André Lewin
Ahmed Sékou Touré (1922-1984).
Président de la Guinée de 1958 à 1984.
Paris. L'Harmattan. 2010. Volume II. 263 pages
Chapitre 24. — 1 juin 1958
De Gaulle n'obtient pas la voix de Sékou Touré
Au moment où s'ouvre au printemps 1958 la phase ultime et décisive de la marche vers l'indépendance, le PDG occupe tous les rouages essentiels de l'administration. Parfaitement rodé, très uni, ardetnanent militant, doté d'une idéologie simple et d'une organisation efficace, il utilise habilement des techniques éprouvées de mobilisation des masses ; il a mis au point ses slogans, constitué ses brigades d'acclamations, mené ses campagnes et ses réunions avec brio et parfois avec agressivité. Le 4ème Congrès du PDG, convoqué le 5 juin 1958 dans le quartier de Boulbinet à Conakry, quelques mois à peine après le 3ème Congrès, devait en principe se consacrer à des discussions concernant la vie du parti et l'action du gouvernement : organisation de la jeunesse, problèmes syndicaux, lancement de travaux collectifs volontaires (appelés “investissement humain“) ; mais les changements politiques intervenus à Paris amèneront les congressistes à discuter surtout des perspectives politiques qui s'ouvrent désortnais devant eux 110. “Unis et décidés, nous pourrons tout avoir”, avait un jour écrit Sékou Touré 111.
L'indépendance permettrait aussi à Sékou Touré et à son gouvernement de surmonter, par une sorte de fuite en avant, les ambiguïtés créées par l'application de la Loi-cadre, qui avait donné aux politiciens et aux syndicalistes africains un pouvoir qu'il n'était plus possible de leur refuser et qu'ils devaient logiquement accepter, mais ceci dans un cadre purement territorial qui affaiblissait progressivement mais inexorablement l'apport positif de la métropole et de la fédération, notamment en matière de personnel et de financement. La perspective de l'indépendance rapide allait permettre de mobiliser rapidement les masses sur des thèmes idéologiques et politiques, reléguant au second plan les revendications économiques et sociales que le Conseil de gouvernement était bien en peine de satisfaire dans un avenir proche. N'oublions pas que la Loi-cadre n'est véritablement entrée en application qu'au milieu de 1957, c'est-à-dire il y a moins d'un an !
A la suite des événements du 13 mai 1958 à Alger, le général de Gaulle revient au pouvoir en France. Le 1er juin il se présente avec son gouvernement devant l'Assemblée nationale ; selon certains témoignages, Sékou Touré eût pu devenir secrétaire d'Etat, mais aurait été finalement écarté sur les instances d'Houphouët-Boigny.
Lors du vote d'investiture, le nouveau gouvernement obtient 329 voix contre 224 ; dix députés africains se prononcent en faveur du général (quatre à l'UDSR-RDA,dont Houphouët-Boigny — qui fait partie du cabinet comme ministre d'État 112, Hamani Diori et Modibo Keita ; quatre au Parti du Regroupement Africain (dont Sissoko, Maga et Apithy), deux au Mouvement Socialiste Africain ; aucun Africain ne vote contre ( comme le font à l'UDSR François Mitterrand et Roland Dumas, ou chez les Radicaux Pierre Mendès-France), mais vingt et un s'abstiennent ou ne prennent pas part au vote; parmi eux, les trois députés de la Guinée (Sékou Touré, Saïfoulaye Diallo, Diawadou Barry), ainsi que Ouezzin Coulibaly, Gabriel Lisette, Nicolas Grunitzky, Barthélémy Boganda, Philibert Tsiranana, Mamadou Dia et Léopold Sédar Senghor. En fait, Sékou et Saïfoulaye ont donné à leurs collègues des instructions de vote, car, en dépit des recommandations d'Houphouët, ils ont, comme nous l'avons déjà vu, préféré rester en Guinée, en raison des violents incidents qui ont eu lieu à Conakry fin avril et début mai. Le lendemain, lors du vote sur la loi qui met en place la procédure de révision constitutionnelle, Sékou Touré est porté comme ayant voté en faveur du texte, mais par procuration.
Lorsque commence l'élaboration du projet de nouvelle constitution annoncée par de Gaulle, qui prévoit l'instauration d'une Communauté entre la France et ses possessions africaines 113, Sékou Touré précise son point de vue devant le 4ème Congrès du PDG 114 : “Nous voulons, grâce à notre indépendance, abandonner l'exercice de certains attributs de cette indépendance à un ensemble plus vaste, (…) grande communauté qui aura un statut international et qui sera un élément d'équilibre et de paix dans le monde” 115.
Il reprend là une formule qu'il avait déjà employée l'année précédente, affirmant “(…) à l'heure des grands ensembles, l'Afrique n'a rien à gagner à son isolement (…) et la France serait le partenaire le plus valable.”
