webGuinee Bibliotheque logo

Loading

Williams Sassine
Le jeune homme de sable

Paris, Présence africaine, 1979. 185 pages


laanyalL laanyalT laanyalR

— Chapitre 7 —


— Je peux allumer ? demanda l'homme. Un froissement de pagne. A présent, il était pressé qu'elle s'en aille. Il donna de la lumière. La femme se leva du petit lit de camp, arrangeant son foulard autour de sa tête. Lorsqu'elle fut près de lui, il essaya de glisser de l'argent dans son corsage, mais elle fit un pas en arrière.
— Je ne suis pas une putain.
— Comme tu veux. Dis-lui de passer me voir dans une semaine. Je vais l'aider encore une fois, à cause de toi.
Dès que la femme fut sortie, il plia le petit lit et le rangea dans une armoire. Puis il s'aspergea d'eau de cologne. Des bruits de voiture montaient jusqu'à lui, et de temps en temps, des coups de sifflet. Il alla à une fenêtre et l'ouvrit. Des policiers s'activaient autour d'une voiture ; ses occupants devaient certainement ignorer que cette rue, près de son bureau, venait d'être interdite à la circulation dès la tombée de la nuit. Il en avait décidé ainsi pour pouvoir travailler dans le calme. Au début de sa nomination à la tête de la Sûreté du pays, il savourait toujours ce genre de décisions comme autant de preuves de sa puissance.
Mais ce soir, il avait envie de tout abandonner pour s'en aller quelque part où personne ne le reconnaîtrait. Son métier lui avait surtout donné beaucoup d'ennemis. Parce qu'il était devenu le sabre impitoyable du Guide. Il songea un instant à son maître, de plus en plus impopulaire, épicurien obsédé par sa taille qui s'épaississait sans cesse.
Malheureusement, Elhadj Karamo savait que malgré sa fortune, partout où il passerait, on le regarderait avec pitié. A cause de son pied et de sa ridicule petite voix enfantine. A cause surtout de ce pied à la plante roulée en boule, qu'il était tout le temps obligé de cacher avec un grand et long boubou. Même en faisant l'amour, il ne se préoccupait que de lui, l'écartant le plus loin possible de sa partenaire de peur de la sentir frémir de dégoût à son contact. C'était à cause de ce pied qu'on l'avait surnommé « Point-virgule ».
L'acte sexuel le rendait toujours triste. Il quitta la fenêtre et revint en boitillant vers son bureau où s'entassaient de nombreux dossiers. La vie lui avait appris une chose importante : seul le pouvoir suprême transforme en qualités même les infirmités physiques. Il soupira en s'asseyant. Demain, il devait assurer la sécurité d'un hôte de marque, invité personnel du Guide. Avant tout, continuer à travailler avec le même zèle pour que personne ne se doute de l'événement qui devait bouleverser la vie du pays. Il pensa au discours qu'il prononcerait ce jour-là.
Superstitieux, il chassa rapidement cette pensée pour ne s'occuper que de la visite du professeur Wilfrang. « … Après, personne ne m'appellera plus “Point-virgule” …
Pourvu que tout se déroule sans effusion de sang… », songeait-il en ouvrant un tiroir d'où il sortit une chemise portant le nom d'Oumarou.
De la chemise tomba une grande feuille dactylographiée. Lorsqu'il la ramassa, il reconnut ce tract qui l'avait obligé pour la première fois à torturer à mort un enfant.

Le militaire qui n'a pas de couilles,
Pendant que son peuple fait ouille
Sous les coups de l'imposteur,
Se cache de peur
De perdre ses faveurs.

Il ne sait faire taire
Que les petits oiseaux contestataires.
Lorsqu'il brise leurs ailes
En attendant qu'elles repoussent de plus belle
De rien, il ne se mêle.

Au mur, sur la carte d'état-major,
Partout où des armes dépend notre sort,
Il épingle hypocritement : Demain,
Comme on tend la main
A ceux qui suivent un autre chemin.

Parfois il envie ceux qui avec éclat,
Redonnent espoir par un coup d'Etat.
Puis il ferme sa radio,
Remplit son pistolet d'eau,
Et se donne des airs de héros
Pour retourner à son bureau.

Les militaires qui n'ont pas de couilles,
Ne ressemblent qu'aux grenouilles.
Le jour comme la nuit,
Ils fuient.

Lorsque les jours de fête
Ils défilent devant leur patrouille
Chancelants sous le poids de leurs fusils pleins de rouille,
Et que le peuple fier et plein d'admiration
Crie : « Voici notre armée de libération »
Honteux, ils baissent la tête.

Un sourire indulgent aux lèvres, Elhadj Karamo relut le tract. Il fallait empêcher le fils de son ami, le député Abdou, de se faire encore mal voir. En croquant une cola, il prit son téléphone.

laanyalL laanyalT laanyalR


Facebook logo Twitter logo LinkedIn Logo

Contact : info@webguine.site
webGuinée, Camp Boiro Memorial, webAfriqa © 1997-2015 Afriq Access & Tierno S. Bah. All rights reserved.