Etudes guinéennes . 1952, nos. 10-11. pages 4-110
Cette étude sur Conakry a été présentée en juin 1952 comme Mémoire principal de diplôme d'Eludes supérieures de Géographie devant M. Robequain, Professeur à la Sorbonne.
Le travail sur le terrain a été effectué de décembre 1951 au mois de mai 1952 au Centre I. F.A.N. de Conakry, grâce à une bourse de voyage d'élude accordée par le Ministère de la France d'Outre-Mer.
Qu'il me soit permis de remercier ici l'Institut français d'Afrique noire, qui m'a hébergé à Conakry, ainsi que les familles Monod, Hiernaux, Bonnal, Catala et Bourdillon dont l'accueil a transformé mon séjour en A.O.F.
Je remercie également tous ceux qui, par leur expérience africaine et les renseignements qu'ils ont bien voulu me fournir, ont facilité mon travail : MM. Blondel, Bonnal, Bourdillon, Borel, Brocheriou, Chambon, le chef du quartier de Boulbinet, Deen, Delage, Eichenberger, Hiernaux, Icardo, Le Caisne, Rigaud, Roure, Suzor et Vayssière, les fonctionnaires et les employés des services de la mairie de Conakry, des Affaires Economiques, de l'inspection d'Académie et de l'Inspection du Travail, de la Mécanographie et des Services des Travaux Publics, enfin tous les Africains et Européens qui se sont prêtés de bonne grâce aux enquêtes que je menais.
O. D.
Située par 9° 32 de latitude Nord et 13° 44 de longitude ouest, Conakry se trouve à l'extrémité d'une des rares presqu'îles du littoral guinéen. La presqu'île du Kaloum s'étend sur 35 km. du N-E au S-W avec de 4 à 6 km. de largeur. Elle est formée d'une série de collines d'une centaine de mètres d'altitude, partant du pied du Kakoulima, sommet qui domine la Basse-Côte de plus de 1000 mètres, jusqu'au signal du Kaloum, qui les termine à 8 km. de l'extrémité de la presqu'île. C'est un dos de pays très allongé et surbaissé, flanqué de chaque côté de surfaces subhorizontales bordées sur les deux tiers de la longueur de la presqu'île par de vastes étendues de poto-poto.
Ce môle se prolonge par une île de 3 km. 5 de long sur 1 km. du nord au sud, l'île de Tumbo reliée au continent par une digue de plus de 300 mètres de long. C'est sur l'île de Tumbo qu'est bâtie Conakry. En face de Conakry, l'anneau brisé des îles de Loos protège Tumbo des vents d'ouest et de la houle. Individualisée topographiquement par rapport au reste du littoral guinéen, la presqu'île l'est géologiquement : le Kaloum est recouvert sur presque toute sa surface d'une cuirasse de latérite très ferrugineuse formée aux dépens de la dunite, roche éruptive basique qui constitue le soubassement de la presqu'île. Quant aux îles de Loos, elles sont formées de syénites néphéliniques se décomposant dans les parties les plus basses pour donner une latérite souvent bauxitique.
Climatiquement, Conakry est située dans la zone la plus arrosée de l'A.O.F. Pendant la saison des pluies, du juin à octobre, il tombe plus de 4 mètres d'eau ; en contrepartie, une saison bien marquée s'étend de décembre à avril : une trentaine de mm. d'eau en cinq mois avec des pluies inexistantes en décembre, janvier, février et mars. Au renversement des saisons, surtout en mai et au début de juin, la pluie tombe sous forme de violentes tornades. C'est la période la plus pénible à supporter : l'atmosphère est chaude, humide et orageuse. Le déséquilibre dans la répartition des pluies est compensée par une remarquable régularité thermique. Les différences de température sont également réduites entre le jour et la nuit et d'une saison à l'autre. La moyenne annuelle est de 27° avec des variations moyennes mensuelles allant de 28° 10 en mai à 25° 28 en août au moment de l'hivernage. La différence entre les maxima et les minima est de quelques degrés. La régularité des températures se comprend en regardant le tableau montrant. l'hygrométrie : le voisinage d'une mer chaude et peu profonde et la situation de la presqu'île à 9° de latitude Nord entretient une humidité relative moyenne tournant autour de 80°. Les vents sont aussi réguliers que le balancement des saisons dont ils sont l'un des facteurs ; soufflant en saison sèche du N-W, ils viennent du S-W pendant l'hivernage. Ce n'est qu'au renversement des saisons, au moment des tornades qu'ils soufflent par à-coup de la terre de l'Est.
Tel est le cadre naturel, brièvement décrit, de Conakry. L'existence d'un courant « alternatif » entretient à l'extrémité N-W de l'île de Tumbo des fonds suffisants pour permettre l'établissement d'un port, qui est facilité d'autre part par l'absence de barre et la protection naturelle des îles de Loos.
Ce sont ces données naturelles :
qui présidèrent à la naissance de Conakry. En mai, 1889, la corvette « l'Ardent », recevait un télégramme ordonnant l'annexion de la presqu'île au nom de la France et deux ans plus tard le décret créant la colonie des « Rivières du sud », et choisissant Conakry comme lieu de résidence du Lieutenant-Gouverneur était signé.
Soixante-deux ans après sa naissance, qu'est devenue Conakry ? Conakry, ville de plus de 40.000 habitants dont près de 3.000 Européens, éclate dans le cadre étroit de l'île de Tumbo et déborde sur la presqu'île. C'est une ville en plein essor, essor récent qui remonte à un peu plus de cinq ans. Conakry, en effet, après un rapide développement jusqu'en 1910, continuant le mouvement que lui avaient imprimé le Gouverneur Ballay et son successeur, Cousturier, resta statique jusqu'après la guerre de 1945 ; elle vécut dans un demi-sommeil qui n'excluait pas une certaine activité commerciale, demi-sommeil dont elle a été tirée après 1945 et surtout depuis 1947.
En 1952, le voyageur débarquant à Conakry pénètre dans un immense chantier : le port s'agrandit et s'apprête à exporter le minerai de fer du Kaloum ; en ville, des immeubles à multiples étages se construisent et les grandes artères sont défoncées pour permettre la pose de nouvelles canalisations. Mais c'est dans la banlieue, création toute récente, que le paysage change le plus rapidement.
De nouvelles villas naissent chaque jour dans la zone résidentielle située sur la côte nord, des bâtiments neufs s'élèvent, des entrepôts et des usines se montent et de nouvelles voies de communication s'ouvrent : la voie ferrée de la Compagnie Minière de Conakry et les routes découpent l'extrémité de la presqu'île. En face de Tumbo, dans l'île de Kassa, la Compagnie des Bauxites du Midi achève la construction de ses installations et se prépare à extraire le minerai.
Ce pays est en pleine transformation et la rapidité de ces transformations rendra cette petite étude dépassée aussitôt qu'écrite.
Grosso modo, la ville de Conakry pourrait s'inclure dans deux rectangles : un grand, le plus à l'Ouest, de 1 km. 7 de l'Est à l'Ouest et de 1 km. 4 du Nord au Sud, dans lequel vient s'emboîter un autre rectangle de 1 km. d'Ouest en Est et de 900 m. du Nord au Sud. dans le quart N-E du précédent. En rognant un peu l'angle S-E du grand rectangle et les angles S-E et S-W du plus petit, on obtient le cadre topographique de la commune mixte.
Une corniche de 8 km. 5, ombragée de cocotiers, de manguiers et d'eucalyptus, de fromagers et de flamboyants, longe le rivage formé de blocs de latérite rougeâtre découvrant par endroit à marée basse des étendues vaseuses de poto-poto. A l'intérieur de cette ceinture, la ville est découpée géométriquement par des avenues orientées E-O et des boulevards de direction N-S , larges avenues et boulevards sont numérotés. Seule l'Avenue du Niger fait exception à l'orientation E-O ; de direction N-O, S-E, elle joint le « Pont » de Tumbo à la 6e avenue, l'une des plus importantes de Conakry. La plupart des boulevards et avenues sont plantés d'arbres. Conakry est une ville boisée qui a l'aspect d'un « bocage urbain ». De grands manguiers ombragent le quartier administratif, la 6e avenue et l'avenue du Niger, les essences variées de la Corniche et les cocotiers de la Mission des Pères du Saint-Esprit masquent en partie la ville au voyageur arrivant par mer. Les manguiers, les arbres à pain et les cocotiers parsèment les quartiers de Boulbinet et celui de Coronthie.
La ville de Conakry est divisée en quartiers bien délimités :
Mais la place réservée aux habitations est réduite dans l'île de Tumbo : les emprises du port et des chemins de fer, celles des grandes compagnies et des services publics occupent
plus de la moitié de la superficie de l'île.
Au N.-O. de la ville, se trouve le port, dont l'emplacement a été déterminé par l'existence d'un courant alternatif et par sa situation relativement protégée de la houle du sud et de l'Ouest par l'île de Tumbo et l'archipel de Loos. Autour du port se rassemblent les entrepôts de quelques unes des grandes compagnies de commerce, la capitainerie du port et le service des Travaux publics.
Le quartier administratif s'étend au sud du port, entre la corniche ouest et le 3e boulevard. C'est un quartier calme aux larges avenues ombragées, aux habitations et services séparés les uns des autres par des jardins. Au centre de ce quartier, un des mieux ventilés de Conakry, se trouve la place Ballay. Le 3e boulevard qui le limite est une des artères les plus commerçantes de la ville : boulevards « réservés » au grand commerce, à celui des compagnies, aux Compagnies d'Assurances, aux Compagnies maritimes et à la Banque d'Afrique Occidentale. La 6e avenue, qui part du Gouvernement et coupe l'île d'Est en Ouest sépare les quartiers du Centre au nord de celui de Boulbinet au sud. Elle est aussi jusqu'à sa rencontre avec l'avenue du Niger, l'allée du grand commerce, celle où se trouvent, avec les magasins des grandes compagnies, les plus importantes maisons grecques et libanaises. Au sud de la 6e avenue, compris entre le 3e et le 4e boulevard, s'étend le quartier du Boulbinet. Dans un espace restreint s'entassent officiellement 6.000 à 7.000 personnes, en fait 8.000 à 10.000, avec des densités atteignant 600 à 700 habitants à l'hectare. Des maisons en banco, sans étage, avec des toits en tôle rouillée, des concessions fermées par des ferrailles sordides, donnent à ce quartier une allure de bidonville qui s'explique par l'absence de voirie sérieusement organisée et la vétusté des habitations. Près de la mer, en bordure de l'anse de Dragonnier, le port de pêche et de cabotage de Boulbinet jette une note originale dans le paysage. Au sud de l'île sur une étroite presqu'île, avec la plus belle vue de Conakry, s'élève l'Institut Français d'Afrique Noire, que l'on atteint après avoir passé entre les deux cimetières, les abattoirs délabrés et le dépôt des voitures défuntes.
Le quartier de l'hôpital, à l'est de Boulbinet, lui est semblable. Au nord de la 6e avenue et jusqu'à l'emprise du Chemin de Fer Conakry-Niger (C.F.C.N.), s'étend le quartier du Centre. C'est un quartier commercial et d'habitations. Des maisons à plusieurs étages voisinent avec des masures africaines, des magasins, entrepôts de quelques entreprises, la Poste et le Château d'eau en font un quartier actif où les logements des fonctionnaires et employés africains voisinent avec des taudis. La place du marché est, comme partout ailleurs, l'endroit le plus grouillant et le plus coloré de la ville.
Autour du « Marché » en construction, des centaines de petits commerçants africains vendent leurs produits, assis les uns sur des nattes, les autres derrière de petites table, protégées du soleil et de la pluie par des bâches. Tout autour de la place des commerçants libanais et Syriens ont installé des boutiques. Le quartier au sud de l'avenue du Niger, bien que certains lots soient habités, par des indigènes, comprend surtout la vaste concession de la Mission et le terrain occupés par l'armée, la radio et la météorologie.
Le quartier de Coronthie, débordant par endroits au sud de l'avenue du Niger, s'étend surtout au nord de cette avenue. Traversé par la voie ferrée, c'est le quartier le plus important de Conakry par sa superficie et le nombre de ses habitants, qui officiellement dépasse 10.000, et doit, avec la population flottante, atteindre 14.000 à 15.000 individus. C'est aussi le quartier le plus misérable de Conakry : des allées défoncées, l'absence d'écoulement naturel pour les eaux de pluie qui les transforme en marécage lors de l'hivernage, des maisons en banco souvent croulantes, plus de cases qu'à Boulbinet, un habitat relativement désordonné en font, malgré la végétation qui masque certaines tares, le quartier le plus lépreux de Conakry avec certains lots de Boulbinet.
Au nord du quartier du centre s'étend la grande emprise du Chemin de Fer de Conakry-Niger (CFCN). Sur la corniche nord se sont établis les entrepôts et les logements du C.F.C.N., l'usine électrique, les Travaux publics et les magasins d'entrepôts des anciens Etablissements Jules Burki. Un petit port de cabotage qui se maintient dans une anse disparaîtra lorsque la voie ferrée de la Compagnie Minière atteindra le port. Disparaîtra aussi l'actuel terrain de football qui sera remplacé par un parc d'hydrocarbures. Conakry, « commune mixte » réduite à l'île de Tumbo, éclate dans ses limites de 1952. La ville, dont le docteur Ballay voulait faire un camp militaire et un centre administratif et commerçant, réservant la plus grande place à l'administration et aux concessions des Compagnies, s'est gonflée d'une population qu'elle n'était pas préparée à recevoir. Stagnant entre 6.000 et 10.000 habitants de 1910 à 1931, en 1936 elle atteint 14.000 habitants, dont 1.200 européens. Elle passe en 1945 à 26.000 habitants, dont 2.000 blancs. En 1951, elle compte officiellement 34.000 individus et 2.800 européens et assimilés ; en fait, elle doit dépasser ce chiffre en certaines périodes de l'année.
Cet afflux de population pose une série de problèmes :
Parmi les problèmes d'urbanisme, en dehors de celui des logements, le problème de l'eau est l'un des plus gênants du Conakry des années 50. Dans le pays le plus arrosé de l'Afrique Occidentale, mais qui connaît une longue saison sèche de la fin de novembre à mai, l'eau manque à Conakry du milieu de mars à juin. La ville reçoit actuellement son eau de trois ruisseaux captés en 1903-1911, et 1932, dont deux proviennent du massif éruptif du Kakoulima (Lanékouré et Sanékouré) et le 3e des grès de Kitéma. La consommation est calculée sur la base de 300 litres par jour et par habitant branché et de 40 litres par jour et par habitant non branché. Ce qui correspond a un peu plus de 3.200 m3 par jour, soit le débit de la principale conduite d'amener. Avec l'augmentation de la population et du nombre des branchements, avec l'accroissement des besoins du port et de l'industrie, ce chiffre devient rapidement insuffisant. Or, ce minimum de 3.200 m3 par jour n'est atteint que quelques mois seulement pendant l'année. Il tombe en avril et mai à près de 800 m3 par jour et il y a des heures dans la journée où le château d'eau est à sec. Les heures d'ouverture sont réduites à 3 ou 4 par jour et les habitants qui logent dans des maisons à étages n'ont jamais d'eau.
Les 819 branchements, à peu près exclusivement européens et libanais, ne sont pas servis. Quant aux indigènes non branchés, si le spectacle de la recherche de l'eau aux bornes-fontaines est caractéristique de Conakry, l'attente prolongée des bassines vides devant les fontaines sèches est le symbole muet d'une ville qui a soif.
Le problème de l'eau à Conakry, après des recherches longues et coûteuses, semble avoir été résolu : des forages exécutés au Kakimbon, à 13 km. de Conakry, ont permis d'obtenir des débits de 200 m3 par heure par forage.
Parallèlement à ces recherches, des travaux d'adduction d'eau et des branchements se font à Conakry.
Conakry est éclairée actuellement par le courant fourni par la centrale thermique fonctionnant au mazout. La centrale vient de voir sa capacité de production s'augmenter par l'installation de groupes de 400 kwh. Une seconde tranche de travaux est en cours, comprenant l'installation de 4 groupes de 900 kwh. Le financement se fait pour les 3/4 par la Compagnie Minière, qui en sera le principal consommateur. Pour suppléer à la centrale thermique, on construit actuellement à « Grande Chutes » à 90 km. de Conakry, une centrale hydraulique.
Mais le problème le plus important de Conakry est celui du logement. Ville dont les cadres sont en apparence bien tracés. Conakry a poussé d'une façon désordonnée et sans plan. Conakry, ne pouvant plus recevoir de nouveaux habitants, s'est étendue dans la presqu'île du Kaloum. Ainsi se crée une banlieue qui tend à prendre de plus en plus d'importance dans la vie de l'ensemble urbain et qui permettra à Conakry de jouer un rôle plus actif en lui assurant son équilibre.
La banlieue se développe dans la presqu'île du Kaloum le long des grands axes de communication : route Nord, voie ferrée du Conakry-Niger et route intercoloniale (R.I.C.) no. 4 au sud. Cette banlieue a encore par endroits un aspect presque rural avec quelques plantations de bananiers, des boeufs paissant dans la plaine de Dixin, les palmiers à huile le long de la côte et les petits champs de manioc autour des cases de Madina, Coléa et de Dixin. Cet aspect rural tend à disparaître au profit des nouvelles maisons d'habitation européennes de la côte nord, des lotissements africains de Coléa, des usines de la zone industrielle. Banlieue en formation, elle n'a pas encore de personnalité juridique. Cependant, un adjoint au commandant du cercle vient d'être chargé des affaires de la banlieue et d'ici quelque temps, la banlieue aura un statut analogue à celui d'une subdivision. Un statut de la banlieue est nécessaire pour ordonner les questions de police, de voirie, d'adduction d'eau et de branchements électriques. La banlieue aura bientôt un service de voierie, des conduites sont posées pour amener l'eau dans les nouvelles constructions et remplacer les puits existants, souvent malpropres et défaillants ; des branchements d'électricité dans la zone industrielle et les secteurs résidentiels sont en cours d'installation.
Croquis de la Presqu'île du Kaloum et des Iles de Loos
1. Zone urbaine de Conakry | 2. Zone résidentielle européenne de banlieue | 3. Zone d'habitat africain de banlieue | 4. Village africain | 5. Zone industrielle |
6. Route bitumée | 7. Piste carossable | 8. Voie ferrée | 9. Brousse | 10. Marais (poto-poto) |
11. Aérodrome | 12. Bauxites du Midi | 13. Compagnie Minière | 14. CFCN | 15. Pénitencier |
16. Zone industrielle |
La population de la banlieue s'accroît ; elle atteint peut-être actuellement 15.000 habitants. Les Européens habitent surtout dans le secteur résidentiel de la cote nord, à Camayenne, à Donka, Landrea et plus loin dans la cité de la compagnie minière dans le bois de palmier à huile en bordure de la plage de Rogbané.
Entre le secteur résidentiel et la cité de la Compagnie Minière, les villages africains de Dixin-Soussou et de Dixin-Foula reçoivent chaque jour de nouveaux habitants. Dixin-Foula, de modeste village qu'il était avant-guerre, où était resté dans un état analogue à celui du moment de sa création lors de la construction de la voie ferrée entre 1900 et 1904, compte maintenant près de 8.000 habitants.
Entre la route nord et la voie ferrée, le Jardin d'Essai de Camayenne, déjà cinquantenaire, et les grands Collèges techniques et modernes, qui, avec la pharmacie d'approvisionnement, sont les premiers bâtiments publics, occupent la plaine de Dixin. Au sud de la R.I.C. 4, les villages de Coléa-Madina et Matam passent d'un état presque rural à un état semi-urbain. Au-delà de Matam, entre la route et la voie ferrée, des entrepôts et des usines sont en construction dans la zone dite industrielle, tandis que sur les pentes du signal du Kaloum la Compagnie Minière de Conakry termine son installation et se prépare à sortir le minerai de fer.
Banlieue en formation, c'est une banlieue type : elle sert d'un coté de résidence et de l'autre elle permet l'implantation d'industries et d'entrepôts, mais elle n'a pas de fonction commerciale ; il n'y a pratiquement pas de magasins et en dehors d'un petit marché indigène à Madina, c'est à Conakry (presqu'île de Tumbo) qu'il faut s'approvisionner.
C'est en banlieue que l'on observe les transformations les plus rapides et que l'on comprend le mieux l'essor de Conakry, de cette ville qui doit être comprise non en fonction de son passé, mais en fonction de l'avenir. On peut espérer que la banlieue permettra le dégagement de Conakry et favorisera sans contrainte l'essor de la capitale guinéenne. Toutes ces transformations et ces agrandissements se font ou devraient se faire dans le cadre d'urbanisme. Nous résumerons les grandes lignes de ce plan en fin d'étude, lorsque nous aurons envisagé les divers aspects de Conakry et de sa banlieue.
Il est difficile d'évaluer avec précision le chiffre de la population de Conakry en 1951-51. En 1950, un recensement fait ressortir 34.618 habitants pour la ville de Conakry et estime à une dizaine de milliers d'habitants la population de sa banlieue. Mais un dénombrement quartier par quartier et village par village n'atteint que le chiffre de 35.000 habitants en tout. On ne peut pas estimer avec exactitude la population de Conakry en raison du nombre élevé de « flottants ». Il serait assez juste de chiffrer la population de Conakry-ville à un peu plus de 30.000 habitants et celle de la banlieue à une quinzaine de mille.
La population de Conakry a triplé depuis la guerre :
1910-1930 | 8.000 à 12.000 habitants |
1939 | 15.000 |
1946 | 22.000 |
1948 | 30.000 |
Quels sont les caractères de la population africaine de Conakry ?
Ethniquement, c'est une population mélangée, synthèse des races guinéennes avec une prédominance Soussou. Les Soussous refoulant ou assimilant les Bagas originaires du Kaloum, constituent le fond de la population de la région de Conakry. Le mélange de ces populations ne se fait pas seulement à l'intérieur de la commune mixte mais encore quartier par quartier et maison par maison. Il n'y a qu'en banlieue où les Foula se sont plutôt fixés dans le village de Dixin-Foula, tandis que les Soussous s'installaient de préférence à Dixin-Soussou, Madina et Coléa. Mais là encore aucune frontière n'est bien nette car des Foula habitent Dixin-Soussou et inversement des Soussous habitent Dixin-Foula.
Démographiquement, c'est une population où il y a, à l'inverse de la brousse, plus d'hommes que de femmes (entre 52 et 54% contre 48 à 46%), et où dominent les éléments de 15 à 35 ans : théoriquement active, c'est une population où le taux de la natalité (près de 40 %) est près du double de celui de la mortalité, (environ 20-22 %).
Physiologiquement, c'est une population à peu près bien nourrie, dont le riz constitue la base de l'alimentation. Les épidémies, malgré d'effroyables conditions d'hygiène, sont pratiquement inconnues ; mais les maladies sociales, syphilis, alcoolisme, tuberculose et le paludisme, entre autres maladies, tropicales, font des ravages.
Socialement, c'est une population instable ; les vrais urbains sont rares et beaucoup parmi les Foula ne sont que des Conakriens « à court ou moyen terme » ; ils séjournent en ville soit quelque temps pendant la morte saison des travaux des champs, soit quelques années. La population flottante pèse dans une certaine mesure sur ceux qui sont installés à Conakry, et vivant surtout en parasites de ceux qui sont stables.
C'est une population extra-coutumière et une population encore mai adaptée dans son ensemble. En dehors de la catégorie de ceux que l'on appelle du terme désagréable « les évolués » et les demis et souvent faux évolués (commis, employés et boys), il y a une masse de détribalisés (le terme usuel est aussi déplaisant). Les contrainte sociales et les coutumes indispensables à la vie du village de brousse ont disparu et ce qui en reste n'est plus adapté à la vie urbaine. Par exemple la traditionnelle hospitalité pour celui de sa race est un fardeau lourd à supporter pour ceux qui sont installés de façon durable à Conakry et c'est un fardeau « à sens unique ». Rien n'a remplacé l'armature sociale pré-existante. Le passage d'une société traditionnelle et bien organisée aux formes les plus spécialisées de la vie moderne, dans une agglomération qui est à la fois un port, une place de commerce et devient un centre industriel, s'est fait rapidement et sans transition. A l'emprise du village et aux contraintes qu'il imposait, succède une liberté qui n'est souvent que licence. Le rythme de la vie et la condition humaine s'en trouvent transformés. A une vie réglée sur le rythme des saisons et des cultures, succède une vie où les facteurs climatiques sont inexistants dans les occupations. L'homme doit nécessairement travailler pour vivre et doit travailler tous les jours. A une vie où les rapports humains étaient souvent conditionnés par le milieu naturel, succède une vie où ce milieu n'agit plus directement.