Membre du comité consultatif constitutionnel, Roland Pré raconte comment un tout premier avant-projet aurait peut-être pu concilier les points de vue opposés qui s'affrontaient déjà en coulisses. 116
“Nous avions entre nous (Roland Pré veut dire : les membres représentant l'Outre-mer et les Français connaissant les colonies) spécialement étudié la section de la constitution qui concernait les territoires d'Outre-mer et nous étions tombés d'accord sur un texte qui prévoyait des gouvernements locaux dans le cadre de la République ‘une et indivisible’, selon l'expression de Senghor. Il y avait un parlement fédéral ou confédéral — nous avions envisagé les deux options — mais où la France métropolitaine disposait constitutionnellement de la majorité des sièges. De plus, l'exécutif correspondant comportait de droit, aux postes de la défense et des affaires étrangères, les ministres en charge de ces mêmes postes dans le gouvernement métropolitain. C'était un texte “inespéré” pour maintenir l'unité de la France et de son hinterland d'Outre-mer. Enfin, mandaté par les collègues africains, j'étais allé le défendre auprès de Sélcou Touré, et j'avais également obtenu son accord Tout allait donc pour le mieux et je m'apprêtais au nom de notre groupe à présenter ces propositions devant le comité, lorsque Michel Debré vint me trouver et me demanda au nom du général de les retirer. Celui-ci ne voulait à aucun prix d'un système fédéral ou confédéral qui aurait pu donner la tentation à l'Algérie de sortir de l'ensemble départemental métropolitain pour demander le statut de territoire fédéré ou confédéré, et acquérir ainsi une personnalité autonome. L'intégration de l'Algérie était un fait acquis, et nous n'avions pas le droit de prendre le moindre risque de le remettre en question. Le général vint d'ailleurs prendre la parole le lendemain matin devant le comité et confirma son refus de tout système fédéral ou confédéral. La République serait ‘une et indivisible’. Les populations qui n'en voudraient pas n'auraient qu'à réclamer leur indépendance.”
Roland Pré sera d'ailleurs le seul membre du comité à s'abstenir sur les dispositions fmalement prévues pour l'Outre-mer.
Dans son message aux populations d'Outre-mer, rendu public à la veille du 14 juillet, le général de Gaulle reste très vague sur le statut qu'il envisage ; il a simplement déclaré : “Nous devons bâtir de nouvelles institutions, établir sur le mode fédéral les liens de notre Union…” Déçu comme la plupart des autres leaders africains, Sékou Touré commente : “Ce discours n'apporte aucune précision, en dehors du terme ‘fédéral’, qui désigne un cadre dont le contenu peut varier de la politique d'assimilation ou d'intégration à une politique d'association … Faut-il penser que le général de Gaulle s'adressait davantage aux adversaires de l'émancipation africaine qu'aux populations des territoires, dont les exigences posent sans équivoque la reconnaissance de leur droit à l'autodétermination, qui implique l'autogestion.” 117
Fin juillet 1958, l'avant-projet constitutionnel est rendu public; Sékou Touré, Senghor et quelques autres leaders, ne cachent pas leur mécontentement. “Nulle part il n'est parlé du droit à l'autodétermination (…) En conclusion, c'est un recul”, dira Senghor 118. “Tout projet de constitution qui (…) ne reconnaîtra pas (…) le droit à l'indépendance et qui n'affirmera pas le principe de l'égalité des peuples fera de notre part l'objet d'un rejet unanime et ferme”, prévient Sékou 119. Seuls les fidèles d'Houphouët approuvent sans réserves l'avant-projet ; le leader ivoirien précise : “Je ne crois pas à l'association des peuples libres, je ne crois pas à l'indépendance avec la Confédération dans la Communauté. Il y a une logique de la séparation, ne prétendez pas vous y soustraire.” 120
Sékou rappelle clairement que pour lui, l'indépendance est un préalable, car elle constitue un droit ; après avoir accédé à l'indépendance, mais après seulement, la Guinée indépendante pourra librement adhérer à la Communauté. Le 25 juillet, il précise encore : “Avant de me rendre à Paris, j'ai précisé l'esprit dynamique dans lequel le PDG conçoit dans les faits cette association franco-africaine, une construction qui devra, pour être viable, être fondée sur une adhésion unanime et sincère des peuples d'Outre-mer. Cette construction devra s'inspirer des principes suivants : reconnaissance du droit à l'indépendance de tous les peuples, qui n'est que le corollaire du droit de chaque homme à la liberté ; autonomie interne des États fédérés ; création d'une communauté fédérale multinationale dotée d'une assemblée et d'un gouvernement fédéral, dont le rôle serait limité aux attributs de la monnaie, de la déf,e nse, des relations extérieures et de l'enseignement supérieur ; chaque Etat autonome doté d'une assemblée et d'un gouvernement propres établira sa propre constitution et définira ses institutions internes, en harmonie avec les principes supérieurs définis dans la constitution fédérale.” 121
Sékou Touré ne fait pas partie du comité consultatif, constitué par décret le 16 juillet 122 et qui exarnine l'avant-projet à partir du 29 juillet ; Bernard Comut-Gentille, l'ancien haut-conunissaire en AOF devenu, après un passage à la délégation française auprès de l'ONU à New York et à l'ambassade de France en Argentine, le nouveau ministre de la France d'Outre-mer, tente pourtant de l'y faire désigner, pensant qu'il serait opportun que soit représentée également l'aile gauche du RDA. Mais Houphouët-Boigny, alors ministre d'État, réussit à l'en tenir écarté 123 et à y faire nommer son propre candidat, Gabriel Lisette 124. De plus, Roland Pré, l'ancien gouverneur de la Guinée française, depuis lors un adversaire déterminé de Sékou Touré, en est également membre 125.
