pouvoirs et du titre de président du Conseil de gouvernement 77.
Dans son adresse d'investiture, Sékou Touré proclame à l'intention du gouverneur : “Nous vous demandons de ne pas nous considérer comme des surhommes, ni comme de petits enfants (…) Le parti RDA fera le bonheur de l'Afrique en même temps que le bonheur de la France !” et il ajoute :
“Nous voulons construire une communauté franco-africaine sur la base de l'égalité absolue des citoyens blancs ou noirs.” 78 Toutefois, pendant les six premiers mois d'exercice de ses fonctions et contrairement aux textes, le Conseil de gouvernement n'enverra aucun des textes qu'il aura approuvés au secrétaire général de l'AOF à Dakar ; celui-ci n'exerce pourtant qu'une tutelle et un contrôle tres relatifs 79.
Ouvrant à l'automne 1957 la session budgétaire de l'Assemblée territoriale, Sékou Touré moralise :
“L'aide attendue de la France n'aura aucune valeur si nous ne sommes pas décidés à nous aider nous-mêmes … Nous sommes entrés dans une nouvelle phase historique qui fait de nous les artisans de notre propre avenir … Aimer le pays, c'est aimer l'homme qui l'habite. Aimer l'homme, c'est le rendre sain, c'est l'instruire pour le rendre conscient, c'est l'éduquer pour développer ses sentiments de sociabilité, c'est le rendre humain, conforme à sa nature supérieure.”
A la même époque, au cours de la session budgétaire du Grand Conseil de l'AOF à Dakar, Sékou Touré exhorte pourtant la métropole à ne pas se montrer regardante sur l'aide budgétaire “L'Afrique noire est en train de faire une expérience avec la France.
L'expérience réussira si nous y mettons le coeur et l'esprit, mais elle réussira surtout si, au coeur et à l'esprit, s'ajoutent les moyens de la mener à bonne fin. La France ne devrait pas jouer les difficultés africaines. On n'a pas le droit de donner une maison en déficit à gérer par un autre. Si on refuse de nous mettre dans les conditions de réussite, que l'histoire sache que l'échec n'est pas seulement de nous, mais qu'il est aussi de ceux qui comme nous paierons les conséquences de cet échec.” 80
Dès mai 1957, Sékou Touré pose au gouverneur le problème de l'amnistie des auteurs d'incidents politiques, car cette mesure relève du pouvoir exécutif à Paris. Malgré plusieurs interventions du gouverneur et du haut-commissaire de Dakar, l'un et l'autre favorables à cette mesure qui peut ramener le calme dans certains milieux (car il n'y a pas que des militants du PDG qui ont été condamnés), le ministère ne réagit pas.
En juillet, le gouverneur souligne que “le projet d'amnistie ne présente que des avantages pour la Guinée. Il conviendrait qu'il intervienne le plus rapidement possible.” 81 Pourtant, l'année entière passe sans que ce problème soit réglé ; en décembre, Paris en est encore à étudier ses incidences ! 82
L'été 1957 est également marqué par une sérieuse et inattendue épidémie de variole, maladie pourtant considérée comme éradiquée. La sévère quarantaine qui est immédiatement édictée sur instructions du Docteur Accar, nouveau ministre de la santé, empêche pendant près de deux mois les allées et venues des personnes ainsi que l'importation d'un certain nombre de denrées de première nécessité (lait pour les nourrissons, etc …), une réelle épreuve pour les populations, notamment pour les Européens, habitués à utiliser beaucoup de produits venant de France. D'où récriminations et mauvaise humeur à l'encontre du gouvernement, qui n'en peut mais …
Certains chefs de service refusent de déférer aux convocations des nouveaux ministres, et affirment relever, seulement du gouverneur. Sékou Touré propose à Paris que les services d'Etat soient directement rattachés au Conseil de gouvernement ; “ainsi seraient évités des conflits comme celui qui nous oppose actuellement avec un chef de service de Guinée qui a pendant longtemps refusé de venir exposer au Conseil de gouvernement le fonctionnement de son service, déclarant qu'il ne reconnaissait pas notre autorité.” 83
Deux conférences des vice-présidents des conseils de gouvernement, organisées le 24 juin et le 5 août 1957 à Dakar, ne permettent aux adversaires de l'autonomie de limiter les mesures prises en Guinée.
Par ailleurs, les notables (notamment ceux du Fouta) comprennent mal comment Sékou Touré et ses partisans, originaires, disaient-ils, des castes les plus basses, obtiennent la faveur des autorités et l'audience des foules. Leurs partisans se mobilisent et s'associent aux partis hostiles au PDG. Au début de l'année 1958, il en résulte, nous l'avons vu, de nombreuses violences.

[Note + erratum. André Lewin suggère ici que les associations des Foutaniens étaient les sources des troubles. Il se trompe. Pour en savoir mieux, le lecteur peut se rapporter
(a) aux conclusions de H. Pruvost, inspecteur général des colonies, dans “Incidents de 1954-1955 en Guinée française, 11 mars 1955”
(b) à l'analyse de Bernard Charles dans “Le rôle de la violence dans la mise en place des pouvoirs en Guinée (1954-58)” — Tierno S. Bah]

Pour réaliser ses objectifs et contrer ses adversaires, Sékou va surtout pleinement utiliser les possibilités que lui offre la Loi-cadre Defferre, en faveur de laquelle il a voté 84, mais dont il considère vite qu'elle est insuffisante sur la voie de l'autonomie 85.
“Dans sa forme primitive de mars 1956, la Loi-cadre n'était qu'une simple organisation administrative, mais en un an, la situation a atteint un tel degré d'évolution que cette ancienne forme ne répondrait plus à aucune des aspirations du RDA. (…) La Loi-cadre n'est qu'une étape, non une fin en soi. Si l'expérience échouait, il ny aurait plus d'autre revendication valable que celle de l'indépendance”, affirme-t-il au 2ème congrès du PDG tenu à Labé en février 1957 86.
Un peu plus tard, il précise sa pensée, tout en demandant que la France accorde véritablement sa confiance aux peuples africains : “Si la Loi-cadre remet aux élus africains la gestion d'une partie de leur patrimoine par l'intermédiaire des assemblées territoriales et des Conseils de gouvernement, elle a concentré en même temps de nombreux pouvoirs dans la personne du haut-commissaire et du ministre de la France d'Outre-mer, ce qui, à défaut d'une politique très intelligente de leur part (sic !), risque d'être la source de conflits difficiles. De même à l'échelle du territoire où le gouverneur conserve la direction des services d'État.” 87 Il n'en méconnaît cependant pas les mérites : “Le Grand Conseil existe, et une conférence des vice-présidents du Conseil de gouvernement des territoires pourra se réunir aussi souvent que le besoin s'en fera sentir. Ces deux organismes uniront les territoires et amorceront pour la Fédération une nouvelle vie. En quelque sorte, la Fédération pourra être bâtie de la base et non du sommet. Ce n'en sera que mieux, parce qu'elle sera ainsi voulue et non imposée.” 88
Lors des séances du Conseil de gouvernement, le gouverneur, qui le préside en théorie, ne peut guère empêcher les prises de décisions, le plus souvent préparées à l'avance au sein des structures du PDG ; le Conseil de gouvernement fait bloc autour de son chef; le haut-commissaire ou le ministre de la France d'Outre-mer ne répondent pas, faute de pouvoir exercer un réel contrôle ou une tutelle efficace, aux éventuelles demandes d'annulation des gouverneurs. Le gouverneur Ramadier s'effondre même un jour au sortir d'une des sessions du Conseil de gouvernement, pleurant d'impuissance et de colère rentrée 89.