Un recensement effectué dans le cercle de Conakry, c'est-à-dire l'ensemble de la presqu'île du Kaloum et des îles de Loos dénombre sur 46.000 habitants :
Soussous | Bagas | Foula | Malinkés | Dialonkés | Kissiens | Tomas | Toucouleurs | Ouolofs | Sierra-Léonais | Divers |
20.000 | 8.500 | 8.500 | 5.000 | 1.000 | 1.000 | 700 | 600 | 600 | 800 | 2.500 |
Nous avons vu que les Bagas du Kaloum, quoiqu'ethniquement différents des Soussous, se transforment à leur contact. Ils perdent l'usage de la langue baga et adoptent un islamisme mélangé de traditions animistes. Grosso modo, dans l'agglomération urbaine et la banlieue, plus de 50 de la population est Soussou et Baga ; il y a 15 % à 20 % de Foula, mais la proportion de ces derniers est variable suivant le nombre des flottants ; 8 à 10 % de Malinkés ; 3 à 4 % de « Forestiers » et le reste de divers : pêcheurs Bozos, Ouolofs et Sierra-Léonais.
Ces ethnies, à Conakry, sont géographiquement très mélangées. Une enquête qui n'était pas encore dépouillée à la fin d'avril 1952, fera ressortir la répartition des races par quartier. Même en tenant compte des erreurs qui l'entacheront, elle sera une bonne base d'études. Des sondages effectués dans les lots du quartier de Boulbinet, du centre et de l'hôpital montrent que la répartition est à peu près la même par quartier. Un lot de Boulbinet compte 666 individus dont :
Soussous | Bagas | Malinkés | Nalous | Foula | Sarakollés | Ouolofs | Dahoméens | Kissiens | Divers | Métis |
380 | 22 | 29 | 25 | 39 | 35 | 40 | 8 | 20 | 40 | 14 |
Cette population se mélange parfois jusqu'à l'intérieur des habitations. Dans une maison en banco de 12 habitants on relève :
Soussous & Bagas | Toucouleurs | Foula | Kissiens | |
8 | 1 | 2 | 1 |
En banlieue le mélange est moins marqué. Les Foula forment un noyau important à Dixin-Foula.
Quelles sont les explications à donner à ce mélange ? Pour certains, c'est peut-être le désir de s'évader du cadre de sa race, mais ce désir n'atteint probablement qu'une petite minorité de « repoussés ». Il s'agit probablement beaucoup plus de raisons matérielles : n'ayant pas, au départ, de quartier bien délimité pour chaque race (en dehors, nous l'avons vu, de Dixin-Foula en banlieue), les arrivants se logent où ils peuvent, souvent chez un parent ou ami. Ces populations ne « fraient » pas beaucoup ensemble, ce qui infirme l'explication psycho-sociologique des « repoussés ». Les petites minorités ethniques (« Forestiers » par exemple) par un réflexe de défense caractéristique, essaient de se réunir les uns chez les autres. Il faut noter également que l'obstacle des langues empêche souvent les rapports entre les races. Les conséquences de la Tour de Babel sont lourdes à supporter en Afrique.
A Conakry, donc, le mélange des ethnies dans l'habitat n'entraîne pas la fusion des races. Le « Melting-pot » de la ville n'est qu'apparent et se marque seulement par un vernis d'habitudes urbaines. Il est fort possible que s'il se forme dans l'avenir une population réellement et définitivement urbaine, les nuances et les différences ethniques s'effacent.
Une étude démographique de la population africaine de Conakry est impossible à faire avec précision. A Conakry, il existe un état civil africain. Officiellement, les enfants nés à Conakry sont déclarés à la mairie ; en fait, lorsque l'enfant naît à l'hôpital, les parents hésitent parfois à porter le bulletin de naissance qu'on leur a remis aux services de l'Etat-Civil. Beaucoup de femmes, d'autre part, aiment accoucher dans leur famille et retournent dans leur village pour la naissance de l'enfant. Enfin la plupart des Conakriens sont nés hors de Conakry et il est impossible de savoir leur âge exact, qu'eux-mêmes ignorent. Lorsqu'ils ont besoin de préciser cet âge pour une formalité administrative ou pour toute autre raison ils demandent « un jugement supplétif » d'acte de naissance.
Les conditions à réunir pour obtenir le jugement supplétif laissent subsister une large marge d'erreur dans l'estimation de l'âge du requérant. En fait, souvent le « demandeur » fixe son âge en fonction de ce qu'il désire obtenir : carte d'électeur, permis de conduire, etc… Aussi, les statistiques n'établissent-elles que trois groupes d'âge : moins de 1 an, de 1 an à 14 ans, de plus de 14 ans.
En ce qui concerne les décès, là encore les chiffres n'ont pas une très grande signification. L'acte de décès à l'hôpital est notifié à la mairie et il faut que le décès soit déclaré pour que le permis d'inhumer soit délivré. A Conakry, les décès non déclarés sont encore peu nombreux. Par contre, beaucoup de vieux ou de malades se retirent dans leur village, soit pour y finir leurs jours, soit pour essayer de se rétablir. C'est là encore un trait qui caractérise une population qui n'est pas définitivement attachée à la ville.
Il faut remarquer enfin que si l'on possède des chiffres pour la commune-mixte, ceux de la banlieue sont empreints de la plus grande fantaisie et ne valent pas la peine d'être cités.
Quelques chiffres montrent la hausse des naissances déclarées à l'Etat-Civil
Années | 1939 | 1941 | 1942 | 1945 | 1946 | 1947 | 1948 | 1949 | 1950 |
Naissances | 371 | 515 | 505 | 993 | 1.230 | 879 | 992 | 1.911 | 1.396 |
On peut difficilement établir un taux de natalité en raison de l'incertitude des statistiques : le taux doit approcher de 40 %. Ce taux est très élevé, surtout si l'on considère que le nombre des femmes est légèrement inférieur à celui des hommes ; mais il faut note que la majorité des femmes est en âge de reproduction, de 14 à 35 ans. Le docteur Deen a calculé qu'une femme Malinké, Foula ou Soussou met au monde 4 enfants en moyenne, chiffre qui diminue avec la polygamie.
Elle est d'un plus grand intérêt, car elle est liée à l'état de santé de la population. Le nombre des morts inscrits sur les registres de l'Etat-Civil s'élève pour les années :
Années
|
1939 | 1941 | 1942 | 1945 | 1946 | 1947 | 1948 | 1949 | 1950 |
Décès
|
958 | 577 | 579 | 639 | 1.086 | 652 | 710 | 676 | 711 |
Nous avons vu que beaucoup d'Africains habitant à Conakry
retournent dans leur village pour y mourir. Cependant les chiffres montrent une diminution de la mortalité par rapport à l'augmentation de la population ; le chiffre de 1939, ainsi que celui de 1946, paraissent anormalement élevés. Par contre les chiffres se maintiennent et même diminuent de 1947 à 1950 alors que la population passe de 25.000 à 35.000 habitants, soit un accroissement de 40 % sur 1947.
La mortalité aurait baissé de près de 10 % pendant la même période, ce qui compte tenu des progrès de l'hygiène et des soins semble difficile à admettre. On passe d'une mortalité de 30 â en 1947 à 21 â en 1950. Si ces chiffres sont approximativement exacts, c'est un progrès remarquable dont il faut se féliciter. Mais pour tempérer cet optimisme, il faut remarquer que depuis 1947, la population s'est accrue d'éléments flottants et instables, jeunes, et qui ne meurent pas à Conakry.
Plusieurs aspects caractérisent la mortalité à Conakry :
Par ces quelques indications sur la démographie à Conakry, indications qui ne nous ont pas permis de faire des calculs d'espérance de vie et d'établir des taux précis de mortalité, de natalité et de reproduction, on a vu un des aspects de la santé de la population. Il importe de préciser cette question.
A Conakry, on relève une absence remarquable d'épidémies que les conditions défectueuses de l'hygiène sembleraient faciliter. Ce qui tend à prouver que les vaccinations généralisées contre la variole et la fièvre jaune s'avèrent efficaces.
Par contre, il faut noter l'importance du paludisme 1 qui varie selon les quartiers. Les lots les plus atteints sont les plus proches de l'isthme de Tumbo: plus de 50 %, et même 80 % de la population est impaludée ; tandis que l'Ouest et le Sud de la ville sont moins atteints, le taux des impaludés y étant compris entre 10 et 30 % et en banlieue de 25 à 40 %. A Conakry, 25 lots sont impaludés de 0 à 25 %, 31 entre 25 et 50 %, 6 de plus de 50 %. Le paludisme se serait répandu, récemment à Conakry. Avant la création de la digue, le paludisme ne sévissait presque pas à Conakry, mais l'absence de documents ne permet pas de donner à cette assertion plus de valeur qu'il ne faut en donner aux « traditions orales » et aux souvenirs. La création de la digue, donnant naissance à des marécages, et les chantiers de plus en plus nombreux, dont les réservoirs sont des nids d'anophèles, sont en partie responsables de l'extension du paludisme qui se manifeste plus particulièrement pendant l'hivernage.
Des mesures ont été prises pour enrayer les progrès du paludisme : désinfection des maisons par le Service de l'hygiène ; amendes pour ceux qui laissent traîner des récipients susceptibles de servir de gîtes aux anophèles pétrolisation, des flaques d'eau. Enfin des mesures médicales telles que les distributions de quinine et nivaquine contribuent à restreindre l'action néfaste des anophèles.
Les autres maladies tropicales : l'ankylostomiase, la bilieuse, les fièvres de tous types et les ulcères variés existent à des degrés plus ou moins importants à Conakry.
Les maladies sociales : maladies vénériennes, alcoolisme et tuberculose, sont plus lourdes de conséquence. Il est habituel de déclarer que 70 % de la population de Conakry est plus ou moins syphilitique. En fait, si pour beaucoup « la syphilis est un héritage » (Deen) tous n'en sont pas atteints : 15 à 20 % des femmes venant consulter au dispensaire sont syphilitiques ou blénnorragiques. Beaucoup d'Africains ont eu dans leur vie une blennorragie, mais tous n'en ont pas gardé de traces. Actuellement on peut lutter médicalement avec efficacité contre les maladies vénériennes, mais ce sont des traitements coûteux pour le service de santé.
L'alcoolisme se prête moins encore que les maladies vénériennes aux statistiques. L'alcoolisme fait des ravages dans la population africaine de Conakry. Sans parler de l'aspect moral du problème et de l'amoindrissement physique et de la déchéance de l'individu alcoolique, Ies conséquences des « raisins verts » absorbés par les parents rejaillissent sur leurs descendants. Cet alcoolisme est récent et il se répand avec rapidité. Il est parfois provoqué par le vin mais surtout par les alcools de mauvaise qualité quand ce n'est pas l'alcool à brûler. Le rempart religieux de l'Islam s'avère faible à Conakry. L'alcool pénétrant chez des populations qui n'étaient pas habituées à en boire a d'autant plus de prise qu'elles n'y étaient pas accoutumées. Il suffit de constater la rapidité des ravages de l'alcool sur certains Foula. La lutte contre l'alcoolisme à Conakry n'est pas une affaire de médecins, c'est une affaire de gouvernement. (Voir dans l'étude du port les statistiques d'importation des vins et d'alcool en Guinée au cours des dernières années).
Cette énumération plutôt sombre des maladies qui touchent les populations africaines de Conakry ne doit pas aboutit à présenter celles-ci comme dégénérées et définitivement abâtardies. Elles sont au contraire par leur apparence physique les plus belles peut-être de l'A.O.F. Les Soussous, par leur grâce et leur élégance nonchalante, sont un des charmes de Conakry, et parfois de la masse des Foula prognathes et efflanqués, émerge un type fin et racé.
Plusieurs éléments de la vie matérielle sont, à des degrés divers, indispensables à l'existence. Ce sont l'alimentation, le logement et l'habillement et, à un degré bien moindre, les distractions.
La population africaine de Conakry, en dehors de quelques évolués, se nourrit d'une manière à peu près semblable. La base de l'alimentation est le riz. Il provient des rizières de Kaback et de la Basse-Côte d'où il arrive par cotres, ou bien il est importé d'Asie par les Compagnies. Le riz est cuit à l'eau dans de petites marmites. Il est présenté, moulé au fond d'une calebasse. On verse sur le riz la sauce à l'huile de palme relevée de piments et dans laquelle nagent des morceaux de poisson souvent fumés ou plus rarement un bout de viande. Le tout est mélangé et dégusté à la main sous forme de boulettes. Hors des repas, les oranges, les mangues et les bananes, selon les saisons, constituent un appoint intéressant dans l'alimentation.
La quantité de riz quotidienne est en moyenne d'une livre par individu et par jour, soit 1.500 calories. Avec la sauce et le poisson, la ration quotidienne atteint ou dépasse 2.000 calories, ce qui est suffisant en pays tropical, mais la part prise par les farineux dans l'alimentation est trop importante. Le coût moyen de la nourriture varie entre 30 et 50 francs :
La pension alimentaire (à ne pas confondre avec le terme juridique) que verse un africain pour sa nourriture est de 40 frs en 1951-52. Lorsque la « famille », parasites compris, est plus nombreuse, le chiffre tombe à 20 ou 25 francs. Le chef de quartier du Boulbinet, qui nourrit 10 personnes consacre de 250 à 300 francs par jour à la nourriture.
C'est un chapitre important dans le budget de l'Africain, si l'on peut employer le terme budget alors que l'Africain n'en a le plus souvent aucune notion. L'habillement varie selon les revenus de chacun ; ce sont des boubous et pantalons pour les hommes, des camisoles et pagnes pour les femmes et des vêtements européens élégants pour les évolués. Le prix unitaire de ces vêtements varie selon la qualité du tissu et le métrage, de 1.500 frs à 3.500 francs. Ces vêtements fort seyants, aux couleurs vives, sont en tissus de mauvaise qualité. Les méthodes d'entretien des Africains ne sont pas faites pour qu'ils durent : le lavage avec un savon caustique est suivi du frottement ou du tapage du vêtement contre une pierre ou une dalle de ciment. A titre d'exemple, une chemise s'use de 4 à 6 fois plus vite avec un lavage africain, qui vient à bout des tissus les plus résistants, qu'avec un lavage européen soigné. D'autre part, le vêtement n'est jamais réparé : la femme africaine de Conakry ignore le raccommodage. Aussi les vêtements doivent-ils souvent être changés et la paie de la fin du mois ou de la quinzaine passe souvent en grande partie à l'habillement, surtout lorsque le mari est polygame. Mais l'élégance de la population africaine de Conakry reste l'un des charmes et l'un des caractères les plus sympathiques de cette ville.
Les unes sont les traditionnelles distractions africaines : la danse au rythme du tam-tam et au son des balafons attire toujours du monde. Mais le cinéma et les sports sont d'autres pôles d'attraction : succès soutenu des films de cow-boys et de gangsters, qui sont ponctués par les exclamations et les hurlements d'un bon public. L'influence de ces films médiocres est néfaste. Ils apportent une conception frelatée de la civilisation dite « occidentale » et c'est une conception qui a le malheur d'être aisément assimilable. Le cyclisme et le football sont les sports les plus en vogue ; le cyclisme s'est développé depuis quelques années et il excite à Conakry l'enthousiasme des foules. Ce sont des « courses acharnées » autour de la Corniche ou dans la presqu'île de Kaloum, qui, comme il se doit, sont patronnées et organisées par les grandes marques d'apéritifs ! Le football attire les jeunes qui, dans les rues de Conakry, tapent sur un caillou en attendant de pouvoir taper sur un ballon. Les matchs de football sont toujours disputés et les participants s'y adonnent pleinement jusqu'à l'oubli parfois le plus total des règles du sport.
Ces jeux, nous ne les avons cités que pour essayer de faire revivre un peu l'atmosphère de Conakry. Mais Conakry est dominé avant tout par le problème du logement. La ville, qui était tracée pour 15.000 habitants s'est gonflée à plus de 30.000 et la banlieue a beau se développer, une partie imposante de là population est en surnombre. La densité de certains lots de Boulbinet et de Coronthie dépasse 700 habitants à l'ha, dans des quartiers où les maisons sont sans étage et où une place importante est occupée par les boulevards et
avenues. 700 h. à l'ha, c'est la densité des quartiers populeux de Paris. 700 h. à l'ha, cela signifie l'entassement de plus de 15 personnes par baraque de banco ou en planches. Le prix des logements est en fonction de la difficulté que l'on a à s'en procurer. Le droit de poser sa natte dans une case peut atteindre 300 à 500 frs par mois et une pièce minuscule se paie 800 à 1.000 frs par mois.
Le problème du logement se pose un peu différemment en banlieue.
La question de l'habitat africain se pose donc de toute urgence à Conakry et c'est, de tous les problèmes actuels de la ville, le plus complexe. Problème juridique, il est aussi financier et technique avec des incidences sociologiques, et psychologiques.
Une des premières données du problème consiste à abattre taudis et à décongestionner Conakry au profit de la banlieue. Mais abattre les taudis suppose que d'autres maisons auront été construites pour en loger les occupants. Abattre les taudis signifie d'abord construire ailleurs des logements. Une procédure d'expropriation est extrêmement délicate à conduire car il s'agit de trouver le vrai propriétaire et elle risque d'autre part de se heurter à des difficultés politiques ; elle n'a de chances d'aboutir que si l'on peut « recaser » immédiatement les habitants des quartiers à détruite. En effet, si l'on remet une certaine somme d'argent au propriétaire et qu'on le prie d'évacuer le terrain, l'échec sera total ; l'argent sera dépensé et le taudis restera à ses occupants. Il faut donc construire ailleurs, mais où, comment et avec quels moyens ? Le plan d'urbanisme prévoit la construction de quartiers semi-urbains en banlieue. Mais en banlieue, la place est déjà réduite, les quartiers, ou plus exactement les villages africains de Dixin, Coléa, Madina et Matam sont déjà partiellement occupés. Une fois qu'un certain nombre de types de maisons auront été choisis, il faudra financer la construction.
Même en admettant que les africains remboursent les avances qui leur auront été faites sur 20 ans, il s'agit de pouvoir faire ces avances. Les fonds ne peuvent provenir que de l'extérieur et sont surtout des fonds publics. Une « Société immobilière de Guinée » vient de se créer et elle a pour premier objet de construire des lotissements pour Africains dans la banlieue de Conakry, à Coléa. Mais elle ne dispose actuellement que de 200 millions dont 80 %, sont fournis par la Caisse centrale de la France d'Outre-Mer. Avec 200 millions, elle ne pourra aller bien loin. Si elle construit des maisons à 500.000 francs l'unité, celles-ci risquent d'être de mauvaise qualité et très insuffisantes. On en a un exemple pour les lotissements des fonctionnaires africains à Coléa. Partant d'une conception heureuse, on est arrivé à faire des maisons de 3 à 4 pièces pour 800.000 francs. Malheureusement les matériaux sont médiocres et des erreurs dans la conception ou dans l'exécution des plans, ont abouti et des résultats décevants.
Une solution préconisée par les Travaux Publics consiste à exproprier les habitants de Conakry et à leur donner des terrains en banlieue. Ils construiraient eux-mêmes leur cases et l'administration leur offrirait l'adduction d'eau et l'életricité. Elle se heurte aux difficultés précédemment énoncées, mais elle a l'avantage d'être simple. Les urbanistes, pour Conakry-ville, préconisent la construction d'immeubles à deux étages pour les africains. Ce procédé réduirait le problème de la place et ne serait pas plus coûteux que la construction de maisons individuelles, mais il se heurte à une absence de formation urbaine de la part de la population. Il est difficile de passer d'une maison à rez-de-chaussée unique à un immeuble à étages et de respecter la discipline qu'impose la cohabitation en hauteur. L'habitation en appartements suppose une éducation sociale à laquelle ne sont pas encore parvenues les masses africaines. Mieux vaut peut-être encore un taudis avec un seul rez-de-chaussée qu'un taudis à étages.
L'étude de l'habitat urbain en Afrique, nécessiterait à elle seule un travail et l'obligation de posséder un ensemble de connaissances techniques. On peut espérer que dans un avenir proche des esprits avisés résoudront ce problème.
Sous ce terme, il faut comprendre non seulement les professions mais aussi l'emploi du temps des différentes catégories d'habitants de Conakry : les enfants, les femmes, les oisifs et ceux qui ont une profession.
Depuis un mois jusqu'à parfois 18 mois ou 2 ans, l'enfant vit en « parasite » de sa mère. Il passe la journée sur le dos maternel soutenu par un carré de tissu noué sur la poitrine de la mère. Et l'enfant participe et assiste à la vie de sa mère. Il tête à des heures irrégulières et descend une ou deux fois par jour pour se faire savonner dans un bac d'eau très chaude. Il traverse une période de transition délicate lorsque sa mère le sèvre ; le lait est alors pauvre et quand il est déposé sur le sol, il entre en contact avec les saletés de la rue. Le changement de régime, le passage du lait au riz ne se fait pas sans heurts. En grandissant, l'enfant est libre de faire un peu ce qui lui plaît à condition de rendre un ou deux services comme celui d'aller chercher de l'eau.
Vers 10 ans vient l'âge scolaire, parfois même avant. Une partie des enfants a déjà fréquenté l'Ecole coranique ou la suivra en même temps que l'école communale. Les effectifs scolaires s'élèvent à 1.400 pour Conakry et 225 pour la banlieue dans les écoles de Dixin et Coléa. On note une hausse croissante du nombre d'élèves depuis 10 ans et, ce qui est non moins intéressant le nombre des filles ne cesse d'augmenter. Sur les 1,400 élèves de Conakry, il y a près de 380 filles et en banlieue 37 filles fréquentent l'école. La proportion de filles par rapport au nombre total des élèves est de plus de 1/4 à Conakry et de moins de 1/10 en banlieue, ce qui montre une population déjà plus évoluée à Conakry où,
d'autre part, l'accès des filles est favorisé par l'existence d'une école uniquement féminine. Malheureusement l'absence de maîtres et de locaux n'a pas permis à 130 enfants de la banlieue d'aller en classe. A Conakry, la fréquentation scolaire est de 480 élèves pour 10.000 hab., plus encore si l'on ajoute les élèves des écoles religieuses. Le chiffre à atteindre serait de 1.500 élèves pour 10.000 hab., soit environ 3 fois plus que le chiffre actuel. La proportion de Conakry est néanmoins remarquable pour la Guinée. Pour l'ensemble du territoire, elle n'est que de 65 pour 10.000 hab., un enfant sur 23 fréquente l'école. Parmi les élèves de Conakry, la fréquentation est régulière en cours d'année et les absences sont relativement rares.
Les enfants suivent à peu près les programmes de France, avec une adaptation africaine. Il semble difficile de discriminer les qualités intellectuelles afférentes aux différentes races. On note peut-être une certaine nonchalance chez les Soussous et une vivacité plus grande chez les Foula. En général, les enfants ont une bonne mémoire et des facilités intellectuelles qu'ils perdent malheureusement souvent plus tard 2.
Ceux qui ne fréquentent pas l'école commencent en général à travailler, soit comme apprentis, soit comme boys ou manoeuvres.
La femme de Conakry a une vie très différente de celle qu'elle connaît en brousse où son activité est multiforme : agricole, ménagère et familiale. A Conakry, les fonctions ménagères et familiales subsistent, mais sont souvent diminuées. La femme n a plus à s'occuper que de la cuisine et qu'à avoir des enfants. Encore s'arrange-t-elle pour procéder par roulement aux travaux ménagers ; par exemple, trois femmes ayant mari commun ou « faisant popote ensemble », organisent un tour pour ne travailler qu'une semaine sur trois. Oisives, plus émancipées de la tutelle maritale, elles deviennent exigeantes. Plus libres de moeurs, elles ont des moyens d'action sur leur époux. Lorsqu'elles exercent une profession ou un petit métier en dehors (petit commerce ou activités moins morales) elles gardent l'argent qu'elles en retirent pour elles seules.
En banlieue, la condition de la femme est dans un stade intermédiaire entre celui de la brousse et celui de la ville : la fonction paysanne subsiste parfois mais est bien réduite.
Le problème de la femme est l'un des plus importants de l'Afrique actuelle. Il est absolument certain qu'il sera impossible aux Africains de s'élever intellectuellement et matériellement si la femme continue à avoir une condition médiocre, que ce soit en brousse, où la femme, surtout en pays islamique (la plus grande partie de la Guinée est islamisée : Foula, Malinkés et Soussous), est dans une situation de serve (et là l'Islam apparaît comme un facteur rétrograde); que ce soit en ville où l'émancipation de la femme n'a apporté aucun progrès. La liberté de la femme Conakry n'en fait ni une meilleure mère de famille, ni une meilleure ménagère. Or il est impossible de concevoir une population africaine vivant une vie urbaine, évoluée et spécialisée, sans une femme adaptée à cette forme de vie. La conception occidentale ou chrétienne parait la mieux adaptée. Il est très heureux que le nombre des jeunes filles fréquentant l'école soit chaque année plus élevé, mais il semble qu'un premier stade soit nécessaire. Elles ont besoin au départ de plus d'éducation que d'instruction. L'effort entrepris par certaines institutions religieuses ou par les « Femmes de l'Union Française » reste limité. Il faut qu'il soit accru dans des proportions considérables pour qu'on en puisse juger les résultats. Cette transformation de la femme est une oeuvre en profondeur et de longue haleine, ce n'est pas en quelques années qu'on peut espérer en tirer des résultats appréciables.
