André Lewin
Ahmed Sékou Touré (1922-1984).
Président de la Guinée de 1958 à 1984.
Paris. L'Harmattan. 2010. Volume IV. 259 pages
Chapitre 41
23 février 1960
Entre Senghor et Sékou Touré,
le début d'une longue série de désaccords et de réconciliations
Sékou Touré et Léopold Sédar Senghor, deux leaders africains à la formation, à la culture, à l'expérience professionnelle et politique, au caractère et aux aspirations si différents, s'étaient malgré tout rapprochés au cours des mois précédant le référendum, sur une ligne qui les différenciait des positions d'Houphouët-Boigny : leur commun désir de maintenir les fédérations de territoires existant sous le régime colonial, l'Afrique Occidentale avec sa capitale Dakar, l'Afrique Équatoriale avec sa capitale Brazzaville.
Cette attitude permettait d'éviter l'éclatement de l'Afrique naguère française en plus d'une dizaine de pays, de favoriser la coopération régionale et de franchir plus vite une première étape vers l'unité africaine. Pour Senghor, elle avait en outre l'avantage de maintenir l'influence du pôle de Dakar face à celui d'Abidjan et de permettre une meilleure péréquation des ressources économiques et financières entre les territoires richement dotés, comme la Côte d'Ivoire et la Guinée, et les moins favorisés, comme le Sénégal. On sait que Senghor n'était guère satisfait du projet de constitution proposé initialement par le général de Gaulle, et que plusieurs formations politiques au Sénégal penchaient en faveur du “non”. Néanmoins, au delà des difficultés ou des réconciliations passagères, Sékou Touré s'est toujours senti plus proche d'Houphouët et de ses amis du RDA que de Senghor, dont il était de plus tellement différent par la formation et par la sensibilité.
Au lendemain du référendum, les dirigeants sénégalais auraient hésité entre les représailles — suivant en cela l'attitude de Paris et celle d'Abidjan — et la conciliation, avant de se rallier à cette dernière 1. Certains responsables de Dakar ne cachaient cependant pas leur hostilité à l'attitude guinéenne et se montraient aussi virulents qu'Houphouët-Boigny pour préconiser la mise à l'écart de la Guinée ; c'était par exemple le cas du ministre des finances, André Peytavin, d'origine française il est vrai 2.
Fin décembre 1958, les représentants de quatre des territoires de l'AOF qui avaient voté “oui”, le Sénégal, le Soudan — futur Mali —, la Haute-Volta et le Dahomey —futur Bénin— (le Niger et la Mauritanie ayant décliné l'invitation lancée par Gabriel d'Arboussier), se réunissent à Bamako et décident de créer la Fédération du Mali. Toutefois, la pression d'Houphouët-Boigny pousse le Dahomey puis la Haute-Volta, très dépendants économiquement d'Abidjan, à se dissocier rapidement de cette entreprise commune. Mais l'attitude résolue de Senghor (ainsi que de son premier ministre Mamadou Dia) et de Modibo Keita amène Sékou Touré à se montrer favorable à leur initiative, d'autant qu'il est lui-même lancé avec le Ghana dans la création de l'Union des États Africains. Le 20 avril 1959, au moment où se mettent en place les premiers organes de la Fédération du Mali, Sékou envoie à ses dirigeants un télégramme chaleureux : “La Guinée suit avec intérêt le combat difficile engagé par le Sénégal et le Soudan pour briser le morcellement de l'Afrique et pour poursuivre dans la voie de l'honneur et de la dignité les objectifs assignés par les aspirations communes des populations africaines.”
Les deux dirigeants de la Fédération, ainsi que les (rares) milieux français restés favorables à Sékou Touré, voient dans cet encouragement le signe que la Guinée pourrait par ce biais se réinsérer dans l'ensemble animé par la France. Au cours d'une conférence de presse commune tenue à Paris le 22 mai 1959, Modibo Keita, président du gouvernement fédéral, et Senghor, président de l'assemblée fédérale, en font état. Ce dernier déclare :
“La Guinée est à la croisée des chemins. Elle risque de basculer vers la Russie à travers la démocratie populaire, vers le Commonwealth britannique à travers le Ghana, mais elle peut revenir à la Communauté à travers le Mali. Si, à long terme la Communauté évolue vers la confédération, rien n'empêcherait non seulement la Guinée d'entrer dans la Communauté, mais également le Togo et le Cameroun, le Maroc et la Tunisie. Nous pourrions par cette voie arriver à une solution du conflit algérien.”
Il est vite évident que cette idée n'a pas été concertée avec Sékou, qui reçoit au même moment Nkrumah en visite officielle et adopte un ton très révolutionnaire. Certes, des contacts ont eu lieu entre émissaires guinéens, sénégalais et soudanais, qui déboucheront d'ailleurs sur quelques accords économiques tripartites. Mais le 28 mai, le bureau politique du PDG précise “qu'il n'a jamais été question et qu'il ne saurait être question pour la république indépendante de Guinée d'adhérer à la Communauté qu'elle a rejetée définitivement le 28 septembre 1958 par un vote massif désormais historique, ni de conclure une quelconque association dans le cadre de la Communauté française, estimant qu'une telle association serait de nature à aliéner sa souveraineté nationale… La république de Guinée entend demeurer dans sa position de neutralité totale entre les blocs en présence, tout en restant sur l'offensive sur le plan africain pour la réalisation de l'objectif majeur de sa lutte : indépendance et unité africaine.”
Dès lors, la Guinée amorce une vigoureuse dénonciation de la Fédération du Mali et manoeuvre pour contribuer à la détruire progressivement. Ainsi, dans un discours prononcé le 2 octobre 1959, Sékou Touré rappelle que ni la Guinée, ni le PDG ne soutiennent le Mali, mais qu'ils sont aux côtés du PRA-Sénégal et de I'UGTAN qui demandent l'indépendance séparée des territoires.
Au début, les dirigeants de la Fédération tardent à réagir ; les Soudanais avec Modibo Keita se sentent plus proches idéologiquement de la Guinée et maintiennent le contact ; en février 1960, Modibo Keita et Sékou se retrouvent à Bamako puis à Ségou. Mais à la même époque, Mamadou Dia, président du Conseil de la Fédération, pourtant plus proche de Sékou que ne l'est Senghor, met en cause durement la position guinéenne. Au cours d'une tournée dans la partie méridionale du Sénégal, au voisinage de la Guinée, il fustige, au cours d'un meeting tenu le 18 février, Sékou Touré, “dont la politique économique n'a connu que des échecs depuis l'indépendance”, et il en conclut que la voie suivie par la Fédération du Mali est plus favorable aux intérêts des populations africaines que celle qui est suivie “par un pays voisin maintenant obligé de courir le monde pour trouver de nouvelles amitiés.”
Blessé au vif, Sékou Touré proteste dans un discours radiodiffusé le 23 février contre la campagne de discrédit menée par certains responsables africains contre la Guinée, et ajoute : “Le peuple de Guinée, qui entend maintenir son combat sur la base d'une stricte dignité, ne saurait tolérer que pour des motifs de propagande négative soient délibérément falsifiés les résultats positifs de sa révolution, de cette grande révolution qu'il a été le seul à engager au nom de toute l'Afrique le 28 septembre 1958. Les propos tenus par le chef du gouvernement du Sénégal ne constituent pas seulement un ensemble de contrevérités des plus grossières, ils reflètent une volonté délibérée de porter atteinte au crédit grandissant que notre peuple s'est acquis à travers le monde.”