Son successeur, Jean Mauberna, tentera encore d'exercer les fonctions, bien formelles pourtant, de président du Conseil de gouvernement telles que prévues par la Loi-cadre 90. Il est vrai que quelques mois plus tard, cette disposition sera annulée au profit du vice-président du Conseil de gouvernement. Il est d'ailleurs juste de préciser que si Sékou Touré a sans nul doute été un partenaire difficile pour les gouverneurs qu'il avait en face de lui, et a fait fonctionner le Conseil de gouvernement de la Guinée comme un instrument de ses propres conceptions, la situation n'était mutatis mutandis guère différente dans les autres territoires.

La suppression de la chefferie

Ce fut l'un des principaux objectifs du PDG lors de son arrivée à la tête des affaires de la Guinée ; Sékou Touré la qualifiait de “féodalité créée, entretenue et utilisée par le régime colonial”. Jusqu'en 1954, le Parti avait essentiellement dirigé son action contre l'administration coloniale et avait été obligé de ménager la chefferie de canton tout en critiquant ses excès féodaux les plus criants. Certains des chefs traditionnels, notamment au Fouta où ils détenaient un pouvoir à la fois séculier et religieux, avaient eux-mêmes déjà été progressivement supplantés à l'époque de la colonisation.
“Ils avaient été remplacés par des personnes sûres : anciens boys de gouverneurs, anciens plantons, lorsque ce n'étaient pas de simples aventuriers.” 91La colonisation maintint le féodalisme au Foula, où il existait déjà, et en instaura un dans tout le reste du territoire, soit en renforçant les pouvoirs du chef coutumier de village, contraint de devenir percepteur, soit en introduisant des créatures médiocres, valets adulateurs, budgétivores, bourrus et sans culture, dans un poste de chef de canton dont les fonctions consistaient à obtempérer aux ordres supérieurs.92
L'administration coloniale elle-même fut amenée à sanctionner des chefs de canton coupables d'excès ou de corruption, et les rapports des gouverneurs mentionnent chaque année une dizaine au moins de révocations. Le PDG obtiendra parfois des sanctions contre certains d'entre eux, comme Mamadou Saliou Diallo, chef de canton à Yambéring, adversaire déterminé du Parti, suspendu en mai 1950 et révoqué le mois suivant par le gouverneur Roland Pré.
Sékou Touré rapportera, dans un discours prononcé à Dalaba en janvier 1975, comment, lors d'un de ses voyages dans cette localité en 1948, il fut reçu par le commandant de cercle Pierre-André Lafaix, “qui se trouvait être un homme très intelligent”.
Celui-ci l'amena avec lui en voiture jusqu'à la concession du chef de canton, Bah Thierno, à Tinka, et demanda à plusieurs de ses collaborateurs d'aller le prévenir de son arrivée. “A peine eurent-ils fait quelques pas qu'ils s'arrêtèrent pour se déchausser et commencèrent à se courber jusqu'à terre pour aller vers la case de Thierno ! Un mois après, Lafaix était à Conakry et vint jusque chez nous pour nous demander :
— “Vous m'avez compris ?”
Nous lui rétorquâmes :
— “Nous avons compris, mais vous verrez qu'un jour, cela changera !”
Après avoir commencé à demander dès 1950 l'élection des chefs de canton au suffrage universel, le programme du PDG préconisera après 1955 (et en particulier à la suite de l'incident de Tondon) leur suppression pure et simple. En Guinée, ces notables sont théoriquement au nombre de 300, mais beaucoup de postes sont déjà sans titulaire, par suite de décès, de démissions ou de révocations. Sentant venir le danger avec les succès constants du PDG, les chefs de canton créent le 17 mai 1956 une “Association des chefs coutumiers de la Guinée française”; mais il est trop tard pour redresser une institution décriée. Le ministre de l'intérieur, Keita Fodéba, déclare que “la chefferie est incompatible avec l'évolution économique et sociale du pays et avec l'esprit même de la Loi-cadre ; le souci du respect de la coutume et des traditions ne doit pas être un frein au progrès.”
Peu après la constitution de son Conseil de gouvernement, le 15 juillet 1957, Sékou Touré annonce à l'Assemblée territoriale le licenciement de douze chefs de canton considérés comme inaptes à leurs fonctions. Au cours d'une conférence des commandants de cercle tenue à Conakry du 25 au 27 juillet 1957, où Sékou se montre à la fois adroit et virulent, l'administration elle-même constate que la chefferie coûte cher au budget de l'Etat et qu'elle est révolue. En fait, la suppression de la chefferie n'est pas une simple mesure administrative concernant un ordre social largement dépassé par les faits, mais bien plutôt le coup de grâce apporté à un système de stratification sociale qui a réussi à se maintenir pendant la période coloniale, et qui désonnais va complètement s'effondrer, ce qui est évidemment le but recherché par le Parti. Pour permettre la suppression effective de la chefferie, il faut également mettre en place de nouvelles structures pour mettre l'administration à la disposition de la population. Le gouvernement va donc installer rapidement de nouvelles structures d'encadrement idéologique et administratif, que parfois d'anciens chefs coutumiers plus habiles que d'autres parviendront à infiltrer, mais qui créeront presque partout une nouvelle classe de dirigeants entièrement acquis au nouveau régime.
Alerté par les partisans du système traditionnel, notamment par le député Barry Diawadou, inscrit au parti radical, Gérard Jaquet, l'éphémère ministre (socialiste) de la France d'Outre-mer du gouvernement Bourgès-Maunory 93, tance vertement Sékou Touré lors d'un de ses passages à Paris et tente vainement de l'empêcher de mettre cette mesure en exécution 94. Mais un arrêté du 31 décembre 1957 pris par le Conseil de gouvernement met officiellement fin à l'existence de la chefferie 95.
Ulcéré, Barry Diawadou quitte la Guinée pour le Cameroun 96.
Dans la Guinée coloniale, les serfs restaient encore nombreux, notamment au Fouta, où ils représentaient jusqu'au tiers de la population. Le statut de ces “captifs” connut un progrès sensible, auquel leur militantisme en faveur du PDG ne fut pas étranger : beaucoup furent émancipés selon le droit musulman par leurs maîtres et nombre d'entre eux occupèrent des fonctions dans les comités électifs. Parallèlement, le Conseil de gouvernement procède à une large démocratisation des institutions locales 97. Les anciens cercles ou subdivisions sont transformés en “circonscriptions” 98, administrées par des chefs de circonscription nommés par arrêté du gouverneur en Conseil de gouvernement, contresigné par le vice-président et le ministre de l'intérieur ; elles sont également dotées de conseils (de 10 à 40 membres) élus pour quatre ans au scrutin de liste uninominal à un tour. Douze communes urbaines (Beyla, Boké, Coyah, Dabola, Dubréka, Forécariah, Kissidougou, Macenta, Kouroussa, Labé, Pita, Siguiri) sont créées le 23 avril 1958. Les anciens cantons sont supprimés et 4.123 collectivités rurales mises en place, avec des conseils de villages (de 5 à 15 membres) élus pour cinq ans au scrutin majoritaire à un tour — mode de scrutin particulièrement efficace et brutal —, la tête de liste prenant le titre de chef de village (ou de maire). Ces 4.123 collectivités constituent autant de comités de base du PDG, regroupées en 43 sous-sections, ce qui permet un quadrillage complet du pays. Dans la plupart des circonscriptions, seule une liste du PDG put être constituée ; dans d'autres, au contraire, des listes d'opposition se constituèrent, mais parvinrent assez rarement à se maintenir ou à emporter la victoire. Lorsque des conflits éclatent entre les chefs de circonscription, qui tentent le plus souvent de faire leur travail de manière objective, et les nouveaux élus, Sékou Touré lui-même arbitre en général de manière objective. Quoi qu'il en soit, entre mars et mai 1958, près de 40.000 sympathisants du PDG sont ainsi mis en place à des fonctions administratives locales.
Les élections complémentaires organisées le 18 mai pour élire les 526 membres des nouveaux conseils de circonscriptions permettent évidemment au PDG de parfaire son implantation : avec 88,3 % des voix, le PDG emporte tous les sièges, mais il y eut plus de 40 % d'abstentionnistes, notamment dans le Fouta. Sékou Touré peut fièrement déclarer, devant l'Assemblée territoriale, le 28 juillet 1958: “les paysans élus représentent à eux seuls 310 conseillers de circonscription sur 526 au total”.
Un arrêté du 11 décembre 1957 supprime les 26 tribunaux coutumiers, pour cause de double emploi avec les tribunaux du premier degré. De nombreuses mesures économiques et sociales sont également adoptées. Le Salaire Minimum horaire (des travailleurs africains non-agricoles) est relevé de 21 à 31 francs CFA ; les zones de salaires passent de quatre à deux ; les prestations sociales sont majorées de 50 % ; le nombre de bourses métropolitaines, fédérales et territoriales est sensiblement augmenté ; l'impôt personnel est réduit de 1.080 francs CFA (825 dans certaines circonscriptions) à 700 francs, dont 200 affectés aux budgets des circonscriptions. Les Maisons de la Jeunesse sont transfortnées en Maisons de la Jeunesse et de la Culture ; les écoles deviennent mixtes et une école de formation professionnelle féminine est créée à Conakry.