Dans toute ville africaine, c'est une catégorie assez répandue, mais très variée dans ses types. Il y a celui qui préfère vivre au crochet de quelque parent ou ami, qui ne sait lui refuser le toit ou le couvert pour respecter les traditions d'hospitalité que l'on doit à un membre de sa race ou par fierté d'avoir une clientèle.
A côté de l'oisif intégral, il y a le travailleur d'occasion qui ne travaille que poussé par une nécessité impérieuse, mais qui, le reste du temps, par une réaction humaine bien compréhensible, préfère ne rien faire. Un tiers de la population de Conakry, qui pourrait être active, entre dans cette catégorie. Parmi les parasites qui sont des travailleurs, se trouve souvent « l'étranger à Conakry », le flottant qui vient à Conakry soit pour pouvoir payer l'impôt, soit pour se marier ou qui, pour un tout autre besoin, amasse son argent. Il vit chez un parent qui l'héberge et le nourrit, sans qu'en échange il lui fournisse une prestation quelconque. Enfin, dans la dernière espèce, on peut ranger « les gérontes », les vieillards que l'on respecte et qui passent leur journée à palabrer dans un fauteuil ou un hamac.
Toutes ces catégories d'oisifs ou de parasites pèsent lourdement sur la population active.
Il ne peut être question, dans le cadre restreint de cette étude, de considérer l'ensemble des professions. Nous n'en verrons que trois groupes, qui nous semblent particulièrement intéressants à Conakry.
Dans les paysages du quartier de Boulbinet, les pêcheurs et la pêche occupent une place importante. Les pêcheurs assis qui réparent leurs filets, le départ des barques et pirogues, le retour des bateaux et l'animation qui entoure le marché au poisson, jettent une note originale dans ce quartier.
Ethniquement, ces pêcheurs font partie de quatre grands groupes :
Les Bozos, pêcheurs des rives du Niger, forment à peu près la moitié de l'effectif des pêcheurs. Certains d'entre eux pêchent autour de Conakry depuis une vingtaine d'années. Le chef des pêcheurs est un Bozo habitant Conakry depuis 22 ans et marié à une Soussou. Même ceux qui ont quitté les environs de Ségou depuis des années, conservent des rapports suivis avec leurs familles restées sur les rives du fleuve. D'autres ne sont en Guinée que pour 2 ou 3 ans. Certains, parfois, descendent du Niger et ne restent à Conakry qu'une saison, de novembre à mai. Un certain nombre, attirés par la ville, y restent et délaissent la pêche au profit d'une autre occupation à rémunération plus régulière et moins saisonnière.
Les Sierra-Léonais vivent nettement à part ; ils sont accusés de toutes sortes de défauts, ce qui est peut-être un effet de la xénophobie. Par leur type de pêche, ils sont appelés à rester deux ou trois jours en mer et ne viennent à Conakry que pour y vendre leurs poissons et s'approvisionner.
Les pêcheurs sont sous la direction « officielle » d'un chef des pêcheurs, assisté, d'un commissaire Ouolof. Leur autorité est d'ailleurs toute nominale. Le chef des pêcheurs sert d'intermédiaire entre l'administration et les pêcheurs et essaie de régler les différends qui peuvent s'élever.
Les embarcations sont grosso modo de quatre types :
Les pêcheurs qui travaillent seuls dans les pirogues Krous, partent le matin et sont de retour dans l'après-midi. Ils pêchent souvent à 5 ou 6, milles de la cote, avec deux lignes. Ils rapportent des petits thons, des maquereaux-bonites, des chiens de mer, etc… Ils pêchent en moyenne 10 à 15 kg de poisson, mais en hivernage ils ne sortent que rarement.
Les Sierra-Léonais partent au large dans leurs cotres et pêchent à la ligne les « sinapa », dorades que la longueur du séjour à bord oblige à fumer en mer.
La pêche au filet est la plus importante à Boulbinet. Plusieurs techniques et sortes de filets sont employés selon le poisson que l'on désire prendre. La pêche à « l'épervier » est surtout pratiquée par les Ouolofs, mais c'est une pêche d'un faible rapport. Elle se pratique près de Conakry et les poissons pris sont soit des mulets, soit des « bongas », ethmaloses. La pêche au filet tournant est un des apanages des Bozos. L'époque de son meilleur rendement se place de décembre à avril et elle est liée à l'arrivée des bancs de « soso » et des « capitaines » autour des récifs latéritiques de Conakry. C'est une pêche courte de 3 ou 4 heures au maximum, faite avec un filet d'une quarantaine de mètres de long, de trois mètres de tombant, à mailles de 50 à 60 mm. et qui est fortement plombé. Son produit est surtout destiné aux Européens.
La pêche qui, par son abondance et la commercialisation du poisson, joue le rôle le plus considérable, est celle des « bongas » avec des longs filets flottants. C'est une pêche de saison sèche et presque toutes les pirogues y participent. Les lieux varient suivant les saisons. La pêche nocturne se pratique autour de Conakry, des Iles de Loos et sur le banc de la « Prudente » de novembre à janvier et février. En février les bancs quittent les parages de Conakry et les pêcheurs vont près du Kaback et de Matakong où s'effectuent ensuite les échanges : poisson contre riz. Le départ a lieu le soir si le vent est favorable. Une voile carrée est hissée. La pêche commence à la nuit tombée lorsque les bancs remontent en surface. On pose un long filet flottant de 250 m. sur 2m. 50 de tombant, à mailles de 35 à 40 mm., avec des flotteurs en coeur de bananier et un plombage léger. La pose du filet se fait en ligne droite. Tous les 3/4 d'heure on relève le filet. Pour repérer les bancs, on donne de petits coups de pagaïe contre la pirogue et, au bruit, les « bongas s'agitent et provoquent une phosphorescence dans l'eau. Au retour, dans la nuit, à Boulbinet, des femmes viennent avec des caisses chercher le poisson. Une faible partie sera consommée fraîche par les indigène ; le reste de la pêche sera fumée sur des claies pendant quatre heures au feu de bois de palétuviers.
Peut-on évaluer économiquement le rendement et le rapport du ces diverses pêches ? Au marché de Boulbinet, le poisson frais se vend 65 frs le kg. et 4 bongas valent 25 frs. Le poisson est acheté 50 à 55 frs au pêcheur. Le produit de la pêche est essentiellement variable. Il peut dépasser 2.500 frs dans une nuit et ne rapporter que 200 frs la suivante. Il s'agit surtout de revenus de saison sèche. Le produit de la pêche ne va pas entièrement au pêcheur. Le travail représente la moitié, les filets 1/4 et la pirogue également 1/4.
Souvent les filets et les pirogues sont la propriété d'anciens pêcheurs qui ne vont plus à la pêche mais réparent les filets et vivent des revenus de leurs instruments. Le loyer élevé des filets et de la pirogue se justifie. Il faut calculer l'amortissement de cette pirogue, qui, pour une pirogue lébou, coûte de 6.000 à 8.000 frs et ne dure pas plus de 2 ou 3 ans. Son entretien, calfatage, peinture, remplacement des planches pourries est compris dans l'amortissement. Quant aux filets, il faut les fabriquer sur place, les goudronner pour qu'ils soient imputrescibles et les réparer constamment. Après une saison de pêche, ils sont usés.
Une telle pêche est-elle rentable pour ceux qui la pratiquent ? Pendant la saison sèche, de novembre à mai, on peut évaluer la quantité de poisson vendu entre 20 et 30 tonnes par mois, mais donner un chiffre plus précis serait aléatoire. Beaucoup de bongas pêchés la nuit ne passent pas par le marché et c'est en poids et en valeur, la pêche la plus importante. D'après plusieurs calculs, on peut évaluer le revenu mensuel en saison sèche à 10.000 frs par mois et par pêcheur, mais pendant 5 mois ce chiffre s'abaisse considérablement et beaucoup de pêcheurs s'embauchent comme manoeuvres.
La pêche de Boulbinet est un aspect sympathique de la vie de ce quartier : elle y met du mouvement et contribue à alimenter en partie les Européens en poissons frais. Elle est un apport en protéines pour les indigènes. Mais elle gagnerait à se rationaliser, et à être entreprise avec des moyens techniques plus efficaces et à la création de coopératives et d'entrepôts frigorifiques pour la conservation du poisson.
L'intérêt de l'étude de l'artisanat africain à Conakry réside dans l'opposition de deux types d'artisans, qui montre deux aspects de l'économie. Un artisanat traditionnel en voie de disparition ou qui, s'il veut survivre, doit se modifier, et un artisanat récent qui résulte des formes spécialisées de la vie moderne. Qu'il travaille sous l'une ou l'autre forme, la définition de l'artisan reste la même : l'artisan est un ouvrier, spécialisé ou non, qui assume à lui seul des fonctions techniques (fabrication ou réparation) et des fonctions commerciales (achat de matières premières et vente d'objets fabriqués). Généralement propriétaire, il administre sa petite affaire et organise lui-même son travail, qui est en général peu divisé.
L'artisanat traditionnel est un artisanat de création ; c'est celui des tisserands, des potiers, des bijoutiers, des maroquiniers. A Conakry, cet artisanat disparaît devant la concurrence des produits modernes. Un ou deux tisserands subsistent à Boulbinet, une dizaine à Coronthie ; ils ne gagnent que difficilement leur vie.
Les potiers et les forgerons ont disparu. Artisans fabriquant des objets de luxe, les maroquiniers et bijoutiers se plaignent eux aussi de la concurrence des produits européens « type » africain, comme les bijoux et les objets en peau et cuir. En 1951 , plusieurs ont dû changer de métier et cesser leurs activités. Quoique l'artisan soit économiquement « dur », à la faillite, car il peut travailler de longues heures à un taux de salaire d'autant plus bas qu'il l'ignore, il arrive un moment où il ne peut plus tenir. L'artisan créateur diminue ; il ne peut subsister qu'en période de pénurie et sa richesse est en fonction inverse de la prospérité générale et dépend de la rareté des produits importés. Il faudrait empêcher la disparition de ce type d'artisan, qui par ses qualités de travail et souvent de goût, mériterait qu'on le soutienne et qu'on lui donne la possibilité de s'adapter aux besoins nouveaux et aux techniques nouvelles. Comme l'a dit Senghor : « On ne cherche pas à former des ouvriers qui exécutent un plan, mais des artisans qui s'inspirent des vieilles techniques noires en les fécondant par l'étude des techniques d'Europe » 3.
L'artisanat de réparation ou de transformation connaît, lui, une grande prospérité avec l'importation des outils et des techniques européennes. Parmi ces catégories d'artisans, nous citerons deux exemples :
Avec l'extension du nombre de bicyclettes le besoins de réparateurs s'est fait impérieux. Le noir est astucieux pour ce genre de réparation et réussit fort bien lorsque l'engin n'est pas trop compliqué. A Conakry, on compte une trentaine de réparateurs du ce type, qui ont des gains appréciables dépassant généralement 500 frs par jour.
Ils sont caractéristiques des villes et des bourgades africaines. Avec le nombre de boubous, de camisoles, pantalons et robes, qu'usent les africains, ils ont une activité qui ne cesse pas. Ils se placent en général devant la boutique d'un Libanais ou d'un Syrien avec leurs machines à coudre, qu'ils louent parfois, mais dont ils sont souvent propriétaires. Ils dépendent étroitement des ventes de tissus des Libanais. Les quelques 200 à 250
ailleurs, coupeurs et piqueurs qui travaillent à Conakry sont parmi les Africains de la ville ceux qui ont des revenus de plus de 15.000 à 20.000 frs par mois.
Deux types de commerçants indigènes se rencontrent à Conakry :
Il est pratiquement impossible d'évaluer leurs revenus, qu'eux-mêmes ignorent.
Parmi les « tabliers », plusieurs catégories sont à distinguer :
Les « tabliers » se groupent souvent le long des avenues et des boulevards, avenue du Niger, 3e, 4e, 5e et 6e boulevards, près des marchés de Boulbinet, marché du poisson et marché de bois et de fruits ; en banlieue sur la route de l'Isthme de Tumbo. Ils font un métier qui ne demande aucune capacité, si ce n'est d'attendre l'éventuel acheteur de 7 heures du matin à 10 ou 11 h. du soir et de bavarder. Le prix de leurs produits est de 20 à 40 % supérieur à celui des magasins européens, Mais ils vendent aussi des marchandises purement africaines (noix de cola, bananes et arachides.) Pour beaucoup de femmes, la vente des fruits et des cacahuètes est un moyen de passer la journée en faisant de 30 à 100 frs de bénéfice par jour.
Les indigènes sont-ils doués pour le commerce ? (le commerce des Dioulas, très spécial, n'entre pas dans la catégorie citée ci-dessus).
Beaucoup s'imaginent réussir en achetant quelques marchandises avec un ou deux billets de 1.000 frs et en les détaillant ensuite. En fait, ils n'ont pas, à une ou deux exceptions près, de grandes qualités commerçantes. Ils ignorent l'établissement d'un prix de vente. Ils les fixent souvent sans tenir compte du prix d'achat et ne tiennent que rarement des comptes. Intermédiaires bien inutiles, ils vendent des produits coûteux aux Africains qui préfèrent acheter un produit 20 % plus cher chez un détaillant indigène qu'au comptoir d'une Compagnie ou dans un magasin européen. En outre ils permettent à l'Africain de satisfaire son goût de l'immédiat malgré son manque de disponibilités en achetant une cigarette ou quelques morceaux de sucre qu'il paiera plus cher à l'unité qu'en paquet.
Peu importants, ces petits commerçants, qui ne sont souvent que des commerçants d'occasion, s'intègrent étroitement dans le cadre de la vie indigène. Enfin, on peut estimer que ce commerce de trottoir fait vivre ou complète les moyens d'existence de 400 à 500 personnes à Conakry et en banlieue.
Ces quelques pages sur la population indigène sont sommaires. Seule une expérience africaine de plusieurs années permettrait de faire ressortir toutes les nuances et la complexité des problèmes que pose l'adaptation aux exigences de la vie urbaine pour une population restée, dans sa presque-totalité, encore rurale. La population de Conakry a triplé en une quinzaine d'années. Cet accroissement est provoqué certes par l'essor économique, par l'existence d'un marché de travail, d'un centre d'embauche ; mais les causes de la hausse de la population de Conakry sont également psychologiques. Beaucoup viennent à Conakry parce que c'est la ville, la ville européenne où la famine du début de l'hivernage est absente et où la vie est en apparence plus facile. Ils viennent aussi par un désir de curiosité, et peut-être parfois par un besoin d'évasion. L'attraction de Conakry grandit. Parmi les élèves des écoles communales de Basse-Côte, aucun ne veut rester dans son village une fois les études finies, et la désertion des campagnes par ses meilleurs éléments risque d'être lourde de conséquences. Mais ce n'est pas en une seule génération que se créent des urbains. Les liens avec le village natal restent forts et c'est ce qui explique l'instabilité de la population de Conakry. Instabilité qui diminuera peut-être dans l'avenir. Il faut espérer qu'avec la naissance d'une population urbaine on n'assistera pas à la naissance d'un prolétariat, qui ne sera pas seulement un prolétariat de classe, mais aussi un prolétariat de race.
Si parfois il semble que la population de Conakry n'ait saisi que le « clinquant » de notre civilisation, elle n'en est pas moins passionnante à étudier par les problèmes qu'elle pose dans le présent et les solutions qu'il faudra trouver dans l'avenir.
Le peuplement européen à Conakry date des années 1880. Les premiers Européens furent des commerçants allemands, anglais et français. Au moment de la création de Conakry en 1890, il y eut un afflux de population blanche : fonctionnaires, militaires et commerçants. En 1897, sur une population de 3.600 habitants, les Européens étaient 67. Après cette date et jusqu'en 1926, on manque de chiffres sur la population blanche de Conakry. Connaissant les chiffres globaux de la population blanche en Guinée entre 1910 et 1926, on peut évaluer approximativement la population européenne de Conakry à la moitié des Européens vivant en Guinée. De 1910 à 1930, la population blanche de Conakry comprend de 400 à 600 individus européens et 200 à 300 Libanais et Syriens. La stagnation dans le peuplement européen durant 20 ans correspond bien à la stagnation économique du territoire pendant cette période.
La hausse du nombre des Européens est un excellent indice du développement économique d'un territoire. Une reprise du peuplement s'amorce à partir de 1926 : 1.200. Européens et Libanais vivent à Conakry. Mais c'est à partir de 1945 et surtout de 1947 que date la grande arrivée des Européens : en 1945, on compte à Conakry 1. 209 Français et 5 70 étrangers en 1946 : 1.500 Français et 600 étrangers ; en 1948 : 1. 800 Français et 800 étrangers ; en 1950 : 2.000 Français et 850 étrangers, le 27 juin 1951 : 2.100 Français et près de 900 étrangers. Dans le 1er trimestre 1952, Conakry est, après Dakar, la ville d'A.O.F. qui reçoit le plus fort contingent d'Européens.
A cette courbe croissante d'un point de vue quantitatif, s'ajoute une transformation dans l'origine des nouveaux venus et dans leur répartition professionnelle, ainsi que des modifications dans la répartition des sexes, avec un nombre grandissant de femmes et d'enfants. Ces transformations modifient la physionomie et la façon de vivre de Conakry.
Nous étudierons séparément ici la population européenne et la population syro-libanaise, chacun de ces groupes ayant une vie, une démographie et presque un habitat différent.
Dans l'introduction, nous avons rappelé les conditions climatiques de Conakry : un climat constamment humide, une chaleur à peu près égale toute l'année avec une moyenne de 27°, la répartition des pluies dans une saison humide très prononcée succédant à une saison sèche très marquée. Ce climat favorise les maladies tropicales, surtout le paludisme, l'anémie et oblige à des congés prolongés en France. Il débilite l'organisme qui peut être touché par l'alcoolisme et la syphilis, maladies sociales qui sévissent en France, mais on retrouve qu'on retrouve ici avec une certaine virulence. Si l'on en croit M. Sorre (Les Fondements de la géographie humaine: t. 1. Le climat et l'homme, p. 96), le séjour à la colonie présente des dangers certains :
« … Mais si le mal des montagnes est en général une crise passagère, l'épreuve des tropiques est autrement longue et même chez d'autres que les Nordiques, elle peut laisser des traces durables dans l'organisme. On a décrit souvent ce redoutable passage. Les premiers temps du séjour sont marqués par une période de surexcitation ; la circulation périphérique s'accroît en même temps que les fonctions de la peau sont activées.
Une transpiration profuse rétablit l'équilibre thermique. Puis l'activité vitale diminue, le pouls ralentit, la digestion devient moins facile, le coeur s'affaiblit, l'appétit s'amoindrit, la nutrition est diminuée. A l'accroissement du bien-être, à la surexcitation des processus physiques et mentaux, surtout des processus sexuels, succède l'anémie tropicale. Elle peut entraîner tout un sinistre cortège : puissance musculaire diminuée, migraines nerveuses, amnésie, folie. Les individus dont la circulation périphérique n'est plus intacte ne résistent pas à ces épreuves. La crise est d'autant plus souvent fatale qu'elle place l'organisme dans un état de moindre résistance vis-à-vis des microbes pathogènes. L'individu, pendant la période de surexcitation, se garde mal des excès génésiques et autres, et pendant la période de dépression il est tenté par des stimulants artificiels. Le contact de genres de vie différents (avec des vices nouveaux, des curiosités dangereuses, des facilités inaccoutumées) accroit encore ce péril. »
Ce tableau un peu sombre de la crise d'acclimatation n'est guère fait pour encourager les Européens à venir travailler dans les pays tropicaux : s'il contient des exagérations littéraires, il est de plus relativement inexact. Ne tenant pas compte des différences entre les climats tropicaux, il ne dit pas qu'il y a une adaptation pour chaque type de climat, du climat sec, au climat tropical humide.
Dans le domaine de la lutte contre le milieu naturel hostile à l'homme, on est arrivé, au cours du dernier siècle, à des résultats appréciables. Il n'entre pas dans le cadre de ce mémoire de rappeler les résultats obtenus contre les maladies tropicales par l'adaptation vestimentaire et de l'habitat aux conditions, climatiques : vêtements légers protégeant des radiations solaires ; habitat aéré et ventilé s'efforçant d'éviter la réverbération et la chaleur : création dans les constructions récentes de pièces climatisées abaissant la température de 2° à 3°, ce qui est relativement peu, mais assèche considérablement l'atmosphère. Des précautions doivent être prises pour réduire au maximum les risques inhérents aux maladies tropicales : quinine ou nivaquine contre le paludisme : l'eau devrait être filtrée, la viande bien cuite pour tuer les parasites et les plaies soignées immédiatement pour éviter l'infection. Enfin, tous les deux ans environs, la plupart des Européens passent un congé de 4 à 6 dans la métropole pour se reposer : congé peut-être aussi nécessaire physiologiquement que moralement. La nécessité du congé, alliée au fait que la majorité des Européens ne vivent à Conakry que pour des périodes plus ou moins longues n'excédant que rarement 10 ans, suffit à définir le peuplement européen comme un peuplement peu stable. Les vieux Conakriens qui ont passé plus de 15 ans à Conakry forment une « vieille garde » peu nombreuse que l'on compterait presque sur les doigts de la main.
L'essor démographique de la population blanche, la création d'une vie familiale normale rappelant les conditions de vie d'Europe, prouvent qu'on est arrivé dans le domaine de la lutte contre le milieu à des résultats appréciables. Malgré la forte humidité et la chaleur toujours égale, Conakry possède un certain nombre d'avantages qui rendent la vie agréable, une bonne ventilation sur la Corniche et dans la banlieue nord ; la présence de la mer qui, si elle entretient une humidité constante, apporte des moments de détente sur la plage ou les îles : la proximité des plateaux du Fouta Dialon et de la station climatique de Dalaba qui permet à certains Européens de se reposer en cours de séjour dans une atmosphère plus fraîche et aux écarts de température marqués.
C'est une meilleure adaptation aux conditions climatiques, alliée aux transformations de la vie outre-mer, qui ont amené des modifications dans la répartition des sexes et des âges. Le manque de recensement statistique datant d'avant-guerre ne nous permet pas d'établir des comparaisons rigoureuses. De 1946 à 1952, la population européenne et assimilée (Libanais et Syriens) passe de 1. 729 à 2.895, soit en 5 ans une hausse de 68 %. En 1946, le total des éléments du sexe masculin s'élevait à 1.005, soit . 58 %, dont 39 % au-dessus de 20 ans et 19 % au-dessous. Le total féminin était de 724, soit 42 %, dont 400 de plus de 20 ans, c'est-à-dire 24 % et 325 de moins de 20 ans, soit 18 %. En 1951 , il y a 1.743 hommes, soit 60 % du nombre total d'Européens, dont 44 au-dessus de 20 ans ; 16 % de moins de 20 ans ; 40 % de femmes avec 24 % (275) de plus de 20 ans et 428, soit 16 % au-dessous. Ces chiffres montrent un pourcentage plus fort d'hommes actifs et légèrement inférieur de mineurs par rapport à 1946
La population féminine est relativement forte pour un territoire d'outre-mer (40 %) et n'est que de 11 % inférieur à celui de la métropole.
La pyramide des âges fait ressortir un nombre relativement élevé d'enfants de 5 à 10 ans. Le creux de 10 à 25 ans montre que sauf pour les Libanais qui passent presque toute leur vie en Guinée, les Européens font rentrer leurs enfants en France pour leurs études secondaires. Le fort pourcentage d'hommes de 25 à 50 ans, en plein dans la force de l'âge et en pleine période d'activité, contraste avec l'absence de gens, plus âgés, qui terminent leur vie en France. Du côté féminin, le nombre de jeunes femmes de 20 à 25 ans est plus élevé que celui des hommes du même âge, ce qui marque la différence d'âge moyen entre les époux. A la catégorie des femmes de 20 à 25 ans correspond celle des hommes de 25 à 30 ans. Après 30 ans, on assiste à une diminution régulière du nombre des femmes et à l'absence de femmes mûres ; la femme ne séjourne pas longtemps « à la colonie ». Si l'on avait les données précises pour 1951-52, on noterait sans doute une diminution régulière des enfants de 9 à 19 ans et un accroissement sensible des enfants de 0 à 9 ans et enfin un rajeunissement de l'âge moyen des adultes sur le recensement de 1946.
Le dépouillement des registres de l'état-civil européen est intéressant en ce sens que, s'il n'apporte qu'une faible contribution à l'étude démographique de la population européenne de Conakry. Il est un témoin des modes de vie européenne. En 1951 il y eut 54 décès inscrits au registre de l'état-civil européen, mais sur ces 54, 15 seulement sont Français, et sur ces 15 Français, il y a 7 enfants de moins de 5 ans. Les autres ne sont pas de Conakry ou sont des décès à l'hôpital Ballay de gens venus de l'extérieur. Les décédés non Français sont soit des Libanais, qui, pour la plupart, sont venus de l'intérieur et sont morts à l'hôpital, soit des Africains citoyens français. Le chiffre très faible des décès se retrouve les années précédentes. En 1950, sur 54 décès, il y a 16 Français.