Le 1er mars 1960, la Guinée sort de la zone Franc et crée sa propre monnaie. Le 20 avril, Radio Conakry annonce la découverte d'un “complot contre-révolutionnaire organisé par le colonialisme français avec la complicité de certains africains”, mis à jour grâce à l'interception d'une correspondance manuscrite entre des Guinéens et des “organisations gaullistes extérieures”. Au cours d'un meeting du Parti, Sékou Touré précise que des préparatifs militaires sont en cours aux frontières sénégalaise et ivoirienne, qu'un poste émetteur destiné à “couvrir” le territoire guinéen est en construction près de la frontière, et qu'un million de tracts doivent être lâchés au dessus de la Guinée le 25 mai. Paris dément, et Senghor de son coté déclare : “Nous invitons le gouvernement de la Guinée à parcourir le Sénégal pour découvrir le poste émetteur à dix kilomètres de la frontière guinéenne ou les camps d'entraînement où nous préparerions une attaque contre la Guinée.” 3
Pourtant, les faits semblent donner raison à Sékou. Début mai 1960, des armes et des munitions sont découvertes au Sénégal oriental, importées par une importante maison de commerce anglo-libanaise installée en Gambie, la firme Henri Madi. Le gouvernement de Dakar enquête, et bien que les résultats de l'investigation ne soient pas probants, il est clair que des adversaires de Sékou Touré s'activent sur le territoire sénégalais. En effet le président du Conseil Mamadou Dia fait enquêter ; on découvre des armes et des munitions au Sénégal oriental ; il se rend lui-même sur place, fait arrêter des Guinéens installés à Dakar, ainsi qu'un militaire français. Le gouvernement sénégalais proteste auprès de Paris et le colonel Amadou Fall est chargé d'amener un message au général de Gaulle. Mamadou Dia lui-même confirmera plus tard cet épisode, de même que celui qui en fut chargé du côté français, Maurice Robert, à l'époque responsable du poste de renseignement pour l'Afrique occidentale à Dakar 4.
Le Sénégal dissout le 19 mai 1960 l'“Union Fraternelle Guinéenne”, mais accepte la poursuite de l'action sur son territoire de l'association d'opposants “Solidarité guinéenne” ; il est vrai que Sékou Touré reçoit à Conakry bien des Africains en froid avec leur gouvernement, notamment des dirigeants du Parti Africain de l'Indépendance (PAI), interdit au Sénégal, qui occupent des postes de responsabilité dans des cabinets ministériels guinéens ou dans l'enseignement 5.
N'oublions pas que le Sénégal accueille traditionnellement — et plus encore après la première guerre mondiale et la crise de certaines cultures de plantations en Guinée — de très nombreux (sans doute plusieurs centaines de milliers) travailleurs saisonniers guinéens, appelés “navétanes”, qui viennent louer leurs services pendant les campagnes agricoles ; il y a également beaucoup de personnel de maison, des cadres, etc … Mais cette main d'oeuvre ne s'installait pas définitivement au Sénégal. Depuis l'indépendance de la Guinée, au contraire, on doit y ajouter un flot croissant d'exilés, parmi lesquels beaucoup de cadres. Le chiffre en était estimé à près de 800.000 dans les années 70. Nul doute que parmi eux s'en trouvaient un certain nombre déterminés à tout faire pour renverser le régime de Sékou Touré, qui les avait poussés par sa politique à quitter leur patrie.
L'auteur estime que le problème des exilés guinéens installés au Sénégal et opposants actifs au régime de Conakry (ceux que Sékou appelait les “anti-guinéens”) est l'un des problèmes majeurs, sinon le problème majeur, qui a compliqué les relations entre les deux hommes, plus encore que les divergences politiques ou les antagonismes culturels. Ceci d'autant plus que Senghor confiait parfois à d'éminents exilés des fonctions au sein de l'université ou de l'administration, avec une constance dépassant sans doute l'habituelle tradition de teranga (hospitalité) du Sénégal. Pour prendre quelques cas, parmi les écrivains par exemple, citons les écrivains Camara Laye et Tierno Monenembo, ou encore l'historien Djibril Tamsir Niane …
[Erratum. Laye et Tamsir vécurent au Sénégal en tant que professionnels en exil. Tierno Monenembo, lui, séjourna à Dakar en tant qu'étudiant de 1970 à 1972. Il n'y occupa donc aucune fonction officielle. Sa note biographique indique cependant que son séjour sénégalais faillit, in extremis, s'achever par l'extradition vers le Camp Boiro ! Par contre, Djibril Niane et Laye Camara bénéficièrent de la sollicitude du président Senghor, qui leur accorda de modestes postes rémunérateurs pour les mettre à l'abri de l'indigence. Mieux, il parraina une campagne financière pour lever des fonds destinés à couvrir les frais médicaux de Laye Camara. — Tierno S. Bah]
Par ailleurs, certains responsables sénégalais pensent que Sékou attise les tendances autonomistes de la Casamance 6 et qu'il cherche à mobiliser les Gambiens contre le Sénégal, alors que d'autres à Dakar souhaitent que la Gambie soit un jour sénégalaise (ou unie au Sénégal, comme ce sera le cas éphémère plus tard, en une Sénégambie). Les craintes devant les ambitions prêtées à Sékou Touré quant à une “Grande Guinée” (ou la reconstitution au profit de la Guinée de l'ancien empire du Gabou) n'ont jamais complètement disparu 7.
Le 20 juin 1960, en vertu des accords signés avec Paris le 4 avril, la fédération du Mali devient indépendante ; une semaine plus tard, elle est admise à l'ONU ; deux mois plus tard, le 20 août, elle éclate par suite du retrait du Sénégal ; les deux territoires se séparent donc 8, mais l'ancien Soudan décide de garder le nom de Mali et se rapproche davantage des États progressistes. Le Mali et le Sénégal deviendront l'un et l'autre membres de l'ONU le 28 septembre, une semaine après l'admission massive de la plupart des autres pays africains francophones.
Le 5 septembre 1960, en route pour l'Union soviétique et un périple asiatique, Sékou Touré passe par Dakar ; il est accueilli par Senghor et Mamadou Dia, qui lui reprochent vivement de n'avoir rien fait, en dépit de ses déclarations favorables à l'unité africaine, pour favoriser le maintien de la fédération du Mali, bien au contraire 9.
Leur position paraît avec le recul un peu hypocrite car c'est à la demande du Sénégal que la Fédération a éclaté. Le 25 novembre, Nkrumah se rend à Bamako et propose une union Ghana-Mali ; le 4 décembre, c'est au tour de Sékou de rencontrer Modibo Keita ; finalement, les trois leaders se retrouvent à Conakry les 23 et 24 décembre 1960 pour jeter les bases d'une Union des États Africains.
Premier ministre Kwame Nkrumah avec Présidents Sékou Touré, et Modibo Keita.
En janvier 1961, Modibo Keita associera le Mali à la création du groupe de Casablanca.
Le 14 décembre 1960, Sékou Touré écrit à Senghor pour lui dire que la dégradation des relations franco-guinéennes est due aux “faux rapports du chargé d'affaires de France à Conakry” (à l'époque, c'est Pierre Siraud, qui deviendra ensuite chef du protocole à Paris, ce qui lui donne un contact personnel et régulier avec le général de Gaulle), et aussi qu'il est “prêt à reprendre de meilleurs rapports mais ne veut pas être entraîné plus loin qu'il ne le voudrait 10.