Un lycée est ouvert à Conakry, alors que depuis des années, les groupes ethniques n'arrivaient pas à se mettre d'accord sur son implantation, les Peuls demandant l'ouverture d'un lycée climatique au Fouta.

[Réfutations. André Lewin fait une double et grave entorse à l'histoireà que je réfute ainsi qu'il suit ;
(a) l'auteur ignore apparemment tout de l'enseignement colonial, caractéctérisé par sa nature aliénatrice, sa dispension parcimonieuse et ses méthodes autoritaires. Rappelons que l'école coloniale puise ses racines dans la prise en otage des fils (pas des filles) des chefs et de leur entourage. Gouverneur Louis Faidherbe institua ce type de kidnapping dans les années 1850. Ses successeurs l'imitèrent jusqu'au début du 20è siècle. La vocation principale de l'école coloniale était la formation d'auxiliaires obéissants et mal payés… Quant à dire que les ethnies se querellaient pour la construction du lycée de Guinée dans leur région, c'est une invention qu'on ne saurait prendre au sérieux ! Toutefois, je voudrais attirer l'attention de M. Lewin sur la scolarité tronquée de Sékou Touré et sur sa politique désastreuse d'enseignement et de formation professionnelle, avec le Centre d'éducation révolutionnaire (CER). Son échec d'adolescent devint un complexe d'infériorité qu'il chercha à compenser par l'étalage d'une omniscience arrogante et illusoire. Lire par exemple Ibrahima Kaké
(b) S'agissant du lycée climatique pretendûment réclamé par les Peuls, une telle idée n'a pu germer que dans l'imagination et sous la plume pro-Sékou Touré de l'auteur. Certes, un lycée fut ouvert à Dalaba, ancienne station climatique de l'AOF. Mais cela se passa après en 1960-62, c'est-à après l'indépendance. Et cet établissement improvisé et éphemere exista cahin-caha dans les locaux de la caserne du régiment des parachutistes de la Guinée française. En poste donc à Dalaba, ces derniers faisaient leurs sauts d'entraînement à l'aéroport de Tata-Cogge (Labé), de 1955 à 1958.
Que ce soit en projet ou dans la rélité, il n'y eut de lycée climatique nulle part en Guinée, ni au Fouta-Djallon, ni ailleurs. André Lewin a donc bien tort, en l'occurrence, de faire des Peuls les boucs émissaires des chicaneries, réelles et/ou supposées, de l'administration coloniale sur l'enseignement secondaire en Guinée. … — Tierno S. Bah]

L'âge minimal du mariage est fixé à 17 ans, avec libre consentement de la jeune fille, et la dot réduite à 5.000 francs CFA pour le premier mariage, à 500 francs pour le second. Le commerce et la vente du riz sont libérés ; les Guinéens sont autorisés à exploiter le diamant par l'intermédiaire d'une coopérative africaine d'exploitation du diamant, la BE (syllabes initiales de Beyla, Kissidougou, Macenta), qui rachète, aux frais du territoire, des périmètres à l'ancienne SOGUINEX ; les Sociétés Indigènes de Prévoyance (SIP) et les Sociétés Mutuelles de Production Rurales (SMPR) sont remplacées par des Sociétés Mutuelles de Développement Rural (SMDR) gérées par les paysans eux-mêmes ; les terres “vacantes et sans maîtres” sont attribuées aux villages, et une vigoureuse campagne contre le vol du bétail est lancée au Fouta. Une nouvelle revue bimensuelle, Guinée Nouvelle, tirée à 8.000 exemplaires, est alors publiée pour populariser le programme du gouvernement.
Sékou Touré se heurte cependant à l'ambiguïté d'une situation où, resté responsable syndicaliste, il est également le chef d'une administration qui emploie de nombreux cadres et fonctionnaires ; il sait faire preuve de fermeté face à leurs revendications, tout en employant, nous l'avons vu au chapitre précédent, un langage habile empreint de dialectique révolutionnaire. Le haut-commissaire, Gaston Cusin, résume assez bien la situation : les responsabilités gouvernementales pèsent sur Sékou Touré, “le contraignant à refuser aux travailleurs beaucoup de ce qu'il aurait exigé lui-même comme représentant des syndicats (…), les rapports entre le mouvement syndical local et la représentation politique majoritaire du territoire ne pouvant que se détériorer rapidement et aboutir à l'abandon du RDA par cette même masse des salariés, qui a été son premier et plus ferme soutien.” 99
Par ailleurs, Sékou Touré négocie avec les sociétés minières et industrielles implantées en Guinée ; comme sa réputation de leader syndicaliste intransigeant est bien établie, il importe de les rassurer sur leurs perspectives, car Sékou sait que son action dépendra largement des ressources fmancières qu'elles fourniront à son gouvernement. Le 3ème Congrès du PDG “salue la volonté des sociétés ayant consenti d'immenses ressources financières pour l'exploitation et le traitement de la bauxite” et “engage les élus du mouvement à apporter leur collaboration à la parfaite réussite des projets industriels et notamment à ceux du Konkouré, de Fria et de Boké.”
Mais en même temps, les premières réformes économiques et sociales du Conseil de gouvernement et certaines proclamations ministérielles inquiètent les milieux industriels français. Sékou Touré parvient toutefois à convaincre les principales compagnies de poursuivre leurs investissements et développer leur exploitation ; surtout, il obtient de Raoul de Vitry, président-directeur général de Pechiney, et de ses collaborateurs, que cette société mène à bonne fin l'important chantier d'extraction de bauxite et de production d'alumine déjà lancé à Fria. On ne sait rien des gages qu'il donne ou des promesses qu'il fait aux patrons de ces compagnies minières, mais avant comme après l'indépendance, et en dépit de grandes difficultés, la présence de Pechiney en Guinée ne sera jamais contestée, et l'alumine de Fria restera pendant de nombreuses années la principale, sinon la seule source de recettes financières du pays 100.
La mise en place des structures ministérielles entraîne une rapide africanisation des cadres administratifs. Le gouvernement crée une Ecole Territoriale d'Administration : 106 nouveaux postes sont aussitôt attribués à des Africains choisis par le PDG 101. Ces nominations entraînent parfois de vives compétitions. “Des cadres s'entre-tuaient dans une lutte implacable pour les places, avec les implications négatives (…) que sont la recrudescence du régionalisme, du racisme, du népotisme, la violation délibérée des méthodes démocratiques et le clanisme au sein des organismes de direction des sous-sections”. 102
La conquête complète du pouvoir s'accompagna en effet du renforcement, par tous les moyens, de la cohésion du Parti. Ainsi, au sein de la section de Mamou se développa une opposition d'extrême-gauche, que le député-maire de la ville, Saïfoulaye Diallo, ne parvint pas à endiguer. En dépit des efforts du gouvernement territorial, le Docteur Pleah Oniga (sic !).

