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André Lewin.
Ahmed Sékou Touré (1922-1984).
Président de la Guinée de 1958 à 1984.

Paris. L'Harmattan. 2010. Volume V. 236 pages


Chapitre 74. — 17-18 mai 1976
L'ambassadeur, sa boîte à outils et mon drapeau 166


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Lors de mon arrivée en Guinée, fin 1975, il n'y a pas encore de représentation diplomatique ou consulaire française, même si le rétablissement des relations diplomatiques a été annoncé le 14 juillet 1975. Il y a seulement un bureau minable du centre-ville dans lequel l'ambassade d'Italie gère au mieux nos intérêts, sans oublier les siens…
Il faut dire que les choses ont dégénéré en 1958 entre Sékou Touré et de Gaulle et que les liens sont considérablement distendus. Mais les deux pays ont une trop longue histoire commune pour rester fâchés éternellement, d'autant plus qu'en dépit des discours officiels, le peuple guinéen souhaiterait voir revenir les Français dont il n'a pas un si mauvais souvenir.
C'est en tous cas mon sentiment depuis mon arrivée. Si il y a parfois des réticences de façade de la part de certains officiels très politiques comme le ministre Sénaïnon Béhanzin 167 ou le ministre Mamadi Keïta 168, les gens du peuple sont spontanément sympathiques et souriants, avides de nouvelles de la “métropole” (sic) et de ce que l'on y dit de la Guinée. Comme on n'en dit évidemment pas grand-chose, je suis toujours un peu embarrassé pour répondre, mais j'arrive toujours à trouver une façon de satisfaire mes interlocuteurs. Mais comme me dit mon chauffeur Fodé, “avec les Français, on achetait le sucre au kilo ; maintenant on l'achète au morceau”. Et c'est vrai que le spectacle de petites pyramides de morceaux de sucres qui s'alignent sur les tabliers 169 a quelque chose de poignant.
En fait, il ne manque qu'un ambassadeur et une ambassade pour que tout aille bien. L'ambassadeur débarque effectivement à Conakry en janvier 1976, accompagné de son premier conseiller et porteur de nombreux bagages à main, qu'il qualifie ironiquement de “boîte à outils” dont il sait qu'il aura bien besoin pour s'installer. Mais cet équipage pour le moins singulier sera remarqué par très peu de monde, car ce jour-là, l'aéroport est étrangement vide. Dans le climat de méfiance permanent qui règne sur ce pays, nul ne sait quelle est l'attitude à adopter face à un tel événement et, dans le doute, s'abstient. Nous ne sommes que quatre Français, dont le chef d'escale d'UTA 170 qui pouvait difficilement être ailleurs, la secrétaire de la section des intérêts français à l'ambassade d'Italie, et son mari, René Maj, représentant la compagnie France Câbles & Radio 171 et moi, qui n'ai pas encore eu le temps de prendre peur de tout.
André Lewin est connu avant d'être arrivé. En effet, il a été le porte-parole du Secrétaire général des Nations Unies (Kurt Waldheim) de 1972 à 1975. A ce titre, il a été chargé d'une mission de bons offices et de médiation qui va conduire à la normalisation des relations diplomatiques entre Bonn et Conakry (en 1974), puis entre Paris et Conakry (en 1975), ainsi que parallèlement à la libération d'une cinquantaine de prisonniers politiques détenus en Guinée depuis plusieurs années.
Ce nouvel ambassadeur présente deux caractéristiques : il est notre petit Kissinger 172, comme ambassadeur français d'origine étrangère (Allemagne). Il est aussi le premier ambassadeur qui ait été “nommé” par un chef d'Etat étranger. Sa nomination est en effet une des conditions posées par Sékou Touré qui a appris à le connaître et l'apprécier dans ses fonctions précédentes et qui lui fait confiance. La France a accepté ce “caprice” qui, à mon avis, ne va présenter que des avantages pour tout le monde.
Le logement réservé à l'ambassadeur est conforme à l'état général de la Guinée. Avec son conseiller, ils vont prendre un de leurs premier repas chez nous, puis rentrer dans leur nouvelle maison, ayant chacun sous le bras une paire de draps que leur a procurés mon épouse, histoire de leur offrir un minimum de confort … Les débuts ne sont pas vraiment glorieux, mais manifestement André Lewin est au dessus de ça.