Le 27 décembre, Sékou Touré fait fermer la frontière entre les deux pays 11 et accuse l'ambassadeur de France au Sénégal, le général Hettier de Boislambert, de prétexter de fréquentes parties de chasse dans le parc naturel du Niokolo-Koba pour y organiser des activités anti-guinéennes.
En janvier 1961, cinq Guinéens sont arrêtés au Sénégal pour tentative de reconstitution de l'association interdite l'année précédente. Bafodé Doukouré, chef de la sécurité du Cap-Vert, lui-même d'origine guinéenne (son frère est commandant du port de Conakry) rencontre à plusieurs reprises Magassouba Moriba, l'un des principaux responsables de la sécurité en Guinée, pour parler des activités des opposants. Senghor le rencontre aussi au tout début de janvier. Dans le courant de l'année, les relations s'améliorent ; en janvier 1961 sont signés un accord commercial, un accord de paiement et une convention fiscale, mais la Guinée s'installe très vite dans le déficit, et le Sénégal se lasse d'exporter ses produits sans contrepartie et d'accumuler des francs guinéens sans valeur. Des ambassades sont établies dans le courant de l'année 12.
Pourtant, la vente, la circulation et la diffusion en Guinée du quotidien Dakar-Matin, accusé de colporter de “subtiles calomnies” contre le pays, sont interdites le 22 septembre 1961. Les allusions que fait Senghor à la “Guinée troublée” lors d'une visite en Tunisie sont fort mal accueillies à Conakry, où un éditorial de l'Agence guinéenne de presse réagit en fustigeant les illusions d'un “poète en mal d'inspiration” et en dépeignant la situation au Sénégal comme très grave.
La signature des accords d'Évian, prélude à la paix en Algérie, rassérène au printemps de l'année 1962 l'atmosphère entre Paris et Conakry. Le Sénégal souhaiterait être l'artisan d'une réconciliation entre la France et la Guinée 13, et plus concrètement du retour de cette dernière dans la zone Franc par l'intermédiaire de l'Union Monétaire Ouest Africaine qui vient d'être réorganisée ; quant à la Guinée, elle se verrait bien oeuvrer à la normalisation des rapports sénégalo-maliens ; l'un et l'autre pays se targuent de pouvoir faciliter le rapprochement entre les groupes de Monrovia et de Casablanca.
Quelques jours après la signature en mars des accords d'Évian, l'ambassadeur de France le général Hettier de Boislambert est convoqué par le président Senghor, qui lui remet deux lettres pour le général de Gaulle, en précisant qu'il attachait à l'une d'entre elles “une beaucoup plus grande importance”. Il s'agit de celle qui est relative aux relations avec la Guinée de Sékou Touré 14.
« Dakar, le 2 avril/962.
(…) La déclaration que le président Sékou Touré a faite le 20 mars à Radio Conakry pour annoncer que La Guinée entend modifier désormais sa ligne de conduite à l'égard de la France me paraît de bonne augure. Pour nous Sénégalais, il serait précieux — oh combien ! — que cette attitude nouvelle du chef de l'État guinéen puisse trouver en France un écho. Les circonstances y sont propices non seulement grâce à l'heureuse solution de la crise algérienne, mais encore en raison de l'évolution politique interne de la Guinée. Les informations qui me parviennent de ce pays confirment ce que nous avions pu déceler déjà lors de l'expulsion de l'ambassadeur de l'URSS : Le président Sékou Touré ne veut pas transformer son pays en démocratie populaire de type “marxiste-léniniste”. J'en veux pour preuves récentes l'arrestation par les autorités guinéennes d'un militant communiste sénégalais, le départ de Guinée de plusieurs autres sénégalais de la même tendance qui avaient cru pouvoir utiliser ce pays comme une plate-forme de propagande et d'action, l'attitude amicale de la Guinée lors de la découverte au Sénégal du complot antinational animé par quelques égarés réfugiés au Mali. Par ailleurs, le président Sékou Touré m'a fait part à plusieurs reprises, il y a peu de temps encore, des ouvertures en vue de rechercher les bases concrètes d'une coopération entre la Guinée et le Sénégal. Le Sénégal est tout à fait disposé à y répondre, mais combien plus heureux serions nous de pouvoir en cette occasion contribuer au rétablissement entre la France et la Guinée de liens d'amitié que la récente histoire n'a pu complètement dénouer. La renaissance de l'amitié francoguinéenne indispensable à la détente et à la paix en Afrique et dans le monde, viendrait ainsi compléter l'oeuvre magistrale à laquelle vous vous êtes attaché. (…)
Signé : Senghor »
A cette lettre de trois pages, de Gaulle répond en trois paragraphes :
« Paris, Le 7 avril.
J'ai pris bonne note de votre intervention et compris les intentions qui la motivent. Soyez assuré que j'attache une grande importance aux informations que vous m'avez ainsi communiquées et à votre opinion sur l'avenir des relations entre la France et les États africains.
Signé: de Gaulle » 15
Fort néanmoins de ces espoirs de coopération, Sékou Touré, Senghor et Mamadou Dia se retrouvent à Labé, chef-lieu du Fouta-Djalon guinéen, les 26 et 27 mai 1962. Mais au terme de deux jours d'entretiens, il ne subsiste rien des grands projets de réconciliation, manifestement prématurés. Il est simplement créé une commission paritaire de coopération. Celle-ci se réunit pour la première fois du 20 au 23 juin à Dakar; ses travaux, présidés du côté guinéen par le ministre du commerce Nfamara Keita, du côté sénégalais par le ministre de la jeunesse et des sports Amadou Babacar Sarr, se terminent par un communiqué final très encourageant ; il est prévu d'amorcer ou de renforcer une coopération dans les domaines du commerce et des douanes, de la culture, de la jeunesse et des sports, de la justice, des transports aériens et routiers, de la sécurité maritime, de la santé publique, de l'élevage, de la recherche agronomique, etc. ….
Les déclarations font allusion à l'unité africaine, à l'aménagement du fleuve Sénégal, et au rapprochement entre les groupes de Monrovia et de Casablanca. A cette occasion sont signées le 22 juin plusieurs autres conventions guinéo-sénégalaises (culture, justice, sécurité maritime, transpotts routiers, transports aériens). La convention judiciaire traite notamment de l'extradition et prévoit que les deux parties se livreront réciproquement les individus qui “se trouvant sur le territoire d'un des États signataires, sont poursuivis ou condamnés par les autorités judiciaires de l'autre État.” 16. Inutile de dire que l'interprétation de cette disposition sera à la base de bien des difficultés par la suite.
En juillet 1962, une commission mixte se réunit à Kédougou pour examiner les problèmes de délimitation des frontières, suite aux problèmes qui avaient surgi à ce sujet en 1960.
En janvier 1963, Sékou Touré rappelle pour quelque temps son ambassadeur ; il reproche vivement à Senghor d'avoir été trop prompt à reconnaître le coup d'État militaire qui a éliminé au Togo leur compagnon
Sylvanus Olympio pour mettre au pouvoir Grunitzky (qui faisait partie des Indépendants d'Outre-mer, IOM, comme Senghor) : c'est le premier putsch sanglant intervenu en Afrique francophone. Toutefois, la commission paritaire se réunit du 21 au 23 février et lance d'ambitieux projets de coopération dans de nombreux domaines.