[Erratum. Il faut lire Pléah Koniba. Consulter R.W. Johnson, The Parti Démocratique de Guinée and the Mamou ‘deviation’. — T.S. Bah]

[Cet] animateur de la section locale du Parti, déclencha une grève scolaire lors de la rentrée des classes d'octobre 1957. Sékou Touré décida alors d'exclure du Parti la sous-section de Mamou et d'en constituer une nouvelle 103.
Quelques semaines plus tard, le 3ème Congrès du PDG, tenu au marché Mbalia de Conakry du 23 au 26 janvier 1958, devait renforcer les structures du parti, notamment par la création d'un Bureau Politique National de 17 membres ; ainsi serait assurée un meilleure cohésion avec l'action gouvernementale, la plupart des membres de ce Bureau assutttant en même temps des fonctions ministérielles ; la position de Sékou Touré comme secrétaire général fut de nouveau confirmée le 26 janvier. Ce Bureau politique déclara nulles les décisions prises lors d'un prétendu congrès tenu quelques jours auparavant par la sous-section de Mamou, qui n'avait pas obtempéré aux précédentes injonctions.
Les réformes prévues par la Loi-cadre, notamment l'institution du Conseil de gouvernement, ont donc permis au PDG d'occuper légalement les postes-clé et de court-circuiter peu à peu les administrateurs français encore en place, dont l'autorité s'effrite face à un nouveau pouvoir. Avant la Loi-cadre, le parti contrôlait déjà le pays politiquement, mais pas sur le plan administratif ; la loi-cadre lui a perrnis de franchir ce pas. Il ne lui manquait désormais plus rien, sinon l'essentiel, c'est-à-dire la consécration, formelle mais indispensable, de la souveraineté et de l'indépendance.
Aux portes de la Guinée (!?), la Gold Coast anglaise venait d'y accéder le 6 mars 1957, sous la direction de Nkrumah et sous le nom de Ghana 104. Aux fêtes qui marquent cette indépendance, François Mitterrand, ministre de la Justice du gouvernement Guy Mollet, représente la France ; alors vice-président, Richard Nixon y participe également, dans le cadre d'une visite dans sept pays africains, premier voyage sur le continent d'un vice-président américain ; des personnalités africaines sont aussi présentes, en particulier Habib Bourguiba, chef de l'État tunisien 105. Un mois plus tard, les 6 et 7 avril, le nouveau chef d'Etat ghanéen se rend à Abidjan, où Houphouët-Boigny, alors vice-président du Conseil de gouvernement de la Côte d'Ivoire, l'accueille pour inaugurer le pont qui porte son nom. S'adressant à son hôte et à ses invités, le leader ivoirien affirme : “Vous êtes témoins du début de deux expériences ; un pari a été fait entre deux territoires, l'un qui a choisi l'indépendance, l'autre qui préfère avancer sur la voie difficile de la construction avec la métropole d'une communauté d'hommes égaux en droits et en devoirs… Je donne rendez-vous dans dix ans à notre frère Nkrumah.106
Sékou Touré, présent à ces cérémonies, se réjouit de ses nouveaux contacts avec son ami ghanéen ; il l'a conduit, quelques semaines auparavant, en pleine campagne électorale pour l'Assemblée territoriale, jusqu'à Kankan sur la tombe de Chérif Fanta Mady, qui avait prédit à Nkrumah sa glorieuse destinée, et sur la tombe duquel il fait procéder à des sacrifices du boeufs pour les mânes du défunt 107. Sékou écoute avec attention les propos du leader ghanéen et demeure fasciné par l'autorité qu'il a prise depuis qu'il est devenu le chef incontesté d'un pays libre 108. Ils se reverront en juillet 1958, lorsque Sékou, de retour d'une réunion interfédérale des jeunes du RDA à Cotonou, fait un crochet par Accra. Sékou rencontre également l'ambassadeur de France au Ghana, Louis de Guiringaud, futur ministre des Affaires étrangères de Giscard d'Estaing, ainsi que l'avocat progressiste Paul Vergès, qui s'y trouve de passage 109.
En revanche, le 9 juillet 1958, lors d'une brève escale à Lagos, où il s'est rendu par la route depuis Cotonou, Sékou Touré souhaite rencontrer Alhaji Aboubacar Tafawa Balewa, depuis peu Premier ministre fédéral du Nigeria, qui accédera à l'indépendance en 1960, et sollicite de lui une audience. Bien qu'il se rende jusqu'à ses bureaux, il ne sera pas reçu, sans qu'apparemment une raison précise lui soit donnée.

