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André Lewin
Ahmed Sékou Touré (1922-1984).
Président de la Guinée de 1958 à 1984.

Paris. L'Harmattan. 2010. Volume V. 265 pages


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Chapitre 71. — 22 juillet 1974
Conakry normalise
ses relations avec la République fédérale d'Allemagne
sans rompre avec la République démocratique allemande


En février 1974, l'ambassadeur représentant la République fédérale d'Allemagne auprès des Nations Unies, Dr Walter Gehlhoff, demanda à Kurt Waldheim, secrétaire général des Nations Unies, dont j'étais alors le porte-parole depuis deux ans, d'intervenir — à l'occasion d'un voyage en Afrique de l'Ouest qui devait notamment le mener en Guinée — en faveur d'Adolf Marx, ce ressortissant de l'Allemagne fédérale, depuis des années déjà directeur technique de la brasserie SOBRAGUI à Conakry, arrêté et détenu depuis fin 1970 au Camp Boiro. De multiples efforts avaient déjà été faits pour avoir de ses nouvelles, en vain, et la famille de Marx, des hôteliers d'Aix-la-Chapelle, menait une virulente campagne de presse contre l'inaction du gouvernement de Bonn. A la demande de ce dernier, diverses personnalités étaient pourtant intervenues sans succès en sa faveur : plusieurs chefs d'Etat africains, Indira Gandhi, des dirigeants soviétiques, le président américain, et même le pape 107.
On avait également eu recours aux traditionnelles pratiques africaines ; c'est ainsi que la circulation fut un jour arrêtée devant l'ambassade d'Allemagne à Paris, avenue Franklin Roosevelt, pour laisser des marabouts opérer ! Je tiens cette anecdote de l'ambassadeur d'Allemagne fédérale lui-même, qui m'a montré le reçu signé des marabouts … 108
Au cours de sa visite officielle en Guinée, du 2 au 4 mars 1974, le Secrétaire général de l'ONU s'entretint du sort d'Adolf Marx avec le président Sékou Touré, qui exposa à nouveau ses positions, déjà bien connues du gouvernement allemand : Adolf Marx avait fait partie d'un complot visant à renverser le gouvernement de Conakry avec l'appui des autorités fédérales et dans le cadre d'un complot international. Le gouvernement allemand avait engagé sa responsabilité et devait à l'Etat guinéen une réparation en reconnaissant la part qu'il avait eue dans “les tragiques événements de 1970”.
De retour à New York, Waldheim fit savoir à l'ambassadeur allemand qu'Adolf Marx était vraisemblablement en vie, mais qu'il n'avait pas pu le voir et que les conditions de sa libération n'étaient pas réunies. Peu de jours après, le Secrétaire général recevait une lettre du ministre fédéral des Affaires étrangères, Walter Scheel, précisant la position de la RFA et contenant la “mise au point” suivante :

“Le gouvernement fédéral réaffirme à nouveau le principe fondamental de sa politique étrangère qui consiste à ne s'ingérer ni directement ni indirectement dans les affaires intérieures des autres Etats. Il va de soi que ce principe s'applique également à la République de Guinée”.

Walter Scheel terminait son courrier en demandant au Secrétaire général de transmettre cette mise au point au président Sékou Touré.
Se posait alors la question de savoir comment établir les “bons offices” entre la RFA et la Guinée et par quel truchement faire parvenir le message. Il aurait été possible de l'envoyer tout simplement par courrier, ou par l'intermédiaire de Jeanne-Martin Cissé, ambassadeur de Guinée auprès de l'ONU, ou par l'intermédiaire du représentant résidant du PNUD, un yougoslave nommé Rajko Divjak, ou encore par l'ambassadeur d'Italie chargé des intérêts de la RFA et de la France depuis la rupture des relations diplomatiques, Pascuale Calabre. Mais Waldheim voulait envoyer un émissaire personnel à Conakry. Un ami autrichien proche du secrétaire général 109 me confia que Waldheim songeait à Issoufou Saidou Djermakoye, un homme politique du Niger qui avait exercé des fonctions importantes dans son pays (il devait d'ailleurs bien plus tard y être couronné roi des Djermas, son ethnie d'origine), puis l'avait représenté à New York avant d'être nommé secrétaire général adjoint de l'ONU chargé de la coopération technique (cet excellent ami, entretemps devenu roi des Djermas au Niger, est décédé le 30 juin 2000).
C'est alors qu'avec peut-être beaucoup d'outrecuidance, je demandai à voir l'ambassadeur Gehlhoff ; le 8 avril, je lui exposai pourquoi à mon avis, je me sentais qualifié pour cette mission ; je lui demandai donc de solliciter à ce sujet son gouvernement, et si possible de le convaincre. J'avais déjà réussi à convaincre M. Gehlhoff lui-même, mais il n'était pas certain que Bonn juge qu'un diplomate de nationalité française soit justement l'intermédiaire le plus approprié pour cette mission 110.
J'emprunte une partie de la relation qui va suivre à un article intitulé “Analyse d'une médiation : la normalisation des relations franco-guinéennes”, rédigé par Marie-Claude Smouts et publié dans la Revue Française de Science Politique de juin 1981 ; plusieurs pages de cette étude traitent de l'Allemagne fédérale. Je les cite en les complétant le cas échéant et en précisant quelques points.

« Dans l'exercice de ses fonctions, André Lewin avait accompagné le Secrétaire général dans sa tournée africaine. A Lagos, pendant la visite du Secrétaire général au Nigeria, le général Gowon avait laissé entendre que le président Sékou Touré cherchait à sortir de son isolement et qu'il évoquerait vraisemblablement avec Waldheim un éventuel rapprochement avec la France.