Du 13 au 16 mai 1963, Senghor se rend pour la première fois en visite officielle à Conakry ; il y lance l'idée d'une mise en valeur du fleuve Sénégal qui associerait Guinée, Sénégal, Mali et Mauritanie.
Présidents Léopold Sédar Senghor et Sékou
Touré. 1963
Sékou se rallie à cette proposition, qui implique une réconciliation entre Senghor et Modibo Keita, qui se sont évités depuis la rupture de 1960. La réconciliation intervient finalement en juin 1963, après que Sékou eut effectué une visite officielle au Sénégal du 13 au 18 mai 17. Pendant ce voyage, où il est accompagné de Keita Fodéba, Sékou rencontre plusieurs de ses opposants, parmi lesquels David Soumah et Amara Soumah, et tente de les convaincre de rentrer en Guinée. Le premier refuse, le second accepte. Au cours de son séjour, Sékou Touré se rend également, comme une sorte de pèlerinage, à Thiès, où avait été organisée la première grande grève des chemins de fer de l'AOF en 1948 18.
Le 24 octobre 1963, Sékou Touré et Senghor se rencontrent de nouveau à Tambacounda. Ils discutent de regroupement régional, mais Senghor voudrait toujours y associer la France comme principal partenaire extérieur, ce que refuse Sékou. Celui-ci exprime de son côté le souhait de voir la Côte d'Ivoire quitter le Conseil de l'Entente, ce qui signifierait sa fin.
L'année 1964 voit les contacts progresser dans la voie de la création du Comité inter-États pour l'aménagement du fleuve Sénégal. Des experts des quatre gouvernements se rencontrent à Dakar en février 1964, puis de nouveau en août ; les délégations se mettent d'accord sur un texte.
Senghor et Sékou ont encore des entretiens à ce sujet du 9 au 11 janvier 1965, successivement à Labé, Dalaba et Pita, trois villes de la Moyenne Guinée, où la rivière Bafing constitue le cours supérieur du grand fleuve.
Le contexte de cette rencontre est inattendu : Ernesto Che Guevara, alors ministre cubain de l'industrie et de l'économie, est lui aussi de passage en Guinée, dans le cadre d'un vaste périple africain (son étape précédente était le Congo-Brazzaville). Selon un témoin cubain, Sékou fait représenter une pièce de Senghor traitant de négritude, vivement appréciée par tous les spectateurs. A Labé a lieu un important défilé militaire et civil de deux heures ; Sékou fait acclamer ses hôtes, qui ont également des entretiens (le Che parle fort bien le français). Guevara et Senghor abordent le sujet de la trentaine de Sénégalais entraînés à Cuba et dont le Senghor craint qu'ils ne viennent renforcer — et surtout armer — l'opposition marxiste au Sénégal. A-t-il obtenu des assurances ? Le lendemain 9 janvier, à Dalaba, il fait publiquement l'éloge de la coopération entre les socialismes sénégalais et cubain, et salue le peuple de Cuba 19.
Quelques jours plus tard, le ministre des affaires étrangères du Sénégal, Doudou Thiam, obtient l'expulsion de Conakry des éléments du parti P.A.I., parti sénégalais d'opposition.
Sékou Touré (dans une conversation avec l'ancien ministre Robert Buron, de passage à Conakry fin janvier) confirme s'être entretenu avec Senghor de l'harmonisation des politiques économiques de deux pays, mais conteste avoir évoqué par ce biais un rattachement du franc guinéen à la zone Franc ; il a même qualifié, le 26 janvier, de “mensongères” les informations diffusées à Dakar à ce sujet et s'est élevé contre les “pressions” exercées sur Conakry par les “puissances favorables au néocolonialisme et aux intérêts sordides du capitalisme.”
Cependant, les conversations sur l'aménagement du Sénégal ont progressé. L'inauguration officielle du Comité doit avoir lieu le 13 février 1965 à Saint-Louis du Sénégal, ville où se trouve l'embouchure du fleuve et où sera établi le secrétariat, mais Sékou est le seul des quatre chefs d'État à ne pas s'y rendre. C'est qu'il ne veut pas être entraîné dans des discussions sur la zone Franc ou sur l'Organisation Commune Africaine et Malgache (OCAM), qui vient d'être créée lors d'une réunion à Nouakchott.
C'est qu'alors les relations entre la Guinée et le Sénégal se tendent de nouveau. Le 5 juin 1965, Sékou attaque vivement l'OCAM qu'il rebaptise “Organisation Commune Africaine des Menteurs”, et quelques jours plus tard “Organisation Contre l'Afrique en Marche”, et qu'il qualifie de “club de marionnettes”, “fruit d'une nouvelle mystification inventée pour saper l'unité africaine pour le plus grand profit de l'impérialisme.” Les suites de l'affaire du Congo-Zaïre (en particulier le soutien accordé par la plupart des pays africains francophones à Moïse Tshombé) contribuent à envenimer les choses, comme le feront plus tard l'affaire du Biafra, l'acceptation du coup d'État qui élimine Nkrumah du pouvoir au Ghana, les contacts avec l'Afrique du Sud …
Le 30 juillet 1965, à Conakry, le ministre guinéen de la défense et de la sécurité, Keita Fodéba, présente lors d'une réunion à laquelle assiste l'ambassadeur sénégalais Carvalho une série de documents destinés à prouver l'existence au Sénégal d'un vaste mouvement subversif guinéen.
Celui-ci disposerait même pour des achats d'armes de 200 millions de francs (somme équivalent à deux tiers du budget de la Guinée).
En novembre 1965, les relations diplomatiques entre Conakry et Paris sont officiellement rompues. Paris a demandé à Senghor que le Sénégal représente les intérêts français en Guinée. Après avoir accepté 20, Senghor revient sur sa décision, car il sent bien que les relations guinéo-sénégalaises sont elles aussi fragiles. Effectivement, son ambassadeur Carvalho est bientôt rappelé à Dakar. Et le 15 décembre 1965, Air-Guinée suspend ses vols Conakry-Dakar (inaugurés le ler décembre 1962, ils reprendront fin 1969).
Sékou commence à cette époque à s'en prendre aux thèses culturelles de Senghor et à son goût de la langue française, langue dont il affirme qu'“elle est devenue un luxe inutile, une pure délectation de l'esprit, dénuée de toute force mobilisatrice et qui n'a d'autre but que de charmer la curiosité intellectuelle de quelques aristocrates de la pensée”.