Notes
60. Notons aussi qu'il a pour lui une grande continuité dans l'action, alors que ses interlocuteurs auront changé fréquemment : de 1946 à 1958, Paris aura connu 14 ministres de la France d'Outre-mer (durée moyenne 11 mois, et dont deux titulaires auront duré un mois — Jean-Jacques Juglas en 1955 — ou 15 jours — André Colin en 1958), Dakar 6 gouverneurs généraux ou hauts commissaires (durée moyenne 29 mois, mais Bernard Cornut-Gentille reste en fonction 57 mois), et la Guinée 8 gouverneurs (durée moyenne 21 mois, les derniers d'entre eux restant en place de moins en moins longtemps).
61. Dans son rapport de fin de mission adressé au haut-commissaire le 16 octobre 1956, il exprime son pessimisme pour l'avenir: “Il m'est pénible de l'écrire, mais la raison n'a plus beaucoup de poids à Conakry en face des haines inextinguibles que tempère seule une peur réciproque.”
62. Ce surnom lui vient de la période où il venait de prendre à Dakar ses fonctions de chef de cabinet du haut-commissaire Paul Béchard: fêtant l'événement dans une boîte de nuit de la ville, il s'était distingué en cassant sur sa tête une pile impressionnante d'assiettes.
63. C'est Sékou Touré lui-même qui en a fait ainsi la narration à l'auteur, qui l'avait interrogé à la demande d'Yvon Bourges. De Jean-Paul Ramadier, Sékou disait : “Nous lui en faisons baver, mais c'est un gouverneur sportif : un joueur de rugby, cela lui fait du bien. Il faut nous le laisser”. Sékou avait connu Ramadier lorsque ce dernier était à Dakar le chef de cabinet de Paul Béchard, haut-commissaire en AOF de 1948 à 1951 ; il devient ensuite commandant de cercle à Bouaké, le fief d'Houphouet, puis gouverneur du Niger, où il aide Djibo Bakary. En novembre 1956, Ramadier est nommé gouverneur de la Guinée. En janvier 1958, il deviendra pour quelques mois gouverneur du Cameroun. A la demande de Modibo Keita, il organisera en 1959 la représentation officielle du Mali à Paris. Voir aussi Jean Ramadier, gouverneur de la décolonisation, par Jacques Larrue et Jean-Marie Payen, Paris, Karthala, 2000, 176 p.
64. Houphouet-Boigny sera nommé ministre d'État, chargé de la mise en oeuvre de la Loi-cadre Defferre et des problèmes de l'Outre-mer.
65. Sékou Touré aurait préféré Doudou Guèye. A la suite des élections territoriales du 31 mars 1957, le nouveau Grand Conseil s'est réuni en juin. L'élection du bureau eut lieu le 21 juin. Le RDA avait 26 sièges, mais il lança un appel à l'union qui fut entendu des élus mauritaniens. Son candidat, Félix Houphouet-Boigny se présentait contre Léon Boissier-Palun, président sortant. Il fut élu par 31 voix (dont celles des Mauritaniens) et 9 abstentions (celles des Sénégalais — les 4 du Bloc Populaire Sénégalais et Lamine Guèye —, et des 4 du Mouvement Socialiste Africain du Niger ; la Convention Africaine s'est abstenue). Gabriel d'Arboussier devint premier vice-président. Ce dernier ayant l'année précédente réintégré le RDA, celui-ci occupe désormais les deux postes les plus importants de cette assemblée. Lors de la session suivante, Gabriel d'Arboussier ayant convaincu Félix Houphouet-Boigny de ne pas se représenter, le ministre était absent lors de l'ouverture de la session le 27 mars 1958. Le lendemain les 17 RDA présentèrent la candidature de Gabriel d'Arboussier à la présidence, les 17 PRA (Parti du Regroupement Africain) présentèrent celle du Dahoméen Valentin Djibode Akplogan. Cette fois-ci encore, les cinq Mauritaniens furent les arbitres et firent élire Gabriel d'Arboussier. A la suite de la crise ouverte au Niger du fait que Bakary Djibo, président du Conseil de gouvernement, n'avait pas réussi à rallier une majorité de “non” au référendum du 28 septembre 1958, 32 membres de l'Assemblée territoriale (qui en comptait 60) démissionnèrent et la dissolution de l'Assemblée fut prononcée. Les élections eurent lieu en décembre et Gabriel d'Arboussier ne fut pas réélu. Lorsque le nouveau Grand Conseil se réunit le 5 janvier 1959, il fallut choisir un nouveau président ; le vote eut lieu le 8 janvier et Modibo Keita, candidat des “Fédéralistes”, fut élu par 15 voix et 11 abstentions. Il fut ainsi le dernier à présider cette assemblée qui réunissait encore (à l'exception de la Guinée) des élus de tous les territoires de l'ancienne AOF. Lors de sa dernière séance, le 5 avril 1959. Modibo Keita, qui en était le président, déclara alors : “Le Grand Conseil a été le ferment de l'unité africaine et il a rempli, sans défaillance sa mission, car il fut le creuset de l'unité et de l'indépendance de nos Etats.” (Afrique Nouvelle, n° 609, 10 avril 1959). Pourtant, à cette date, seule la Guinée était indépendante.
66. Bulletin du Grand Conseil de l'AOF, n° 26.
67. La liaison entre Dakar et Conakry fut assurée à partir de 1945 par des avions Junker (trimoteurs de construction allemande, déjà assez anciens à l'époque), remplacés en 1948 par des DC 3 (bimoteurs Douglas). La mise en service de l'aéroport de Conakry-Gbessia en 1951, l'ancien terrain d'aviation de Donka affecté à la construction du nouveau collège, avec une piste bitumée allongée à 1800 mètres, permit d'assurer des liaisons directes avec la France par DC 4 (puis après 1952 par Constellation) sur les itinéraires Paris-Bordeaux (ou Marseille) Casablanca-Dakar-Conakry-Abidjan. Les bureaux d'Air France à Conakry se trouvaient alors à l'Hôtel du Niger. La compagnie privée Aigle Azur effectuait elle aussi une liaison Paris-Dakar-Conakry-Abidjan et retour. Quant à l'UAT (Union Aéromaritime de Transports) — future UTA —, elle assurait des liaisons avec Dakar et la France par Super DC 6 et des vols locaux ou intérieurs (Kankan, Kissidougou, Boké, Nzérékoré, Freetown) par quadrimoteurs Héron. En 1954, l'Assemblée territoriale demande que la piste bitumée soit allongée à 2200 et même 2500 mètres, pour permettre l'atterrissage des Comet d'UAT et des DC 6 d'Air-France, ainsi que des avions à réaction.
68. Le régime électoral résulte de la loi du 10 novembre 1956 : suffrage universel, direct et secret, collège unique, scrutin de liste avec représentation proportionnelle.
69. A la passation de service qui a lieu à la Mairie peu après, Jean Herly, le dernier maire nommé de la capitale, remet ses pouvoirs au premier maire élu, à qui il reproche “les semaines de troubles qu'il a provoquées dans la ville.” Dans la lettre qu'il a écrite à l'auteur le 4 mars 1998, quelques semaines avant sa mort, Jean Herly fait d'ailleurs un joli lapsus calami en qualifiant Sékou Touré comme celui “qui m'a succédé comme Maître (sic) de Conakry”.
70. Niankoye Samoe, qui avait fondé aux côtés de Sékou le syndicat des postiers, meurt dans un accident d'automobile survenu la veille du scrutin, auquel il était candidat sous l'étiquette du BAG.
71. Les élections aux assemblées territoriales ont lieu le même jour dans toute l'AOF et l'AEF. Le RDA gagne en AOF 234 sièges sur un total de 474 (en 1952, il n'en avait que 41 sur 405). Il obtient la majorité absolue en Guinée, au Soudan-Mali, en Haute-Volta et en Côte-d'Ivoire (la seule colonie où il l'avait déjà précédemment).
72. A ces élections — effectuées par les Assemblées territoriales — sur 40 membres du Grand Conseil de l'AOF, le RDA remporte 19 sièges (il en avait 4 dans l'assemblée précédente), les socialistes 5 ; les Européens ont 5 délégués.

73.