A Bernard Cornut-Gentille venu plaider encore une fois devant le Général la cause de Sékou, dont il affirme qu'il est un “leader africain d'un type nouveau”, de Gaulle confronte le choix proposé par Houphouët et lance la phrase devenue célèbre :
— “Ecoutez, Cornut-Gentille, dans mon gouvernement, c'est pas vous le nègre, alors foutez-moi la paix !”
Le 29 juillet, le général de Gaulle, président du Conseil, vient brièvement devant le comité constitutionnel donner en dix paragraphes son point de vue sur le texte ; il y marque son intérêt particulier pour les problèmes de l'Outre-mer : “J'ajouterai une considération capitale qui domine aujourd'hui tous les esprits dans le monde et chez nous, et qui est l'obligation d'établir entre notre métropole et les territoires d'outre-mer des rapports nouveaux sur le mode fédéral.”
Revenu à Conakry, Sékou Touré prononce le 30 juillet devant l'Assemblée territoriale un discours qui préfigure largement les thèses qu'il exposera devant le général de Gaulle trois semaines plus tard. Le télégramme de compte-rendu qu'en rédige le gouverneur Mauberna n'a visiblement pas été lu à Paris. A la même date, un télégranune signé du gouverneur et de Sékou Touré — comme vice-président du Conseil de gouvernement (il n'en deviendra forntellement président que le 12 août,alors que l'Ordonnance qui le prévoit a été prise le 26 juillet) — est envoyé au président de la République française (c'est toujours René Coty) et au président du Conseil (c'est le général de Gaulle) ; il transmet “le salut unanime, déférent et affectueux de la population tout entière de la Guinée unie en ce jour sans distinction d'origine à celle de la métropole dans la certitude d'un avenir prospère et fraternel au sein de la Communauté France-Outre-mer rénovée et librement instituée.”
Le comité de coordination des élus africains du RDA, réuni au Palais de Chaillot à Paris le 3 août, approuve les thèses d'Houphouët et fait à celles de Sékou des concessions mineures. Le programme qui sera présenté en leur nom au général de Gaulle comporte l'autonomie complète des territoires, la suppression des gouvernements généraux de l'AOF et de l'AEF, l'absence d'exécutifs fédéraux à Dakar et à Brazzaville, ainsi que le refus de l'indépendance immédiate, bien qu'il prévoie des évolutions ultérieures sans rupture de la coopération avec la France et les autres partenaires de la Conununauté. On est loin des thèses préconisées par Sékou et Senghor, en particulier pour éviter la balkanisation du continent. Il est vrai que celle-ci était préfigurée déjà dans la Loi-cadre Defferre, qui donnait davantage de consistance politique aux structures de chaque colonie sans toucher à celles des deux fédérations d'AOF et d'AEF.
Le 5 août, une délégation du RDA est reçue par le général de Gaulle ; Sékou Touré a été chargé d'en exposer le programme, ce qu'il a accepté, retardant pour ce faire de quelques jours son retour en Afrique 126. Il le fait avec loyauté, mais après l'entrevue il ne cache pas sa peine : pour maintenir l'unité du RDA, il lui a fallu défendre des thèses qu'il ne partageait pas. Le général assura les délégués “qu'il comprenait les impatiences des Africains, mais qu'il devait tenir compte de l'opinion métropolitaine.” 127. C'est sans doute la première fois que le général de Gaulle voit Sékou Touré, et certainement la première fois qu'il l'entend. La prochaine fois, ce sera lors de l'historique rencontre à Conakry, à la fin de ce même mois d'août.