En effet, le chef de l'Etat guinéen et son Premier ministre multiplièrent les allusions à ce sujet auprès du Secrétaire général et, plus encore, auprès de son porte-parole. La présence d'André Lewin à Conakry avait apporté un élément nouveau dans la situation. Sékou Touré, longtemps privé de tout contact officiel avec la France, rencontrait un interlocuteur français à la fois indépendant, puisque fonctionnaire des Nations Unies, et bien introduit dans le milieu politique français puisque ancien chef de cabinet de M. André Bettencourt, l'un des rares amis que Sékou Touré ait jamais comptés parmi les ministres du général de Gaulle. Cet interlocuteur sut écouter, comprendre. Et se produisit ce que nulle “technique” ne saura jamais commander : une rencontre d'homme à homme, un courant qui passe, et ce pari sans lequel il n'est pas de médiation possible, la confiance. Dès son premier voyage à Conakry, André Lewin accepta de servir d'intermédiaire pour tenter d'établir un premier contact entre la France et la Guinée. Il accepta de transmettre à André Bettencourt une invitation du président Sékou Touré à se rendre en visite privée en Guinée à l'occasion de la fête du parti le 14 mai et, par l'intermédiaire de la mission permanente française auprès des Nations Unies, il informa Michel Jobert, ministre des affaires étrangères, et le président Pompidou, du désir de la Guinée de se réconcilier avec la France en leur faisant part de sa position personnelle tout à fait positive sur les bonnes dispositions du président guinéen et sur les chances réelles de débloquer la situation.
Dans le contexte ainsi créé, André Lewin jugeait pouvoir retourner utilement à Conakry. Il sentait le climat favorable et se proposa comme “bons offices” dans le contentieux germano-guinéen.
Il dut triompher des hésitations de New York et du scepticisme de Bonn car l'idée qu'un Français puisse obtenir quoi que ce soit de la Guinée paraissait pour le moins saugrenue. Les membres de la mission permanente de la République fédérale auprès des Nations Unies réussirent à convaincre leur gouvernement et l'entourage de Waldheim que ce haut fonctionnaire, né à Francfort-sur-le-Main, parlant parfaitement l'allemand et bénéficiant d'une grande réputation aux Nations Unies, serait le meilleur représentant du Secrétaire général.
Commença pour l'envoyé spécial de Waldheim une diplomatie par navette entre New York, Conakry, Genève et Paris, qui dura de longs mois et transforma progressivement sa mission de “bons offices” en entreprise de “médiation”. Si le Secrétaire général des Nations Unies, soucieux de ne pas s'immiscer dans les affaires des Etats et toujours prudent, avait placé son intervention sur le plan humanitaire, son envoyé spécial savait bien que l'affaire était d'essence politique. Sékou Touré ne considérait pas Adolf Marx comme un otage mais comme un coupable recevant un juste châtiment. Les autorités allemandes devaient présenter des excuses, ou bien, au minimum, condamner les agissements subversifs de leurs ressortissants. Dans le même temps, le désir du président guinéen de renouer avec la RFA ne faisait aucun doute, il l'avait confirmé au représentant de Kurt Waldheim 111.
Il s'agissait donc pour ce dernier de trouver une formule qui satisfasse à la fois le bureau politique du Parti Démocratique de Guinée peu enclin à la “clémence”, et les Allemands qui refusaient de se placer sur un autre terrain que le terrain humanitaire et de reconnaître en quoi que ce soit la culpabilité d'Adolf Marx 112.
Quand, après deux voyages d'André Lewin à Conakry, il s'avéra, au mois de juin 1974, que les déclarations du gouvernement allemand paraissaient toujours insuffisantes aux Guinéens, l'envoyé spécial du Secrétaire général se transforma de “courrier diligent” (selon la définition étroite d'une mission de bons offices) en véritable “médiateur” définissant les étapes de la réconciliation et faisant des propositions 113.
Persuadé que les deux parties cherchaient sincèrement une issue positive et que l'on pouvait trouver un compromis, André Lewin décida d'inverser le mouvement en préparant lui-même un texte acceptable pour les Guinéens, qu'il soumettrait ensuite au gouvernement allemand. La technique adoptée fut celle d'un long communiqué dans lequel les formules relatives à l'éventuelle responsabilité de ressortissants allemands étaient enrobées dans des considérations générales. Le texte ne comportait pas de formule d'excuse ni de condamnation directe faisant référence à une situation précise mais il reprenait le texte de la première déclaration allemande en en modifiant la dernière phrase :

L'un des principes fondamentaux de la politique étrangère du gouvernement fédéral est de n'intervenir ni directement ni indirectement dans les affaires intérieures d'autres Etats. Le gouvernement fédéral rejette catégoriquement toute menace de violence ou de recours à la violence dans les relations internationales. Soyez assuré que le gouvernement fédéral condamne de la manière la plus nette tous les actes de violence et les activités subversives contre un gouvernement étranger ou contre l'intégrité d'un Etat étranger, que de tels agissements soient le fait de gouvernements, de groupes ou d'individus isolés. Cette déclaration vise en particulier les citoyens de la République fédérale d'Allemagne quand il a été démontré qu'ils ont contrevenu en Guinée de manière regrettable, aux principes énoncés ci-dessus.

J'avais joué de ma connaissance de la langue allemande pour faire passer cette dernière phrase : le mot français “quand” se traduit en allemand par “wenn”, mais en français, “wenn” signifie également “si”. Le texte français donnait par conséquent à Sékou Touré l'impression que Bonn acceptait un fait démontré, alors que les Allemands pouvaient penser qu'il y avait un doute sur la réalité des faits. Je n'étais pas peu fier de ma trouvaille, et j'espérais que personne ne la découvrirait trop tôt.
