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Williams Sassine
Le jeune homme de sable

Paris : Présence africaine, 1979, 187 pages



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II — Le mouton


Chapitre 5


Une étoile filante se détacha pour signer le ciel d'un long trait éblouissant. Le vieux Bandia se souleva sur le coude, puis s'assit en tailleur. Il se gratta sous les aisselles, le regard perdu du côté où la pointe de l'étoile filante s'était éteinte. « C'est le signe de la mort d'un chef », pensa-t-il.
Un léger vent se chargeait des dernières chaleurs de la nuit pour les déposer là-haut, d'où, dès le lever du soleil, elles redescendraient pour la malédiction des hommes. Cette pluie qui venait de leur passer sous le nez, attirée par les féticheurs d'autres pays, son père aurait pu à lui seul la faire tomber sur la ville. Lui-même aurait pu le faire, s'il n'avait pas oublié tous les rites à accomplir et s'il avait eu l'assurance que ses ancêtres ne lui en voulaient plus pour son égarement momentané dans cette religion au dieu exigeant et exclusif.
Demain, vendredi, tous les fidèles devaient aller sur le grand terrain « musulman » prier Allah. Ce serait le quatrième vendredi que des milliers de voix s'élèveraient vers le ciel nu et brûlant afin qu'il recommence à pleuvoir.
Au bout de la rue flottait un épais nuage de poussière blanchâtre sous la lumière crue du lampadaire public. Au-dessous de l'épais nuage de poussière, Bandia imagina avec une certaine envie les petits mendiants du quartier en train de lutter. Il entendit uriner sur la clôture en paille tressée qui cernait sa case et qui le séparait de la rue.
Il prit sa cora. Sa femme dormait, couchée à l'entrée de la case, le bébé lové contre sa poitrine. Il posa la cora sur ses cuisses à la manière d'un enfant à qui on s'apprête à donner une fessée.
— On ne respecte plus rien, lui chuchota-t-il. Tu as vu comment on vient de pisser sous notre nez. C'est peut-être vrai, ce que le grand marabout Harouna a déclaré au marché, lundi passé : cette sécheresse serait plus dure si Allah n'avait pas pitié des arbres et des animaux…
Il n'avait pas pu entendre tout ce que le marabout disait, mais tous ses pots d'encre, ses gros parchemins ficelés, son index frémissant pointé vers le ciel, et autour, tous ces gens silencieux et immobiles sous le soleil imposaient le respect et un sentiment confus de culpabilité.
— … Tu sais comment il est devenu un grand marabout ? Tout petit, il partit un jour très loin. Il croyait que la terre s'arrêtait au bord d'une falaise d'où il pourrait apercevoir le nid du soleil. Il marcha des mois vers l'est. Lorsqu'il demanda, dans une oasis, où se cachait le soleil, tous les nomades se moquèrent de lui. Le chef de la tribu dit qu'un jeune homme qui cherche le soleil est proche d'Allah. Il l'adopta, l'instruisit de toutes les vérités du Coran, avant de l'installer à La Mecque…
C'était ce qu'on racontait et ce que clamait lui-même Elhadj Harouna, la voix vibrante, exaltée.
— Ma marâtre m'avait envoyé chercher le soleil parce qu'elle voulait ma mort. Mais elle m'a donné la Vie. Car plus près vous serez du soleil, plus vous serez purifiés. Nous étions dans le temps où tout se cache. Nous étions dans le temps des adultères, des vols, du mensonge et de la peur… C'est pourquoi Allah suspend aujourd'hui sur nos têtes sa torche aveuglante et brûlante, afin que tout ce qui est pourri en nous se réduise en poussière pour être emporté par le vent. N'ayez pas peur de ce soleil. Apprenez à sortir des ombres de vos péchés et ouvrez vos coeurs dans sa lumière…
Les souvenirs du vieux Bandia s'évanouirent : les phares puissants d'une voiture illuminaient le bout de la rue, qu'il apercevait depuis l'entrée de sa petite cour. La lumière s'éloigna, puis s'éteignit, pendant qu'une portière claquait. « Ce doit être le patron qui rentre », se dit-il.
— Bandia, le député a besoin de toi, lui cria une voix au-dessus de la clôture.
Il se leva précipitamment.


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