Après avoir décidé de quitter rapidement Paris pour revenir à Conakry, Sékou Touré rend encore visite à Ouezzin Coulibaly, leader du RDA devenu vice-président du Conseil de gouvernement de Haute-Volta ; très proche de Sékou, dont il a beaucoup contribué à faciliter l'ascension au sein du mouvement, il a dans le passé exercé sur lui une influence modératrice. Mais Coulibaly a pris récemment des positions contraires à celles de Sékou ; déjà gravement malade, il sera bientôt hospitalisé à Paris et mourra d'un cancer du foie début septembre.
Sa dernière visite à, un responsable français est pour Alain Plantey, membre du Conseil d'Etat et commissaire du gouvernement auprès du comité consultatif. Selon ce dernier, Sékou Touré est déjà à l'époque “un tribun prêt au meurtre du père”, en l'occurrence d'Houphouët-Boigny, dont il conteste à la fois les positions hostiles à toute fédération et l'inclination systématique pour le “oui”, quelque soit le texte proposé. Il est vrai que les députés, les sénateurs et les conseillers de l'Union française, étaient élus territoire par territoire, et avaient donc tendance, même en ce qui concerne les élus RDA, à penser en premier lieu à leur circonscription, et, n'était l'existence des deux Grands Conseils, rien n'incitait à penser en tenne de regroupements régionaux. Même la Loi-cadre Defferre avait — au grand regret de Senghor et de Sékou Touré — consacré la naissance d'exécutifs territoriaux, embryon des futurs gouvernements d'après les indépendances. Selon Alain Plantey, Paris, qui connaissait la prochaine indépendance — sous contrôle de l'ONU — des territoires sous tutelle qu'étaient le Togo et le Cameroun, acceptait l'idée d'indépendance, tout en pensant que certains des territoires y étaient mieux préparés que d'autres. Le texte constitutionnel devait ménager un “salon de passage” d'un statut à l'autre. Mais l'hypothèque de l'affaire algérienne empêchait de précipiter les choses. Alors qu'Houphouët dira à tout le monde, jusqu'à la dernière minute, que Sékou Touré fera voter “oui” et qu'il n'osera pas se rebeller contre le général, Sékou Touré dit à Plantey qu'Houphouët se trompe, et que la Guinée votera “non”. 128
Le 7 août 1958, Sékou s'envole pour Dakar, après une dernière soirée parisienne passée au cabaret Keur-Samba avec notatmnent l'animatrice du Cercle France-Afrique, Monique Cazaux129. Keita Fodéba et Saïfoulaye Diallo voyagent dans le même avion, ainsi que Guy Georgy, alors Directeur général des affaires économiques et du Plan de l'AOF. Ce dernier se souvient :
— “ Nous parlâmes beaucoup des récents développements de la Loi-cadre, des prochaines indépendances et des perspectives d'un ensemble de mouvance française ; Sékou était avec Senghor le seul partisan d'une vaste fédération, une sorte de communauté économique ouest-africaine ; Houphouët et tous les autres ne rêvaient que de leurs clochers.” 130
C'est donc à Dakar, au cours d'une réunion de travail de I'UGTAN tenue à l'hôtel du Grand Conseil, que Sékou entend à la radio une déclaration faite le 8 août par le général de Gaulle devant le comité consultatif constitutionnel :
“Pourquoi se battre sur des mots abstraits comme fédération ou confédération (…) La vraie question n'est pas là : elle est dans l'option entre association et sécession. On reste ensemble vraiment, ou bien l'on se sépare (…) Si ces territoires disent “non”, ce sera la sécession à leurs risques et périls (…) Bien entendu, et je le comprends, on peut avoir envie de la sécession. Elle impose des devoirs. Elle comporte des dangers. L'indépendance a ses charges (…) On ne peut concevoir un territoire indépendant et une France qui continuerait de l'aider. Le gouvernement tirera les conséquences, économiques ou autres, que comporterait la manifestation d'une telle volonté (…) C'est le référendum qui tranchera le débat.” 131
Le 9 août, Sékou, qui a demandé vingt-quatre heures de réflexion, réagit vigoureusement sur les ondes de Radio Dakar : “Franchement, en entendant hier le général de Gaulle, j'ai été choqué. Mon amour-propre pour la dignité de l'Afrique a été choqué. On nous dit que nous pouvons prendre l'indépendance avec toutes ses conséquences. Eh bien, je réponds, moi, que ces conséquences ne seront pas seulement africaines, elles peuvent aussiêtre françaises.”
La divergence est fondamentale. Pour Sékou Touré, l'indépendance est devenue un préalable et seuls des Etats déjà souverains pourront consentir des abandons de souveraineté au profit de la Cotmnunauté franco-africaine 132. L'avant-projet de constitution écarte cette possibilité; elle rend certes possible l'indépendance, mais au prix d'une rupture avec la France (c'est l'hypothèse du rejet de la constitution), ou alors ultérieurement, après un passage obligatoire par la Communauté (cette hypothèse implique l'adoption de la constitution); le “oui” au référendum reste donc incompatible avec l'indépendance immédiate 133.