Pendant plusieurs heures, André Lewin travailla à la mise au point finale du communiqué avec le Premier ministre guinéen, Lansana Béavogui, en liaison téléphonique avec le président Sékou Touré. Il fallait ensuite faire accepter par Bonn ce texte dont le représentant de Kurt Waldheim savait qu'il allait au-delà des positions allemandes, mais qu'il représentait un “minimum” pour la partie guinéenne. En faisant part le 24 juin à Paris de ce texte et des meilleures dispositions de Sékou Touré par l'intermédiaire de l'ambassadeur de la RFA Sigismund von Braun (l'ancien secrétaire d'Etat), et son conseiller politique, M. Heuseler, puis en rencontrant à Genève, le 30 juin, M. Lahn, le directeur politique des Affaires étrangères de Bonn, André Lewin se montrait confiant quant au résultat de sa médiation : il avait reçu par écrit la confirmation qu'Adolf Marx serait libéré et lui serait remis dès que le communiqué aurait été rendu public.
Dès le 26 juin 1974, la RFA faisait savoir qu'elle acceptait la formule présentée. De retour à Conakry début juillet, cette fois pour accompagner André Bettencourt, André Lewin put mettre définitivement au point le communiqué et ses modalités. Il serait rendu public le 22 juillet, et confirmé à la même date à Bonn et à New York. A la demande des deux capitales intéressées, André Lewin devait se rendre à Conakry pour recevoir, au nom du Secrétaire général, le prisonnier qui serait libéré le jour même. En misant sur la bonne foi du président Sékou Touré et en faisant accepter à la RFA un texte beaucoup plus explicite qu'elle ne l'aurait souhaité, le médiateur avait pris un risque.
Tout sembla basculer le 22 juillet lorsque, le communiqué ayant été publié comme prévu, et lu au micro de radio Conakry par moi-même et par Fily Cissoko, le ministre des affaires étrangères, Sékou me convoqua pour m'annoncer que Marx ne serait pas libéré ce jour-là, mais plus tard, sans me fixer de délai. Fallait-il partir ? Fallait-il rester ? Et comment expliquer ce délai à l'Allemagne fédérale, qui avait déjà envoyé un avion à Bruxelles pour y prendre en charge le libéré, et à Kurt Waldheim ? Sans même prendre le temps de la réflexion, je déclarai à Sékou Touré que je décidais de rester sur place et que je ne quitterais la Guinée qu'avec “mon” prisonnier. Sékou Touré fut fort interloqué, mais décida finalement de mettre à ma disposition une voiture et un accompagnateur (ce fut Kourouma Laye, anciennement ambassadeur au Nigeria, plus tard gouverneur de Kankan, devenu un excellent ami), et m'envoya faire une tournée dans le Fouta.
Sékou m'autorisa cependant à rendre auparavant visite à Adolf Marx au Camp Boiro en compagnie de Siaka Touré, le commandant du Camp 114.
Je vis alors arriver Marx, incapable de marcher, affalé sur une chaise portée par deux gardiens, très amaigri, très affaibli ; lorsqu'il fut attablé en face de moi, je lui adressai la parole en allemand (il y avait une interprète avec moi, mais sans doute était-elle là pour contrôler notre conversation). Marx, qui avait décidé depuis plusieurs semaines de ne plus du tout parler, fut visiblement surpris par le fait que je m'exprimais en allemand, et il finit par me répondre. Il ne croyait à l'évidence pas un mot de ce que je lui disais. Il accusait tour à tour le gouvernement allemand de n'avoir rien fait pour lui depuis quatre ans, ses parents de l'avoir abandonné. Il ne croyait pas à l'intervention de l'ONU. Mais petit à petit il prit davantage confiance. Je lui avais raconté la négociation, parlé de ce retard que je ne m'expliquais pas ; et je lui avais dit aussi que je ne quitterai la Guinée qu'avec lui, dussè-je attendre des mois. Il écrivit, sur un petit papier que je lui passai, qu'on avait essayé de le traiter par des piqûres de 10 centimètres cube d'une substance chimique vitaminée appelée sulfate de calcium, mais que c'était un infirmier incompétent qui l'avait soigné, que l'aiguille avait touché un nerf et qu'il souffrait énormément ; il ne pouvait plus marcher ; il ne voulait plus aucun traitement ni piqûre, suppliait qu'on ne lui donne même plus de douche et qu'on le laisse “crever en paix”.
A ma grande surprise, je découvris alors il y avait encore deux autres Allemands au camp, depuis deux ans environ, deux “aventuriers” (au sens non péjoratif du terme) qui faisaient (séparément) le tour de l'Afrique en touristes, l'un d'entre eux en vélo ; ils avaient été arrêtés à la frontière guinéenne et emprisonnés parce qu'ils n'avaient pas de visas guinéens sur leurs passeports ; et comme les Allemands de l'Ouest étant automatiquement suspects, ils ne pouvaient évidemment être considérés comme de simples touristes. Ils avaient été moins longtemps enfermés et étaient en bien meilleur état que Marx. Ils me donnèrent leurs noms, leur adresse.
C'étaient des gens simples, de condition très modeste. L'un s'appelait Josef Schmutz, originaire de Munich, l'autre Ulrich Stegmann. Lorsque je les quittai après deux bonnes heures de face à face, ils avaient tous un peu repris confiance. Il me fallut ensuite avertir Bonn et New York de ces développements inattendus. Heureusement, j'avais entre-temps noué d'amicales relations avec l'ambassadeur des Etats-Unis, un noir originaire des îles Vierges dans les Caraibes, Terence Todman, de chez qui je pus envoyer un télégramme annonçant le retard (je n'en avais pas encore l'explication), ma décision de rester jusqu'à la libération, mon entrevue avec les prisonniers, les noms des deux Allemands dont personne ne savait rien : ils avaient tout simplement, pensaient leurs familles, “disparu quelque part en Afrique”.
Mais pourquoi y avait-il eu ce délai ? Le grain de sable dans le processus de libération minutieusement préparé était l'attente de l'arrivée du sous-secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères italien, Mario Pedini, qui était souvent intervenu en faveur des prisonniers et souhaitait associer le gouvernement italien à leur libération … et il ne pouvait arriver que le 29 juillet. Pour des raisons à la fois amicales et diplomatiques, Sékou Touré fit donc attendre Bonn, New York, l'envoyé spécial du Secrétaire général… et les prisonniers, qui avaient peine à croire à leur libération prochaine et dont l'un au moins, Marx, était dans un état d'épuisement critique 115.
