J.P. Goursaud & A. Bah
Une oeuvre, un auteur.
Le Cercle des tropiques de Mohamed Alioum Fantouré.
Etude critique
Paris : Nathan, 1987. 97 pages
Eléments biographiques
Mohamed Alioum Fantouré est le pseudonyme d'un écrivain guinéen né le 27 octobre 1938 à Forecariah, en Guinée maritime ou Basse-Guinée. Cet homme « prématurément blanchi », dit-on, à cause de la situation hors-de-pair de son pays depuis le 28 septembre 1958, entoure sa vie d'une grande discrétion, et les renseignements dont nous disposons sont peu nombreux.
L'enfance
Il la passe à Forecariah, puis à Conakry. C'est un authentique fils de la Basse-Côte et on en retrouve de nombreux indices dans son oeuvre.
Située à cent cinquante kilomètres au nord-est de Conakry, c'est une région essentiellement agricole. Elle est le « résumé de l'économie » guinéenne, disent les spécialistes. Elle recèle d'immenses possibilités agricoles, minières et énergétiques.
Elle est montagneuse et traversée par deux grands fleuves, le Konkouré notamment.
La famille de Fantouré possédait dans cette région des plantations (bananes et ananas) et avait une boutique à Conakry. Le père était donc un homme aisé pour l'époque.
Il mit un point d'honneur à voir son fils instruit et l'envoya poursuivre des études en Europe.
L'adolescence et l'âge adulte
- Etudes secondaires au collège d'Amboise et au lycée Michelet à Paris
- Etudes supérieures en Belgique, à l'issue desquelles il est agrégé de sciences économiques
Il travaille alors comme économiste dans différents organismes de coopération internationale, notamment au sein de la Communauté économique européenne à Bruxelles. Il est actuellerruent expert à l'ONUDI, à Vienne, chargé des problèmes de développement industriel.
L'oeuvre de Fantouré
Les premières publications d'Alioum Fantouré sont d'ordre professionnel :
- La Coopération franco-africaine, perspectives d'internationalisation, 1965
- Problèmes du marché en Afrique, 1966
- Esquisse d'une politique de développement industriel en Guinée, 1971
Son oeuvre romanesque commence en 1972 et se poursuit de nos jours :
- En 1972 paraît Le Cercle des Tropiques, Présence Africaine, qui obtient en 1973 le Grand Prix de la littérature d'Afrique noire. Alioum Fantouré, discrètement déjà, renonce au montant de son prix au profit de l'UNICEF
- en 1975 avec Le Récit du cirque… de la vallée des morts, éditions Buchet Chastel, il propose une vision de l'apogée de la tyrannie alors que Le Cercle des Tropiques en montrait les fondements. Les deux oeuvres forment ainsi un diptyque
- En 1979, il ouvre un nouveau cycle de quatre romans intitulé Le Livre de la Cité des Termites dont deux tomes sont déjà parus :
- L'Homme du troupeau du Sahel, Présence Africaine, 1979
- Le Voile ténébreux, Présence Africaine, 1985
L'oeuvre forme une unité :
- Dans les deux premiers romans, A. Fantouré analyse la décolonisation en s'appuyant longuement sur le cas particulier de la Guinée
- Dans le second cycle, il met en scène un héros de l'époque coloniale « ténébreusement voilé » à la fois par l'Afrique et par l'Occident dont il tente de s'émanciper
On retrouve donc partout la même attention portée à la colonisation et aux héros africains qui en sont sortis pour devenir les hommes politiques de l'indépendance.
Contexte historique et littéraire
Le contexte guinéen
En 1958, les intellectuels ont participé au mouvement d'enthousiasme qui accompagnait une indépendance signifiant pour eux réconciliation nationale et fin des divisions tribales et politiques. Au nom de la « dignité retrouvée », il fallait s'unir pour « lutter contre l'impérialisme » et « consolider l'indépendance politique ».
On redécouvre les valeurs du passé, et la vie littéraire est riche. Camara Laye — qui a publié cinq ans auparavant son premier roman, L'Enfant noir — anime une chronique historique sur les ondes de Radio-Conakry, devenue plus tard « la Voix de la Révolution » : il évoque les grandes figures du passé, Soundjata et Samory.
En 1958, Keita Fodeba publie ses Poèmes africains ; en 1960, Djibril Tamsir Niane fait paraître Soundjata ou l'Épopée mandingue. Mais cette courte fièvre passe.
A partir de 1961, une ère nouvelle s'installe avec le despotisme.
Dès lors, les Guinéens qui le peuvent s'exilent et on assiste à la naissance d'une nouvelle littérature : les auteurs guinéens changent de registre comme Camara Laye dans Dramouss (1966), une nouvelle génération d'écrivains naît, illustrée par Alioum Fantouré avec Le Cercle des Tropiques (1972) ou Tierno Monemembo avec Les Crapauds-Brousse.
L'unité thématique du roman guinéen devient alors le témoignage sur la situation guinéenne.
Le contexte africain
Mais Le Cercle des Tropiques s'inscrit plus généralement dans tout un mouvement romanesque de l'après-indépendance que Jacques Chevrier appelle « les romans de la désespérance », avec des oeuvres comme Perpétue ou l'Habitude du malheur de Mongo Beti, Le Devoir de violence de Yambo Ouologuem, et, plus près de nous, La Vie et demie de Sony Labou Tansi ou Le Pleurer rire de Henri Lopès (1982).
Ce « sont autant de regards incisifs jetés sur un univers de cauchemar qui donne au lecteur le sentiment d'être en présence de sociétés complètement décentrées »
(in Introduction de la Littérature nègre).