Quelques jours plus tard, il me contacte pour m'exposer l'idée qu'il vient d'avoir. Il veut que sa présence soit connue dans le reste du pays — ce que j'approuve — et pense qu'un bon moyen serait de prendre prétexte d'une visite à la base-vie de Kissidougou pour y rencontrer mes expatriés de Jean Lefèbvre qui y travaillent. Cela permettrait de traverser une bonne moitié du pays, ce qui ne manquerait pas de se savoir rapidement. Comme je lui donne mon accord, il entreprend immédiatement les démarches officielles auprès des autorités guinéennes et m'informe rapidement de leur accord.
Reste à préparer la logistique. Il nous faut une voiture officielle d'ambassadeur de France. Mes mécaniciens percent une petit trou dans l'aile avant gauche de ma Peugeot 504 et y fixent un montant métallique sur lequel nous attachons un fanion tricolore que ma femme Babeth, venue me rejoindre pour un mois, a reconstitué en cousant des morceaux de serviettes et de rideaux. Nous en avons même un en réserve. Fodé arbore fièrement la casquette de chauffeur de maître (!) toute neuve qu'à sa demande expresse j'ai demandé à Babeth de ramener de France. Nous sommes parés. Le convoi officiel peut partir, accompagné d'une voiture de réserve pour qu'on ne risque pas de voir l'Ambassadeur en pente 173 au bord de la route.
Pour aller à Kissidougou — je ne sais plus combien il y a de kilomètres car on calcule en heures — il faut 6 heures. Même si notre voiture roule bon train, elle ne va pas aussi vite que la rumeur. Pour la première fois depuis 18 ans, une voiture au fanion tricolore parcourt les routes de Guinée et cela ne peut laisser personne indifférent. Même si chacun est discret, tout le monde veut la voir passer. Quand nous arrivons à Kissidougou, mon adjoint, Jean-Claude Camus, nous confirme que l'accueil va être chaud. Nous ne soupçonnons pas à quel point. Pour mon malheur, je suis à l'époque un gros fumeur et mon addiction me provoque de très violentes migraines nauséeuses que j'attribue évidemment à mon foie 174. C'est ce qui m'arrive à Kissidougou, et je demande à Jean-Claude un endroit pour me reposer. Il me l'indique en précisant :
— La réception par les autorités du village est prévue dans 30 minutes.
Je fais un signe de dénégation, compte-tenu de mon état, mais Jean-Claude me répond sur un ton ne souffrant pas la contradiction :
— Prenez une douche, un café et de l'aspirine, mais dans 30 minutes on part !
Quand nous arrivons au stade où on nous attend, la nuit est tombée et tout est sombre. A notre approche, un groupe électrogène démarre, le stade s'illumine et nous découvrons un ou deux milliers de personne qui l'entourent en silence et nous acclament soudain frénétiquement à l'instigation du maire.
Toute la soirée va être extraordinaire de spontanéité, de joie, de sympathie, de musique, de danse : de vraies retrouvaille ! C'est une griotte 175 qui va animer la soirée, en improvisant des chants sur les mérites de la France et de sa “Délégation” (le seul mot que nous comprenons). Les balafons 176 s'emballent et peu à peu la foule envahit le stade en dansant. Le choc en cadence de milliers de pieds sur la terre la font trembler et toute la “délégation” se retrouve en train de danser, emportée dans une formidable communion. Je n'ai plus de migraine …
Pendant ce temps, Fodé s'est incliné sur son siège de conducteur, avec sa casquette sur les yeux, feignant de dormir. Le lendemain il me racontera le défilé ininterrompu de Guinéens s'approchant discrètement de la voiture, scrutant les alentours pour ne pas être vus puis embrassant rapidement le fanion avant de disparaître dans la nuit.
Fodé sait que cela me fera plaisir de le savoir, mais il semble encore plus ému que moi. Le lendemain, après une rapide visite du chantier de la route Kissidougou-Guékédou, nous repartons vers Conakry, fanion au vent, mission réussie. Tout au long du parcours, des habitants nous saluent de la main, avec une certaine allégresse.
La France est revenue !