Le 29 juillet, les trois prisonniers allemands furent finalement libérés. On les amena dans un appartement situé dans l'enceinte du Palais du Peuple, où Mario Pedini, Pascuale Calabro, Rajko Divjak et moi-même les avons accueillis avec l'émotion que l'on devine ; on ouvrit même une bouteille de champagne.
Stegmann était surexcité : il n'arrêtait pas de regarder par la fenêtre et chaque fois qu'il passait un cycliste au loin dans la rue, il criait pour qu'on lui rende sa bicyclette, confisquée lors de son arrestation ; je n'avais qu'une crainte, c'était qu'il s'échappe et se précipite sur le premier cycliste venu. Marx était allongé dans une pièce sombre aux rideaux tirés.
Brusquement, Sékou Touré fit son entrée dans la pièce. J'eus juste le temps de glisser à l'oreille de Marx, qui était évidemment très remonté contre Sékou, qu'il ne recommence surtout pas ses longues tirades contre la Guinée et son régime, sous peine de ne pouvoir revenir en Europe et de repartir vers le Camp Boiro. Marx fit un signe résigné de la tête pour me rassurer. Sékou s'approcha de son lit, se pencha vers lui, demanda de ses nouvelles, lui expliqua qu'il regrettait que la Révolution lui ait pris la santé, mais que c'était le sens de la lutte révolutionnaire. Marx se borna à murmurer quelques mots pour le remercier de sa libération. Stegmann réclama encore une fois sa bicyclette : Sékou lui expliqua qu'il valait mieux qu'il profite de son geste de clémence pour repartir chez lui, et que lorsqu'il serait rétabli, s'il voulait encore une fois faire le tour de l'Afrique en vélo, il bénéficierait d'un visa et récupérerait peut-être sa bicyclette.
Plus tard, nous fûmes conduits à l'aéroport pour y prendre le vol de nuit de la Sabena, et via Monrovia (où un médecin allemand monta à bord) et Abidjan, nous arrivâmes au petit matin à Bruxelles. Là, un avion spécial allemand nous attendait pour nous amener à Bonn. On imagine la joie et l'émotion de tous. Walter Scheel, devenu tout récemment président fédéral, me téléphona pour me remercier et me féliciter.
Le 16 août 1999, vingt-quatre ans après ces événements, presque un quart de siècle, j'ai eu un entretien téléphonique avec Adolf Marx, dont j'ai retrouvé la trace à Aix-la-Chapelle, où sa mère tient toujours un hôtel. Je savais qu'il avait publié un livre, Verflucht, wer uns vergiBt 116 ; il est toujours en liaison avec Amnesty International. Il n'est jamais retourné en Guinée (il en a quand même eu l'intention un an avant son décès début 2010), mais s'est rendu une fois au Sénégal, où il avait travaillé quelques années pour un groupe de brasserie français avant de venir s'installer en Guinée en 1963. A son retour en Allemagne, une fois sa santé physique à peu près rétablie, il s'est lancé dans des affaires immobilières, mais après quelques bonnes années, ses affaires ont périclité. Il avait intenté un procès contre la société française Technibra, propriétaire de la brasserie guinéenne, en particulier parce qu'elle avait cessé de payer son salaire dès le lendemain de son arrestation et pendant la durée de sa détention au Camp Boiro ; il m'a dit qu'il avait gagné ce procès qui avait duré plusieurs années, mais que l'indemnité qui lui avait été allouée par les tribunaux aura à peine suffi à payer ses avocats 117.
Je servis encore d'intermédiaire entre l'Allemagne de l'Ouest et la Guinée avant qu'un premier contact à l'échelon ministériel ne soit pris entre les deux pays, en septembre 1974, pendant l'Assemblée générale des Nations Unies.
Entre-temps, Walter Scheel était devenu président de la RFA, et Hans-Dietrich Genscher ministre des affaires étrangères. Du côté guinéen, c'est Fily Cissoko qui tenait ces dernières fonctions. Je maintenais le contact avec les diverses parties. Ainsi, visitant avec Kurt Waldheim l'Allemagne de l'Est en janvier 1975, je m'entretins avec l'ambassadeur de Guinée en RDA, Alimou Diallo. Quelques mois plus tard, le 9 mai 1975, Bonn et Conakry décidaient de rétablir les relations diplomatiques et d'échanger des représentants diplomatiques.

“Vos démarches concernant les relations Guinée-Allemagne fédérale, comme ultérieurement les relations Guinée-France, furent considérées par la RDA comme une étape appropriée dans la normalisation des relations bilatérales correspondantes. La RDA estima que vos activités étaient un apport constructif à la coexistence pacifique”, m'écrivit plus tard l'ambassadeur de la RDA, Madame Eleonora Schmid 118.