L'évolution de la position de Sékou est rapide, même s'il a encore des moments d'hésitation, parce qu'il conserve sans doute assez tard l'espoir que le projet de constitution peut encore être amendé. Ainsi, recevant en août à la mairie une première délégation de la Fédération des étudiants d'Afrique noire en France (FEANF) conduite par l'étudiant en lettres sénégalais Ly Tidiane Baidy, ancien membre du Bureau de la fédération, il déclare :
“Du moment que les gouvernements locaux actuels issus de la Loi-cadre disposent d'une large autonomie malgré les insuffisances que nous ne cessons de dénoncer, la brèche est déjà ouverte ; dans dix, quinze, vingt ans ou peut-être plus tôt, nous serons en mesure de revendiquer, comme vous, l'indépendance totale. Pour le moment, cela me paraît aventureux. Quant à engager une action révolutionnaire basée sur la lutte des classes, c'est une erreur. Nous pensons qu'il faut abandonner la lutte révolutionnaire parce qu'elle ne correspond pas aux conditions et aux réalités africaines. En tout cas, et à moins d'un événement extraordinaire, nous ferons voter “oui”. Vous êtes des marxistes ; moi je pense que, dans le contexte présent, il faut être réformiste, car j'ai la conviction que les masses ne prendront jamais les armes. C'est pour cela que si j'ai une promesse ferme du Général de Gaulle, je demanderai aux Guinéens de voter “oui”. Je ne vous cacherai pas du reste que j'ai pris des contacts dans les voisinages du général de Gaulle et de personnalités telles que Mitterand et Mendès-France, afin que soit rendue possible la création de l'Exécutif avec un Parlement Fédéral.” 134
A une seconde délégation de la FEANF venue à Conakry début septembre et dirigée cette fois-ci par son président (depuis 1956) Noé Efoe Kutuklui, un étudiant en droit togolais, Sékou Touré et les dirigeants du PDG disent très nettement qu'ils donnent la consigne de voter “non”. Les délégués étudiants n'ont pas manqué de rencontrer beaucoup de cadres, et de les conforter dans l'option indépendantiste 135.
L'évolution montrera très vite que la marge de manoeuvre laissée par la Constitution était trop étroite, même pour les territoires qui se prononcèrent en septembre 1958 en sa faveur. Paris allait devoir accorder dès 1960 à Modibo Keita, à Senghor et aux autres leaders africains, ce que pour faire un exemple, il avait refusé en 1958 à Sékou Touré. Moins de dix ans plus tard, en s'écriant le 24 juillet 1967 au balcon de l'hôtel de ville de Montréal : “Vive le Québec libre”, exhortant les Québécois à lutter contre les effets négatifs de la prédominance anglo-saxonne et à reconquérir leur souveraineté politique, de Gaulle les encourageait à s'avancer dans la voie qu'il avait fermée naguère à la Guinée.
Mais en 1958, pour le général de Gaulle, il s'agissait de régler rapidement, habilement et sans effusion de sang les problèmes de la France d'Outre-mer, qui relevaient encore de dispositions constitutionnelles ; le processus de décolonisation de l'Afrique noire ainsi lancé (et pratiquement résolu moins de trois mois après son investiture, avec le seul “accident de parcours” de la Guinée), les mains et l'esprit libres sur le plan des anciennes colonies dont il pouvait même escompter le soutien, le général de Gaulle pouvait commencer à travailler à la solution beaucoup plus difficile du conflit algérien 136, et surtout se consacrer aux problèmes qui lui paraissaient véritablement essentiels pour assurer à la France sa place et son rôle dans le monde : la recherche systématique d'une politique originale et indépendante des blocs, l'établissement de nouveaux équilibres dans les relations avec les Etats-Unis, avec l'Union soviétique, avec l'Europe, avec le reste du monde, l'indépendance nationale, la constitution d'une force militaire et d'une capacité nucléaire…
Notes.
110. Une motion votée lors de ce Congrès exige même “la reconnaissance du droit à l'indépendance du Peuple algérien.” On se souvient que Sékou a évoqué l'Algérie lors de son premier discours public à une réunion de la CGT en 1946 (chapitre 6).
111. Titre d'un article paru dans L'Ouvrier le 4 août 1952.
112. Sékou n'était pas à Paris pendant cette période, mais Madame Andrée s'y trouvait. Elle rencontra Houphouet alors que la perspective du retour au pouvoir du général de Gaulle se précisait ; le leader ivoirien lui dit qu'il craignait cette éventualité, parce que cela pouvait signifier le retour à une politique répressive dans les colonies ! Lorsque l'épouse de Sékou Touré le retrouva avec ses amis après la formation du cabinet, il lui proposa du champagne et lui affinna qu'il était surtout entré au gouvernement français pour éviter le risque de régression. Le lui a-t-il dit parce qu'elle était la femme d'un leader progressiste, ou le pensait-il réellement ? (entretien avec Madame Andrée, Dakar, 16 juin 1997).