En 1949, sur 53 morts, 13 Français. En 1948 10 Français sur 34. La faiblesse de la mortalité à Conakry se comprend aisément en dehors des morts accidentelles ou des maladies à évolution rapide, le malade est rapatrié en France. D'autre part, l'absence de gens âgés (ceux-ci finissent leurs jours dans la métropole) réduit singulièrement les causes de mortalité.
Pour les mariages, les chiffres sont également faibles en comparaison du nombre des Conakriens et de leur âge moyen. En 1938, 9 mariages et 2 divorces et sur ces 9 mariages, 3 se firent entre Français, 2 furent des mariages mixtes et 4 des mariages entre Africains.
En 1950, 26 mariages dont 4 franco-africains et entre étrangers. En 1941, 27 mariages français et un divorce. Le petit nombre d'unions a sa cause dans l'absence cruelle pour les jeunes célibataires de jeunes filles. Une part importante de la différence de 11 % du total féminin de la métropole à celui de Conakry est constituée par les jeunes filles en âge de se marier et qui ne veulent ou dont on ne veut pas qu'elles restent dans le milieu « de la colonie » que d'aucuns prétendent « moralement douteux ». Les célibataires ne trouvent donc guère d'occasions de convoler en justes noces en Guinée et doivent profiter de leur congé pour trouver une épouse.
Le registre des naissances est plus fourni que celui des décès et des mariages ; mais là encore il ne faut pas se baser sur les chiffres pour une étude démographique. D'une part, un certain nombre de femmes viennent de l'intérieur de la Guinée pour accoucher à Conakry, de l'autre, certaines profitent de leur congé et restent en France pour mettre leur enfant au monde. Cette dernière catégorie diminue de plus en plus. On peut admettre que l'arrivée des unes à Conakry compense le départ des autres. En 1947 sur 156 naissances à Conakry, il y a eu 54 enfants français : en 1949, sur 191, 51 Français En 1950, sur 204, 64 Français et en 1951 , 112 Français sur 223 naissances. La hausse de ces deux dernières années est remarquable.
Elle s'expliqué, par le fait que les femmes préfèrent de plus en plus accoucher sur place, et par l'arrivée de jeunes couples en pleine période de fécondité. Cette natalité est extrêmement forte : plus d'une centaine de nouveaux-nés par an pour 500 à 600 Françaises en âge de se reproduire. Ce dynamisme démographique a ses causes, nous l'avons vu, dans la proportion élevée d'hommes et de femmes en âge de procréer, mais il a aussi ses causes psychologiques et morales. Les jeunes couples venant travailler et vivre outre-mer sont plus dynamiques que la moyenne des jeunes ménages de la métropole et ce dynamisme se marque également par le nombre d'enfants. Avec une vie en apparence plus large, le coût d'un enfant supplémentaire se marque moins. Enfin pour beaucoup de femmes qui ne travaillent pas, attendre un enfant ou s'en occuper quand il est né est une « saine occupation ». Le nombre élevé des naissances est un des aspects les plus vivants de Conakry dans les années 1950 et il suffit de se rendre un dimanche après-midi à la plage de Rogbané, où jouent des dizaines d'enfants, pour apprécier la vitalité de la population européenne à Conakry.
A cette hausse des chiffres de la population et à cet accroissement du nombre des naissances, s'ajoute une transformation dans l'origine provinciale des Français et dans la répartition des professions.
Le dépouillement des registres du commerce de 1929 à 1939 et les nombre des Français jouant un rôle en Guinée avant-guerre nous renseignent sur leur origine. Le Français qui, avant-guerre s'installait en A.O.F. était en général originaire soit de l'Ariège, et alors il était commerçant (mais les Ariégeois se fixaient plus au Sénégal qu'en Guinée), soit du Bordelais ou des bords de la Méditerranée, tels les Corsés, les Provençaux ou les Catalans. On ne trouvait un Normand ou un Lorrain qu'exceptionnellement. La statistique générale de l'A.O.F. de 1948 nous apprend que ces départements ont conservé la tête comme pourcentage d'expatriés en A.O.F. Pour une tranche de 100.000 métropolitains, on comptait 134 individus venus du Var, 1.947 de Corse, 129 de l'Ariège contre 20 du Loir-et-Cher, 17 de l'Eure, 14 de l'Orne, 15 de la Sarthe, mais 40 de la Seine, 97 du Finistère et 79 de la Gironde. Actuellement, avec l'arrivée des techniciens et de leurs familles, le tableau géographique des origines s'étend à toute la France. Des habitants de Vitry-le-François, de Béthune, de Caen et de Limoges arrivent. Mais si les Parisiens sont aussi plus nombreux, le contingent des Méditerranéens continue à former un noyau solide.
Modifications aussi dans la répartition professionnelle. Le Conakrien d'avant-guerre était soit fonctionnaire, soit commerçant (agent des grandes Compagnies ou individu travaillant à son compte). Le recensement de 1946 indique 1.005 représentants du sexe masculin, parmi lesquels :
Parmi l'élément féminin 104 femmes sur 724 travaillaient. La statistique citée ci-dessus appelle des réserves dans le groupement des professions et dans l'exactitude de l'enquête. D'autre part, les éléments syriens et libanais y sont inclus.
Une enquête de l'Inspection du Travail faite auprès des différentes entreprises en juin 1950 donne les résultats suivants :
Cette enquête, intéressante parce qu'elle fournit des renseignements concernant le personnel de certaines entreprises, n'a qu'une valeur toute relative. Beaucoup d'entreprises ont en effet répondu de façon incomplète, lorsqu'elles l'ont fait. D'autre part, cette enquête ne touche pas ou presque pas les petits commerçants et l'artisanal.
Le recensement de juin 1951 donne une série d'informations d'un autre ordre en faisant apparaître le nom de gens vivant de quelques grands services ou entreprises ou dans des quartiers de la ville.
Sexe masculin | Sexe féminin | ||||
Total | +20 ans | - 20 ans | +20 ans | - 20 ans | |
Chemin de fer Conakry-Niger | 100 | 49 | 11 | 29 | 11 |
Union des Métis | 118 | 30 | 29 | 27 | 31 |
Conakry-Ville | 1.620 | 742 | 268 | 364 | 246 |
Bauxites du Midi | 119 | 89 | 7 | 19 | 4 |
Enseignement | 62 | 24 | 7 | 16 | 15 |
Travaux Publics | 158 | 69 | 26 | 49 | 14 |
Mission Catholique | 27 | 12 | — | 15 | — |
Hôpital Ballay | 51 | 15 | 6 | 19 | 11 |
Services administratifs | 121 | 44 | 20 | 36 | 21 |
Divers | 113 | 58 | 14 | 30 | 11 |
Camp militaire | 151 | 77 | 18 | 32 | 24 |
Compagnie Minière | 96 | 55 | 6 | 23 | 12 |
Banlieue | 273 | 138 | 36 | 66 | 33 |
Total | 2.890 | 1.263 | 440 | 725 | 463 |
Il est dommage que ces trois enquêtes aient été faites sur des bases différentes et donnent des résultats qu'il faut interpréter avec beaucoup de prudence. Même pour les statistiques concernant la population européenne, la statistique africaine reste incertaine.
On assiste, avec la naissance à Conakry de l'industrie, à l'arrivée d'un contingent nouveau d'ingénieurs, techniciens, comptables. Une catégorie sociale apparaît, qui n'existait guère auparavant, la catégorie des ouvriers spécialisés, des conducteurs d'engins, des mécaniciens, des ouvriers du bâtiment qui sont souvent des Italiens. Ils travaillent de leurs mains, commandent une équipe de manoeuvres noirs ou doivent essayer de former des ouvriers africains noirs, aptes à utiliser le matériel moderne. Cette catégorie spéciale que l'absence d'ouvriers spécialisés locaux a rendue nécessaire, risque de poser dans quelques années des problèmes. Nous envisagerons cette question dans l'étude de l'industrie à Conakry.
L'afflux d'une population jeune, fraîchement coloniale la plupart du temps, décidée à avoir une vie rappelant le plus possible une vie française, transforme l'atmosphère de la ville.
S'il n'est pas possible de décrire « un genre de vie » de l'Européen à Conakry (la notion de genre de vie ne pouvant s'appliquer qu'à des sociétés simples ayant une activité unique), on peut cependant de définir en quelques traits l'existence des Européens à Conakry. La vie extérieure d'un individu ou d'une catégorie d'individus se marque par le logement, l'alimentation, l'habillement, les distractions, en un mot le standing de vie. Plus de 60 % des Européens à Conakry sont mal logés : pièces insuffisantes en nombre et en qualité, ne possédant pas les commodités nécessaires à une vie sous les tropiques. Les logements sont souvent mal ventilés et situés dans des quartiers malsains. Si l'on excepte les habitants du quartier administratif, la majorité de la population européenne habitant dans le quartier du Centre ou à Boulbinet est mal logée. Le déplacement de la population européenne vers les quartiers résidentiels de banlieue (Camayenne, Donka et Landréa) se marque de plus en plus, mais cette banlieue est en formation. Jusqu'à la fin de 1951, beaucoup de logements n'avaient pas encore l'eau et l'électricité ; d'autre part, il n'existe pas de services de transports entre Conakry et sa banlieue, aussi la vie est-elle souvent difficile pour les Européens et surtout pour les Européennes qui ne disposent pas de voitures pour aller faire leurs courses à Conakry. En effet, la banlieue n'a pas encore de magasins.
L'alimentation et l'approvisionnement en produits variés sont maintenant à peu près assurés et l'arrivée de l'élément féminin a fait naître des magasins de nouveautés, des coiffeurs pour dames. L'habillement s'adapte aux conditions climatiques, mais perd le caractère « colonial » tel qu'on se l'imagine : le port du casque est en régression et s'efface devant le chapeau : le drill blanc fait place à des tissus légers analogues à ceux que l'on porte en France ou, en Italie l'été ; les distractions extérieures se limitent au cinéma et de temps en temps à une pièce de théâtre.
A quelque catégorie sociale qu'ils appartiennent, les Européens ont, surtout en apparence, une vie plus aisée que celle qu'ils posséderaient à titre et à travail égal en France. Ils ont des facilités pour le service domestique et souvent des prestations de diverses natures selon le service auquel ils se rattachent : un logement, mais nous l'avons vu, ce logement est souvent médiocre ; un congé prolongé tous les 10, 20, 24 ou 30 mois, avec voyage payé. Ce n'est que pour les Européens établis à leur compte que ces avantages, bien justifiés, n'existent pas. Le congé occupe dans l'esprit des coloniaux une place beaucoup plus importante que les vacances pour les métropolitains et ce congé, plus encore que les vacances, est un besoin physiologique et moral. En prévision du congé, certains économisent pendant leur séjour en Guinée de quoi vivre plus largement en France. L'institution du franc C.F.A. valant 2 frs métropolitains est certainement pour beaucoup dans la psychose d'économies qui atteint quelques « coloniaux ».
La vie à Conakry tend à devenir provinciale et elle a beaucoup moins de rapports avec celle du planteur établi en brousse a 150 km de Conakry qu'avec celle d'un habitant d'un habitant d'une ville de province française. Mais il ne semble pas qu'elle puisse jamais être tout-à-fait semblable à la vie de nos villes de provinces. Laissant de côté la question majeure du climat et l'existence d'une population noire, la vie à Conakry restera longtemps encore une vie coupée par les congés, une vie marquée par l'absence d'une population européenne stable et définitive. Enfin Conakry ne semble pas devenir une ville où les Européens passeront toute leur existence et dont la descendance restera en Guinée, comme c'est le cas en Afrique du Nord et même depuis peu à Dakar. Trop de problèmes s'y opposent.
Dans le groupe blanc, les Libanais et Syriens forment une colonie, possédant une solide unité ethnique et économique. Ils sont exclusivement commerçants, comme le sont les Chinois en Océanie et dans le Sud-Est asiatique et les Maltais dans quelques ports méditerranéens. Leur arrivée en Guinée date de la fin du 19e siècle.
Ils sont actuellement un peu plus de 500 à Conakry, Libanais pour la plupart et souvent originaires de Tyr. A Conakry, les Syriens, musulmans comme quelques Libanais, ne sont que quelques dizaines. Leur peuplement se fait par vagues : depuis 1929 on note des arrivées en 1929, 1930 et 1931 ; en 1935 et 1936, en 1946 et 1947. Mais, à la différence de la population européenne, c'est une population stable qui fait souche dans le pays. Il existe déjà une génération adulte de Libanais nés en Guinée.
Le Libanais débarque en Afrique, en général sur les conseils des membres de sa famille déjà installés dans le pays et il commence par installer un comptoir en brousse. Se contentant d'un niveau de vie très bas, presque analogue à celui des indigènes, dépendant étroitement des Grandes Compagnies qui lui fournissent des tissus et des marchandises en échange des produits de traite, il arrive à amasser une fortune suffisante pour venir s'installer à Conakry ou à Kankan. Dans l'étude du commerce, nous verrons sa technique commerciale. Vivant près des indigènes, parlant la langue du pays, il en connaît à fond les habitants et leur psychologie, connaissance indispensable pour sa pratique du commerce. Nés en Guinée ou arrivés depuis longtemps, la plupart finissent leurs jours au Liban, où pendant le courant de leur existence, ils n'ont cessé d'envoyer les bénéfices qu'ils réalisaient en Afrique. Depuis six ans, depuis qu'un certain nombre d'entre ont acquis la citoyenneté française, prennent leur retraite en France dans la région d'Aix.
Le décret du 1er août 1889 réorganisant les Rivières du Sud décidait que les Rivières étaient limitées au Nord par la Guinée portugaise, au Sud par la Sierra-Léone. Le lieutenant-Gouverneur résiderait à Conakry et devrait visiter une fois par an les postes des Rivières. Il pourrait correspondre directement avec le sous-secrétaire d'Etat mais devrait adresser au gouvernement du Sénégal des rapports politiques et le tenir au courant de la situation en Guinée ; assisté d'un secrétaire général et d'un Agent du Trésor, il exercerait les pouvoirs politiques, administratifs et financiers dévolus au gouverneur du Sénégal : il aurait à sa disposition un budget local spécial. Ces dispositions devraient entrer en vigueur le 1er janvier 1890. C'était l'acte de naissance de Conakry, capitale des Rivières du Sud.
La fonction de capitale était née ; elle ne devait pas se sépare de de la fonction commerciale qui était apparue quelques années auparavant et du port. Capitale, port et place de commerce ces trois fonctions étaient dépendantes les unes des autres et la prospérité de l'une devait entraîner l'extension de l'autre. Le choix de Conakry s'expliquait : accessible, sans difficulté par mer facile à défendre de la terre, c'était un excellent poste d'observation pour les Rivières du Sud. Seule, l'existence des Iles de Loos, îles anglaises en face du Tumbo, pouvait être une gêne à la fois pour le développement du commerce et pour la capitale. Le traité du 8 avril 1904 cédait les Iles de Loos à la France contre un droit de pêche à Terre-Neuve et levait cette hypothèque. Comme il l'a été prouvé par la suite, l'Angleterre donnait plus que les « Iles de Loos à ronger » à la France.
Dés l'année 1890, on s'occupa de la création d'un plan d'alignement en prévision de la fondation d'un centre européen et on construisit un hôtel du Gouvernement. Puis on établit le premier budget, encore modeste qui se montait à 300.000 frs. on était loin du seul budget local qui, pour 1952, atteint 2 milliards et demi.
Peu après, le docteur Ballay débarquait et choisissait comme secrétaire général Cousturier. En 1891, le décret organisant la colonie de la Guinée Française était signé par le Président Carnot. La Guinée Française devait être administrée par le secrétaire général. Un conseil d'administration était créé à Conakry, comprenant le secrétaire général, un administrateur, le Trésorier-payeur et un notable. La capitale, malgré la lutte économique contre Freetown et les difficultés de la conquête dans l'intérieur, s'organisait rapidement. La ville grandissant, le gouverneur jugea qu'elle devait s'administrer seule. L'arrêt du 25 décembre 1904 érigea Conakry en commune-mixte, possédant un budget spécial et dirigée par un administrateur-maire assisté d'un conseil de quatre membres Français de plus de 25 ans et un notable indigène.
Mais Conakry, malgré une situation naturelle favorable, est située à l'endroit le plus périphérique de la Guinée. Seul l'établissement de bonnes voies de communications lui permit d'être en liaison et de pouvoir donner ses directives aux territoires de l'intérieur.
Menée parallèlement à l'amélioration du port, la création de la voie ferrée de Conakry au Niger en 1900 et 1914 et de routes s'ouvrant vers l'intérieur résolvait partiellement la question. Actuellement, avec les progrès techniques, la situation excentrique de Conakry n'a plus guère d'importance : l'avion, le chemin de fer et la radio permettent au chef-lieu d'être à tous moments en liaison avec les différents centres du territoire.
Capitale politique et administrative, Conakry est le siège des organismes assurant la direction du territoire. L'énumération en est fastidieuse :
Tous ces services ou presque tous, ainsi que nous avons eu l'occasion de le voir, sont groupés dans le quartier dit administratif.
L'ensemble de ces services faisait vivre à Conakry environ 500 Européens en 1951 , femmes et enfants compris et 350 seulement si l'on exclut le camp militaire, 170 à peu près sont employés dans les services administratifs, les Travaux publics, l'enseignement, l'Hôpital. Il y a comme partout ailleurs, une hausse du nombre des fonctionnaires depuis 1939. En 1937, la Guinée comptait 271 fonctionnaires et agents Européens et 1005 fonctionnaires et agents africains. En 1951, le total est respectivement de 369 et 1995, soit un personnel africain presque double de celui de l'avant-guerre. Par contre, la hausse du personnel européen n'est pas excessive, comparée d'une part à l'extension des fonctions administratives depuis 1937, et d'autre part au nombre d'Européens en Guinée. Avant-guerre, 16 Français sur 100 étaient fonctionnaires en Guinée ; en 1951, la population a augmenté et la proportion passe à 9 %, alors que des services nouveaux ont été créés et que les tâches de l'administration se font plus complexes.
Capitale administrative, Conakry est aussi une capitale spirituelle et intellectuelle. Elle est le siège d'un Evêché depuis 1897. Un Institut français d'Afrique noire y a déjà installé un centre. Le journal « La Guinée Française » paraît à Conakry.
Le port de Conakry est l'élément le plus important de la vie
économique de Conakry. C'est de lui que dépendent à peu près tous
les échanges avec l'extérieur. Le port de Conakry est, pour l'économie et le commerce extérieur de la Guinée, un organe équivalent au poumon pour la vie d'un homme 4.
En choisissant la solution Nord, c'est-à-dire N.-W. de l'île, le Docteur Ballay avait vu juste. Dotée d'une situation assez exceptionnelle pour la Côte d'Afrique, le port de Conakry a des données naturelles qui permettent l'établissement d'un port en eaux profondes. Partiellement protégé au Nord par le banc de la Prudente, au sud-ouest par les îles de Loos, il reçoit les vents du cadran nord-ouest, sud-ouest, mais il est protégé de la houle du sud par la situation défilée par rapport à Boulbinet. Par contre la houle du nord-ouest a nécessité la construction d'une digue. La caractéristique essentielle du port de Conakry est la présence de fortes marées (de 3 à 4 m.) entretenant des courants parallèles à la côté et qui jouent le rôle de chasse d'eau ; courants de flot se dirigeant vers le nord-est et atteignant 2 noeuds ; courants de jusant descendant vers le sud-ouest et pouvant atteindre par endroits 3 noeuds. Ces courants ont créé un chenal se réduisant progressivement vers le nord-est. Le port de Conakry se présente comme un port de rivière, situation paradoxale pour un port situé à l'extrémité d'une presqu'île, situation contraire à l'habitude, du moins en ce qui concerne les ports de commerce qui cherchent à se situer le plus possible dans l'intérieur du pays. Mais la côte d'Afrique est avare de bons emplacements pour l'établissement de ports en eaux profondes. La présence de la houle, une côte sans indentations, basse et bordée d'une mer peu profonde, souvent sableuse ou vaseuse, ne se prêtent guère à la naissance de ports. Il faut profiter des rares situations qui s'offrent.
Depuis 1887 les gros bateaux stationnaient dans la rade. La Compagnie allemande Woermann faisait passer mensuellement à Conakry un bateau à l'aller et au retour. Lorsque Ballay fut nommé gouverneur, il voulut en faire le seul port des Rivières du Sud, mais de nombreux bateaux hésitaient à s'aventurer à Conakry, par peur des échouements. En 1891, « l'Ardent » étudia la rade, le port et la passe pour laquelle il trouva 5 m. 50 au maximum. L'année suivante « La Mésange » infirma ce résultat et ne trouva aux basses eaux que 3 m. 50. Ballay persista néanmoins dans son projet nord, port à marées, sauf des dragages ultérieurs à effectuer 5. Ce n'est qu'en 1898 que les paquebots anglais pénétrèrent dans le port : jusqu'alors ils restaient en rade. Des paquebots de la Compagnie Fouach de Marseille y mouillaient et c'est alors qu'un agent de « Paterson & Zochonis » obligea les paquebots anglais, calant moins que les navires français à y entrer à mi-marée. En 1898, le port était toujours dépendant de celui de Freetown, malgré la création d'un wharf qui fut prolongé en 1897-98.
Malgré la construction d'immeubles pour la douane et l'achat d'un magasin servant d'entrepôts, malgré la pose de feux et balises, le port n'existait pas en fait car les grands navires restaient rares et préféraient aller à Freetown. Ce fut une mesure douanière qui obligea les navires à passer par Conakry. Cousturier frappa d'une surtaxe spéciale tous les produits et marchandises ne venant pas en droiture du pays d'origine : le port était lancé, mais le fret restait plus cher qu'à Freetown. On élargit la base de la jetée et son prolongement. En 1900, un paquebot des Chargeurs Réunis y accosta. En 1904, avec l'établissement de corps morts, d'une jetée de 400 m. et l'arrivée de grues, les bateaux pouvaient décharger à quai. Les installations restaient trop réduites, car le déchargement des bateaux à l'unique poste à quai était lent et souvent les navires devaient mouiller dans la rade et décharger au moyen d'allèges. Enfin, malgré sa situation naturelle, le port restait soumis à la boule du nord-ouest.
Le programme d'extension commença à partir de 1931 avec la Société des Grands Travaux de Marseille. Ce fut la construction d'un mur à quai de 310 m. de 1930 à 1935, l'exécution de dragages de 1931 à 1937, la création d'un appontement en béton armé pour les caboteurs de 1939 à 1941 et d'un autre en ciment armé de 150 m. de long pour les bananiers. Une deuxième campagne de dragages eut lieu de 1941 à 1946, puis ce fut la construction de la digue de 110 m. sur le banc de la Prudente, construction qui dura dix ans de 1937 à 1947 et qui fut faite en enrochements de syénite. La construction de la digue a modifié les fonds de deux manières :
Par contre les courants de jusant se sont affaiblis en amont de l'entonnoir ; il en résulte que les profondeurs d'équilibre doivent être réduites au nord du port. On observe ainsi un phénomène de basculement des fonds qui ont tendance à s'abaisser en aval et à s'élever en amont. Le phénomène de l'envasement doit consister dans le déplacement de la vase des fonds qui s'écoule comme une sorte de bouillie de vase presqu'aussi fluide que de l'eau, et que la densité maintient au fond. (Pesnard Considère).
Après 1941, on a commencé la construction de hangars et de magasins.
En 1951 , les installations nautiques étaient les suivantes : un plan d'eau abrité de 1 .000 m. x 800 m., mais dont la moitié était difficilement utilisable par gros temps : Dans la fosse principale, le chenal a 150 m. de largeur et 600 m. de longueur. La passe Boulbinet présente des fonds de 8 m. 50 où les navires en attente peuvent mouiller, mais au droit du phare de Boulbinet, on note une tendance à l'ensablement. Sur les quais, le ressac se fait sentir seulement par gros temps et peut présenter une amplitude de 1 m. Les fonds sont relativement stables avec une tendance à l'envasement dans la partie nord du cercle d'évitage (Cf. infra), envasement qui atteint 0 m. 50 par an et même 0 m. 80 le long du quai bananier qui forme une sorte d'arrêt au courant de vase.
L'accostage se fait à quai. La longueur des quais de 6 à 8 m. de fond est de 310 m. ; ceux de 3 à 8 m. de 156 m. ; 200 m. de quais ont des fonds de 2 à 5 m. La longueur des quais est très insuffisante pour le trafic actuel comme nous aurons l'occasion de le voir plus loin. Deux pilotes africains dirigent l'entrée dans le port et les manoeuvres d'accostage. Le déchargement se fait en grande partie au mât de charge, selon la solution américaine. Cependant le port et les acconiers possèdent des grues sur pneus. Malgré certaines améliorations, le débit optimum est limité par la cadence de déchargement des navires, qui est de 800 à 1.000 tonnes par jour si les trois postes à quai fonctionnent simultanément et avec le maximum de rendement. Ce débit est insuffisant pour un trafic en constante progression.