Pendant ce temps là, m'étant en quelque sorte “fait la main” sur le cas de l'Allemagne, je menais la négociation à propos de la normalisation des relations avec la France et la libération d'une vingtaine de ressortissants français détenus. Ce fut chose faite le 14 juillet 1975. On connaît la suite. Ce même mois de juillet 1975, le ministre des affaires étrangères Fily Cissoko se rendait à Bonn, et avant la fin de l'année, un chargé d'affaires permanent, Horst Uhrig, venait rouvrir l'ambassade de Conakry, quelques semaines avant que je n'ouvre de mon côté une ambassade de France. Pour redonner du rythme au redémarrage de la coopération, le secrétaire d'Etat Hans-Juergen Wischnewski 119, qui avait déjà effectué plusieurs missions plus ou moins discrètes en Guinée, se rendit officiellement à Conakry du 14 au 19 novembre 1976 120. Il connaissait très bien Sékou Touré et il fallait effectivement de nouveaux contacts personnalisés pour rétablir les circuits d'amitié et de confiance qui avaient été profondément affectés par la crise des années précédentes. Et la coopération reprit progressivement son cours. La normalisation avec la France en 1975, succédant à celle intervenue avec l'Allemagne l'année précédente (et au rétablissement des relations avec la Grande-Bretagne intervenu en 1968), et précédant celle qui interviendra en mars 1978 à Monrovia avec le Sénégal de Léopold Sedar Senghor et la Côte-d'Ivoire de Félix Houphouët-Boigny, changea sensiblement le climat national et international autour de la Guinée. Celle-ci avait signé en 1975 la convention de Lomé avec la Communauté européenne. Les pays européens étaient presque tous représentés sur place, parfois au niveau d'ambassades, parfois celui des consuls honoraires ; France, Allemagne, Italie, Espagne, Grande-Bretagne, Danemark, Belgique, et se montraient actifs, de même que la Suisse, les Etats-Unis et le Canada. La Communauté européenne avait sur place un dynamique représentant, le belge André Van Haeverbeke. L'on parlait d'une “offensive diplomatique” et la Guinée semblait aborder une nouvelle phase de son histoire.
Tous ces développements équilibraient mieux la présence des pays de l'Europe de l'Est, et les relations entre les ambassadeurs des deux Allemagne étaient plus détendues : j'ai même vu le 1er juillet 1978 mon ami le nouvel ambassadeur d'Allemagne fédérale Martin Florin 121, lors d'un dîner de diplomates au restaurant Le Petit Bateau (tenu par le libano-guinéen Younès), danser avec Madame Eleonora Schmid, l'ambassadeur de la RDA, dont on célébrait le prochain départ 122.
Eleonora Schmid, qui avait déjà effectué un séjour en Guinée de 1969 à 1972 comme attaché culturel, a même été pendant quelques semaines doyenne du corps diplomatique, après les départs successifs des doyens précédents les ambassadeurs d'Algérie, Zitouni Messaoudi, et de Corée du Nord, et par suite de l'absence momentanée de celui de Hongrie, Sandor Kertes ; c'est donc elle qui prononça le 14 mai 1978 l'allocution traditionnelle lors de la présentation des voeux du corps diplomatique au président Sékou Touré 123. Son mari Reiner Schmid, qui était consul pendant leur premier séjour, fut Premier secrétaire pendant le second 124.
Pendant la quinzaine d'années jusqu'à la réunification allemande, la coopération entre la Guinée et l'Allemagne de l'Est allait continuer et même se développer dans les domaines déjà mentionnés 125, sans que se retrouve la même atmosphère de compétition systématique entre les deux Allemagne qui caractérisa la période précédant les événements de 1970. Les deux “partis frères”, PDG (Parti Démocratique de Guinée) et SED (Sozialistische Einheitspartei) entretiennent des relations de travail et échangent régulièrement des délégations. Dans le domaine politique, de nombreux ministres guinéens (Mamouna Touré, docteur Kekoura Camara, Keita Mamadi, Lansana Diané, Jeanne Martin-Cissé) ainsi que le Premier Ministre Lansana Béavogui, effectuèrent des visites officielles en RDA. En mai 1978, c'est le ministre est-allemand de la défense Heinz Hoffmann qui séjourne en Guinée.
Sékou Touré lui-même participa à Berlin-Est le 6 octobre 1979 aux cérémonies du 30ème anniversaire de la RDA, au milieu d'un grand nombre de chefs d'Etat et de personnalités, parmi lesquelles le soviétique Leonid Brejnev 126.
Dans la perspective du Sommet de l'Organisation de l'Unité Africaine qui devait se tenir à Conakry en été 1984, la RDA figure, aux côtés de la Yougoslavie, de la Corée du Nord et du Maroc, parmi les pays amis qui fournissent moyens financiers et techniques pour la construction des villas et bâtiments nécessaires.
La coopération avec la République fédérale avait repris, mais avait du mal à remonter en puissance au même rythme qu'avant 1970.
Il y eut d'ailleurs, pendant quelques semaines, à l'été 1976, une alerte qui aurait pu être sérieuse, mais fut finalement surmontée ; lors des dépositions des détenus du "Complot Peul" qui vit, en juillet 1976, l'arrestation du Diallo Telli et de nombreuses autres personnalités appartenant presque toutes à l'ethnie peule, le nom des Etats-Unis, de l'Allemagne fédérale, de la France, et bien entendu du Sénégal et de la Côte-d'Ivoire, revenait régulièrement comme complices ou même instigateurs de cette affaire. La “confession” de Diallo Telli, dont la deuxième partie fut diffusée le 22 août, s'accusant d'être un agent de la CIA, donna lieu à une recrudescence d'attaques contre les puissances étrangères liées à la "Vème colonne", de nombreuses fédérations du Parti Démocratique de Guinée exigeant la rupture des relations diplomatiques avec ces pays, notamment de l'Allemagne fédérale, si celle-ci ne respectait pas les termes de la déclaration de normalisation.
En fait, une fois la situation éclaircie avec la France dès la fin du mois d'août — grâce en particulier à une lettre adressée à Sékou Touré par le président Giscard d'Estaing 127 —, la mise en cause des pays occidentaux cessa tout aussi vite qu'elle avait commencé (celle visant le Sénégal et la Côte-d'Ivoire en revanche resta vive jusqu'à la réconciliation de Monrovia, en mars 1978, entre Sékou Touré, Senghor et Houphouët).
L'année 1979 vit la signature, le 18 juin, de deux nouveaux accords, l'un sur la coopération économique et technique, l'autre sur la coopération financière ; à cette occasion, tous les anciens prêts allemands à la Guinée étaient transformés en dons. Le Premier ministre Lansana Béavogui se rendit en visite officielle en RFA du 12 au 17 novembre 1979. En septembre 1980, le secrétaire d'Etat à l'économie, von Wurzen, vint examiner une série de nouveaux projets. Du 15 au 18 novembre 1981 eut lieu à Conakry la première session de la commission mixte guinéo-allemande.