113. Le général de Gaulle avait déclaré, lors d'une conférence de presse tenue à Washington le 10 juillet 1944 : “Je crois que chaque territoire sur lequel flotte le drapeau français doit être représenté à l'intérieur d'un système à forme fédérale, dans lequel la métropole sera une partie.”
114. On trouvera sur l'ensemble de ces événements, des descriptions et des analyses pénétrantes et parfois opposées dans les ouvrages de Sylvain Soriba Camara La Guinée sans la France (Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, Paris 1976) ; de Jean Lacouture Cinq hommes et la France, (Le Seuil, 1959) ; de Georges Chaffard Les carnets secrets de la décolonisation (Calmann-Lévy, 1965/67, tomes 1 et 2).
115. Sékou Touré, Expérience guinéenne et unité africaine (Paris, Présence Africaine, 1961, p. 49). Le 4ème Congrès se prononce unanimement “pour la constitution d'États autonomes au niveau de la Métropole, de l'AOF, de l'AEF …, chacun d'eux doté d'une Assemblée législative et d'un pouvoir exécutif; pour l'édification d'un État fédéral établi sur des bases contractuelles, comprenant parlement et gouvemetnent communs pour les attributs suivants : relations extérieures, économie générale et monnaie, magistrature, enseignement supérieur, défense nationale (…) Un tel ensemble ouvrirait en Algérie les conditions d'une paix historiquement juste.”
116. dans le journal personnel en fonne de récit dont il a déjà été question au chapitre 14.
117. Le Monde, 18 juillet 1958.
118. Marchés Tropicaux n° 665, 9 août 1958.
119. Discours d'ouverture de la session extraordinaire de l'Assemblée territoriale de Guinée, Conakry, 28 juillet 1958.
120. Cité par Léo Hamon, Le PAF et le RDA: de la querelle fédérale à l'indépendance, Revue Politique et Juridique d'Outre-mer, 1959.
121. Sékou Touré dans Le Réveil du 25 juillet 1958.
122. Pour établir le projet constitutionnel, le gouvernement devait recueillir l'avis d'un comité consultatif de 39 membres présidé par Paul Reynaud et dont 2/3 des membres étaient choisis parmi les parlententaires (16 députés, dont Lisette, Senghor, Tsiranana ; et 10 conseillers de la République, dont Lamine Gueye), les treize derniers désignés par le gouvernement (parmi eux, Roland Pré). En outre, six commissaires du gouvernement assistaient aux séances, qui n'étaient pas publiques : MM. Janot, Luchaire, Guldner, Plantey, Chandernagor et Foyer.
123. “Félix Houphouët-Boigny comprenait mal la préoccupation obsédante chez M. Cornut-Gentille de le ‘récupérer’ à tout prix comme si l'avenir des relations franco-africaines reposait sur le député de la Guinée” (Paul-Henri Siriex, Félix Houphouet-Boigny, l'homme de paix, Paris-Dakar-Abidjan, Seghe 1975)
124. Houphouet explique qu'à son avis, Sékou continuait à vouloir “qu'on allât très loin dans les propositions que nous soumettrions et ne parlait déjà que d'indépendance pure et simple. Je m'efforçais sans grand succès de démontrer qu'il fallait avant tout compter avec les réalités de la vie africaine et que la politique du tout ou rien ne nous mènerait nulle part. Statut politique d'indépendance ? Peut-être, mais pas en dehors d'une communauté franco-africaine, ce qui était essentiellement la question (…) L'intransigeance et la manière de Sékou Touré ne nous auraient pas aidés à faire avancer notre point de vue.” (Paul-Henri Siriex, ouvrage cité). L'opposition irréductible d'Houphouet-Boigny à la présence de Sékou Touré au comité constitutionnel consultatif a été confirmée à l'auteur par Jean Foyer, qui fut conseiller du leader ivoirien à cette époque, puis commissaire du gouvemetnent de ce même comité, avant de devenir secrétaire d'État aux relations avec les pays de la Communauté, puis premier ministre de la coopération (entretien avec l'auteur, 11 novembre 2004).
125. Malheureusement pour Sékou Touré (et pour la future Guinée indépendante), Roland Pré occupe simultanément autour des années 60 plusieurs positions officielles d'où il pourra influencer négativement l'attitude des responsables politiques, économiques et financiers français, européens et même internationaux : président du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), président du Centre de documentation et de diffusion des industries minérales et énergétiques d'Outre-mer (CEDDIMOM), membre du Comité technique de l'Organisation commune des régions sahariennes (OCRS), membre du Conseil économique et social… Roland Pré avait certainement pris goût à la Guinée et croyait en son potentiel, mais il n'avait aucun atome crochu avec Sékou Touré. Recevant deux jours avant le référendum deux ministres guinéens envoyés à Paris par Sékou Touré — qui voulait sans doute encore éviter le pire en expliquant sa position —, Roland Pré en fait un compte-rendu très négatif et préconise la rigueur absolue à l'égard de la Guinée (le texte de cette note, tirée du Fonds privé Foccart, figure en annexe.