Il dénonce la négritude (“Le tigre doit-il affirmer sa tigritude comme le nègre sa négritude ?”, mais cette expression est également attribuée à d'autres auteurs, comme Stanislas Adotevi, auteur en 1972 de Négritude et négrologues, ou à l'écrivain nigérian, prix Nobel de littérature, Wole Soyinka dans une conférence sur Senghor et la négritude) comme “une sorte de négation de nous-mêmes, cette définition du ‘nègre’ par
rapport à l'Africain. (…) L'Africain est devenu le nègre, né pour être exploité. (…) Certains parmi nous se sont placés sur le terrain de l'adversaire en proclamant notre ‘négritude’. Mais un révolutionnaire, un homme conscient, ne se place jamais sur le terrain de l'adversaire. (…)
Nous en sommes arrivés à croire que nous ne pourrions gravir les échelons de la culture et de la civilisation qu'en nous définissant par rapport à ceux qui aliénaient notre personnalité. (…) Nous leur donnions des armes nouvelles en allant jusqu'à affirmer que “si la raison est hellène, l'émotion est nègre”. Nous étions passés aux aveux ; nous étions émotion, irrationalisme, illogisme, sinon déraison, et eux, majestueux héritiers des civilisations gréco-romaine, anglo-saxonne, germano-saxonne, etc… , ils étaient la “Raison”. (…) La profonde erreur des défenseurs de la “négritude” est de sous-estimer la force déterminante du milieu et des faits historiques sur la pensée et les réflexes de l'homme. Le Libanais né en Guinée, ne connaissant que nos langues nationales au détriment de l'arabe, n'est-il pas plus Africain que le Noir qui n'a jamais résidé qu'en Europe ou en Amérique ? Et si tous les Noirs avaient les mêmes qualités et les mêmes défauts, pourquoi ne faudrait-il pas reconnaître également l'égalité absolue de tous les hommes blancs par-delà les nations et les continents ? Y a-t-il une “blanchitude”, une âme blanche, une culture blanche, une liberté blanche, une justice blanche, une civilisation blanche ?” 21
Début 1966, la Guinée est invitée par Senghor au Festival des Arts Nègres préparé à Dakar avec l'aide de la France (et qui se tiendra en mars-avril de la même année). Qualifiant cette manifestation de “Festival des sales nègres”, Sékou Touré répond le 14 janvier que la Guinée n'y participera pas.
“Ne faisons pas un festival des arts nègres, faisons plutôt un festival culturel africain et nous aurons respecté l'Unité africaine, nous aurons dégagé la personnalité africaine. Ceux qui, auparavant, nous insultaient en disant “sales nègres” et contre lesquels nous luttions, sont les mêmes qui, aujourd'hui parlent avec le plus d'enthousiasme de négritude ; ils en parlent plus que nous-mêmes, parce qu'ils ont compris qu'aujourd'hui, la négritude constitue une arme de division de l'Afrique, alors que sous la colonisation, c'était une arme d'unité ; la négritude nous unissait à l'époque aux Noirs américains, aux Noirs de tous les continents. Le Noir du Nigeria, du Sénégal, de Guinée-Bissao, du Congo belge, etc … tous ces Noirs parlant de négritude avaient un même désir : leur unité. C'est pourquoi les colonisateurs étaient alors contre la négritude. Mais, maintenant que nous sommes indépendants, ils nous parlent de la philosophie de la négritude plus que nous-mêmes. Nous devons nous interroger. Pourquoi deviennent-ils soudain plus enthousiastes que les Noirs eux-mêmes ? Sont-ils pour nous ou contre nous ? Nous devons, ici, nous rendre à l'évidence que la négritude a été un moyen et qu'elle reste encore un moyen. Elle était un moyen d'unité contre le colonialisme. Avec l'accession de nos Peuples à la souveraineté, la négritude n'est désormais, pour ceux qui la défendent, qu'un moyen de diversion, un moyen de division qui favorise l'impérialisme en affaiblissant le front de lutte constitué par les Peuples africains."
En revanche, Sékou Touré soutiendra la tenue du Festival culturel panafricain d'Alger (le PANAF), en juillet-août 1969, qui assurera selon lui "l'enterrement solennel de la négritude", et auquel il envoie 400 participants guinéens 22.
Bien entendu, il récuse également l'idée de communauté francophone, qui prend naissance cette année-là. Des années plus tard, sa position n'aura pas varié ; il déclare le 28 janvier 1971 :
"Ainsi, nos positions à l'égard (…) de la francophonie sont toutes conformes au sens vrai de l'histoire africaine, celle qui veut que l'Afrique devienne africaine et non anglaise, portugaise, française, belge. Que l'on ne nous parle pas de francophonie, nous ne sommes pas français. J'adhérerais volontiers à un mouvement dit de "Foulaphonie", de "Wolofophonie" ou de "Haoussaphonie", mais pas à la francophonie. Je suis prêt à apprendre le wolof, à l'écrire, cela fera ma fierté ; je suis prêt à apprendre le haoussa, à l'écrire, à le propager en Guinée. Mais pourquoi s'accrocher au char des autres ? Pourquoi vouloir porter le manteau fait par les autres et pour eux ? Pourquoi abandonner son boubou, ses babouches et son bonnet qui incarnent L'originalité, l'authenticité de l'Afrique ? Tant que des Africains renieront l'Afrique, nous les attaquerons parce que nous ne voulons pas l'amitié de ceux qui veulent conduire l'Afrique dans le néocolonialisme.
Nous les combattrons partout où nous les reconnaîtrons. Cela doit être clair et net." 23
Le 24 février 1966, Nkrumah est renversé pendant un voyage qu'il fait en Chine ; Sékou prend fait et cause pour son ami, le nomme co-président de la République, l'accueille à Conakry, où il restera pratiquement jusqu'à sa mort, et cherche à mobiliser l'Afrique contre les auteurs du coup d'Etat.
Les relations entre la Guinée et la Côte-d'Ivoire vont en souffrir durablement. Sékou cesse de participer aux réunions de l'Organisation de l'Unité Africaine, à qui il reproche d'entériner le coup d'État, et ne quittera plus la Guinée pendant plusieurs années.
En avril 1966, certains exilés guinéens établis au Sénégal transforment leur association d'entraide "Solidarité guinéenne" en "Regroupement des Guinéens au Sénégal", qui s'affilie au Front National de Libération de la Guinée (FNLG) établi à Abidjan. Bien que Senghor se désolidarise de cette démarche et rappelle qu'il s'en tient au principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des États, Sékou lui reproche très vite d'avoir laissé la France installer un camp d'entraînement "anti-guinéen" dans la région de Saint-Louis. Senghor qualifie aussitôt cette accusation de "ridicule et odieuse" et décide de geler les relations avec la Guinée, en dépit de l'accréditation de Elhadj Mbemba Diakhabi, ancien menuisier, militant de la CGT, inspecteur des PTT, puis gouverneur de la région de Mali, comme nouvel ambassadeur de Guinée au Sénégal, qui présente ses lettres de créance à Senghor le 17 juin 1966.
Mais trois semaines plus tard, une nouvelle crise éclate. Le président Senghor décide le 5 juillet de cesser toute coopération bilatérale avec la Guinée. L'ambassadeur Diakhabi, qui était revenu le même jour de Conakry, avait été reçu deux heures après la décision par le président sénégalais et lui avait remis une lettre de Sékou Touré. L'entrevue s'était déroulée sans témoin, mais a dû être houleuse, car, selon les témoins qui ont vu sortir l'ambassadeur du bureau présidentiel, "M. Diakhabi paraissait fort mécontent ; il a quitté Dakar le soir même à 19 h. 30, par avion." 24
La mesure de "gel" des relations est rendue publique par Dakar-Matin le 7 juillet 1966. La veille, au cours d'une conférence de presse, le ministre de l'information et du tourisme, Abdoulaye Fofana, avait annoncé l'arrêt de la coopération bilatérale entre le Sénégal et la Guinée. La décision de Sékou Touré de ne pas participer au Festival des Arts Nègres, est mentionnée par le ministre, mais bien plus encore les accusations du président Sékou Touré, cité par le quotidien dakarois : "Le 11 juin 1966, une trentaine de camions chargés d'armes seraient partis de Thiaroye à destination de Linguère et Tambacounda". Pour le leader guinéen, l'objectif est clair : ces camions sont en route pour Conakry afin de renverser son régime. Au même moment, Sékou Touré prétend que "les Français ont installé un camp aux environs de Saint-Louis. Une trentaine de militaires s'y entraîneraient … non moins naturellement pour envahir la Guinée." Le ministre Fofana affirme que "la patience du Sénégal est finie … à la suite des accusations ridicules et odieuses de Sékou Touré".