Sékou Touré de même que mes amis allemands n'avaient pas oublié le rôle que j'avais joué dans la normalisation. C'est pourquoi ils m'invitèrent à participer à la visite d'Etat que le chef de l'Etat guinéen effectua en République fédérale d'Allemagne du 30 novembre au 4 décembre 1981. Dans son allocution du 30 novembre prononcée lors du dîner en l'honneur du président de la République Révolutionnaire Populaire de Guinée, au château de Augustus à Brühl, le président fédéral Karl Carstens fit l'historique sommaire des relations passées et affirma que depuis 1976, tout avait été fait pour surmonter la regrettable brouille qui avait pendant un temps terni les rapports ; il rappela également la doctrine de la RFA sur l'unité du peuple allemand, sans faire allusion au fait que Conakry abritait désormais deux ambassades allemandes. Le lendemain 1er décembre, le ministre des affaires étrangères Hans-Dietrich Genscher offrit un petit déjeuner au château de Gymnich et le Chancelier Helmut Schmidt un déjeuner au Palais Schaumburg. Sékou Touré s'entretint également avec le ministre de la coopération économique Rainer Offerding, qui déclara :
— Nous avons tiré un trait final sur les événements du passé. Lors d'un entretien entre les deux chefs d'Etat, le problème des prisonniers politiques fut évoqué, et Sékou Touré s'engagea à laisser une délégation d'Amnesty International se rendre en Guinée.
Parallèlement, les ministres des affaires étrangères Hans-Dietrich Genscher et Docteur Elhadj Abdoulaye Touré tenaient des séances de travail et signaient le 30 novembre trois accords de coopération économique et technique, comportant notamment des crédits de 16,1 millions de DM pour l'amélioration du port de Conakry et 3,4 millions de DM pour un fonds d'études, de bourses et d'experts.
Moins d'un an après cette visite en Allemagne, en septembre 1982, le chef de l'Etat guinéen se rendit en France pour la première fois depuis 24 ans. Le 26 mars 1984, ce fut la disparition de Sékou Touré.
Cinq ans plus tard, en novembre 1989, ce fut la chute du Mur de Berlin, puis, le 3 octobre 1990, ce fut la réunification de l'Allemagne avec la disparition de la République démocratique allemande, objectifs ardemment souhaités par Bonn et qui avaient entraîné tant de démarches, de soucis et de drames sur le sol de la Guinée.

Notes
107. Adolf Marx avait pu recevoir début 1971 au Camp Boiro la visite de l'ambassadeur d'Italie, qui lui avait promis de la correspondance et des colis (Marx a en effet pu écrire et recevoir diverses lettres ainsi que quelques colis pendant ses quatre ans de détention). Un an plus tard, il a reçu la visite de Maître Louis Labadie, un avocat communiste français, mandaté par quelques unes des familles françaises, libanaises, ainsi que la sienne. Un an plus tard encore, ce fut de nouveau l'ambassadeur d'Italie, accompagnant le secrétaire d'Etat Mario Pedini (mais pas le ministre des affaires étrangères Aldo Moro, comme Marx l'affirme à tort).
208. L'idée même de recourir aux marabouts lui avait été soufflée par madame Eliane Gemayel, elle-même épouse d'un détenu franco-libanais, avec qui elle avait détenue quelques jours avant d'être expulsée. William Gemayel a été libéré le 14 juillet 1975 (entretien de l'auteur avec madame Eliane Gemayel, Palaiseau, mai 2005).
109. Je puis dire aujourd'hui que c'était Anton Prohaska, devenu un ami très proche, qui a été par la suite ambassadeur d'Autriche en France. Je lui demeure encore aujourd'hui reconnaissant de cette amicale marque de confiance, qui a donné à ma vie professionnelle et même personnelle une orientation nouvelle.
110. Le 21 avril 1974, alors que j'entamais ma mission concernant Adolf Marx, d'autres ressortissants de la république fédérale d'Allemagne étaient impliqués dans un incident dramatique ; en même temps que madame Françoise Claustre, chercheuse française au Centre national de la recherche scientifique, et Marc Combe, un coopérant français au Tchad, un couple allemand était enlevé par un groupe de rebelles toubous commandé par Hissène Habré (qui sera quelques années plus tard président du Tchad) ; le docteur Staeven, en mission de coopération dans le pays, sera pris en otage comme les autres, son épouse tuée pendant l'enlèvement. Le 11 juin, Bonn obtient la libération du docteur Staewen contre versement d'une rançon (ce qui fait penser un moment au gouvernement fédéral que le cas de Marx pourrait être lui aussi réglé par un versement d'argent, ce qui ne sera pas le cas, comme on le verra). Madame Claustre ne sera libérée qu'en avril 1977, après de multiples et dramatiques péripéties, grâce notamment à l'entremise de Khadafi.
111. Le remplacement à Bonn de Willy Brandt, démissionnaire le 9 mai 1974 de son poste de chancelier fédéral, par Helmut Schmidt, a pu jouer un rôle positif : Sékou Touré attribuait en effet à l'ancien chancelier une part de responsabilité dans le débarquement portugais du 22 novembre 1970.