126. Sékou Touré redoutait également que certains responsables du PDG ne l'accusent d'être plus modéré et davantage conciliateur à Paris qu'à Conakry. Par ailleurs, Ibrahima Diané conteste le rôle joué par Sékou dans la démarche auprès du général de Gaulle, rôle pourtant affirmé tant par Georges Chaffard que par Sylvain Soriba Camara dans leurs ouvrages précités. Sékou Touré lui-même l'a narrée à plusieurs reprises, notamment aux journalistes, le 20 septembre 1982, lors de sa visite en France : “Les partis politiques africains étaient pour la création avec la France d'une réelle communauté fraternelle et solidaire, conscients qu'ils étaient de bénéficier de l'apport français dans l'accélération de leur évolution. Nous ne mettions donc pas en cause l'idée de la Communauté (…) Mais il était question de faire éclater les fédérations et nous n'étions pas d'accord. Celui qui vous parle a eu l'honneur d'être choisi comme rapporteur de la session commune des groupes parlementaires africains et d'être reçu par le général de Gaulle, devant qui il s'est acquitté de son devoir en indiquant les insuffisances du projet constitutionnel. Toutes les démarches ont été entreprises pour éviter l'éclatement de l'ensemble que nous constituions avec la France ; nos peuples ne demandaient pas à l'époque l'indépendance mais exigeaient seulement l'inscription dans le projet du droit à l'indépendance, pour que chaque pays qui voudrait en jouir un jour puisse légalement en jouir sans rompre ses liens avec la France et la Communauté. Comme vous le savez, il n'a pas été tenu compte à ce moment-là de nos aspirations. Et la Guinée a été amenée à dire qu'elle rejetterait ce projet parce qu'il ne sera pas dit dans l'histoire universelle qu'un jour, une métropole coloniale avait avec bienveillance et avec hauteur de vue invité les peuples coloniaux sous sa domination à choisir entre leur intégration à elle et leur accession préalable à l'indépendance, et que ceux-ci avaient unanimement refusé la voie de l'indépendance.”
127. Joseph-Roger de Benoist, L'Afrique occidentale française de 1944 à 1960, Dakar, Nouvelles Éditions Africaines, 1983. Sékou affirmera pourtant à divers interlocuteurs qu'il “était sorti rassuré” de cette entrevue, mais que “les manoeuvres ultérieures du président du RDA avaient complètement faussé les données du problème, et il n'était pas étonnant que le général de Gaulle, mal averti de la situation, ait été surpris en arrivant à Conakry” (au cours d'une conversation à Accra avec l'ambassadeur de France au Ghana Louis de Guiringaud, 24 novembre 1958; Télégramme 615-616 de la même date. Dossier MAE GU-5-I).
128. Il sera ultérieurement l'un des principaux collaborateurs de Jacques Foccart en tant que secrétaire général adjoint, puis de 1967 à 1972 ambassadeur à Madagascar. Depuis lors, il a été membre de la Cour internationale d'arbitrage, qu'il a présidée pendant plusieurs années (entretien d'Alain Plantey avec l'auteur, Paris, 18 mars 2002)
129. Il ne reviendra en France que 24 années plus tard, en septembre 1982, pour une visite officielle de travail, puis de nouveau en octobre 1983 pour la conférence franco-africaine de Vittel.
130. Lettre de Guy Georgy à l'auteur (12 août 1984). Ces “clochers” ne sont pas symboliques : Houphouet avait fait connaître, depuis longtemps déjà, son opposition formelle à toute structure qui consacrerait une certaine prééminence à Dakar aux dépens des capitales des autres colonies. Il fit prévaloir (il n'était pas le seul, mais le plus influent) son point de vue dès la Loi-cadre, puis pour la constitution de 1958. Il prit très mal le projet de fédération du Mali, qui amorçait un regroupement incluant la capitale du Sénégal, et lança l'idée du Conseil de l'Entente — autour de la Côte-d'Ivoire — précisément pour contrebalancer cette tendance. Voir aussi le témoignage de Georgy en Annexe 6 au chapitre 29 .