Bien que le ministre Fofana eût précisé que la coopération multilatérale régionale n'est "pas concernée par le gel de la coopération bilatérale", le président Senghor déclare qu'il ne participera pas à la réunion du Comité Inter-États prévue à Labé en novembre 1966 si Sékou n'a pas rétracté d'ici là ses "affirmations gratuites" et publiquement présenté ses excuses. Sékou n'en fait évidemment rien. Bien plus, il décide le 29 janvier 1967 de suspendre la participation de la Guinée aux travaux du Comité Inter-États, mesure qui, selon lui, ne sera rapportée que lorsque cesseront les "pressions étrangères" exercées sur les relations fraternelles établies entre les pays membres. Il décide aussi de mettre fin aux rapports entre lui-même et Senghor jusqu'à ce qu'à ses yeux, l'attitude de ce dernier soit déterminée par la seule défense des intérêts africains et non par la politique africaine de la France.
L'amélioration des relations entre le Mali et le Sénégal contribue évidemment à contrarier Sékou Touré. Modibo Keita a effectué du 1er au 7 décembre 1966 une visite officielle au Sénégal, où il été reçu par des foules enthousiastes.
Au cours de ses entretiens avec Senghor, il a évoqué sans réticences le retour prochain du Mali dans l'Union monétaire Ouest-africaine et dans la zone Franc (prévu par un aide-mémoire français du 29 novembre 1966) et a déclaré qu'il trouvait naturel que les pays qui se servent de la langue française se réunissent pour échanger leurs vues sur les problèmes culturels ; en revanche, Modibo Keita reste hostile à I'OCAM. II s'est également montré très irrité des attaques lancées récemment contre lui par Sékou Touré, lors de discours prononcés en langue vernaculaire 25.
Le 19 février 1967, à Conakry, un match de football Guinée-Sénégal comptant pour la Coupe d'Afrique des Nations se termine par la défaite de l'équipe sénégalaise, et donne lieu à de bruyantes manifestations de propagande politique et de chauvinisme national 26.
Le 30 juin 1967, le Sénégal ferme son ambassade à Conakry ; d'ailleurs, l'ambassadeur Carvalho n'y faisait plus que de brèves apparitions 27.
Les patients efforts de médiation des présidents malien et mauritanien Modibo Keita et Moktar Ould Daddah aboutissent cependant à une première réconciliation entre Sékou Touré et Senghor lors d'une réunion du Comité inter-États tenue à Bamako les 6 et 7 novembre 1967. Un accord est même conclu sur cinq projets communs : barrage au Mali, irrigation de centaines de milliers d'hectares, navigabilité, etc. …
Senghor semble avoir été suffisamment impressionné par ce que Sékou lui a dit de sa position vis-à-vis d'une réconciliation avec Paris pour adresser dès son retour à Dakar, le 9 novembre, une longue lettre à Jacques Foccart (le texte en est donné dans le chapitre "1966-1974 : Des réconciliations ratées"). Sékou avait entre temps adressé plusieurs lettres à Paris, dont une au général de Gaulle lui-même. Le 21 novembre, de Gaulle fait allusion à cette démarche en recevant l'éphémère président du Dahomey-Bénin, le colonel Christophe Soglo, disant : "Il paraît même que le dirigeant de celui des membres de notre ancienne Union qui avait il y a neuf ans pris le chemin opposé, moyennant des concours venus des quatre points cardinaux, souhaiterait aujourd'hui retrouver la France". Le 5 décembre, Sékou remercie Senghor de ses démarches. Pourtant l'année 1968 passe sans que rien ne change dans les relations franco-guinéennes.
Mais le renouvellement des démarches effectuées au fil des années par Senghor à Paris à propos de la normalisation des rapports franco-guinéens est quand même remarquable ; Houphouët n'est jamais intervenu en ce sens. Ce qui prouve que contrairement peut-être à ce que pensait Sékou Touré lui-même, et quelles que soient leurs divergences et leurs profondes différences humaines et politiques, Senghor et lui étaient moins éloignés l'un de l'autre qu'on pourrait le penser. Et Senghor voyait en Sékou un allié potentiel vis-à-vis d'un Houphouët dont les positions restaient bien différentes des siennes.
En janvier 1968, une délégation du Parti Démocratique de Guinée participe au Congrès de l'UPS, porteuse d'un message de Sékou Touré qualifiant Senghor de "l'un des leaders africains les plus lucides". En mai 1968, Sikhé Camara devient ambassadeur de Guinée à Dakar. Sékou Touré soutient Senghor par un communiqué lorsque le Sénégal est confronté à la crise étudiante en mai-juin, et lui envoie même une lettre de conseils "où nous lui indiquions ce que nous aurions fait à sa place pour faciliter l'unité, liquider la division et consolider les bases de l'indépendance du Sénégal."
Le 2 octobre, Amadou Mahtar Mbow, ministre sénégalais de la culture, de la jeunesse et des sports, futur directeur général de l'UNESCO (il reviendra en Guinée en cette qualité en mars 1978), représente le Sénégal aux fêtes du 10ème anniversaire de l'indépendance de la Guinée. Les urnes funéraires de l'almamy Samory Touré et d'Alpha Yaya Diallo, ramenées du Gabon, sont solennellement présentées à la foule. Mbow revient enthousiaste de son voyage.
[Erratum. Les dépouilles de ces deux figures historiques furent retournées en Guinée en 1967. Lire Léon Maka-Léon Mba. — T.S. Bah]
L'amélioration de l'atmosphère est sensible 28, et le 24 mars 1968, les quatre chefs d'État réunis à la villa Sily de Labé transforment le Comité en une véritable communauté économique, l'Organisation des États Riverains du fleuve Sénégal (OERS) 29.
Quelques mois plus tard, cependant, le 19 novembre 1968, le coup d'État au cours duquel Modibo Keita est renversé par l'armée affecte fortement Sékou, qui a vu en quelques années disparaître brutalement de la scène ses amis les plus proches : Lumumba, Ben Bella, Nkrumah, Modibo Keita… Sékou convoque à Conakry une réunion extraordinaire pour connaître les intentions des nouveaux dirigeants maliens. Le 25, à l'invitation de Sékou Touré, Senghor et Ould Daddah se retrouvent à Conakry pour discuter de la situation ; invité, le nouveau président du Mali, Moussa Traoré, ne vient pas. En fait, les relations entre le Mali et la Guinée ne tardent pas à se dégrader. Les trois autres chefs d'État décident cependant de tenir un nouveau sommet en mai 1969 à Dakar. Sékou affirme alors que les prochains coups organisés avec l'aide de la France viseront le Sénégal et la Guinée. Un complot est découvert à Labé et la Guinée accuse le Mali de complicité avec les parachutistes guinéens arrêtés : c'est le "complot des militaires", qui verra l'arrestation notamment de Keita Fodéba et de Kaman Diaby. En février 1969, Sékou nomme comme ambassadeur à Dakar Sadan Moussa Touré, un juriste, musicologue, président du tribunal de 1ère instance de Conakry.