74. Président : Bela Doumbouya.
Membres titulaires et suppléants : Lansana Diané, Mory Camara, Thierno Ibrahima Bah, Sény Faciné Sylla, Kouramoudou Doumbouya, Moustapha Cissé, Naby Issa Soumah, Amadou Télivel Diallo, Diallo Saifoulaye
75. Dans une conférence prononcée au CMISOM (Centre Militaire d'Infonnation et de Spécialisation pour l'Outre-mer) le 23 décembre 1959, M. Dequecker, Administrateur en chef de la France d'Outre-mer, affirme que Sékou “hésita quelque temps avant d'accepter la vice-présidence du Conseil de gouvernement. Il accepta finalement cette fonction à la demande même du gouverneur. Il est évident qu'il aurait été regrettable qu'une personnalité aussi importante, habituée jusqu'ici à combattre les autorités, pût demeurer en dehors du gouvernement avec la tentation permanente de continuer à nier les bénéfices de l'opposition.”
Je n'ai pour ma part rien trouvé dans les archives qui confirme cette éventuelle hésitation de Sékou.

76. Gouvernement semi-autonome de la Loi-cadre :

  1. Ministre du Commerce, de l'Industrie et des Mines Louis Lansana Béavogui (médecin)
  2. Ministre des Travaux Publics Ismael Touré (ingénieur météorologue)
  3. Ministre de la Fonction Publique Damantang Camara (greffier)
  4. Ministre du Travail Bengaly Camara (directeur du journal La Liberté)
  5. Ministre de la Coopération Abdourahmane Diallo (pharmacien retraité)
  6. Ministre de l'Agriculture Michel-Eugène Mignard (ancien directeur de la station agricole de Kindia de l'Institut des Fruits et Agrumes Coloniaux - IFAC)
  7. Ministre de l'Enseignement Technique Michel Collet (ingénieur)
  8. Ministre des Finances et du Plan, Alioune Dramé)
  9. Ministre de l'Intérieur Keita Fodéba (directeur des Ballets Africains)
  10. Ministre de l'Enseignement, Faraban Camara (inspecteur du Travail)
  11. Ministre de la Santé, Dr. Najib Roger Accar (médecin, chirurgien-chef de l'Hôpital Ballay de Conakry)