Notes
166. L'auteur a un peu hésité à ajouter à sa thèse ce chapitre qui n'est pas de sa main, mais de celle de Gérard Verna, alors directeur pour la Guinée de la société de travaux publics Jean Lefèbvre (Je Roule pour Vous), l'une des très rares entreprises françaises à être restée présente en Guinée pendant les années de rupture. Mais il lui a semblé que l'atmosphère qu'il dépeint reflète assez bien ce que pouvaient ressentir ceux qui ont vécu cette époque du “retour de la France”, Français comme Guinéens.
167. Professeur de mathématiques béninois devenu un homme lige de Sékou Tour qui en fera son ministre de l'information et de l'idéologie.
168. Professeur de philosophie qui va basculer dans la barbarie en participant personnellement à des pelotons d'exécution, dont celui de Camara Loffo, au lendemain de l'attaque portugaise sur Conakry et qui, ivre de puissance, disait en malinké à qui voulait l'entendre : “An ka boun han an ka sisi bo a noun n'na” (traduction : “nous avons tellement tiré sur eux que nous leur avons fait sortir de la fumée par le nez”).

[Note. — A. Lewin reprend cette information sans en citer la source, qui est La vérité du ministre d'A-A. Portos Diallo, auquel on doit cette importante révélation. Il était membre du gouvernement en janvier 1971. — T.S. Bah]

169. Nom donné aux petites tables sur lesquelles chacun vient vendre ou revendre le peu qu'il a.
170 . Union des transports aériens. Compagnie aérienne française fortement implantée en Afrique qui sera ensuite rachetée par Air France. Le représentant s'appelait Michel Denoyer.
171. Qui essaie tant bien que mal de maintenir en état les deux seules lignes téléphoniques qui relient la Guinée au monde extérieur.
172. Premier secrétaire d'État américain d'origine étrangère et né hors des États-Unis. NDLA : ces deux affirmations ne sont pas exactes : Il y a eu plusieurs ambassadeurs de France d'origine étrangère (par exemple Stéphane Hesse), né également en Allemagne) ; d'autre part, Sékou Touré a certainement souhaité que je sois nommé ambassadeur auprès de lui, mais je ne vois pas par quel canal autre le mien il aurait pu le faire savoir au président Giscard d'Estaing. Et le ministre des affaires étrangères Jean Sauvagnargues m'a affirmé à plusieurs reprises que c'était une idée qu'il avait très tôt évoquée avec le président, sans même se rendre compte avant la fin de l'année 1975 que je n'avais pas le grade requis, d'où la nécessité de me nommer Conseiller des affaires étrangères de 1ère classe, ce que le Quai d'Orsay n'avait pas jugé utile de faire plus tôt, car j'étais détaché auprès de l'ONU et qu'une promotion de grade n'aurait rien changé pour moi. Un tableau d'avancement complémentaire a permis de me nommer avant la fin de l'année 1975, en même temps que quelques autres collègues.
173. Expression locale qui signifie en fait : “en panne” !
174. Ceux qui ont un peu voyagé savent sans doute que les Français sont le seul peuple au monde à avoir “mal au foie” et à se gaver d'hépatoum ou autres produits totalement et définitivement inefficaces !
175. Poète musicien ambulant en Afrique noire, dépositaire de la culture orale et réputé être en relation avec les esprits.

[Note. — Les griots ne sont pas des forains ambulants. Dans la societé maninka/bambara ils appartiennent à l'une des castes (nyamakala). Ils jouaient un important rôle historique et artistique au service des lignages dominants (hörön). Il ne faut pas confondre les nyamakala mande avec les troubadours du même nom chez les Fulɓe. Lire : (a) Sory Camara. Gens de la parole Essai sur la condition et le rôle des griots dans la société malinké ; (b) Camara Laye. Le maître de la parole : Kouma lafölö Kouma. Paris. Plon. 1978. — T.S. Bah]

176. Instrument à percussion de l'Afrique noire, comparable au xylophone, où des barres de bois résonnent au dessus de caisses de résonances constituées de calebasses (fruit du calebassier et de la gourde) de tailles diverses, l'ajustement sonore se faisant en ajoutant ou retranchant des toiles d'araignées pour modifier le son de chaque recipient.

[Note. — Soumangourou Kanté, le roi-magicien du Sosso, inventa le balafon au 12è siècle avant d'être vaincu par Soundiata Keita à la bataille de Kirina. L'instrument figure aujourd'hui sur la liste du patrimoine culturel mondial de l'Unesco. Ses conservateurs traditionnels (aux patronymes typiques Kouyaté, Diabaté, etc.) entretiennent l'original dans la région de Niagassola (Siguiri), des deux côtés de la frontière guinéo-malienne. — T.S. Bah]

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