En avril 1969, lorsqu'à Paris, le général de Gaulle quitte le pouvoir, la Guinée s'en félicite, mais n'apprécie guère qu'après une brève éclipse pendant l'intérim d'Alain Poher, Jacques Foccart retrouve ses attributions africaines auprès du nouveau président Georges Pompidou. Sékou Touré, en tant que président en exercice de l'OERS et chef de l'État guinéen, envoie un chaleureux télégramme de félicitations à Senghor lorsque ce dernier est, le 16 décembre 1969, élu à l'Académie française des Sciences morales et politiques (il y succède au chancelier allemand Konrad Adenauer). Le message déclare que "votre élection bien méritée fait honneur non seulement aux Sénégalais, mais à tous les peuples d'Afrique." 30
Le 29 décembre 1969, Air-Guinée reprend avec un Antonov 24 les liaisons aériennes hebdomadaires Conakry-Dakar, interrompues depuis quatre ans.
Un nouveau statut de l'OERS est adopté lors d'un mini-Sommet réuni à Conakry le 3 février 1970. Dans son discours inaugural, Sékou Touré fixe des objectifs ambitieux à la nouvelle organisation, qui devrait promouvoir une intégration poussée des économies des pays membres. Il énumère à cette occasion une liste exhaustive des secteurs d'activités dont l'OERS devrait s'occuper, et souhaite même qu'elle assure la "libération intellectuelle et culturelle" des pays membres, qui devraient refuser l'assistance technique étrangère, "chère et dangereuse"; il estime aussi qu'elle se devait de "donner aux économies une base non capitaliste". Les rencontres ministérielles se multiplient pendant cette année, avec des conseils des ministres à Dakar fin janvier, mi-mars, avril et fin juin ; on évoque même la création d'un véritable marché commun étayé par une même unité monétaire.
En juillet 1970, le Sénégal fait un geste en expulsant quelques opposants au régime de Sékou Touré. La commission mixte culturelle réunie à Conakry du 6 au 9 octobre 1970 subit l'influence des thèses intégrationnistes guinéennes : elle adopte trois rapports, proposant une doctrine et une politique culturelles communes, l'organisation de manifestations artistiques et sportives, la coopération cinématographique, la création d'une station de radio …
Tout semble aller mieux et même bien entre les deux pays, lorsque intervient, à l'aube du 22 novembre 1970, la tentative de débarquement de commandos portugais et d'exilés guinéens sur les plages de la capitale guinéenne. Senghor envoie immédiatement un télégramme très net : "Avons appris avec indignation débarquement mercenaires à Conakry. Peuple et gouvernement du Sénégal dénoncent agression dont est victime peuple frère de Guinée. Peuple et gouvernement du Sénégal assurent peuple frère de Guinée de leur solidarité totale. Haute et fraternelle considération."
Deux jours plus tard, un conseil des ministres extraordinaire de l'OERS condamne cette "agression barbare".
Mais l'engrenage de la répression affecte vite les relations guinéo-sénégalaises, bien que Senghor eût fait annuler, à la demande de Sékou, des manoeuvres militaires franco-sénégalaises prévues en décembre. La présence de mercenaires dans le parc du Niokolo-Koba est de nouveau dénoncée par Sékou Touré ; Senghor propose que des journalistes se rendent sur place pour vérifier. En vain. Le président libérien Tubman essaie de s'entremettre. En vain également.
Le 22 janvier 1971, devant l'Assemblée nationale populaire érigée en tribunal révolutionnaire, Sékou Touré demande au Sénégal de lui livrer les "comploteurs guinéens établis sur son sol", et affirme que si Senghor avait tenu compte d'une lettre qu'il lui a adressée le 19 août précédent, la tentative d'invasion n'aurait pas eu lieu. La revue du PDG de janvier 1971 met longuement en cause Senghor, sous le titre "La négritude et la 5ème colonne". En cette circonstance comme en d'autres, Sékou Touré prend toujours soin de mettre en cause personnellement Senghor, mais non le peuple sénégalais dans son ensemble, d'autant qu'il sait que même ses excès les plus sanglants n'ont pas totalement terni un certain prestige dont il jouit auprès d'une partie au moins de la population du pays voisin.
Le lendemain, indigné, Senghor rappelle son ambassadeur et ajoute qu'il espère que "le président guinéen, dans ses intervalles de lucidité, comprendra la portée d'une telle décision." 31. Le 26 janvier, il déclare persona non grata Sadan Moussa Touré, l'ambassadeur de Guinée au Sénégal. Il refuse d'extrader les 44 exilés guinéens réclamés par Sékou, tout en leur interdisant à nouveau de se livrer à des activités politiques, et ordonne une enquête sur certaines allégations de Sékou. Il précise que les comploteurs "pour ou contre Sékou" seront également poursuivis et punis, "mais sans cruauté inutile". En fait, une quarantaine de Guinéens sont expulsés, mais en direction de la France, alors que le président Jawara de Gambie livre à Sékou Touré 37 opposants guinéens qui résidaient dans son pays ; le Mali, le Liberia et la Sierra Leone en font de même.
En janvier 1971, le ministre sénégalais de l'intérieur Ousmane Camara annonce l'arrestation à Dakar d'un ressortissant guinéen Fodé Sylla, accusé d'être un tueur à gages chargé de "liquider" les exilés condamnés à mort par contumace à Conakry (sur les 91 condamnés à mort, 33 l'ont été par contumace, et plusieurs d'entre eux sont établis au Sénégal).
Conakry ne manque pas de relever que le président français Georges Pompidou se rend en visite officielle au Sénégal (puis en Côte-d'Ivoire) début février 1971.
Le séjour à Dakar donne lieu à de sérieux incidents anti-français, notamment une tentative d'incendie du centre culturel français.
Quelque temps après le départ de l'ambassadeur Moussa Touré, Sékou Touré, feignant de croire que seule la personnalité de l'intéressé est en cause, nomme un nouvel ambassadeur à Dakar, Hadj Ibrahima Faye ; non seulement Senghor refuse son agrément, mais Faye est arrêté en mars, car selon Dakar, il est en réalité de nationalité sénégalaise. Radio Conakry traite Senghor de Judas, de fantoche, d'"agent fidèle du néocolonialisme chargé d'une mission d'aliénation de l'Afrique". Radio Dakar de son côté qualifie Sékou de fasciste, le compare à Hitler et l'appelle le "bourreau de Conakry", cependant que le quotidien Le Soleil imprime qu'"il a sombré de façon inconsciente dans l'abîme de la mythomanie et de la tyrannie." 32. Dans Le Monde du 12 mai 1971 (reprenant une interview à la station américaine Visnews), Sékou Touré déclare : "Personnellement, rien ne m'oppose à M. Senghor en tant qu'homme, mais nos politiques sont opposées. Ce que nous reprochons à M. Senghor, c'est d'avoir été jusqu'ici le fidèle interprète du néocolonialisme en Afrique, tant sur le plan économique et politique, que culturel."
De nombreux incidents opposent les deux pays à travers toute l'année 1971 33. De plus, le 18 juin 1971, Alassane Diop, un haut cadre sénégalais de la radio qui avait suivi Sékou en Guinée avant même l'indépendance pour y créer une station de radiodiffusion et avait depuis plus de dix ans occupé à Conakry plusieurs postes ministériels importants, est arrêté et enfermé au Camp Boiro ; il ne sera libéré que le 25 janvier 1980, plusieurs mois après la normalisation des relations entre les deux pays 34.