77. “Sékou, déjà brillamment élu député français l'année précédente, devenait vice-président du Conseil de gouvernement grâce à la Loi-cadre, et le gouverneur d'alors, Jean Ramadier, se montrant d'un laxisme total, c'était pour les Guinéens comme le “jugement de Dieu”. On sait la suite …” (Émile Biasini, directeur de cabinet du gouverneur Bonfils, lettre à l'auteur, 1995).
78. Afrique Nouvelle, n° 510, 14 mai 1957.
79. Note adressée le 2 janvier 1958 par Xavier Torré, secrétaire général de l'AOF, au haut-commissaire à Dakar.
80. Lors de cette même session budgétaire, alors que Senghor pousse à l'octroi d'une subvention de dix millions de francs CFA à la revue Présence Africaine, Sékou Touré intervient pour qu'on aide également les organisations syndicales, et en particulier l'UGTAN “car elles travaillent aussi pour la promotion africaine”.
81. Télégramme n° 200 du 7 juillet 1957 du gouverneur de la Guinée au haut-commissaire à Dakar.
82. Télégramme n° 1018 du 20 décembre 1957 du haut-commissaire à France d'Outre-mer.
83. Afrique Nouvelle, n° 516, 25 juin 1957.
84. La Loi-cadre fut adoptée à une forte majorité: le 13 mars par 124 contre 1 à l'Assemblée de l'Union française ; à l'Assemblée nationale en 1ère lecture le 23 mars 1956 par 499 voix contre 99 ; en 2ème lecture le 19 juin par 446 voix contre 98 ; le 13 juin par 194 voix contre 63 au Conseil de la République (Sénat). A l'Assemblée, seule l'extrême droite — représentée par les Poujadistes — vota contre. Elle fut finalement promulguée le 23 juin 1956. Une quinzaine de textes d'application importants furent encore discutés par le Parlement en novembre 1956 et en février 1957, et les 4 décrets indispensables à la mise en oeuvre furent promulgués le 4 avril 1957. En fait, les premiers éléments de la future Loi-cadre avaient été élaborés par Léopold Sédar Senghor, secrétaire d'État à la présidence du Conseil dans le gouvernement Edgar Faure de février 1955 à janvier 1956 ; mais Robert Buron, ministre de la France d'Outre-mer dans le gouvernement Mendès-France en 1954, avait lui-même travaillé à une première esquisse de transformation des structures de l'Union française en liaison avec deux élus africains, le docteur Louis-Paul Aujoulat (député du Cameroun, ministre de la santé) et Joseph Conombo (député de la Haute-Volta, secrétaire d'État à l'intérieur). La dernière version, celle qui fut adoptée, doit finalement beaucoup à l'apport de Pierre Messmer, qui fut le directeur du cabinet de Gaston Defferre.
85. Suffrage universel, collège unique, africanisation des cadres et création de Conseils de gouvernement dans chaque territoire sont indiscutablement des avancées, d'ailleurs réclamées depuis longtemps par les milieux progressistes ou éclairés. L'auteur estime que les indépendances, sans doute même en Guinée, sont intervenues trop rapidement après la mise en vigueur d'une Loi-cadre trop tardive, dont l'application aura duré trop peu de temps — moins d'un an — pour permettre réellement aux leaders africains de s'entraîner à l'exercice du pouvoir. Malheureusement, le contexte politique français (et l'influence des milieux coloniaux) ont excessivement retardé au fil des années l'adoption d'un texte s'inspirant de ce que sera en 1956 l'esprit de la Loi-cadre Defferre, alors que le contexte international de l'époque a rendu inévitables les indépendances du début des années 60. C'est aussi l'avis de l'ambassadeur Fernand Wibaux, qui déclarait à un colloque organisé en 1990 par l'Institut d'histoire du temps présent et l'Institut d'histoire des pays d'Outre-mer d'Aix-en-Provence : “Ce n'est pas l'indépendance qui est venue trop tôt après la Loi-cadre ; c'est la Loi-cadre qui était venue trop tard.” Par ailleurs, la Loi-cadre, en instaurant des structures nouvelles au sein de chaque colonie sans modifier les instances fédérales, préfigure ce que le référendum du 28 septembre entérinera : l'évolution (y compris vers l'indépendance) à l'intérieur des frontières coloniales, c'est-à-dire la balkanisation de l'Afrique francophone.
86. Afrique Nouvelle, n° 500, 5 mars 1957.
87. Afrique Nouvelle, n° 516, 25 juin 1957.
88. Afrique Nouvelle, n° 507, 23 avril 1957. Il est curieux — et symptomatique — de constater que ni Sékou Touré et les tenants du fédéralisme, ni les responsables français, ne mentionnent l'existence, depuis plusieurs années déjà, d'un très puissant facteur d'unité, la zone Franc (même si depuis 1956, le franc CFA a “décroché” de la parité avec le franc métropolitain.)
89. Selon le témoignage oral donné à l'auteur par le ministre de la Santé de l'époque, le docteur Roger Najib Accar, bien des années après le départ de ce dernier de Guinée. L'ancien gouverneur Jean Ramadier a par ailleurs écrit : “L'expérience du jeune nationalisme africain est décevante … J'en arrive à me demander s'il est vraiment de notre intérêt de rester dans ce pays, au moins sous la forme administrative.” (cité dans La France d'outre-mer (1930-1960) Paris, Karthala, 2004, page 259).
90. Celui-ci écrit à Sékou Touré le 20 mai 1958: “Ce texte n'a pas été effectivement soumis à la délibération du Conseil de gouvernement bien que le “chapeau” de l'arrêté porte : “Le Conseil de gouvernement entendu”. Certes je n'ai pas l'intention de m'attacher à l'aspect formel de cette question et encore moins de discuter de son fond (…) Il ne vous échappera pas (…) qu'un tiers bien informé pourrait soulever la nullité d'un tel acte et par la voie du contentieux placer le Gouvernement dans une position fâcheuse. Il est donc souhaitable qu'à l'avenir le Conseil de gouvernement délibère effectivement sur les arrêtés et actes relevant de sa compétence et ceci dans le souci d'une bonne et saine administration.”
91. Ahmed Sékou Touré, L'action politique du PDG, Tome XIII, L'Afrique et la Révolution, Présence Africaine, imprimé en Suisse. Cet ouvrage est le premier volume des oeuvres du président Sékou Touré imprimé à Genève sur les presses de l'imprimerie Kundig, rue du Vieux Collège. Ce volume a été tiré à 40.000 exemplaires (sans compter un millier d'exemplaires reliés en simili-cuir noir). “En juin 1966, M. Boyer, conseiller du président Sékou Touré, est venu demander continuation de notre devis pour le Tome XIII, proposant d'abord un accréditif, exigeant une livraison dans les trois mois. Devant ma réticence, il est revenu le lendemain avec un chèque de 125.000 francs suisses (total du devis), en disant: “Maintenant que vous êtes payés, vous ne pouvez pas vous dérober.” Et le délai a été tenu. C'est probablement pour cette raison que nous avons eu d'autres commandes.” (Lettre à l'auteur de Philippe Kundig, ancien propriétaire et directeur de l'imprimerie Kundig, reprise par sa famille en 1892 [sic! — T.S. Bah], en date du 10 janvier 2002).
92. Claude Rivière, Mutations sociales en Guinée, éd. Marcel Rivière, 1971.
93. Gérard Jaquet fera un voyage en Guinée en février 1958, dans le cadre d'une tournée en AOF. Il y restera trois jours, mais affirme ne pas garder un souvenir spécifique de cette tournée, non plus que ses conversations avec Sékou Touré à Paris (entretien avec l'auteur, Paris, 5 février 2002). Exceptionnellement, un autre ministre que celui qui est chargé de la France d'Outre-mer visite en 1957 la Guinée ; il s'agit de Maurice Faure, secrétaire d'État aux Affaires étrangères, qui vient parler à la Chambre de commerce et d'industrie de Conakry de la naissance de l'Europe et de l'ouverture des frontières, ainsi que de leurs conséquences pour les colonies.
94. L'Assemblée nationale française était elle-même saisie depuis plusieurs années de propositions de lois sur la chefferie. Mais les décrets d'application de la Loi-cadre Defferre attribuaient aux Conseils de gouvernement la compétence exclusive en matière de détermination du statut de la chefferie (et donc de son éventuelle suppression).
95. En fait, cette suppression concerne essentiellement les chefs de canton nommés par l'administration coloniale, mais ne toucha pas aux responsabilités d'autres chefs coutumiers traditionnels, en particulier dans le Fouta, ainsi que les patriarches mandingues et les chefs de villages en Guinée forestière. Voir la très complète étude (en anglais) de Jean Suret-Canale, “La fin de la chefferie en Guinée”, Journal of African History. Volume VII. 1966. pp. 459-493.
96. Il reviendra en Guinée au moment de l'indépendance se mettre à la disposition de son pays et sera à plusieurs reprises ministre après 1958 (éducation nationale, puis finances). Après son éviction du gouvernement, il sera nommé ambassadeur au Caire au milieu des années 60. Contacté au moment de l'éviction de Nkrumah au nom de la Ligue des opposants par Siradiou Diallo et Ibrahima Baba Kaké, il leur fera savoir qu'il ne voulait pas rallier l'opposition (mentionné par l'historien lbrahima Baba Kaké au cours d'un entretien avec l'auteur sur Radio France Internationale dans l'émission Mémoires d'un continent consacrée en 1991 à Diallo Telli).
97. Le ministère de la France d'Outre-mer tente parfois d'intervenir pour limiter certaines initiatives du Conseil de gouvernement de la Guinée, mais en vain. Ainsi, il ne recevra aucune réponse à son télégramme n°4 du 23 janvier 1958, invitant le gouverneur en sa “qualité de représentant du gouvernement à me saisir immédiatement conformément article 12 décret 57-460 et par l'intermédiaire du haut-commissaire d'une demande d'annulation de l'arrêté n°57.231 du 26-12-57 portant organisation de l'administration territoriale de la Guinée. Les dispositions de cet arrêté excèdent à mon avis les pouvoirs du Conseil de gouvernement.…”
98. Au nombre de 25, elles sont rebaptisées Régions Administratives le 28 septembre 1959.
99. Lettre du haut-commissaire au ministre de la France d'Outre-mer, 8 février 1957.
100. Gaston Defferre pousse les dirigeants de Pechiney à faire des propositions de redevance annuelle plus intéressantes pour la Guinée, en échange d'une promesse de Sékou de ménager à l'avenir ses intérêts. Cet engagement sera toujours respecté. Gaston Defferre rappellera publiquement cette histoire en recevant officiellement Sékou Touré à la mairie de Marseille le 18 septembre 1982. Dans son discours du 17 septembre 1981 devant le Conseil National du Patronat Français, Sékou lui-même reconnaîtra qu'avant l'indépendance, la société Pechiney-FRIGUIA “a connu les pires difficultés de notre part. Nous avons bloqué les débats à l'Assemblée territoriale parce que nous considérions qu'il y avait des clauses susceptibles d'engendrer des sanctions (…) A Paris, nous avons dit : “Nous ne signerons pas ces clauses (…) Nous ne nous engagerons pas ici pour trahir cet engagement demain.” Heureusement, on a tenu compte de nos revendications (…) et depuis l'indépendance, nous croyons que (l'entreprise) a joui d'une parfaite stabilité.” Paradoxalement, la société mixte FRIGUIA aura donc fonctionné sans difficultés pendant l'ère de Sékou Touré et c'est après lui, sous la 2ème République, que les relations se dégraderont jusqu'à la rupture. Pechiney sera absorbée par ALCAN, puis par Rio Tinto.
101. Cet établissement deviendra École Nationale d'Administration le 5 novembre 1958. C'est l'avocat soudanais (malien) Demba Diallo qui en est le directeur jusqu'à l'indépendance. Demba Diallo, diplômé de l'École des hautes études en sciences sociales de Paris et de l'École des langues orientales vivantes, a une formation juridique. Avocat, il entre en magistrature en 1956 et il est nommé au Sénégal puis en Guinée, où il ne tarde pas à militer aux côtés de Sékou Touré. Après l'indépendance, celui-ci en fait son directeur de cabinet. Deux ans plus tard, à la demande de Modibo Keita, Demba Diallo revient dans son pays, mais continue à oeuvrer pendant plusieurs années pour les causes africaines et progressistes; ainsi, il est secrétaire général du groupe de Casablanca, qui comprend les Etats progressistes, opposés au groupe de Monrovia, modéré. Demba Diallo, redevenu avocat et militant des droits de l'homme se lance aussi dans la politique, mais échoue dans sa tentative de se faire élire aux élections présidentielles en 1992. Auteur du livre L'Afrique en question (Paris, Maspéro, 1968), il est nommé Médiateur de la République. Né le 12 décembre 1925 à Koulikoro, il est décédé le 7 juin 2001 à Paris. 102. Sidiki Kobélé Keita, Le PDG, artisan de l'indépendance nationale en Guinée, tomes I et II, Conakry, Imprimerie nationale Patrice Lumumba, 1976.
103. Dans sa conférence déjà citée, M. Dequecker donne des détails sur cette affaire, tout en attribuant à Diallo Saifoulaye des sentiments et des arrière-pensées qu'il n'a probablement pas eues : “Le maintien de la cohésion et de la discipline du parti fut la première tâche que Sékou Touré dut assumer. Depuis deux ans déjà une opposition d'extrême-gauche se dessinait au sein même du parti contre son autorité qualifiée de dictatoriale. Cette opposition menée publiquement par la section locale de Mamou et son leader extrémiste le médecin Pléah Koniba était sans aucun doute inspirée par Diallo Saifoulaye, député-maire de Mamou, président de l'Assemblée, seul leader RDA influent du pays Foulah ; intriguant, dissimulé, pénétré de doctrines communistes, Diallo Saifoulaye est considéré par bien des spécialistes des questions guinéennes comme le plus sérieux prétendant à la succession de Sékou Touré. C'est ainsi que sous l'égide de la section de Mamou, l'opposition à Sékou Touré se donna libre cours lors du congrès des cheminots et de celui des enseignants qui aboutit en fait à une grève scolaire à la rentrée d'octobre 1957. En même temps la section RDA de Mamou adressait au Comité Directeur du Parti une lettre attaquant violemment la direction du parti et le Conseil de gouvernement. Ce dernier se trouvait alors dans l'obligation de réagir rapidement sous peine de se trouver débordé par les éléments extrémistes et de voir son autorité bafouée dans le pays dès les premiers mois de son existence. C'est ainsi qu'une délégation du Parti comprenant la plupart des membres du Conseil de gouvernement se transporta à Mamou au début du mois de novembre afin d'obtenir la soumission de la section locale. Après toute une nuit de discussions dramatiques, la délégation du parti dut rejoindre Conakry sans avoir pu obtenir que la section de Mamou, en pleine rébellion, acceptât de faire son autocritique. A son retour le Bureau politique décida l'exclusion de la sous-section pour déviationnisme de gauche. L'astucieux Diallo Saifoulaye qui avait su éviter de se compromettre publiquement en cette affaire, à la fin du mois de décembre se vit chargé de la mission d'installer une nouvelle section du parti à Mamou. Une action préalable sur les militants de la section, de sévères sanctions prises sous des prétextes divers contre les fonctionnaires de la localité compromis dans l'affaire permirent à Diallo Saifoulaye de mener à bien sa tâche en installant un nouveau bureau composé de militants médiocres mais sûrs et qui devaient désormais s'abstenir de prendre la moindre initiative sans l'accord de Conakry. Isolé, contraint de démissionner de ses fonctions d'adjoint au maire de Mamou, Pléah Koniba très amer, ne vit d'autres ressources que de quitter la ville et le territoire pour rejoindre son Soudan natal où il joua actuellement un rôle important à la direction et rédaction du journal L'Essor.