Actuellement le port dispose de 60.000 m2 de terre-pleins et d'une surface couverte en hangar de 9.000 m2, surface trop faible pour le tonnage de près de 200.000 tonnes rien qu'aux importations en 1951. Les marchandises exportées, sauf les bananes ne sont pas stockées.
Si les hangars étaient bien équipés, ils permettraient de stocker un peu plus de 100. 000 tonnes. On peut atteindre, dans des hangars perfectionnés, jusqu'à 12 tonnes au m2. Dans leur état actuel, ils arrivent péniblement à stocker une cinquantaine de milliers de tonnes. Dans un délai relativement proche, il faudra doubler au moins les hangars actuellement existants, ce qui nécessitera une dépense de plus de 150 millions.
L'état des installations bananières n'est guère plus enviable que celui des hangars, or l'exportation des bananes constitue plus de 50 % du volume des exportations : 52. 000 tonnes en 1951 sur 95.000 tonnes. Le hangar actuel a une superficie de 1. 500 m2. Le chargement des bananes se fait au rythme de 500 tonnes par jour, soit 2 jours au minimum pour un bananier chargeant 1.000 tonnes. Ce chargement s'effectue au moyen soit de goulottes, soit de sauterelles. Il se présente au moins un bateau bananier par semaine avec des pointes entre novembre et avril. Le chargement des bananes doit être très rapide, la « musasinensis » étant une banane fragile ; les 1.000 tonnes doivent être amenées le plus rapidement possible par trains, ou par camions et l'attente au port réduite au minimum. Pour pallier ces inconvénients qui risquent d'entraîner la perte de la marchandise, il faudrait des installations bananières permettant le stockage des fruits à 12 ° et à l'abri des tornades, stockage qui améliorerait la banane guinéenne, qui n'a de chance de survivre qu'au prix d'une qualité impeccable. Ces nouvelles installations devraient permettre un emploi meilleur des wagons et diminuer, si cela était possible, le prix des transports, enfin elles faciliteraient le rythme de rotation des bananiers. Il faudrait constituer un hangar à bananes de 3.000 m2 permettant de stocker 1.000 tonnes. La construction de ce hangar s'élèverait à plus de 100 millions. Nous verrons que conjointement à la création du quai minier et des installations qu'il entraîne, un nouveau quai, et des installations bananière, sont prévues.
Les installations portuaires suffisaient pour le trafic d'avant-guerre. Il n'en n'est plus de même aujourd'hui. Avant-guerre le trafic était assez régulier et la balance importation-exportation était relativement équilibrée 6.
Les années de guerre (1939-1945) furent des années de crise aiguë pour le port de Conakry et malgré l'effort de guerre le trafic reste réduit. En 1944, une reprise s'amorce qui se poursuit jusqu'en 1947, date du début de l'essor de la Guinée 7.
En 1938, la banane représentait plus de 60 % du volume total des exportations le palmiste vient ensuite avec 18.000 tonnes et enfin suivaient d'autres articles de faible tonnage : viande, miel et cuir. Les importations étaient constituées de matériaux de construction (plus de 20.000 tonnes), d'objets fabriqués, de tissus et de produits alimentaires, du papier kraft pour l'emballage des bananes et de la paille. Ce commerce, s'effectuait pour plus de 80 % en valeur et en tonnage en direction de la France métropolitaine.
De 1940 à 1945, la banane tombe de 20.000 tonnes, en 1940, à 2.400 tonnes de bananes séchées, en 1942. En 1943, l'effort de guerre au prix de lourds sacrifices pour le pays, n'arrivait à sortir que 17.000 tonnes d'animaux, 1 .000 tonnes de caoutchouc, 840 tonnes de miel et 900 tonnes de bananes et un peu moins de 4.000 tonnes de palmistes.
La montée du trafic s'affirme surtout à partir de 1947 : 26.000 tonnes de bananes et 12.000 tonnes de palmistes. Aux importations, qui s'élèvent à 59.000 tonnes :
Produit | Quantité (tonnes) |
ciment | 9.600 |
charbon | 9.000 |
fer & acier | 1.400 |
coton | 1.200 |
papier | 1.124 |
Tableau I (dressé par M. Bourdillon) | ||||||
A. — TONNAGE AUX IMPORTATIONS | ||||||
Année | par longs courriers |
par caboteurs
|
jaugeant net
|
dont (entrée)
|
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LC | CAB | LC | CAB | |||
1949 | 319 | 50 | 956.441 | 16.408 | 81.632 | 25.000 |
1950 | 366 | 46 | 106.379 | 19.336 | 104.617 | 22.945 |
1951 | 285 | 75 | 835.038 | 24.135 | 158.240 | 34.925 |
Tonnage moyen transporté par navire pour Conakry
|
||||||
longs courriers
|
caboteurs
|
|||||
1949 | 255 | 500 | ||||
1950 | 285 | 498 | ||||
1951 | 505 | 465 | ||||
Tonnage importé par tonneau de jauge
|
||||||
longs courriers
|
caboteurs
|
|||||
1949 | 0.085 | 1.350 | ||||
1950 | 0.095 | 1.186 | ||||
1951 | 0.195 | 1.144 | ||||
B. — TONNAGE AUX IMPORTATIONS
|
||||||
longs courriers
|
caboteurs
|
|||||
1949 | 86.764 | 3.609 | ||||
1950 | 91.483 | 4.119 | ||||
1951 | 87.978 | 9.559 | ||||
Tonnage moyen transporté par navire
|
||||||
longs courriers
|
caboteurs
|
|||||
1949 | 283 | 72 | ||||
1950 | 246 | 89 | ||||
1951 | 304 | 125 | ||||
Tonnage moyen transporté par tonneau de jauge
|
||||||
longs courriers
|
caboteurs
|
|||||
1949 | 0.090 | 0.195 | ||||
1950 | 0.083 | 0.221 | ||||
1951 | 0.107 | 0.370 | ||||
Jauge moyenne des navires pendant cette période
|
||||||
longs courriers
|
caboteurs
|
|||||
1949 | 3.057 T | 349 T | ||||
1950 | 2.944 T | 412 T | ||||
1951 | 2.914 T | 344 T |
La progression continue en 1948 : 91.400 tonnes aux importations contre 68.500 aux exportations, dont 28.000 tonnes de bananes, qui reprenaient difficilement et 11.000 tonnes de palmistes.
C'est l'analyse du trafic des trois dernières années qui fera le mieux comprendre l'accroissement considérable des échanges et la hausse des importations qui fera ressortir l'exiguïté du port avec les conséquences économiques qu'elle entraîne.
Importations
|
||||||||
Total | Fer | Sucre | Farineux | Vins | Alcool | Ciment | Charbon | |
1949 | 124.400 | 2.486 | 1.364 | 2.300 | 1.558 | 669 | 16.307 | 11.249 |
1950 | 139.800 | 6.632 | 1.574 | 3.600 | 2.553 | 856 | 25.360 | 14.186 |
1951 | 193.165 | 8.830 | 2.000 | 5.000 | 3.850 | 1.520 | 22.582 | 39.773 |
Bois | Ouvrages en béton |
Hydrocarbures
|
Camions (unités)
|
Voitures (unités)
|
||||
gasoil | pétrole | essence | ||||||
1949 | 2.930 | 1.134 | 1.000 | 2.100 | 9.230 | 265 | 591 | |
1950 | 2.829 | 1.823 | 1.745 | 2.203 | 10.100 | 265 | 591 | |
1951 | 6.977 | 3.698 | 3.785 | 3.772 | 12.500 | 321 | 722 | |
Engrais | Papier kraft | Tissus | Coton | |||||
1949 | 6.921 | 1.190 | 859 | 818 | ||||
1950 | 4.479 | 1.000 | 1.634 | 761 | ||||
1951 | 4.418 | 1.266 | 1.529 | 863 | ||||
Exportations
|
||||||||
Total | Bananes (inclus le port de Benty) | Palmistes | ||||||
1949 | 93.900 | 42.000 | 29.000 | |||||
1950 | 107.700 | 45.000 | 25.000 | |||||
1951 | 104.000 | 54.000 | 25.000 |
Dans ce trafic, 80 % des exportations sont dirigées vers la France, la moitié des produits importés représentant en valeur les 2/3 des importations viennent de la métropole, puis au deuxième rang se placent les U.S.A., l'Angleterre au troisième.
Le déséquilibre entre les importations et les exportations est la marque de l'économie guinéenne des années 1950. La Guinée conservant une économie agricole et de cueillette est d'un autre côté en pleine période de construction et d'équipement industriel. Les chiffres d'importations du ciment, du béton, du, fer, du charbon et des hydrocarbure, en sont la preuve éclatante. Une hausse, mais beaucoup plus malheureuse, s'affirme sur le tonnage des vins et alcools importés, qui se répandent de plus en plus parmi les Africains, même musulmans. Dans un ou deux ans, avec le trafic minier, la balance importations-exportations subira une complète transformation.
Les chiffres du tableau 1 font apparaître la régularité dans la jauge moyenne des navires qui se maintient autour de 3.000 tonnes. Par contre, chaque navire apporte plus de marchandises, ce qui prouve une meilleure utilisation du fret. Le contraste le plus remarquable est dans le trafic caboteur. Les caboteurs arrivent chargés à plein à Conakry, n'ayant du frêt que pour Conakry, mais ils repartent presque à vide. Ce sont eux qui assurent le trafic avec les Rivières, la Sierra Leone, la Guinée Portugaise et même le Sénégal.
Justification des travaux. Le port de Conakry n'était pas fait pour recevoir un tel trafic, surtout un tel trafic aux importations ; ses quais et ses installations sont trop réduits.
Le port de Conakry suffit difficilement à sa tâche. Le spectacle des navires mouillés dans le chenal de Boulbinet en attendant de pouvoir accoster est un spectacle habituel du paysage de Conakry mais c'est un spectacle fort coûteux. Conakry a la réputation justifiée auprès des compagnies de navigation d'être un port où l'on attend et elles font souvent des difficultés pour apporter du frêt à Conakry. Dans le 2e semestre de 1950, il y a eu 120 jours d'attente en rade. Ce risque d'attente, les compagnies le font payer. Conakry, à 800 kilomètres de Dakar, est dans la même zone de trafic que Douala.
Quelques prix établiront la différence du frêt entre les ports français de Dakar et Conakry :
Dakar
|
Conakry
|
|
Fer | 3.800 | 5.800 |
Automobiles (m3) | 600 | 4.600 |
Bois | 400 | 7.700 |
Ciment | 3.800 | 4.400 |
Essence | 12.000 | 14.300 |
Aux exportations, les compagnies de transport bananier demandent 23 fr. par kg de bananes entre Conakry et la France, chiffre anormalement élevé.
Ces chiffres se justifient en partie par les surestaries, payées par les navires, l'attente en France des marchandises qui restent souvent 2 ou 3 mois avant de pouvoir s'embarquer pour Conakry, ce qui représente un intérêt perdu pour les capitaux immobilisés. M. Bourdillon a estimé en 1950 à 150.670.000 frs. le manque à gagner, se répartissant ainsi :
Surfrêt camouflé = 101 .620.000 fr. C.F.A. + 33.000.000 d'intérêts des capitaux perdus + 16.000.000 de surestaries.
Le manque à gagner pour 1951 a été évalué à plus de 270 millions.
La nécessité de nouveaux quais se fait plus impérieuse que jamais.
En 1950, la construction d'un nouveau poste à quai aurait à lui seul évité 156 jours d'attente. La construction de nouveaux postes à quai est un travail payant, s'amortissant à bref délai. Des projets sont en cours d'étude et le financement en sera assuré par un
emprunt à la Caisse centrale de la France d'outre-mer, emprunt garanti par les usagers du port.
Nous avons vu que de nouveaux hangars et de nouvelles installations bananières sont prévues. Un quai caboteur de 50 m., destiné à éviter l'embouteillage du port-caboteur, est en construction. Des quais long-courriers sont en projet. L'extension du quai long-courrier se fera vers le sud par l'allongement de 150 m. du quai actuel et, si le besoin s'en fait sentir, il pourra être prolongé au-delà de 160 m. Ce sera un quai en béton de 11 m. de large avec un remblai de 65 m. Les nouveaux quais devront être équipés avec une batterie de 4 à 5 grues, selon les méthodes employées dans les ports européens. La darse sera remblayée, malgré les services qu'elle rend actuellement. Les travaux d'extension du quai sont estimés à 160 ou 180 millions C.F.A.
Mais la transformation la plus importante du port de Conakry est la création d'un port minier capable d'exporter 1.200.000 tonnes puis 2 millions et peut-être 13 millions de tonnes de minerai de fer. Ce trafic minier modifiera profondément le sort du port de Conakry.
Pour la création de quai minier, deux solutions s'offraient : la solution sud aurait consisté à prolonger le quai actuel de 600 m. vers le sud avec deux nouveaux postes à quai et un quai minier de 300 m. Cette solution avait l'avantage d'éviter des dragages importants, les fonds étant suffisamment profonds. A l'étude en modèle réduit, les inconvénients sont apparus ; ces quais seraient exposés à la houle du sud ; la circulation du quai minier devrait croiser la circulation du port commercial, d'où de travaux coûteux ; enfin, bouchant la vue d'une partie du quartier administratif, cette solution présentant ce grave inconvénient pour l'urbanisme, fut rejetée.
La solution nord a donc été adoptée. Le quai minier se construit dans l'axe du quai long-courrier à 150 m. de celui-ci . Quai de 300 m. de longueur, ce sera un quai léger qui n'aura pas à recevoir le stockage du minerai. Au début, un seul poste à quai sera créé, mais le projet en prévoit trois. La voie ferrée de la Compagnie minière arrivera sur le terrain perpendiculairement au quai ; le déversement des wagons se fera latéralement sur des transporteuses. Le stockage sur terre-plein sera aussi réduit que possible pour éviter le colmatage du minerai (15.000 à 20.000 tonnes) ; stockage strictement indispensable pour pallier les différences de débit d'arrivée des trains et du chargement des bateau par courroies transporteuses. Le débit horaire des courroies sera de 350 m/heure, supérieur à celui du chemin de fer. Le chargement du minerai se fera par courroies transporteuses et goulottes électriques télescopiques. Au début, avec une exportation de 1.209.000 tonnes on prévoit une cadence probable de 12 bateaux par mois pendant 8 mois et 6 pendant les quatre mois d'hivernage ; ce qui fera 120 chargements de 10.000 tonnes de minerai en moyenne. Le projet prévoit une cadence de chargement de 1.600 tonnes par heure, c'est-à-dire que l'appareil de chargement aura un débit d'au moins 1.800 tonnes/heure. Les bateaux devront être chargés en un peu plus de six heures, soit l'intervalle entre deux demi-marées. Lorsque l'exploitation, atteindra 3.000.000 de tonnes, il sera prévu 3 postes à quai pouvant charger 2 bateaux simultanément. Les bateaux et les équipages seront soumis à dure épreuve : épreuve pour les bateaux qui voyageront à l'aller sur le lest et au retour seront chargés d'une cargaison dure ; épreuve pour l'équipage qui n'aura guère le temps de se rendre à terre. La plupart des bateaux seront probablement britanniques, le fer devant se diriger surtout vers la Grande-Bretagne. Avec son port minier, Conakry devient le « Narvik des Tropiques», en attendant que Port-Etienne ou Villa-Cisneros soient le « Narvik du Désert ».
L'ensemble des travaux pour la création du quai est évalué à plus de 400.000.000 de francs C.F.A. et les installations qui sont à la charge de la Compagnie minière s'élèveront à plus de 200 millions. Les travaux du quai seront financés par une société d'économie mixte qui s'occupera de la gestion du port minier et touchera les redevances s'élevant à 9 fr. CFA par tonne.
On prévoit également la création d'un port bananier à l'ouest du terre-plein du quai minier, la voie bananière longera la voie minière jusqu'au port où elle aboutira au hangar et au quai bananier projeté
Dans les projets d'extension du port, il est prévu un port d'hydrocarbures sur l'emplacement de l'actuel terrain de football. En cas de modification du plan d'urbanisme déplaçant la gare et les installations ferroviaires sur la Corniche nord, le port d'hydrocarbures glisserait vers l'est, vers l'isthme de Tumbo.
Le port s'agrandissant, des ouvrages sont nécessaires pour protéger les nouvelles installations : prolongement de la digue de la Prudente ; création d'une digue de protection au N-E de la précédente. Toutes ces digues sont constituées en enrochements de syénites. Pour conserver et accentuer le courant collant au quai minier, un épi de guidage se construit, de 600 m. de longueur sur 6 m. de hauteur, revêtu sur la face nord d'enrochements de syénites avec soubassement latéritique.
Le dragage du cercle d'évitage est en cours au Nord du quai actuel, dragage de 8 m. 50 sur 300 m. de rayon. Le cercle d'évitage servira aussi de « piège à vase » (Pesnard Considère) recevant la lente coulée de vase, venant du Nord, il dégagera la partie sud du port. Devant le quai minier, une souille de 11 m. de profondeur sur 400 m. de long et 11 m. de large sera draguée avec un talus de 5 % pour éviter les éboulements entre la cote -11 et la cote -8,5.
Le port de Conakry se présente actuellement comme mine un vaste chantier et il essaie tant bien que mal de remplir sa fonction avec les installations dont il dispose. Le port est à l'image de la région de Conakry, si l'on veut comprendre ce port, c'est vers l'avenir qu'il faut regarder et non dans le passé.
D'une importance moindre que le port de Conakry, « le Conakry-Niger » participe également à la vie économique du pays. Voie de pénétration dans l'intérieur, c'est une des voies de liaison avec la Haute-Guinée et le Soudan. La voie ferrée fut commencée en 1900. Le piquetage se fit au début du siècle. En 1904, le premier tronçon « Conakry-Kindia » était inauguré ; en 1910, il atteignait Kouroussa sur le Niger. Il a été construit rapidement dans un pays accidenté avec des voies de 1 m. D'un tracé difficile, il a des déclivités qui peuvent atteindre 25/1 000 et de courbes d'un rayon minimum de 120 km.
A Conakry, l'emprise du chemin de fer, s'étend sur une vaste surface de 900 m. de long sur 200 m. de large avec, en plus, des lots pour l'administration et le logement du personnel européen.
En 1951, comment se présente le Conakry-Niger 8 ? Le chemin de fer Conakry-Niger est dans une période de transition, comme beaucoup d'autres services en Guinée. L'ancien matériel achève d'expirer ; le nouveau arrive, mais reste insuffisant. Pendant les années d'après-guerre il a assuré son service avec un matériel à bout de souffle et amorti depuis longtemps. En 1950, le matériel se composait, en début d'année, de 44 locomotives de route, 10 locomotives à vapeur, de 36 voitures à voyageurs et de 443 wagons de marchandises. Ce matériel, souvent usagé, exigeait des frais d'entretien et de réparation élevés.
En 1951, le C.F.C.N. reçut 4 autorails neufs ; 9 locomotives Mikado et 58 vieux wagons du Dakar-Niger. Pour 1912, on attend des locomotives Diesel qui doivent peu à peu remplacer le matériel usé.
Actuellement, le trafic mensuel en tonnes kilométriques dépasse en 951 4.500.000 t/km avec des pointes de 5.900.000 t/km, alors qu'il avait été organisé sur la base de 3.500.000 t/km maximum.
Les statistiques laissent apparaître une hausse constante du trafic voyageur et marchandises depuis 1937.
Année | Nombre de voyageurs | Voyages/kms | Marchandises | |
tonness | Tonne/Km | |||
1937 | 19.400 | 1.960.000 | 2.350.000 | 2.946.000 |
1938 | 23.700 | 1.340.000 | 2.360.000 | 2.594.000 |
1942 | 73.500 | 3.890.000 | 1.110.100 | 1.319.000 |
1944 | 54.500 | 2.630.000 | 2.040.000 | 2.303.000 |
1946 | 60.200 | 2.950.000 | 1.700.000 | 2.120.000 |
1948 | 32.904 | 1.576.748 | 2.531.857 | 2.689.532 |
1949 | 41.013 | 2.312.497 | 3.182.752 | 3.413.992 |
1950 | 46.435 | 2.718.155 | 3.288.489 | 3.500.305 |
1951 | 49.910 | 2.808.480 | 4.754.727 | 5.035.870 |
La liste des principales marchandises transportées à la descente (Kankan-Conakry) en 1951 est significative :
Description | Quantité (en tonnes) |
Animaux | 7.690 |
Denrées | 581 |
Bananes | 28.438 |
Plus de la moitié de la production bananière d'exportation arrive au port par chemin de fer. A partir de Mamou, les marchandises embarquées sont à peu près exclusivement des bananes ; 2.329 tonnes de café empruntent la voie ferrée ; de même près de 4.292 tonnes de riz et 11.607 tonnes de palmistes. Plus de la moitié de produits d'exportation descendent par le chemin de fer. Chaque produit circule sur une grand distance, ce qui permet une manutention plus réduite et une meilleure utilisation des wagons. La tonne est transportée sur 325/km en moyenne.
A la montée, le trafic est supérieur et atteint 97.799 tonnes en 1951 , contre 64.097 en 1950, dont :
Description | Quantité (en tonnes) |
Groupages | 3.115 |
Machines | 1.000 |
Ciment | 17.292 |
Outils | 1.517 |
Boisson | 1.868 |
Essence | 5.463 |
Pétrole | 1.160 |
Sel | 3.630 |
Transports en service | 29.000 |
Une partie de ce trafic n'effectue que le parcours de 10 km, séparant le port de la zone industrielle ; ce trafic marchandise de banlieue affecte surtout les carburants et le ciment.
Dans le trafic voyageur, on constate aussi naissance d'un trafic de banlieue Conakry-Dixinn. Il y a environ 1000 allers et retours quotidiens entre Dixinn et Conakry.
1951
|
||
Trafic total + Banlieue | Au-delà de la banlieue | |
Janvier | 23.691 | 1.854 |
Février | 24.891 | 2.157 |
Mars | 29.870 | 2.268 |
Avril | 30.320 | 2.044 |
Mai | 31.269 | 2.000 |
Juin | 28.922 | 1.731 |
Juillet | 39.045 | 2.137 |
Août | 27.000 | 2.111 |
Septembre | 18.476 | 1.927 |
Octobre | 30.900 | 2.000 |
Novembre | 31.550 | 2.012 |
Décembre | 34.813 | 1.973 |
Ces quelques chiffres montrent l'importance du trafic de banlieue, symbole de la fonction résidentielle de la banlieue. Les habitants viennent travailler ou faire leurs achats en ville. La moitié environ des « banlieusards » qui se rendent à Conakry, empruntent le chemin de fer , dans un sens ou dans l'autre.
Le chemin de fer Conakry-Niger est handicapé par une infrastructure vétuste. La voie unique ne lui permet pas de transports massifs et son coût de transport reste élevé. Dans l'immédiat on s'occupe surtout de renouveler le matériel. Dans l'avenir, des aménagement sont prévus.
Un plan d'urbanisme prévoit le transfert des installations ferroviaires et celui de la gare de Conakry sur la corniche nord.
En attendant, seul le projet d'une gare nouvelle est à l'étude.
Etroitement lié au port et à la voie ferrée, le commerce caractérise, avec le port, l'aspect le plus ancien et le plus varié, le plus important aussi de la vie économique de Conakry.
L'installation à Tumbo des Compagnies de commerce est relativement ancienne. Les premières furent des Compagnies allemandes et anglaises, vers 1880, notamment celle de Hambourg qui avait obtenu du chef de Boulbinet une concession pour sa factorerie. L'influence étrangère était alors prédominante et, en 1889, les maisons de commerce, même la Compagnie Française de l'Afrique Occidentale qui venait de s'installer, se servaient de poids et de mesures anglais et refusaient l'argent français (Arcin, p. 445). Mais il ne semblait pas alors que Conakry pût lutter contre d'autres centres des pays des Rivières comme Dubréka, Boffa et Boké, et encore moins contre la toute-puissance de Freetown. La C.F.A.O. venait de s'assurer à Tumbo d'un vaste terrain et avait construit un brise-lames qui devait être l'amorce d'une jetée. Cette compagnie allait faire tout ce qui était en son pouvoir pour développer le commerce dans le pays des Rivières. En 1888, le lieutenant Guichard écrivait :
« Du jour où il y aura des habitants à Conakry, des maisons de commerce viendront s'y installer. C'est là que les comptoirs de Dubréka, de la Mellacorée et du Rio Pongo feront débarquer les marchandises venant d'Europe et auront leurs entrepôts au lieu de les avoir en Sierra-Léone ».
Un des premiers soucis du gouvernement fut d'attirer le commerce à Conakry. Quelques jours après la création de la colonie des Rivières du Sud, on établissait les formalités pour obtenir des concessions provisoires de terrains à Tumbo. C'est à l'arrivée du docteur Ballay comme Gouverneur de la Guinée que commença la lutte contre Freetown, lutte qui devait assurer à Conakry la prépondérance dans le commerce des « Rivières ».