112. Au début de ma mission, certains responsables allemands pensaient que Sékou Touré souhaitait peut-être obtenir une forte somme d'argent en échange d'Adolf Marx, et ils me dirent que j'avais carte blanche pour négocier, quels que soient le montant demandé et les modalités de la transaction (j'ai mentionné antérieurement que la libération du docteur allemand Staewen, coopérant au Tchad, pris comme otage par les rebelles toubous d'Hissène Habré, avait été obtenue en juin de cette même année contre versement d'une rançon). Mais c'était bien mal connaître Sékou Touré. A aucun moment de nos discussions, il ne fut question d'argent ou d'avantages matériels. Ceci infirme un article paru dans Minute (N° 647, 4 septembre 1974), où l'on me fait dire qu'il avait fallu donner 2 millions de francs par prisonnier. Quant à moi, les autorités allemandes remboursaient bien entendu les frais de voyage en avion dont je faisais l'avance. Après le succès de ma mission, ils me demandèrent ce que je désirais pour me récompenser de mes efforts, laissant entendre que j'avais toute liberté de choix, y compris celui de demander une forte somme d'argent. Je demandai à recevoir une décoration. C'est ainsi que quelques mois plus tard, le 2 janvier 1976, l'ambassadeur Sigismund von Braun, qui représentait la République fédérale à Paris, me remit les insignes de Grand Croix du Mérite de la République fédérale allemande. Je note qu'en 2003, après la libération des 32 touristes retenus comme otages par un mouvement islamiste algérien au Sahara (et parmi lesquels figuraient plusieurs Allemands, dont 6 libérés en mai et 9 en août, une Allemande étant décédée entre-temps), le gouvernement de Berlin a estimé le coût des voyages en avion et communications téléphoniques nécessités par les négociations à 420.000 euros (selon l'hebdomadaire allemand "Focus", le coût total y compris la rançon aurait été de 20 millions d'euros) et a demandé aux anciens otages de participer aux frais en versant chacun 1.092 ou 2.301 euros, selon le groupe dont ils faisaient partie. Les touristes allemands enlevés sur l'île philippine de Jolo et libérés en 2000 avaient également dû contribuer aux frais de leur libération.
113. Le 19 juin, j'avais laissé à Sékou Touré la nouvelle version d'un texte que Bonn m'avait fait parvenir à New York. Le lendemain, il me dit qu'il le trouvait tout aussi inacceptable que le précédent ; comme je le pressentais, je lui ai alors soumis un projet tout à fait différent que j'avais rédigé sur ma petite machine à écrire personnelle Hermès Baby. Le 21 , le Premier ministre Béavogui me dit de la part de Sékou Touré que si Bonn acceptait ce texte, Adolf Marx serait libéré.
114. J'ai obtenu sur cette visite au Camp (dont il fut le témoin), ainsi que sur de nombreux détails sur le sort réservé à Adolf Marx, Seibold, et les autres prisonniers, le récit du commissaire de police Moussa Keita, frère (même mère) de la présidente Andrée Touré, pendant plusieurs années commandant en second du Camp Boiro. Ce témoignage, recueilli à Paris les 10 et 22 juillet 2003, figure en annexe.
115. Au cours du débat qui a eu lieu au Centre culturel de Conakry à la suite d'une conférence sur les relations de la Guinée avec les deux Allemagne que j'y ai faite le 29 septembre 1999, Elhadj Thiemo Cellou Diallo, alors ministre du Plan et de la Coopération, a indiqué qu'il avait, au cours de ses six années et demi de détention au camp Boiro, été pendant quelques jours le voisin de cellule d'Adolf Marx ; celui-ci avait à un moment donné fait la grève de la faim pendant quelques jours et il avait lui-même “bénéficié”, si l'on peut dire, de ses repas, car en tant qu'étranger, Marx recevait de temps en temps un peu de viande, des pommes de terre et de la salade ; mais au bout de deux jours, les gardiens ont conservé ces rations pour eux.
116. Vertlucht, wer uns vergiBt (Maudit soit ceux qui nous oublient), qui porte également comme sous-titre : Gefoltert für Deutschland (Torturé pour l'Allemagne). Publié en 1977 aux éditions Derscheider, ce livre de 178 pages est émouvant par son style et intéressant par son contenu, mais contient aussi une série d'approximations, probablement parce qu'il a été rédigé par Adolf Marx alors que celui-ci n'avait pas encore complètement surmonté les séquelles de sa détention. Par exemple, il mentionne à plusieurs reprises la présence du nonce apostolique de Dakar ou du ministre italien des affaires étrangères Aldo Moro lors de sa libération, alors que le secrétaire d'Etat Mario Pedini y représentait seul le gouvernement de Rome. Ailleurs, il affirme que l'armée de l'air guinéenne était équipée de Mirage (français) alors qu'elle l'était uniquement de Migs soviétiques. Il situe la reconnaissance diplomatique de la RDA par la Guinée “à peu près à la date” de son arrestation, alors qu'elle est antérieure de quatre mois, décale de deux semaines la visite au Camp Boiro du ministre français André Bettencourt. Et surtout, il ne replace pas son propre sort tragique dans le cadre des conséquences de la lutte d'influence entre les deux Allemagne.
117. Adolf Marx a continué à militer en faveur des droits de l'homme et a mis l'un de ses bureaux à la disposition d'Amnesty International. Le 28 septembre 1978, il a participé à une conférence de presse organisée à Paris par James Soumah, président du comité pour la défense des libertés en Guinée. Bien des années plus tard, il envisageait de se rendre en Guinée pour une sorte de pèlerinage, en liaison avec !'Association des familles des victimes du Camp Boiro ; mais sa visite, prévue à la fin de 2008, a été annulée en raison des événements qui ont suivi la mort du président Lansana Conté. Atteint d'un cancer, Adolf Marx est décédé le 7 février 2010 à Würselen, près d'Aix la Chapelle. Il avait ouvert un site internet, où figuraient le texte de son livre (dont la traduction en français), ainsi que d'autres documents : www.axa-immo.de. Mais il semble qu'à la suite de son décès, ce site ait été fermé.