[Erratum. En réalité Pléah Koniba et Samba Lamine Traoré, tous deux Soudanais (Maliens) furent contraints par Sékou Touré de retourner dans leur pays. Voir R.W. Johnson. — T.S. Bah]

Ayant ainsi réussi à rétablir toute leur autorité sur l'appareil du parti, Sékou Touré et le Conseil de gouvernement purent affronter les difficultés qui surgirent au début de l'année 1958, du fait de l'opposition anti-RDA, animée par des leaders autrefois violemment opposés : le député Barry Diawadou, Barry Ibrahima dit Barry III, Keita Koumandian. Quelques mois avant le référendum, ces personnalités réussirent à s'unir au sein du PRA. Cette opposition se manifesta surtout dans le Foutah par des meetings sur les marchés de brousse dont le thème idéal demeurait une violente propagande anti-fiscale. “Dispersée, ne disposant d'aucun appareil, n'ayant aucun programme, se heurtant maladroitement à l'administration par son action anti-fiscale, cette opposition même en pays Foulah ne menaça jamais sérieusement, autrement qu'en paroles, l'hégémonie du RDA Ses succès aux élections des conseils de villages furent tout à fait dérisoires.” 104. Lucide, le haut-commissaire de l'AOF Bernard Cornut-Gentille commente cet événement dans un rapport (non daté) à l'intention du ministère de la France d'Outre-mer : “(…) Il n'est pas concevable que l'expérience de la Gold Coast se déroule à la frontière de la France d'Outre-mer sans soulever un intérêt qui pourrait devenir une contagion.”
105. Il est accompagné de son jeune secrétaire d'État à l'information, Béchir Ben Yahmed, futur fondateur des publications Jeune Afrique (précision donnée à l'auteur par le R.P. Joseph Roger de Benoist, qui s'y trouvait de son côté comme représentant de la presse catholique de Dakar, Paris, 4 septembre 2003).
106. Dans son livre Félix Houphouet-Boigny, l'homme de la paix (Paris-Dakar-Abidjan, Seghers/NEA 1975), Paul-Henri Siriex raconte la fascination exercée sur Sékou par Nkrumah et exprime l'impression (la crainte ?) que le leader ghanéen ne remplace l'ivoirien comme “maître” de Sékou : “Une grande réception à laquelle se pressait une foule considérable avait été organisée le 7 avril 1957 dans les salons, et non pas dans la salle des séances, de ce qui n'était encore que l'Assemblée territoriale. Il faut avoir entendu en quels termes véhéments le chef du nouvel État réaffirmait sa conviction que tous les peuples d'Afrique obtiendraient tôt ou tard leur indépendance, fût-ce par des voies différentes. Ses paroles devaient être traduites de l'anglais et un peu adoucies par un interprète, qui n'était autre que le conseiller diplomatique du Haut Commissaire (c'était à cette date M. Chambard. NDLA). Mais le magnétisme et le prestige de l'homme, à l'époque, étaient tels que la foule les buvait littéralement. J'observais Sékou Touré, le nouveau député de la Guinée. Il semblait littéralement aspiré par le regard fascinant de Nkrumah qu'il fixait intensément comme dans une sorte de communion frémissante. Le maître ivoirien était-il toujours “le maitre” pour le disciple ?”
107. Le gouvernement français, consulté par Sékou Touré, avait donné son accord sur ce voyage. Nkrumah et Sékou Touré reviendront en pèlerinage sur la tombe de Chérif Fanta Mady en mai 1959, à l'issue de la première visite officielle de Nkrumah en Guinée indépendante.
108. Quelques mois plus tard, après le Congrès de Bamako, l'hebdomadaire londonien West Africa voit en Sékou Touré un rival possible de Nkrumah pour la direction d'éventuels futurs États-Unis d'Afrique Occidentale.
109. Sékou Touré fait escale à Accra à deux reprises au cours de ce voyage, les 6 et 11 juillet. Louis de Guiringaud le rencontrera à chaque fois.

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