Seule la création d'un port pouvait permettre au commerce de se développer (Cf. Infra). A partir de 1894, les commerçants affluèrent. En 1896, on comptait 22 maisons de 1er ordre dont la C.F.A.O. D'autres moins puissantes et déjà des boutiques de Libanais se montraient. C'est alors que Cousturier, par ses tarifs douaniers arriva à supplanter Freetown.
Le grand commerce d'alors se pratiquait à peu près sur les mêmes principes que maintenant : importations de tissus et de produits d'Europe, traite et exportation du produit qui était une des richesses de la Guinée, le caoutchouc. Une crise sur le caoutchouc ralentit les échanges en 1900, mais en 1902, la reprise s'amorçait tandis que d'autres produits : l'élevage et les palmistes, permettaient au commerce d'accuser en 1902 une augmentation de 360 % sur 1894 et 1895. La création de la Banque d'Afrique occidentale, qui installa une succursale à Conakry en 1903 allait faciliter les transactions.
Le mouvement était lancé : avec le chemin de fer et l'ouverture du port, Conakry centralisa tout le commerce extérieur de l'ensemble de la Guinée.
En 1951-52, la plupart des maisons d'importation et d'exportation commerçant sur la côte d'Afrique ont des succursales à Conakry. Ce sont d'abord ce qu'il est convenu d'appeler les Grandes Compagnies :
A elles seules elles font plus des 4/5e du commerce des territoires. Elles ont des
comptoirs et des factoreries dans la plupart des centres. Ce sont elles qui font la traite, traite du palmiste, traite du café. A l'exportation, seule une partie importante du commerce bananier ne passe pas par leurs mains. Elles tenaient jusqu'à ces dernières années toute l'économie du territoire. Possédant une situation dominante, elles ont été accusées de pomper les richesses des territoires africains sans les mettre en valeur et sans réinvestir sur place une partie des bénéfices qu'elles tiraient de ce commerce. Depuis 1945, avec l'évolution économique rapide des territoires d'outre-mer, avec l'industrialisation naissante en Guinée, cette situation est en train de se modifier, Maisons de commerce, elles ont des activités multiples : importation d'articles divers, tissus, produits manufacturés, qu'elles vendent soit directement dans leurs comptoirs, soit surtout aux détaillants libanais ou européens qui, en échange, leur apportent les produits de traite. Elles représentent aussi des entreprises industrielles, des marques de voitures, des compagnies maritimes et des assurances.
Par les avances qu'elles font et surtout qu'elles faisaient aux détaillants, elles suppléent en partie aux Banques dans l'octroi des crédits à court terme en faisant preuve d'une plus grande souplesse.
Quoique faisant le même métier, chacune a soit une spécialité, soit une politique économique un peu différente de ses voisines.
Le rôle des Grandes Compagnies est encore considérable en Guinée. Ce sont elles qui fixent le cours des produits de traite (cf. l'entente sur les cours du palmiste entre la C.F.A.O., la S.C.O.A. et le Niger) ; leur puissance économique reste forte. Un exemple le prouve : lorsque la liberté a été rendue au commerce du riz et que la spéculation commençait sur ce produit de base dans l'alimentation guinéenne, spéculation qui aurait probablement entraîné une augmentation du coût de la vie en Guinée, les Compagnies se sont entendues pour faire venir du riz d'Asie et pour le vendre à bon compte en Guinée.
Cependant, les Compagnies passent par une période de transition. Créées pour la traite et pour une économie d'échanges, il leur faut s'adapter à une économie s'industrialisant et à une spécialisation sans cesse croissante de produits. Autrefois, il leur suffisait d'avoir « une dizaine d'articles de bataille », tissus et quincaillerie.
Maintenant, la mode change rapidement et le coefficient d'incertitude dans les achats grandit. D'autre part, elles ont de la peine à suivre la spécialisation des articles. Il leur faut un spécialiste pour l'outillage électrique, un autre pour la mécanique, etc. Les maisons de représentation qui se créent répondent mieux à cette tâche. Dans le textile, elles commencent à se heurter à des entreprises ne faisant que des tissus comme la C.I.T.E.C. (Compagnie Industrielle textile cotonnière, dépendant de Boussac) et à des maisons grecques (Panopoulos) ou libanaise (Hadifé) qui vendent des cotonnades.
Dans la traite elle-même, elles connaissent souvent des mésaventures qui les obligent à recourir aux banques. La traite de l'année 1951-52 sur les produits oléagineux leur a été très défavorable, comme elle l'a été à l'échelon inférieur pour les petits traitants libanais ou européens.
Elles restent encore puissantes et jouissent d'une solide organisation matérielle et de la force acquise. Mais la part croissante prise par leurs trais généraux risque d'entamer les avantages qu'elles retireraient d'achats à bon compte aux industries européennes et des facilités de transport qu'elles connaissent.
A côté des grandes compagnies, il s'est créé un certain nombre de maisons d'import-export. Avant la guerre de 1939, rares étaient ceux qui pensaient avoir la force d'affronter la concurrence des compagnies. En 1946, à la fin de la guerre, on assiste à la floraison des maisons d'import-export à Conakry. Dix s'installent dans l'espace d'une année. Elles s'établissent souvent avec des bénéfices illicites gagnés pendant la guerre. D'autres pensaient mettre à l'abri une partie de leur fortune et la faire fructifier outre-mer. Beaucoup en tous cas manquaient d'expérience coloniale et, dans les années qui suivirent, les faillites et les fusions furent nombreuses. Parmi les maisons libanaises et grecques, quelques-unes, ont acquis une puissance et un crédit suffisant pour passer leurs commandes en dehors des grandes compagnies.
Une branche commerciale qui prend avec l'industrialisation du territoire de plus en plus d'importance est la représentation industrielle :
Chacune de ces maisons représente des entreprises industrielles françaises et étrangères. Possédant des spécialistes avisés des dernières créations, elles suppléeront dans l'avenir aux Grandes Compagnies dans ce domaine. Dernièrement, avec l'arrivée de nouveaux concurrents et le rétrécissement de la trésorerie en Guinée, les affaires deviennent plus difficiles.
Un autre aspect original du commerce d'exportation guinéen est celui de la banane. Nous avons vu l'importance qu'il tenait dans le tonnage d'exportation, dans l'organisation du port et dans le trafic ferroviaire et routier qu'il alimentait entre Mamou et Conakry et Conakry et la Basse-Côte.
Le commerce bananier est entre les mains les coopératives bananières groupant les producteurs et s'occupant des achats d'engrais et de matériel ; elle prévoient le rythme de rotation des bananiers par l'intermédiaire de la Chambre d'Agriculture. Ce sont elles qui essaient de défendre les cours de la banane, qui le plus souvent conditionnent les régimes et s'occupent du chargement des navires bananiers. Les maisons qui s'occupent du commerce bananier à Conakry sont :
Le commerce de la banane est sujet à des crises ; les quelques chiffres cités proviennent du rapport de la Chambre d'Agriculture et d'Industrie.
La banane guinéenne a de la peine à soutenir la concurrence internationale contre la banane des Canaries, la « Gros Michel » du Cameroun ou celles des Antilles et de l'Amérique centrale. Elle se vend trop cher, elle est grevée par les frais d'emballage (la banane guinéenne est la « musa sinérisis », petite banane de bonne qualité gustative mais fragile) et par des prix de transports élevés. A la production même, il semble difficile de réduire les frais. Enfin, d'une façon générale, le franc C.F.A. nuit à l'exportation de la banane.
En 1951, le prix minimum de la banane à la production était de 12 fr. C.F.A., soit 24 fr. métropolitains ; main-d'oeuvre, engrais, personnel, matériel, amortissement et frais généraux. Les frais d'expédition s'élevant aussi à 12 fr. C.F.A. : emballage, transport et transit à Conakry. Les frais entre le quai de Conakry et le quai français se montent à 20 fr., C.F.A soit 40 fr. métropolitains : frêt, assurances, taxes de transaction, débarquement, transit, taxes diverses et commissions. Au total, en France, l'ensemble de ces facteurs met la banane, sur le quai, à 88 fr. métropolitains. On constate que le prix de vente moyen à quai en 1952 a été, compte tenu des mauvais arrivages, de 80 fr. métropolitains. Le prix de vente moyen au fournisseur a été de 105 fr. et au détail de 120 fr. Pour un prix d'achat de 120 fr. la famille française ne paie à la production coloniale que 24 fr. Ces chiffres doivent faire comprendre l'importance de la question bananière en Guinée. Actuellement (avril 1952) la banane se vend bien : 120 fr. métro, à quai en France. Il suffit que le pouvoir d'achat monte un peu en France, qu'un marché étranger (marché allemand) s'entrouvre ou surtout qu'une catastrophe bienheureuse survienne au bananeraies d'Amérique ou des Canaries, pour que le planteur réalise des bénéfices importants. Mais souvent les cours sont désespérément bas pour le planteur. Celui qui est loin de Conakry, ceux qui ne comprennent pas au maximum leur prix de revient, en un mot les planteurs marginaux, risquent d'être déficitaires. Or il a été investi dans la banane guinéenne, depuis 5 ans, plus de 10 milliards productifs d'un chiffre d'affaires de 3 milliards 500 millions métro. Il a été créé un port bananier et une flotte bananière, une somme d'efforts et de peines considérables a été dépensée. Il serait malheureux que tous ces efforts, tous ces investissements aboutissent une fois ou l'autre à une faillite.
Trois banques ont des succursales à Conakry :
La B.A.O. est la plus ancienne. Créée par décret le 20 juin 1901, elle a le privilège d'émission en A.O.F. Pendant longtemps, étant seule en course, elle eut le monopole de la clientèle privée. La Banque Française d'Afrique lui fit concurrence quelque temps, mais elle disparut en 1931. En 1941, la B.N.C.I. s'installe et, en 1949, le Crédit Lyonnais ouvre ses guichets.
La B.A.O. joue actuellement le rôle de Banque centrale. Quoique faisant toujours de la clientèle privée, elle accepte le réescompte. La B.N.C.I. et le Crédit Lyonnais, banques de dépôts, ne peuvent effectuer que des prêts à court terme. Elles font des transactions commerciales avec les grandes Compagnies, les maisons grecques et quelques Libanais importants.
Un aspect un peu plus original de leur activité consiste dans les crédits de traite ou crédits de campagne pour le palmiste et le café. Leur organisation comptable-rigide ne leur permet pas d'avoir la souplesse qu'ont certaines grandes compagnies envers les détaillants libanais ou africains. Elles ne désirent pas attirer de clientèles ne présentant pas des garanties suffisantes pour les opérations financières. En rapports étroits avec leurs sièges français, elles en reçoivent des conseils destinés à empêcher la spéculation en restreignant les crédits pour rendre difficile la constitution de stocks. En 1951-52, les crédits de traite sont plus réduits que ceux des années précédentes.
A côté des banques, la Caisse centrale de la France d'Outre-mer a un rôle para-bancaire. Elle fait des prêts à moyen (5 à 6 % d'intérêt) et à long terme. Elle gère le FIDES et prend des participations dans des entreprises semi-publiques ou d'économie mixte qui se créent. A Conakry, une partie des travaux du port se fait sur un emprunt à la C.C.F.O.M. ; elle a fait des avances importantes à la Compagnie Minière et participe pour 80 % à la nouvelle société immobilière de Guinée. Les banques, avec le développement économique, voient leur importance croître. Un signe tout extérieur en témoigne : la B.N.C.I. construit un immeuble sur la 6e Avenue. Mais il ne semble pas nécessaire, ce qui serait d'ailleurs difficile, de créer une banque d'affaires dont on voit mal quels seraient les fonds privés d'origine guinéenne lui permettant de vivre. La C.C.F.O.M. en tient lieu et place et la plupart des investissements se font de l'extérieur, de la France ou de l'étranger.
Par contre, lié à la construction et au plan d'urbanisme, l'utilité d'un crédit foncier se fait sentir. L'absence de valeurs immobilières stables, la spéculation sur les immeubles et les terrains rendraient son installation délicate mais d'autant plus souhaitable par l'action régularisatrice qu'elle pourrait avoir sur le cours des terrains et des immeubles. La société immobilière qui vient de se créer jouera un peu le rôle de crédit-foncier. D'un capital de 200 millions C.F.A., elle va s'attacher à la construction de logements africains dans la banlieue de Conakry.
Quelques renseignements et données, tirés d'une étude du directeur de la C.C.F.O.M. de Guinée sur la situation monétaire, permettront de comprendre le rôle des banques dans le développement du territoire.
Moyennes | Indices 1950 (base 100 en 1938) | ||
1931 | 1950 | ||
(milliers de francs)
|
|||
Circulation fiduciaire | 65.737 | 566.869 | 858 |
Comptes de dépôts: Caisse d'Epargne, Chèques Postaux | 12.354 | 329.084 | 2.664 |
Comptes-Courants et Créditeurs | 9.720 | 396.769 | 4.082 |
Totaux
|
87.811 | 1.292.722 | 1.487 |
Ces chiffres montrent d'une part l'extrême faiblesse en numéraire du territoire : la Guinée en plein essor connaît une crise de trésorerie. D'autre part la disparité entre les indices de circulation, des comptes de dépôts et des comptes créditeurs, due à l'activité des banques, est un bon témoin du développement économique de la Guinée. La situation monétaire du territoire est remarquablement faible quand on la compare au mouvement économique. Au 31 décembre 1950, le total des moyens de paiement, qui se montait à 1.336.162.000 fr., se trouvait inférieur de 326 millions au volume des avances bancaires.
La faiblesse des signes monétaires, l'activité bancaire intense qui s'explique par le développement du pays, le montant élevé des investissement (près de 2 milliards en 1950), le déficit commercial de 2.148 millions qui est marqué par l'entrée dans le territoire des biens d'équipement, caractérisent l'activité financière de la Guinée. En ce qui touche au revenu indigène et au revenu européen, on constate que les africains disposent du 1/3 de la masse monétaire, mais que leur revenu colonial (revenu de leurs productions) est évalué à 60 % du revenu total, alors que le rapport population indigène/population européenne est de 1/450
Ces quelques chiffres montrent bien la disproportion d'une économie encore presque close, vivant pratiquement sur elle-même et des formes les plus spécialisées de la vie moderne. Le voisinage de la daba et du bulldozer caractérise l'Afrique des années 1950.
L'histoire et l'étude du commerce de détail à Conakry montrent bien l'évolution de la ville et des modes de vie de ses habitants.
Sociologiquement, aux différents types de commerce correspondent des catégories sociales et ethniques bien marquées. Historiquement et économiquement, la tendance est à une spécialisation croissante.
Topographiquement, le commerce est relativement bien localisé
La dispersion du commerce dans les autres quartiers est faible et c'est le fief des petits détaillants, des traitants et de « tabliers » africains. L'absence à peu près complète de commerçants européens ou libanais en banlieue traduit sa création récente et son caractère à la fois de résidence et de satellite de Conakry.
Les premiers commerçants furent, nous l'avons vu, des représentants des compagnies allemandes, anglaises et françaises. Avec la croissante et l'extension prise par Conakry, des Syro-Libanais, des Italiens et des Espagnols arrivèrent. Bientôt les commerçants européens se plaignirent de la concurrence des Libanais et demandèrent qu'ils soient frappés d'une patente de 500 fr. et d'un permis de stationnement de 1.000 fr., somme considérable pour l'époque. Le gouverneur Cousturier refusa au nom de la liberté du commerce et les Syriens ouvrirent de plus en plus de boutiques. Le commerce devait rester ce qu'il était jusqu'à la veille de la guerre de 1939, c'est-à-dire un commerce de comptoirs où l'on vendait de tout : quincaillerie, tissus, alimentation, Dans l'alimentation, il y avait eu certes, dans les années 30, deux boulangers, trois bouchers, dont un Libanais installé depuis 1906, un Africain et un Français. A cette époque le pharmacien était en même temps droguiste et s'occupait des photos et d'instruments d'optique. L'artisan européen qui s'établissait réparait tous les engins mécaniques et électriques. En 1937, un coiffeur, qui n'était pas comme son concurrent un coiffeur photographe ouvrait un « salon » à Conakry. A partir de 1944 s'installe le premier coiffeur pour dames; puis ce furent des photographes, des magasins de nouveautés, des confiseurs et des boulangers-pâtissiers, des réparateurs divers mais spécialisés, des artisans européens : tôliers, ferronniers, plombiers, électriciens. Actuellement, Conakry possède l'éventail de magasins spécialisés qui caractérisent une ville moderne.
Le commerce de « comptoirs » ou commerce général continue de former la base du commerce de Conakry ; ce sont les comptoirs des grandes compagnies avec les sections de quincaillerie, d'outillage, l'alimentation, de tissus d'habillement. Souvent, chaque compagnie a deux magasins : l'un tenu par des européens et destiné surtout aux acheteurs européens ; l'autre avec des vendeurs africains pour les indigènes. Les compagnies, effectuant sans intermédiaire le passage des prix de gros aux prix de détail, peuvent se permettre sur certains articles des prix un peu inférieurs à ceux que pratiquent les commerçants libanais. Ce phénomène du mécanisme des prix est surtout visible dans l'alimentation et dans les prix des boîtes de conserves où le prix moyen chez les Libanais est de 5 à 10 % supérieur à celui des comptoirs des grandes compagnies.
Décidée à sortir du cadre un peu vétuste des comptoirs, la S.C.O.A. vient de lancer un magasin de présentation européenne. « le Paris - S. C.O. A. » avec vendeuses blanches et musique à l'intérieur. On ne peut encore juger cette expérience qui financièrement doit être coûteuse (frais généraux élevés, sans tenir compte de l'amortissement de l'immeuble). La clientèle européenne a déjà ses magasins habituels ; quant aux Africains, attirés par la présentation bruyante, ils hésitent à acheter et semblent, considérer le magasin plus comme un spectacle que comme une institution commerciale. Mais si la technique de Paris-S.C.O.A. peut paraître prématurée, elle ne manque pas d'intérêt. Une petite étude comparative serait à faire entre les résultats et les types de clientèle des trois Paris-S.C.O.A. : celui de Dakar, celui de Bamako et celui de Conakry.
Très important, il est l'un des plus anciens comme nous l'avons vu précédemment, commerce de détail et commerce de traite. Les Libanais ont eu pendant longtemps pratiquement le monopole des commerces de détails en Afrique. Ils l'ont encore en brousse, là où les grandes compagnies n'ont pas encore installé leurs factoreries. Mais il existe des différences entre le Libanais de la brousse et celui de la ville. Le Libanais de la brousse, en plus du commerce de détail, fait la traite, effectue l'achat des produits aux indigènes pour les grandes compagnies.
A Conakry, il se livre surtout à la vente de détail. Quelques uns sont des transporteurs-commerçants. D'autres continuent la traite du café et du palmiste et partent faire des tournées en brousse aux périodes de traite. Le commerçant de Conakry, par opposition à celui de la brousse, est en général « arrivé ».
On a souvent décrit leur vie, leur mentalité et leur organisation, leur magasin donne de plain-pied sur la rue avec, sur le devant, un ou deux piqueurs et leur machine à coudre. Le magasin est souvent surmonté d'un étage qui sert d'appartement. La boutique est en général haute de plafond. Sur les rayons, les rouleaux de tissus, la cotonnade bon marché aux couleurs vives, mais de médiocre qualité ; dans un coin quelques boîtes de conserves, un ou deux produits alimentaires ; ailleurs un peu de quincaillerie, des articles de bazar, des « produits de beauté » de dernière qualité, des peignes, des stylos, quelques paires de chaussures et des coiffures de tout acabit, telle est la boutique du Libanais ou du Syrien. Derrière son comptoir le commerçant travaille en famille, avec, de temps à autre, l'aide d'un ou deux commis indigènes.
Ce type de magasins se trouve à une cinquantaine d'exemplaires à Conakry. Ces commerçants font en moyenne un chiffre d'affaires compris entre 8.000 et 14.000 fr. C.F.A. par jour, avec des pointes au début du mois, grâce aux achats de tissus après la paie, et des creux à partir de la deuxième quinzaine. La clientèle est à peu prés exclusivement africaine et se fournit surtout en cotonnades, qui sont le chapitre le plus important dans les ventes des Libanais à Conakry.
Ils ont en général un fond stable de clientèle pour quelques produits : quincaillerie, conserves, articles de bazar, mais connaissent de grosses variations dans la vente de leurs coupons de tissu, qui plaisent plus ou moins selon la mode indigène.
Bons détaillants, connaissant la psychologie des Africains, les Libanais sont incapables de prévoir à longue échéance. Connaissant mal les règles du droit commercial les plus élémentaires, ils font souvent de mauvais commerçants lorsqu'ils sortent du commerce de détail et des opérations de traite.
Leur seule politique économique consiste à jouer à la hausse, ce qui à l'époque actuelle, et surtout en période de pénurie, ne leur a pas trop mal réussi, sauf pour certains produits de traite qui leur ont infligé des déboires douloureux. D'autre part, beaucoup sont atteints de la « maladie de la pierre ». Dès qu'ils ont un peu d'argent (le Libanais a toujours une trésorerie très réduite pour les opérations commerciales qu'il entreprend), ou même sans argent, grâce à des avances, ils achètent des maisons et construisent. Ils ont investi sur place une partie de leurs bénéfices récents, ce qu'ils ne faisaient pas auparavant. Mais de ces investissements ils tirent de bons profits : les maisons qui coûtent environ 1.5,00.000 fr. C.F.A., peuvent se louer jusqu'à 380.000 fr. par an et sont amorties en 4 ans, souvent même moins. Construisant un peu n'importe comment, sans souci plupart du temps des règles d'hygiène et d'urbanisme, louant leurs maisons à des prix prohibitifs, ils rendent un service en permettant de résoudre partiellement et d'une manière toute provisoire et coûteuse la crise du logement.
Après la guerre, quelques-uns de ces commerçants qui avaient eu pendant la guerre une activité commerciale en apparence réduite, mais pour qui « le silence avait été d'or » se sont trouvés en 1946 avec des fonds considérables pour faire bâtir. Une partie de ces fonds mise en lieu sûr, l'autre partie leur a permis de laisser le commerce de détail pour des activités plus élevées : commerce de gros et de demi-gros, entreprises et représentations industrielles. L'intelligence d'un ou deux leur a permis de se maintenir, mais beaucoup sont retombés dans leur situation initiale.
Pour certains Européens et Africains, les Libanais sont des maux à supprimer. On les accuse d'être des parasites des Africains ; d'être des marchands de Venise, d'empêcher les Africains de commercer, d'être malhonnêtes, sémites et étrangers. Indiscutablement, les règles commerciales des Libanais ne sont pas d'une régularité parfaite. Le commerce consistant à gagner le plus d'argent possible, ils en gagnent par tous les moyens. Connaissant l'imprévoyance des Africains, beaucoup en abusent et font de l'usure. Mais le Libanais apparaît comme un éléments de la chaîne commerciale dont on peut difficilement se passer. En dehors de quelques Sénégalais et des « dioulas évolués », l'Africain est un médiocre commerçant. Il produit, mais il a de la peine à commercialiser son palmiste ou son café. Le Libanais sert d'intermédiaire entre l'Africain et la Compagnie.
Il fait un métier que peu d'Européens voudraient faire, surtout en ce qui concerne le commerçant de brousse, et que peu d'Africains sont capables d'assurer. Mal nécessaire, comme beaucoup d'intermédiaires, le Libanais est « tenu » par la Compagnie qui lui fait des avances et escompte ses traites, vend et achète ses produits et il « tient » à son tour l'Africain. C'est cette cascade de dominations qu'il faudrait supprimer. L'organisation commerciale telle qu'elle se présente actuellement en Afrique ne semble pas le permettre. Dans quelques années , avec l'évolution qui est en cours, il est possible que l'on puisse éliminer une partie de ces intermédiaires qui sont un élément de la vie chère en Afrique. La suppression du Libanais est économiquement une chose relativement facile : il suffit qu'il y ait mévente sur certains produits, comme cela se passe actuellement, que les Libanais se soient livrés à des spéculations hasardeuses et qu'ensuite les Compagnies refusent de leur faire des avances, pour qu'ils soient acculés à la faillite. Mais les Libanais jouent en Afrique le rôle de la classe moyenne, une classe moyenne un peu particulière, et on hésite toujours à supprimer cette catégorie sociale et économique de la population. En 1951-52 les grandes Compagnies, ayant des difficultés avec les produits de traite, surtout en ce qui concerne les oléagineux, se font plus dures avec le détaillant libanais qui se maintient souvent sur la corde raide.
A Conakry il ne présente guère d'originalité. Les indigènes s'approvisionnent au marché et les Européens aux comptoirs des grandes Compagnies et aux magasins d'alimentation. Une particularité cependant est à noter : l'arrivée fréquente des bananiers permet d'apporter des légumes et des fruits de France et d'Afrique du Nord, tandis que les Compagnies aériennes assurent un service de transport de viande, surtout de veau.