118. Lettre du 12 février 2000 à l'auteur.
119. Le secrétaire d'Etat Hans-Juergen Wischnewski, spécialiste des missions difficiles ou délicates en Afrique ou dans les pays arabes — parfois surnommé Ben Wisch ! — s'était rendu à plusieurs reprises en Guinée dans les années 1960, notamment en tant que ministre de la coopération économique du gouvernement Willy Brandt, et il était considéré par Sékou Touré comme un ami personnel. Pourtant, son nom ni aucun de ses voyages ne figurent dans les archives ouest-allemandes que j'ai pu consulter. En revanche, je l'ai rencontré à plusieurs reprises pendant les négociations et après la normalisation des relations entre Bonn et Conakry. Dans une lettre du 14 avril 2000 adressée à l'auteur, il affirme avoir conservé un souvenir très précis de nos rencontres des années 70, mais précise qu'il n'a rien écrit lui-même sur cette période, ni sur Sékou Touré, ses activités des décennies récentes ayant été consacrées pour l'essentiel au Moyen-Orient. Il est décédé en février 2005.
120. Mon collègue Horst Uhrig profite de cette visite pour faire la réouverture officielle de sa résidence, repeinte et réaménagée ; cette villa de bord de mer, située sur la corniche, était vacante depuis le départ de l'ambassadeur Lankes à la fin de décembre 1970, et depuis la rupture des relations diplomatiques entre Bonn et Conakry en janvier 1971, elle était confiée à la garde de l'ambassade d'Italie, chargée de la représentation des intérêts de la République fédérale allemande en Guinée, fonction que l'Italie assurera jusqu'à la reprise des relations en 1974.
121. Il était arrivé à Conakry le 13 juin 1978, jour où le chargé d'affaires Horst Uhrig avait quitté la Guinée pour prendre un poste à l'ambassade de la RFA en Tanzanie.
122. Martin Florin, que j'ai consulté sur ses souvenirs à ce sujet, se rappelle qu'il ne fut pas le premier Occidental à l'inviter, et que ce fut sans doute le représentant de l'Union européenne, André Van Haeverbeke ! Eleonora Schmid était ambassadeur de RDA en Guinée depuis le 18 novembre 1974.
123. Jour où l'on commémorait la fondation , en 1947, du Parti Démocratique de Guinée. Eleonora Schrnid fit appel à quelques ambassadeurs amis (parmi lesquels l'auteur, en particulier à cause de la nécessité de faire cette allocution en langue française, mais aussi à cause du contenu), et Sékou Touré fit compliment à l'ambassadeur de la RDA de la qualité de ses propos. Trois mois plus tard, Eleonora Schmid quittait son poste (courriel d'Eleonora Schmid à l'auteur, 15 octobre 2007).
124. Eleonora Schmid fut par la suite ambassadeur de la RDA au Maroc (accréditée également au Sénégal et au Cap-Vert), puis à Madagascar, avant de devenir vice-ministre chargée de l'Afrique au ministère est-allemand des affaires étrangères, juste avant la réunification. Voici ce qu'elle a écrit à l'auteur le 17 juin 2003 (date qui se trouve être aussi ... le cinquantième anniversaire du soulèvement à Berlin-Est !) : “… Mon mari et moi avons passé en tout sept années en Guinée (août 1969-juillet 1972, novembre 1974-juillet 1978). Sur le plan personnel, c'était la période de notre jeunesse : sur le plan politique, c'était surtout la période de la lutte (terme souligné par Madame Schmid, qui ajoute : “j'utilise ce mot nostalgique”) pour la reconnaissance diplomatique de la République démocratique allemande sur la scène internationale (Allemagne de l'Est, comme on a eu l'habitude de le dire à l'époque). Enfin le résultat final était positif. Nous avons commencé avec la représentation commerciale, ensuite le consulat général, et en septembre 1969, nous avons appris par un communiqué de La Voix de la Révolution la nouvelle sur la décision d'élever les relations Guinée-RFA au niveau des ambassades. Un événement inoubliable : le 22 novembre 1970 ! L'agression contre le régime de Sékou Touré. Mon mari était fait prisonnier par les mercenaires à la centrale électrique (notre ambassadeur l'avait envoyé chercher un médecin pour un de nos blessés, le Dr. Siegfried Krebs…). Plus tard, mon mari Heiner Schmid a été témoin devant la commission d'enquête de l'ONU… Quatre ans plus tard, le 18 novembre 1974, a eu lieu la présentation de mes lettres de créance à Sékou Touré. Ma première expérience comme ambassadeur à l'âge de 35 ans ! Galéma Guilavogui était pendant mes deux périodes en Guinée ministre de l'enseignement. La RDA avait beaucoup de professeurs dans les écoles. Avec lui, c'était agréable de travailler…” Dans une lettre ultérieure (du 21 juillet 2003), Eleonora Schmid précise que lors de leur premier séjour, son mari était 2ème secrétaire au consulat général, et suivait les politiques intérieure et extérieure de Guinée, les problèmes consulaires ainsi que les affaires du PAIGC et de la Guinée-Bissau ; elle-même était 3ème secrétaire, chargée des affaires culturelles et du protocole. Lors du deuxième séjour, où elle était chef de poste, son mari, en dehors de ses fonctions à l'ambassade, était chargé d'affaires en Guinée-Bissau.
125. Il faudrait ajouter qu'en trente années de coopération, plus de 3.000 Guinéens ont reçu en RDA une formation technique ou universitaire, qui commençait souvent par un stage de préparation linguistique à l'Institut Herder de Leipzig.
126. La plupart de ces indications ont été fournies par Madame Eleonora Schmid dans sa lettre précitée du 12 février 2000 à l'auteur.
127. En même temps, la démission du Premier ministre français Jacques Chirac et son remplacement par Raymond Barre permit de mettre sur le do du “gaulliste” Jacques Chirac la responsabilité d'un prétendu soutien aux “anti-guinéens”. Dans le nouveau gouvernement de Paris, l'arrivée aux affaires étrangères de Louis de Guiringaud constituait également un élément positif pour les relations franco-guinéennes : il avait été ambassadeur de France au Ghana au moment de l'indépendance de la Guinée, et comme représentant permanent auprès de l'ONU avait suivi avec intérêt et sympathie l'action que j'avais menée pour la République fédérale allemande et la France.

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