131. Le compte-rendu analytique de la séance du 8 aotkt du comité consultatif constitutionnel donne une version des déclarations du général de Gaulle légèrement différente. On la trouvera ci-dessous (en italique figurent les mots ou les membres de phrase qui diffèrent entre le compte-rendu original ronéotypé et le compte-rendu publié) : M. le président du Conseil (le général de Gaulle): “Nous sommes en bain de faire une oeuvre immense. Nous bâtissons un ensemble nouveau sur la base de l'acceptation spontanée par les uns et par les autres. Nous aurons ainsi des institutions modernes à tous les points de vue, mais librement consenties. C'est la une première idée qui doit nous réunir. Bien entendu, il peut se trouver que certains aient d'autres idées et préfèrent — je n'hésite pas à dire le mot — la sécession. Le référendum a précisément pour objet de vérifier si partout, en particulier en Afrique, l'idée de sécession l'emporte, ou non. Dans le cas où serait refusée l'association proposée, il est évident que cela signifiera l'indépendance, mais l'indépendance avec tout ce qu'elle comporte de charges, de responsabilités et de dangers. Il serait inimaginable — en tous cas je ne l'imagine pas — que certains voulussent marcher de leur côté pendant que les auttes leur fourniraient ce qui leur manquerait Jamais personnellement je ne prendrais la responsabilité d'imposer des charges à la Fédération pour le profit d'un territoire qui aurait choisi la sécession. Reste à organiser cet ensemble. Bien sûr, on a discuté et on discutera encore demain sur les mots. Une chose est cettaine pour l'instant : les territoires d'outre-mer ne sont pas actuellement des États. Ils n'ont pas encore à répondre d'eux mêmes ni pour leur défense ni pour leur politique étrangère ni pour leur vie économique. Je ne dis pas que cela n'arrivera pas dans la suite des temps. Mais nous travaillons à partir d'une situation donnée et c'est en tenant compte des choses telles qu'elles sont que nous voulons bâtir un ensemble d'ordre fédéral.”
132. Ainsi qu'il l'écrira en 1970 dans Révolution Africaine, “Seule une minorité d'éléments conscients (…) savait qu'il ne serait jamais possible à nos peuples de réaliser leur profonde aspiration à une vie de dignité tant qu'ils n'auraient pas reconquis (…) l'indépendance nationale.”
133. Le général de Gaulle devait faire allusion à cette possibilité dans certains de ses discours lors de son périple à travers l'Afrique, mais le projet de constitution définitif ne la reprendra pas formellement Il faudra attendre la révision constitutionnelle du 4 juin 1960 pour que cette éventualité soit intégrée à la Constitution. Notons cependant que le général de Gaulle connaissait — et acceptait — l'idée d'une indépendance plus rapide pour le Togo et le Cameroun, deux territoires pour lesquels un processus de sortie de tutelle était en cours devant les instances des Nations unies (Conseil de tutelle). Les élections tenues au Togo le 27 avril 1958, un vote de l'Assemblée du Cameroun le 12 juin 1958, s'étaient prononcés en faveur de l'indépendance.
134. Charles Diané, La FEANF et les grandes heures du mouvement syndical étudiant noir, (Paris, Chaka, 1990, pages 127-128). La chronologie donnée par Diané semble erronée ; il place en effet le première délégation en septembre, et la seconde en août.
135. Mais affirmer que Sékou Touré louvoie ou qu'il adopte des positions retardatrices est pour le moins excessif, et s'explique d'une part par le radicalisme absolu des cadres de la FEANF et d'autre part par l'hostilité résolue à Sékou Touré de l'auteur de l'ouvrage déjà cité sur la FEANF, le Professeur et chirurgien Charles Diané. Celui-ci est devenu un opposant résolu au régime guinéen, alors que pendant des années à Dakar puis à Paris, il a milité pour le PDG et diffusé son journal Horoya. Il est également l'auteur de Guinée enchainée (1972) [Erratum. Charles Diané n'est pas l'auteur de Guinée enchaînée…, qui est plutôt l'oeuvre de Claude Abou Diakité. — T.S. Bah] et de Lettre ouverte à François Mitterrand (1982) [Erratum. Le titre exact de ce document est Sékou Touré, l'homme et son régime : lettre ouverte au président Mitterand. — T.S. Bah] , tous deux édités par l'auteur. Il a été condamné à mort par contumace en 1971, et a été réfugié politique au Gabon (il dirigeait un service de chirurgie à Libreville) de 1972 jusqu'à la mort de Sékou Touré en 1984.
136. Solution dont on dira plus tard qu'“elle serait au mieux de l'Houphouet-Boigny, au pire du Sékou Touré”. Notons au passage cette confidence ambigüe — de de Gaulle à Gabriel d'Arboussier, alors président du Grand Conseil d'AOF : “C'est pour l'Algérie que je fais la Communauté”. (Cité par Paul-Marie de La Gorce, De Gaulle, Paris, Perrin, 1999). Pour l'Algérie, ou à cause de l'Algérie? La référendum du 28 septembre 1958 donna en Algérie 96 % de “Oui”.