Plus intéressante est l'apparition, depuis 5 ans, d'un commerce de nouveautés et de luxe, commerce qui montre la naissance d'une clientèle nouvelle, surtout féminine. Mais ce commerce connaît aussi des difficultés. Les produits qu'il vend sont trop chers (entre 100 et 150 % en francs C.F.A. du prix en francs métropolitains). La clientèle européenne, constituée surtout de salariés menant une vie aisée, mais sans moyens financiers exceptionnels, préfère profiter des congés ou faire venir de France ce qu'elle désire acheter. En dehors des périodes de fête, ces magasins font peu d'affaires. Il n'y a pas, d'autre part, une clientèle africaine suffisamment riche pour permettre à ce commerce de prospérer. Un magasin créé en 1950, « Reflets de Paris », a dû cesser son activité en 1952.
Ils représentent également un aspect de la vie de Conakry. Un Corse, M. Feracci, est à l'origine de la création d'hôtels à Conakry. Dans l'entre-deux guerres, il construit « l'Hôtel du Niger » et le « Grand Hôtel» qui avec « l'Avenue Bar », constituent les ressources hôtelières de Conakry. Puis, à partir de 1947, on assiste à une floraison de bars, restaurants et dancings : « La Plantation», au-delà du port de Tumbo, le « Rat Palmiste», « l'Oasis » , « la Paillotte », « Chez Henri », « le Grillon », « le Bar de la Poste » et, à Camayenne, en bordure de la mer, Feracci fils inaugurait en 1951 « l'Hôtel et le Restaurant-Bar de Camayenne ». Actuellement, en dehors de l'Hôtel de Camayenne, il n'y a guère d'hôtels convenables. L'hôtel du Niger et le Grand Hôtel sont presque des ruines appelées à disparaître. La Compagnie des Chargeurs 'Réunis a en projet la construction d'un grand hôtel de plus de dix étages avec piscines et jardins d'enfants. Il reste à savoir si cet hôtel grandiose trouvera un nombre suffisant de clients pour lui assurer une rentabilité suffisante.
Parallèlement à la naissance plus ou moins heureuse de nombreux bars à Conakry, il se crée des hostelleries-restaurants dans la future « grande banlieue », à Coyah, à 40 kms de Conakry sur la R.I.C. 4 et un autre, « le Repaire », dans File de Kassa.
Dans les prochaines années, il faudra voir lesquels d'entre eux survivront.
Malgré ces transformations, l'armature commerciale reste entre les mains des Grandes Compagnies; ce n'est que d'ici une dizaine, d'années qu'il sera possible de se rendre compte si les Compagnies se sont adaptées aux conditions nouvelles, et s'il est économiquement et, socialement souhaitable qu'elles se maintiennent avec leur organisation et leur politique actuelles.
Depuis quelques années, une nouvelle activité est apparue à Conakry : l'artisanat européen. Suppléant à la carence actuelle des artisans-techniciens africains, il forme une catégorie sociale intéressante. Ce sont les réparateurs, les garagistes, les électriciens, les plombiers et les menuisiers. Leur nombre s'est accru depuis 5 ans, avec l'essor des constructions pour les uns, l'augmentation, du chiffre des véhicules et des machines diverses pour les autres.
Avant la guerre il n'y avait qu'un ou deux garagistes et des bricoleurs sans spécialité. En 1945, on voit naître un atelier de montage et de réparation mécanique, un réparateur de bicyclettes. En 1946, arrivent deux autres réparateurs-mécaniciens, en 1947 un électricien-radio et un menuisier ; en 1949 et 1950, un garagiste, un menuisier ébéniste, un électricien et un plombier ; en 1951, une entreprise d'installations électriques, un ferronnier, un serrurier, un plombier et un peintre en bâtiment.
Quelles sont les conditions d'installation à Conakry des artisans européens ? S'installant à leur propre compte, ils ne jouissent pas des avantages accordés soit aux fonctionnaires, soit aux employés de l'industrie et du commerce. Ils logent à leurs propres frais et quand ils peuvent quitter « leur affaire » pour partir en congé, c'est à eux qu'incombe la dépense du voyage.
Relativement peu nombreux, ils ont toujours du travail, mais il faut qu'ils connaissent bien leur spécialité. Le métier de plombier, d'électricien ou de garagiste est un métier qui paie bien, à condition d'avoir des qualités de travail et de conscience professionnelle. C'est un métier qui demande un effort soutenu, souvent sans dimanches ni vacances, avec des congés en France difficiles à prendre et une surveillance de tous les instants des quelques Africains employés. Ce groupe d'artisans est sympathique, car possède le goût de l'indépendance, espérons que dans quelques années, les Africains seront susceptibles de soutenir, une concurrence efficace avec eux.
Les industries à Conakry se ramènent à trois types :
Malgré leur diversité, ces entreprises ont un caractère commun : en dehors d'une ou deux entreprises de travaux publics dont les Grands Travaux de Marseille, ce sont des entreprises nouvelles en Guinée. Les entreprises de transformation et les industries minières achèvent le stade de l'équipement et vont entrer dans le stade de l'exploitation. D'autre part, toutes ces entreprises se heurtent aux mêmes problèmes : main-d'oeuvre, coût élevé des investissements, difficultés climatiques et souvent au début l'isolement que nécessite l'établissement de services autonomes.
Quantitativement, la main-d'oeuvre est à peine suffisante ; qualitativement, elle est déficiente.
On peut estimer à 5 ou 6.000 la masse des manoeuvres travaillant dans la région de Conakry, la majorité étant employée dans les entreprises de travaux publics. Les industries proprement dites n'en occupent pas plus de 1.500, et ce chiffre devra s'abaisser lorsqu'elles entreront dans le stade de l'exploitation.
L'origine ethnique des manoeuvres est variée. Les entreprises ne tenant pas et ne pouvant pas tenir, par suite de l'instabilité de la main-d'oeuvre, de registres indiquant l'origine de leurs manoeuvres, il est difficile d'établir un pourcentage exact. Les trois grands groupes ethniques de la Guinée s'y retrouvent : Soussous, Foula et Malinké.
Le recrutement de la main-d'oeuvre se fait selon la demande. Dans beaucoup de cas, sur les chantiers de travaux publics, les manoeuvres se présentent le matin et se font embaucher en raison du travail à effectuer. Dans d'autres cas, c'est le chef manoeuvre qui s'occupe de l'embaucher en prenant de préférence ceux de sa race. Les manoeuvres sont payés soit à la semaine, soit à la quinzaine, soit au mois, selon un salaire horaire actuellement en vigueur et qui est, pour la dernière catégorie, de 17 frs C.F.A. à Conakry. La fluctuation de cette main-d'oeuvre, son manque de sens professionnel rendent l'action des syndicats inexistante en ce qui concerne l'organisation professionnelle. L'Inspection du Travail est chargée d'assurer le respect des lois en vigueur.
D'une façon générale, la qualité de la main-d'oeuvre à Conakry laisse à désirer. Cette insuffisance tient à des causes psychologiques, psychologiques et climatiques.
La cause psychologique est l'absence de sens du travail. Le travail manuel reste en pays musulman une marque de servitude et les travailleurs de Conakry, qu'ils soient Soussous, Foula ou Malinkés, sont en général musulmans ou marqués plus ou moins consciemment par les concepts de l'Islam. L'idée, artificielle quoique fort belle, que le travail libère l'individu n'est pas prête à pénétrer profondément en Afrique. Le travail manuel physique conserve un handicap intellectuel et psychologique que la disparité des salaires entre ceux des commis et des dactylos et celui des ouvriers n'est pas faite pour atténuer. Le travailleur guinéen, assuré de toucher à la fin du mois un maigre salaire, cherche avant tout à ne pas se fatiguer.
Physiologiquement, le travailleur africain est souvent amoindri. Il subit, comme l'Européen, les crises de paludisme et une lourde hérédité syphilitique pèse parfois sur lui. Quoiqu'à Conakry, le travailleur ne soit pas trop mal alimenté, sa nourriture est mal équilibrée et il porte les séquelles de générations sous-alimentées : ajoutons à cela une certaine dégénérescence chez les Foula et les fatigues d'un vie sexuelle intensive.
Créant des conditions physiologiques particulières, le climat n'est guère favorable à l'effort physique. Une chaleur et une humidité constantes empêchent l'évaporation de la sueur et n'incitent guère au travail. L'hostilité contre l'effort physique, qui existe chez la majeure partie des peuples de l'Afrique Occidentale est une réaction humaine profondément compréhensible que nous pouvons constater, mais que nous pouvons difficilement juger, n'étant pas soumis aux mêmes conditions.
Comme le note M. Guilbot dans sa « Petite étude de la main d'oeuvre à Douala », une bonne main-d'oeuvre se caractérise par 4 éléments : stabilité, assiduité, rendement, compétence professionnelle.
Une partie importante de la population de Conakry est flottante. Cette population flottante est essentiellement masculine et comprend des éléments âgés de 14 à 40 ans. C'est dans la population flottante que se recrutent les manoeuvres. Le manoeuvre africain n'est pas un ouvrier, c'est le plus souvent un travailleur d'occasion. A Conakry, parmi les manoeuvres, on rencontre des Foula ou des Malinkés descendant à Conakry pendant la morte-saison des travaux des champs, et remontant avec les premières pluies ; ou bien c'est le jeune homme qui veut gagner de l'argent pour pouvoir se marier ou payer l'impôt. D'autres enfin, viennent pour voir la ville, parce qu'ils en avaient assez de leur village, par besoin de changement. La vie en ville nécessitant de l'argent, ils sont obligés de travailler. La fluidité de la main-d'oeuvre se rencontre surtout chez les manoeuvres. Il est certain qu'il n'en sera pas de même chez un ouvrier spécialisé ou un commis expéditionnaire. Cette fluidité varie aussi selon les entreprises et la maîtrise. Il est trop tôt encore pour savoir si l'instabilité diminue, mais il semble probable qu'avec la formation d'une agglomération urbaine plus charpentée ; il se formera une catégorie de citadins stables, dans laquelle s'opérera le recrutement des ouvriers.
L'assiduité au travail dépend beaucoup du chef de travaux chargé de surveiller ses ouvriers. Un bon chef de travaux pourra obtenir une présence constante, et une plus grande dans les heures de travail. Mais si la surveillance se relâche, l'assiduité sera médiocre, et ce seront des promenades et « cabinets » qui n'en finissent plus.
L'évolution du rendement et de la qualité du travail effectué est infiniment délicate à évaluer. Il faudrait considérer d'abord les conditions de travail dans le pays qui servirait de base au calcul, et à Conakry affecter les conditions de travail d'un certain coefficient, compte tenu du climat et de l'outillage employé. Il fauchait tenir compte de la qualité du travail produit.
Admettons qu'un maçon élève un mur dans le même temps qu'un autre maçon ; si le mur de l'un s'effondre à la première tornade, le rendement n'est pas égal. Si un chauffeur fait rendre le même travail à son camion qu'un autre chauffeur, mais si, pendant la même période le camion s'use deux fois plus vite, le rendement ne sera pas le même.
N'ayant pas pu personnellement établir des normes, il nous a fallu nous contenter des estimations des entrepreneurs. Ils estiment selon les branches, le travail produit par un Africain, au 1/3 ou au 1 /5 de celui d'un Européen placé dans les mêmes conditions. L'entrepreneur, se plaint en général non seulement du peu de travail obtenu, mais de la médiocre qualité du travail effectué, ou de la négligence dans le travail. A côté des fautes techniques, ils relèvent une absence de « fini » et un manque de soins apporté au matériel qui leur est confié.
La main-d'oeuvre se définit aussi par sa qualification. A Conakry, plus de 70 % de la main-d'oeuvre employée se compose de manoeuvres 9. Quelques chiffres extraits d'une enquête faite auprès des différentes entreprises par l'Inspection du Travail en juin 1950 le montreront.
Quantitativement, ces chiffres ont subi des modifications. Qualitativement, les proportions entre les diverses catégories sont restées à peu près les mêmes. Aux Grands Travaux de l'Est : 1.200 manoeuvres, 442 techniciens et ouvriers et 15 employés de bureau.
A la société Monod : 270 et 45. A la Compagnie Minière (les chiffres ont changé dans une large mesure depuis cette date) 240 manoeuvres et 200 ouvriers. Aux Bauxites du Midi : 677 manoeuvres dont 439 temporaires et 210 ouvriers et techniciens.
Devant l'insuffisance de la main-d'oeuvre locale, surtout en ce qui concerne le bâtiment, les entreprises ont dû faire venir environ 150 Sénégalais, maçons pour la plupart, et autant de Dahoméens qui sont surtout des employés. Nous avons essayé de donner quelques-unes des causes qui expliquent cette insuffisance. Mais il est certain, et ce n'est pas un cas particulier à Conakry, que l'importance de la maîtrise en ce qui concerne le rendement et la qualité du travail produit est capitale. Un bon contremaître européen, capable d'effectuer, devant ses ouvriers un travail précis et bien fait servant d'exemple, pourra obtenir beaucoup plus de ses manoeuvres que celui qui se contente de jeter de temps en temps une volée d'ordres, que la plupart de ses hommes ne comprennent pas.
L'insuffisance de la main-d'oeuvre est due en grande partie aux facteurs énoncés précédemment, mais il faut comprendre d'autre part que c'est une main-d'oeuvre récente, n'ayant aucune tradition de travail, venant directement de la brousse et y retournant avec facilité, une main-d'oeuvre qui souvent, n'a pas eu de formation professionnelle jusqu'à ces dernières années 10.
Pendant longtemps, les quelques Noirs qui ont eu une petite formation professionnelle ont été formés par des commerçants, des planteurs, des administrateurs, des ouvriers et contremaîtres polyvalents dont la bonne volonté n'empêchait pas certaines insuffisances techniques. Il est certain, d'autre part, qu'il ne peut y avoir de formation professionnelle tant qu'il n'y a pas de formation primaire à la base. Or, moins de 5 % des enfants d'âge scolaire fréquentent l'école en Guinée, et ceci malgré un gros effort des services de l'enseignement primaire. Il est difficile pour un Européen de faire apprendre un métier à un enfant ne parlant pas ou parlant mal le français et ne sachant ni lire ni écrire. L'école primaire est à la base de tout progrès en Afrique.
Maintenant, les Pouvoirs publics se penchent sur le problème de la formation professionnelle. L'inspection du Travail a créé un centre de formation professionnelle accélérée ; un collège technique et un centre d'apprentissage fonctionnent. Quels en sont les résultats ?
L'école d'apprentissage a été créé en 1907 et réorganisée en 1912. Transformée en Ecole professionnelle en 1932, elle est devenue en 1947 un collège technique et un centre d'apprentissage.
Ce n'est qu'à partir de cette date que, disposant de cadres et de crédits suffisants, l'enseignement technique a pu repartir sur des bases solides.
En 1952, le collège technique a pour effectif 88 élèves ; le centre d'apprentissage, 81. Les élèves, logés et nourris gratuitement au centre, suivent les programmes métropolitains. Pour le collège technique, le but est C.A.P., le B.E.I. et, ultérieurement, le B.P. Pour le centre d'apprentissage, c'est le C.A.P. Les résultats officiels pour le C.A.P. sont :
Année | Admis | Présentés |
1948 | 14 | 22 |
1949 | 8 | 16 |
1950 | 5 | 20 |
1951 | 6 | 14 |
Le collège technique comprend une section de menuiserie et une autre d'ajusteurs-mécaniciens. Il est prévu 3 autres sections : charpente, mécaniciens d'automobile et mécaniciens d'électricité. Le centre d'apprentissage produit des menuisiers, des mécaniciens, des dépanneurs, dés monteurs électriciens, des tourneurs et des réparateurs de machines à écrire. L'électricité et la mécanique attirent les élèves tandis que la menuiserie n'a pas de succès et que le préjugé contre le forgeron reste tenace.
Les débouchés sont variables : grosse demande de maçons et de mécaniciens, alors que celle-ci est limitée en ce qui concerne les tourneurs, fraiseurs et radio -électriciens. Tous les élèves avant obtenu le C.A.P. trouvent à se placer, mais il n'en est pas de même pour les autres.
La répartition ethnique des élèves est intéressante. Les pourcentages sont les suivants :
Malinkés | 49 |
constituent un fort pourcentage
|
Foula | 45 | |
Soussous | 24 |
un nombre faible vu qu'ils constituent plus de la moitié de la population de Conakry
|
Toucouleurs | 9 | |
Guerzés | 9 | |
Bagas, Sarakollés, Kissiens, Manons,Tomas, Nalous |
une vingtaine
|
|
Métis | 5 | |
Européens | 3 |
Tels sont les chiffres. Dans la réalité, l'enseignement technique se heurte à des difficultés :
Considérés ainsi, les résultats de l'apprentissage sont médiocres. Sous l'angle financier, c'est une expérience fort coûteuse. Cette expérience est nécessaire. Si, au début, les résultats restent maigres, il faut peut-être y voir une période de transition difficile à passer. Malgré les résultats, les efforts pour former une main-d'oeuvre qualifiée doivent être accrus. La formation professionnelle est un des grands problèmes de l'Afrique d'aujourd'hui. De la réussite de cet enseignement dépend l'Afrique de demain. Ce problème est particulièrement frappant dans la région de Conakry, première région industrielle de Guinée.
Devant la carence de la main-d'oeuvre spécialisée africaine, les entreprises ont été dans l'obligation de faire venir d'Europe en plus des cadres européens, des ouvriers spécialisés : mécaniciens, conducteurs d'engins, etc. C'est une main-d'oeuvre coûteuse. L'Européen en Guinée coûte à son entreprise de 3 à 4 fois plus qu'il ne coûte en France. A un salaire égal ou qui peut atteindre 25 % de plus qu'en France (1 fr. C.F.A. = 2 fr. métro), s'ajoutent les frais de logement, les frais de voyage et de congé, qui pour l'entreprise, doublent le traitement. Cette main-d'oeuvre européenne a transformé en partie l'atmosphère de la ville en donnant naissance a une catégorie sociale un peu a part des cadres techniques ou de direction. De cette main-d'oeuvre absolument nécessaire mais chère, il peut dans l'avenir sortir le meilleur comme le pire. Elle peut servir de modèle et avoir un rôle d'enseignement et de formation pratique pour les Africains (souvent un conducteur d'engin Européen apprend à un Noir le maniement et la technique de sa machine et un maçon montre à un Africain ce qu'est un mur droit). Mais elle peut être aussi néfaste si elle a peur de la concurrence future des Africains, si elle s'enferme dans le racisme et dans l'esprit « petit blanc ». C'est aux chefs d'entreprise et aux pouvoirs publics d'empêcher ce phénomène de se produire et au contraire d'encourager la formation des Africains à partir des Européens.
Certains ont prétendu qu'il serait économiquement préférable de
remplacer la main-d'oeuvre africaine par la main-d'oeuvre européenne. Ce calcul ne peut se défendre qu'en l'absence matérielle d'Africains, ou bien alors il n'a plus de raisons d'être économiquement et socialement. Economiquement on ne voit pas comment un Européen qui coûte à son entreprise de 14 à 20 lois plus qu'un Africain pourrait avoir un rendement 14 à 20 fois supérieur à celui d'un Africain, même si celui-ci n'a qu'un rendement très médiocre. L'importation d'Européens spécialisés correspond à une nécessité, de même qu'une mécanisation très poussée ; elle n'est plus défendable lorsqu'il s'agit d'ouvriers non spécialisés. Socialement, une telle expérience irait à l'encontre des principes de la colonisation française, qui sont d'élever autant que possible matériellement et intellectuellement les populations d'outre-mer et de leur permettre d'assurer certaines fonctions lorsqu'elles ont atteint une maturité suffisante. En Guinée, il existe une main-d'oeuvre qui n'est peut-être pas très abondante mais qui, si elle ne donne pas satisfaction en 1952, ne doit pas pour cette raison être condamnée à jamais.
En Afrique tout évolue lentement et, malgré les exemples que l'on peut trouver dans d'autres parties du monde, ce n'est pas en quelques mois, ni même en quelques années qu'on formera une main-d'oeuvre industrielle en Afrique.
Pour les entreprises, le problème de la main-d'oeuvre se pose ainsi : main-d'oeuvre autochtone à bas salaire, mais qualitativement déficiente ; main-d'oeuvre européenne, qui pour un travail égal à celui fourni dans la métropole, coûte, en Francs métro, 4 fois plus.
Pour équipement, l'industrialisation en Guinée se heurte également à des difficultés. Pays neuf, la Guinée doit importer tout son matériel de pays industriel. Les frais de transport et les droits de douane augmentent d'autant le prix des produits et marchandises venant d'Europe. Quelques prix extraits d'un rapport à la Chambre d'Agriculture et d'Industrie, en fourniront des exemples :
Reprenons l'exemple du ciment : la tonne au départ de l'usine est offerte à 5.800 fr. soit 2.900 C.F.A. Les frais divers jusqu'à Conakry, (transports en France, mise à bord, taxes diverses, fret, assurances) correspondent à 2.900 fr. C.F.A. A ce stade, le prix du ciment a déjà doublé. Le prix s'accroît encore de droits de douane, de statistiques, de frais et port et de mise en magasin égalant 1.160 fr. Ensuite s'ajoute, pour l'utilisateur, la charge de la marge commerciale admise à 30 %, soit 2.088 fr. C.F.A. On comprend qu'à ce prix l'indice de la vie en A.O.F. soit l'un des plus chers du monde.
Une fois prêts à fonctionner, l'outillage ou les véhicules s'usent plus vite qu'en Europe. Cette usure est due au climat ou au mauvais état de communication pour les véhicules : souvent aussi elle est provoquée par une manipulation brutale qui détériore le matériel. L'amortissement de l'outillage et du matériel doit souvent être calculé sur un temps deux fois plus rapide qu'en France. Ajoutons à cela l'absolue nécessité d'avoir un atelier mécanique bien monté afin de pouvoir effectuer sur place presque toutes les réparations et de posséder un stock de pièces de rechange beaucoup plus important que dans la métropole, afin d'éviter le risque coûteux d'une panne prolongée et l'attente souvent fort longue des pièces de rechange. Enfin les entreprises doivent créer des routes, bâtir des cités, et avoir en somme une autonomie presque complète. C'est d'ailleurs le cas de la plupart des industries minières à travers le monde.
Elles sont les premières à apparaître dans un pays qui s'équipe. Il faut toujours des maisons, des routes et des égouts. Beaucoup de grandes entreprises françaises ont des chantiers à Conakry. La Société des Grands Travaux s'occupe du port et, jusqu'en 1951, en avait le monopole. La Construction moderne française, les Grands Travaux de l'Est, le Soliditit Français, les entreprises Maag, Dumez, Monod, Balency et Schul font des routes, posent des canalisations et construisent des immeubles. La Société routière Colas bitume des routes. Ces entreprises occupent un personnel nombreux qui varie autour de 4.000 individus et 200 Européens. Ces chiffres sont forcément imprécis car les fluctuations du personnel sont plus fortes dans cette branche qu'ailleurs et varient en fonction des marchés. La construction est chère à Conakry, ce qui est normal en tenant compte des prix des matériaux et de la main-d'oeuvre européenne. L'établissement d'une série de devis comparatifs serait nécessaire pour étudier les différences de prix entre la construction à Conakry et la construction en France. Avec les travaux en cours, les entreprises connaissent des moments de prospérité, mais les retards dans les paiements de l'Etat gênent considérablement la bonne marche des entreprises.
Dans les industries de transformation nouvellement créés à Conakry, on distingue deux types :
Deux branches sont actuellement représentées : les explosifs d'une part, l'oxygène et l'acétylène d'autre part.
L'Union chimique de l'Ouest africain, dont les principaux actionnaires sont la Société Générale des explosifs cheydittes, la Société Nobel française et la Société centrale de dynamite, a pour objet la fabrication de tous les explosifs chloratés à usage industriel et agricole et la fabrication des munitions. D'une capacité de production d'une cinquantaine de tonnes, elle approvisionne la Compagnie Minière, les Bauxites du Midi et les entreprises des Travaux Publics. Située hors de banlieue proche de Conakry, près du kilomètre 19 de la R.I.C. no. 4, elle dispose d'une usine moderne qui emploie une quarantaine d'ouvriers.
« Duffour et Igon » ont créé dans la zone industrielle une usine destinée à la fabrication de l'oxygène et de l'acétylène. La fabrication de l'acétylène est limitée par les besoins du pays. Cette entreprise fabrique actuellement 2.000 m3 d'oxygène par mois. Quoique disposant d'un personnel européen réduit au minimum (3) et employant 15 africains, le prix de vente de l'oxygène est six fois plus élevé qu'en France.
Une industrie fruitière essaie de naître en Guinée
La C.O.P.R.O.A., Comptoir des Produits Africains, a créé une usine moderne possédant sa propre alimentation en eau et en électricité et les derniers perfectionnements techniques pour mettre en boîte l'ananas et pour faire du jus. Elle a une capacité de production de plus de 3.000 t. de fruits, capacité qui pourrait encore être accrue. 3 .000 de fruits correspondent à 1.500 t. de produits finis en tranches et jus.
Malheureusement, la C.O.P.R.O.A., qui a mis son usine en marche en 1950, connaît de grosses difficultés. L'idée de créer une industrie de transformation de la production fruitière guinéenne est intéressante, elle devrait favoriser la culture de l'ananas en Guinée, permettre l'écoulement de la production aux périodes de pointe, apporter une plus-value au fruit en le transformant en jus et en boites permettant la vente en toutes saisons et réduisant le problème du transport.
Il n'en est pas ainsi. L'usine s'est montée à une époque où la culture de l'ananas était embryonnaire en Guinée. En 1952, elle ne tourne encore qu'avec difficulté sur le rythme de 400 à 600 tonnes de fruits, de fin novembre à juillet avec des pointes d'avril à juin. Pour rentrer dans ses frais, sans tenir compte de l'amortissement de son installation évaluée à 200 millions C.F.A., il lui faudrait traiter au minimum 1.400 tonnes. La marge reste importante entre ces deux chiffres.
L'ananas est encore peu répandu en Guinée. C'est une culture délicate et fragile qui nécessite des délais doubles de ceux de la banane : 18 mois au lieu de 9. Les planteurs de bananes hésitent « à faire de l'ananas ».
En outre le prix de vente subit de grosses fluctuations. Produits de luxe, plus encore que la banane, les ananas sont sujets aux crises restreignant le pouvoir d'achat en Europe. Le fruit étant arrivé à maturité, si les cours sont hauts le planteur préfère vendre lui-même l'ananas en fruits en profitant du passage des bateaux bananiers. Ce n'est qu'en cas de mévente, ou pour leurs produits plus médiocres, que les planteurs se retournent sur la C.O.P.R.O.A. dont l'action régulatrice se fait à ses dépens. Seuls des contrats sûrs permettraient à la C.O.P.R.O.A. de s'approvisionner régulièrement. Or le planteur hésite à s'engager. Pour pouvoir être sûre d'avoir des fruits, la C.O.P.R.O.A. devrait posséder ses propres plantations ; mais cela l'entraînerait à des frais et à des activités pour lesquelles elle n'est point faite. Ajoutons à cela, ce qui est inhérent à toute industrie fruitière liée aux variations saisonnières, que l'usine ne fonctionne que pendant une partie de l'année, ce qui accroît encore les charges d'amortissement de l'usine.
Il est regrettable qu'une industrie qui pourrait être typiquement guinéenne et apporter au pays des ressources appréciables, n'ait pas mieux réussi.
Les paysages de l'extrémité de la presqu'île de Kaloum ont subi des transformations depuis l'installation de la Compagnie Minière de Conakry : les installations industrielles sur les pentes du Kaloum, la cité européenne de Rogbané, les routes rouges de latérite ouvertes un peu partout, la voie ferrée qui joint le Kaloum au port mimer, témoignent de l'activité de la Compagnie minière depuis 3 ans.
Le gisement de fer du Kaloum a été découvert en 1904 au moment de la création de la voie ferrée. En 1917, une prospection était faite par le géologue américain Sinclair ; de 1919 à 1922, la Compagnie minière de la Guinée Française, avec René de la Bouglise, en faisait une étude serré et la Compagnie obtenait des permis provisoires pour la totalité du gisement. En 1939, tous ces permis étaient échangés contre une concession unique couvrant toute
la presqu'île pour 25 ans avec possibilité de renouvellements par périodes de 25 ans. En 1948, la Compagnie minière de Conakry constituée en 1947 pour exploiter le gisement obtenait un contrat d'amodiation avec l'ancienne Compagnie moyennant 5 % du prix F.O.B. du minerai. La Compagnie a été constituée par :
Le gisement est latéritique. Il dérivé de la décomposition d'une roche éruptive basique : la dunite. Le minerai se présente sous deux aspects correspondant à deux horizons latéritiques : la cuirasse et la zone de transition d'une épaisseur voisine de 10 m. et la zone tendre sous-jacente, d'une profondeur variant entre 15 et 80 m. La cuirasse est formée de masses compactes, rouges ou noires, d'aspect scoriacé et vacuolaire ; elle est d'une densité de 2 à 2,8. La teneur en fer est légèrement supérieure à 50 % en moyenne. Ce minerai contient près de 10 % d'alumine, 12 % d'eau combinée, 2,5 % de silice, de 1 à 4 % de chrome et des traces de nickel et de magnésie. La teneur en impuretés, surtout en chrome (on ne peut que difficilement exploiter un minerai d'une teneur en chrome supérieure à 2 %), ne permet pas de le classer dans les minerais standard, mais des essais effectués avant-guerre en Belgique et en Allemagne et plus récemment en Grande-Bretagne permettent d'affirmer qu'il est utilisable sans inconvénient jusqu'à 25 % de la charge du haut-fourneau.
Ce minerai, de même que les bauxites des Iles de Loos, est un minerai marginal. La composition chimique de la zone tendre est à peu, près analogue, avec une teneur en eau plus forte et une densité tournant autour de 1. Cette variété se présenté sous l'aspect d'une argile qui durcit mais qui ne s'agglomère pas spontanément. Un procédé d'agglomération peu coûteux n'ayant pas encore été mis au point, l'exploitation commencera par l'abattage de la zone dure.
Ce gisement s'étend sur 11.000 ha. La proximité du port, à 10 km de la première carrière, la facilité d'exploitation à ciel ouvert, créent un ensemble de conditions favorables permettant une exploitation à bon compte. Le tonnage actuellement reconnu à plus de 50% de fer et à moins de 2 % de chrome de la couche dure dépasse 220 millions de tonnes. L'ensemble du gisement est certainement beaucoup plus considérable.
L'exploitation n'est pas encore commencée en avril 1952, mais la période d'installation s'achève et on pourra commencer à sortir du minerai dès le mois d'octobre 1952.
Quelques grands principes ont dirige le programme d'exploitation. Par l'exploitation en minière, on cherche à obtenir le prix de revient total minimum et, a prix de revient égal, l'investissement minimum. A Conakry, dans un pays neuf, avec un type d'exploitation tel qu'on en avait guère vu auparavant on a cherché la mécanisation des grandes unités. La main-d'oeuvre indigène étant insuffisante, il a fallu s'assurer le concours d'ouvriers spécialisés européens à traitements élevés. Pour limiter l'emploi de la main-d'oeuvre, on s'est efforcé de mécaniser le plus possible, même au prix d'un moins bon rendement technique. Le gisement constituant en lui-même une nouveauté (le gisement analogue de Cuba pose d'autres problèmes), on a recherché à Conakry des solutions souples et une mise en marche par paliers successifs en commençant par la zone la plus connue, riche de 7 à 9 millions de tonnes située près de l'ancienne carrière d'où l'on a sorti le minerai pour les essais. Le plan d'attaque se fera en deux endroits, avec l'implantation du concassage et du criblage près du point d'attaque.
Le schéma d'exploitation est le suivant : préparation du chantier, par le décapage de la surface avec des bulldozers ; abattage à l'explosif avec des trous principaux espacés tous les 6 mètres et des trous plus petits tous les 2 mètres ; chargement avec deux pelles mécaniques électriques de 3 1/2 yards cubiques dans des camions de 25 tonnes. La mise en dimension du minerai et l'élimination des fines se fera par broyage et criblage qui fournira un produit compris, entre 50 mm. et 3 mm., ne laissant qu'une proportion entre 6 mm. et 3 mm. correspondant aux possibilités commerciales. On prévoit une élimination des fines de 20 %, d'où la nécessité d'extraire un tonnage de 25 % supérieur au tonnage exporté. Ensuite l'évacuation du produit se fera par la voie ferrée jusqu'au port dans des wagons de 60 tonnes tractés par les locomotives Diesel hydrauliques. (Sur le Chargement au port, voir ci-dessus). Le stockage sera réduit au minimum sur le carreau de la mine avant le concassage.
La capacité de production est prévue pour le début à 1.200.000 tonnes de minerai marchand, soit 1.500.000 tonnes à extraire. Cette production doit s'élever à 2.000.000 de tonnes et même, dans un avenir plus lointain à 3.000.000 de tonnes. Le chiffre d'affaires annuel devrait être du même ordre que celui des investissements.
Dans les premiers projets il a été prévu le fonctionnement de deux postes par jour, de 8 heures chacun, soit 16 heures d'exploitation dont 3 à 5 heures sous les lumières électriques et l'extraction devait avoir lieu 250 jours par an soit 6.000 tonnes par jour, avec arrêt les soirs les plus pluvieux. L'expérience a prouve que l'extraction pouvait se poursuivre sous la pluie une chute de rendement de 20 % maximum. Pendant l'hivernage, l'extraction se poursuivra, mais à un rythme plus ralenti. Ce fait montre que les techniques modernes permettent de réduire l'emprise des phénomènes naturels.
L'entreprise est divisée en plusieurs départements :
Le personnel européen s'élève à une centaine de personnes dont 2 directeurs, une quinze ingénieurs et des agents techniques, des contremaîtres et ouvriers spécialisés. Le personnel européen est logé dans une cité, en bordure de la mer, sur le côté nord, dans un bois de palmiers à huile, proche de la plage de Rogbané. Le personnel indigène comprendra entre 400 et 500 ouvriers et manoeuvres dont une centaine sera logée dans cité une faite pour eux.
Le montant des investissements : port, cité, voie ferrée, énergie et matériel, frais de personnel et frais d'études s'élève à environ un milliard huit cent millions de fr. C.F.A., dont plus de 50 % pour les 4 postes : port, cité, voie ferrée, énergie.
L'activité de la Compagnie minière apportera un appoint, qu'on espère important, au territoire de la Guinée, sous forme d'impôts et de taxes diverses. Pour Conakry, en plus des transformations portuaires et du mouvement que le trafic minier occasionnera, la Compagnie minière fera vivre environ 300 Européens femmes et enfants compris, et 2000 à 3000 Africains. Mais cette activité, pour importante qu'elle soit, restera toute locale et limitée au Kaloum. Elle sera en quelque sorte en dehors de la vie guinéenne.
Géographiquement situées en dehors de Conakry, les exploitations des aux Bauxites du Midi aux Iles de Loos, n'apportent pas de transformation à la ville de Conakry. Les installations industrielles modifient l'aspect de Kassa et la vue qu'on en a de la corniche.
Les Bauxites du Midi s'intéressèrent aux gisements africains avant la guerre 1939. En 1936-37, elles effectuaient une campagne de prospection et commençaient en 1937 les travaux d'installation dans l'Ile de Tamara. En 1939, un stock de 4.000 tonnes de minerai était constitué. Apres la guerre les travaux reprirent. Un bateau de bauxite fut chargé à Tamara puis la Compagnie des Bauxites délaissa les installations qu'elle avait créés. Elle procéda alors à des installation dans l'île de Kassa, y créa une usine d'enrichissement de minerai et se prépare à sortir maintenant, vers la fin de juin 1952, de la bauxite.
Les bauxites des Iles de Loos sont des produits de décomposition de syénites néphélliniques qui constituent l'armature de l'archipel. Ces bauxites contiennent de 40 à 60 % d'alumine sous forme d'hydrates (Al2 O3). Les impuretés sont de la silice, de l'oxyde de fer et du titane. L'aspect physique des bauxites est celui d'une roche rouge ou rose avec des particules blanches. Mais souvent elle se présente comme un conglomérat de latérite bauxite et de latérite ferrugineuse. A Kassa, les latérites occupent les parties basses de l'île, mais toutes les latérites ne sont pas bauxitiques et la bauxite se trouve parfois recouverte d'une carapace de latérite ferrugineuse, ou mélange avec de la terre végétale et des blocs de syénite.
Le tonnage est évalué entre 8 et 14 millions de tonnes. La bauxite des îles de Loos étant une bauxite marginale, la quantité de bauxite exploitée dépendra des cours et de la teneur en alumine qui sera demandée. La quantité exportée variera entre 300.000 et 450.000 tonnes suivant la demande, l'exploitation d'une centaine de milliers de tonnes en plus n'entraînant que des frais réduits.
L'exploitation à Kassa se fera à ciel ouvert. Après avoir reconnu par sondages jusqu'à la couche mère les zones riches en alumine et susceptibles d'être exploitées, on débarrasse cette zone de la terre végétale qui la recouvre. L'extraction se fait par l'abattage à l'explosif du minerai en carrière et, si l'épaisseur est suffisante, par gradins. De là, chargement à la pelle mécanique et transport par camions. Le minerai doit ciré débarrassé de ses impuretés par lavage. On compte que 60 à 80 % du minerai extrait pourra être exporté. Aux fins de lavage une usine se construit au milieu de l'île de Kassa près de la pointe du Mât. Elle comprend un broyeur actionné électriquement. Une fois broyé et lavé, le minerai sera séché avec des brûleurs à l'huile lourde dans un grand four de 60 m. de long sur 3 m. large. De là, par bandes transporteuses, le produit ira vers silo de stockage. Stocké pendant la saison des pluies dans un bâtiment pouvant contenir 51.000 tonnes il est prévu pour la saison sèche un emplacement de stockage à l'air libre pouvant contenir 100.000 tonnes. La mise à bord se fera par bandes transporteuses sur un wharf de 15 m. de large sur 280 m. de long, construit en enrochements de syénites avec une estacade de 100 m. où les bateaux pourront accoster. Des bâtiments annexés sont construits a côté de l'usine : atelier de réparation et forge ; une centrale électrique, alimentée par des groupes générateurs diesels, peut fournir 1.800 kw. A côté des réservoirs devant emmagasiner l'eau de pluie, une installation avec pompage distille l'eau de mer.
Actuellement, l'usine emploie une centaine de Français et de Canadiens, mais les Canadiens partent au fur et à mesure de la fin des installations et les Français s'occuperont seuls de l'exploitation.
Pour ce il a été construit de petites maisons en aluminium et d'autres avec des éléments, préfabriqués en bois ; un club, un tennis et un dispensaire. Les Africains, au nombre de 350, dont les Sierra Leonais, logent au village indigène de Kassa.
Les Bauxites du Midi ont passé un contrat avec la Société canadienne « Aluminium Laboratories Limited » qui contrôle une partie de la production d'aluminium. Au terme de ce contrat l'Aluminium Laboratories Ltd. a avancé aux Bauxites les fonds, le matériel d'équipement et les techniciens nécessaires au montage de l'usine. Les Bauxites devront livrer leur minerai aux usines d'Arvida, au nord de la province du Québec, et jusqu'à concurrence de 5 millions de tonnes le produit de la vente paiera les investissements. Les installations de Kassa sont considérables et dépassent certainement les besoins des îles de Loos. Pour leur première entreprise en terre africaine, les Bauxites ont vu large. Les travaux aux îles de Loos ont été activés en 1952. Les premiers milliers de tonnes de Bauxites de Kassa soulageront momentanément les installations et le personnel des mines de bauxite de Guyane britannique, qui travaille par groupes de 3 équipes de 8 heures et 365 jours par an pour trouver à alimenter l'usine d'Arvida. Kassa devrait permettre, vers la fin de 1952, d'arrêter, ne serait-ce que quelques jours, le travail dans ces mines, de faciliter les remises en état des installations et accorder un peu de repos au personnel sans que cela nuise au rythme de production d'Arvida 12.
Mais ceci ne règle la situation que dans l'immédiat. En plus des îles de Loos, les Bauxites du Midi prospectent les gisements de bauxite du Cogon, au nord de Boké, et c'est là une affaire d'un tout autre ordre de grandeur que Kassa et Tamara.
Au cours de cette étude, nous avons vu certains aspects de l'urbanisme à Conakry. Nous essayerons de les résumer dans ce chapitre.
La création de plans d'urbanisme dans les territoires d'outre-mer a été décidé après la loi du 30 avril 1946, prévoyant l'établissement
de plans de développement économique et social sur une période de 10 années.
« Le décret du 27 juin 1946 prévoit qu'un certain nombre des agglomérations d'outre-mer seront pourvues de plans d'aménagement. Le plan d'accueil, plaçant l'agglomération dans le cadre de la région, détermine pour cet ensemble le tracé des circulations principales et leur nature ; délimite en fonction des besoins démographiques et économiques, les zones principales de résidence, d'activité commerciale et portuaire, l'emplacement des principaux services publics ; réserve les secteurs d'espaces libres et prévoit, en même temps les réserves d'extension future, le périmètre des localités secondaires à aménager. » 13
Le plan s'efforce d'atteindre plusieurs buts :
Pour réaliser ce plan, la région de Conakry a été divisée en plusieurs secteurs. Dans, l'île de Tumbo il s'agit de réorganiser l'habitat sur des bases plus saines, tout en conservant une partie du cadre tracé lors de la construction de Conakry par le Docteur Ballay.
Conakry aura un marché moderne et les abattoirs seront déplacés en banlieue. L'hôpital Ballay, dont une partie des bâtiments est vétuste, trop à l'étroit dans son cadre actuel et sans possibilité d'extension, placé dans le coin le moins ventilé de la corniche sud, verra sa destination se modifier. Il sera réservé aux chroniques, aux indigents et aux maladies dont l'état nécessite une longue hospitalisation, tandis qu'un nouveau groupe hospitalier sera construit en banlieue. Les emprises de l'Armée, de la Météorologie et de la Radio seront provisoirement maintenues, ce qui permettra, lorsqu'on en aura la possibilité dans plusieurs années, de les déplacer et d'utiliser une partie de ces terrains à d'autres usages.
L'urbanisme à Conakry se heurte à de nombreuses difficultés dues aux situations acquises et aux intérêts particuliers. Les réalisations de l'urbanisme sont plus visibles en banlieue où cependant, malgré les apparences, l'espace est également restreint.
En banlieue, comme d'ailleurs à Conakry même, les urbanistes se sont efforcés de placer les secteurs en fonction des données géographiques : les quartiers résidentiels dans les zones les mieux ventilées, de préférence en bordure de la mer et facilement accessibles ; les logements africains sur les emplacements qu'ils occupent actuellement, mais en transformant la conception d'habitat tout en essayant de respecter les habitudes.
La zone nord, jusqu'à Dixinn-Soussou, comprenant Camayenne, Donka, Landréa, se construit avec les villas qui profitent de la bonne ventilation et de la proximité de la mer.
Le besoin d'établir certains services publics en dehors de Conakry se faisant sentir de façon urgente, un vaste terrain bien aéré de 12 ha, appartenant à l'Etat et situé entre la voie ferrée et la route nord, dans la plaine de Camayenne-Dixinn, a été choisi. C'est là que se dressent les Collèges moderne et technique et que va se créer un groupe hospitalier, avec, à proximité, la pharmacie d'approvisionnement et les logements pour le personnel.
Entre la R.I.C. 4 et la voie ferrée, une zone d'entrepôts, en retrait d'au moins 50 m. de la route, jouira des facilites que lui procurent les voies de communications. Au sud de la R. I.C. 4, près de la côte sud, un secteur sera réservé pour les habitations européennes tandis que les villages de Coléa et de Madina se transforment en lotissements de caractère semi-urbain avec école, dispensa ire et marché.
Dixinn-Foula doit être l'objet d'un aménagement rationnel utilisant au maximum les données topographiques : agglomérations constituées de groupes de 20 à 30 maisons avec des lots de 250 à 500 m. orientés de façon à respecter l'adaptation au terrain et à la végétation. Dans un lotissement conforme inclus dans une agglomération d'environ 5.000 habitants, chiffre qui permet l'établissement des services publics dans de bonnes conditions, les habitations devront se trouver à moins de 1 km d'un dispensaire, d'une poste et d'un moyen de transport et à moins de 5 km. d'un centre commercial et d'une école.
La zone industrielle se crée à Matam, à proximité de la voie ferrée et de la route : la C.O.P.R.O.A, la S.O.B.O.A., Duffour et Igon, la Société Pomona et les entrepôts des grandes maisons de commerce et de représentations industrielles s'installent.
Hors de la zone se trouvent, sur les pentes du Kaloum, les installations de la Compagnie minière. Au-delà du champ d'aviation et de la zone de protection qui l'entoure, au km 17 de la R.I.C. 4, à Yombeia, une zone industrielle et de lotissement est à l'étude.
Un programme de voies de communications est également prévu. En plus des voies déjà existantes, des projets concernent un dédoublement de la voie ferrée et la création d'une route à gros trafic.
Tous ces projets et toutes ces réalisations, dont certaines sont déjà en cour, dépendent étroitement des crédits alloués pour la construction et les investissement publics et privés, et subiront fort probablement dans les années à venir.
L'étude du développement de Conakry et des conséquences humaines et économiques qu'il entraîne a été le thème de ce mémoire. Cet essor récent, Conakry le doit d'abord à sa situation géographique unique en A.O.F. ; à la possibilité d'établir un port en eaux profondes et à l'existence de minerais latéritiques de fer et de bauxite d'extraction facile, et situés à proximité du lieu d'embarquement.
Ces données naturelles ne sont guère africaines, et c'est ce qui a permis l'essor rapide de la ville. Aux charmes un peu somnolents de la ville coloniale de la première moitié du XXe siècle, succède une agglomération aux fonctions multiples. Ces fonctions ont été stimulées depuis dix ans par des investissements massifs : investissements dus au F.I.D.E.S., à des capitaux privés français et à des capitaux étrangers : suisses, belges, britanniques et américains dans le commerce, anglais dans les mines de fer et canadiens dans les bauxites.
En 1952, les entreprises minières vont passer au stade de la production. Ces industries seront les premières à extraire un tonnage important de minerai dans les territoires d'A.O.F. On peut espérer que, dans une dizaine d'années, elles seront suivies par l'extraction des bauxites dans la région de Cogon (Boké) et par l'installation près de Kindia, par Pechiney-Ugine, d'une usine transformant en aluminium la bauxite des bords du Konkouré.
Mais les mines de la région de Conakry restent en quelque sorte en dehors de la vie guinéenne, et le chiffre de la population africaine et européenne qu'elles touchent reste faible.
Le port et le centre de Conakry sont d'une toute autre importance : cc sont eux qui sont à la base des échanges de la Guinée avec l'extérieur.
Les suites humaines au développement économique sont lourdes de conséquences. Il est plus facile d'exporter 10 millions de tonnes de fer que d'adapter 30.000 Africains à une vie urbaine Conakry a vu sa population tripler en 15 ans. Dans les années à venir, il ne semble pas que cet accroissement se poursuive à un rythme rapide. La population devrait se stabiliser dans 2 ou 3 ans autour de 50.000 Africains et 4.000 européens et assimilés.
Mais, même si le chiffre de la population se stabilise, le problème de l'adaptation des masses africaines aux formes de la vie urbaine restera. Problème d'urbanisme, c'est aussi un problème social et psychologique. Pour le résoudre, il faudra d'importants moyens financiers. Le développement des populations des territoires d'outre-mer sera, pour des années encore, une charge pour les finances publiques. Il faudra aussi de la patience, de la bonne volonté et de l'ordre.
Notes.
1. Rapport Koppel : Le paludisme à Conakry.
2. Ces renseignements nous ont été fournis par M. Chambon, Inspecteur d'Académie, et M. Icardo. Inspecteur primaire.
3. Cité dans les Notes sur la formation rationnelle d'artisans ruraux en A.O.F., août 1951.
4. Les renseignements qui ont permis cette étude ont à peu près tous été fournis par M. Bourdillon, chef de l'arrondissement maritime, qui m'a aidé ainsi considérablement.
5. Arcin, Histoire de la Guinée: Challamel.
6.
Années | 1937 | 1938 | 1939 | 1940 | 1942 | 1943 | 1944 |
Importations | 88.190 | 104.117 | 78.913 | 42.500 | 38.800 | 24.000 | 43.000 |
Exportations | 85.270 | 80.882 | 76.154 | 39.500 | 25.700 | 16.500 | 30.800 |
Années | 1945 | 1946 | 1947 | 1948 | 1949 | 1950 | 1951 |
Importations | 47.500 | 65.100 | 87.500 | 91.200 | 124.000 | 139.809 | 193.165 |
Exportations | 26.400 | 31.800 | 59.400 | 68.500 | 93.900 | 107.700 | 104.000 |
8. Les renseignements sur le C.F.C.N, nous ont été fournis par M. Borel, Directeur de la ligne, et par M. Ricaud, Directeur de l'exploitation.
9. Les données de ce chapitre nous ont été fournies par M. Roure, Inspecteur du Travail.
10. Les renseignements sur l'enseignement technique et la formation professionnelle sont dus à M. Brocheriou, Directeur du Collège Technique et à M. Roure, Inspecteur Travail.
11. Tous les renseignements fournis dans ce chapitre ont été tirés du Rapport la Compagnie Minière de Conakry et des indications données par M. le Directeur de la Compagnie Minière, et par M. Blondel.
12. Ces renseignements nous ont été donnés par M. Eichenberger, représentant des Bauxites du Midi en Afrique.
13. La plupart de ces renseignements proviennent de M. Le Caisne, architecte-urbaniste de Conakry. (Le Caisne, Rapport analytique et justificatif du plan directeur de Conakry et de sa région)
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