Une conférence extraordinaire de l'OERS fut demandée par la Guinée le 9 février 1971 ; elle devait avoir lieu le 22 avril, mais fut "renvoyée à une date ultérieure". Le conseil ministériel du 16 juin fut boudé par la Guinée ; le communiqué final condamne Sékou Touré, tout en exprimant l'espoir que l'OERS subsistera et annonce d'ailleurs que des solutions satisfaisantes ont été trouvées. Mais le Sénégal lui-même quitte l'OERS en octobre 1971 par suite de ses difficultés avec la Guinée ; l'organisation sera démantelée le 30 novembre. Le 11 mars 1972, le Sénégal, le Mali et la Mauritanie créent à Nouakchott une nouvelle institution, l'Organisation de Mise en Valeur du Sénégal (OMVS), qui reste ouverte à tout État riverain qui accepterait l'esprit et la lettre de la convention 35.
Sur les instances de Moktar Ould Daddah, alors président en exercice de l'OUA, le Sommet de cette institution tenu à Addis-Abeba en décembre 1971 avait formé une mission de conciliation, comprenant — sous la présidence de l'empereur d'Éthiopie Hailé Sélassié — les présidents de l'Algérie, du Mali, du Liberia, du Cameroun et de la Mauritanie, auxquels était venu s'ajouter le général Gowon, président du Nigeria. Leurs efforts débouchent sur une réconciliation "du bout des lèvres" entre Senghor et Sékou, intervenue à Monrovia le 30 mai 1972. Pour Sékou, c'est le premier déplacement hors de Guinée depuis 1967. Les deux présidents signent une résolution en sept points. Le 21 septembre, Senghor reçoit le nouvel ambassadeur guinéen et lui dit : "Tout doit rapprocher nos deux peuples, car c'est la voie de leur salut". Le 22 novembre 1972, une délégation sénégalaise vient assister au 1er anniversaire de l'agression, date présentée comme une "victoire de la Révolution".
Quelques semaines plus tard, Magatte Lo, ministre des Forces armées, vient à Conakry pour assister aux obsèques d'Amilcar Cabral, le leader du PAIGC, assassiné en janvier 1973. On ne sait peut-être pas encore à cette date que Senghor a secrètement rencontré fin 1972 en Casamance le général de Spinola, qui commande alors les forces portugaises en Guinée-Bissau.
Le célèbre ensemble Bembeya Jazz National de Guinée se produit à Dakar, et son chanteur-vedette Boubacar Demba Camara perd la vie lors d'un accident de voiture à Dakar. Dans l'émotion des deux pays, les échanges culturels s'intensifient, et une troupe sénégalaise participe même en août 1973 au IXème Festival culturel national de la jeunesse à Conakry.
Pourtant, une nouvelle période de tension est déjà amorcée, entraînant une rupture qui durera jusqu'à la réconciliation — définitive, celle-là — de Monrovia en mars 1978.
En effet, le 31 mars 1973, Radio Conakry annonce la découverte d'un nouveau complot, organisé avec l'aide des "pays voisins". La tension s'accroît pendant l'été. Pourtant, Magatte Lo, ministre d'État chargé des forces armées du Sénégal, accompagné du 3ème vice-président de l'Assemblée nationale sénégalaise, se rend à Conakry en août 1973 ; ce voyage a été décidé par Senghor à la demande de Sékou, pour examiner ses accusations à propos de l'aide qu'apporterait le Sénégal à l'opposition guinéenne, en particulier à l'ancien capitaine David Soumah : Sékou Touré accuse en effet Senghor et Houphouët d'avoir fait verser de l'argent lors d'une réunion à Genève du "Front anti-guinéen" en mai 1973. L'interlocuteur des émissaires sénégalais est le ministre guinéen de la défense Toumani Sangaré. Mais les entretiens ne sont qu'un nouveau dialogue de sourds 36.
Le 11 septembre 1973, un violent discours de Sékou reprend ses accusations antérieures contre la France, la Côte-d'Ivoire et le Sénégal, et promet la mort à Senghor comme à Houphouët :
"Puisqu'ils ne veulent pas voir le peuple guinéen libre et digne, nous, nous ferons tout pour que leurs peuples vivent dans la liberté et la dignité, et nous débarrasserons ces peuples des traîtres que sont Houphouët et Senghor. C'est pourquoi nous disons aux travailleurs de la Côte d'Ivoire et du Sénégal que pour tout ce qu'ils entreprendront pour la libération de leurs peuples, nous sommes avec eux jusqu 'à la victoire. Nous soutiendrons les étudiants et les élèves de ces deux pays pour les débarrasser de la honte que représentent Senghor et Houphouët pour leurs peuples. Dans les rapports des anti-Guinéens que nous avons saisis, on note que les deux traîtres à l'Afrique, Houphouët et Senghor, ont utilisé toutes les forces, et même celles occultes ; nous aussi, nous utiliserons toutes les armes de défense et nous verrons. Eux, ils feront travailler des gens contre le progrès du peuple. Quant à nous, nous travaillerons pour le peuple, et c'est pourquoi vendredi prochain, dans les mosquées, nous les maudirons, pour que ces peuples avancent dans la voie du progrès. Nous sommes sûrs que les Musulmans qui se trouvent dans les autres pays africains réciteront au moins une fois la Fatiah pour flétrir les agents de l'impérialisme, du colonialisme, du sionisme et pour les réduire au néant."
Le 13 septembre, dans un meeting tenu à Conakry, Sékou Touré lance une proposition inattendue :
"Nous demandons que Senghor accepte que les responsables de l'OUA et de l'ONU organisent un référendum absolument libre, sans notre participation personnelle, Senghor et moi, au Sénégal et en Guinée. Nous deux, que nous soyons isolés dans un pays africain, et que le peuple du Sénégal dise s'il veut se débarrasser ou s'il veut conserver Senghor à sa tête. Que le peuple de Guinée se débarrasse ou maintienne son président en Guinée. Que chaque peuple, à l'occasion de ce référendum, fasse connaître la nature de ses rapports avec son chef d'État. Voilà la proposition que nous tenons à lui faire. Nous le prions de l'accepter, au nom de l'Afrique et de Dieu, et nous verrons le résultat."
Le jour de la prière annoncée, le 14 septembre 1973, Sékou déclare :
"Nous demandons au peuple sénégalais de prier pour se débarrasser du traître Senghor. Nous le combattrons jusqu'à la mort."
Bien que chrétien, comme d'ailleurs Houphouët, Senghor prend très mal cette utilisation de la foi musulmane. Il réplique en disant :
"Il est surprenant que M. Sékou Touré invoque le jugement de Dieu et fasse appel à la communauté musulmane pour des prières contre le Sénégal. Quand on est Sékou Touré, avec tout ce qu'on a ou devrait avoir sur la conscience, on invoque Dieu pour lui demander pardon et non pour maudire qui que ce soit."
Et le 18 septembre, Senghor (par la voix de son ministre de l'information) annonce que le Sénégal rompt ses relations diplomatiques avec la Guinée.
"Sékou ne connaît que la haine", dit Radio Dakar, qui ajoute que le Sénégal "accordera toujours l'asile à tout Africain qui ne serait plus en sécurité dans son propre pays, comme c'est le cas des milliers de Guinéens qui ont fui l'enfer de Conakry. Le ministre de l'information ajoute que "la Côte-d'Ivoire, qui connaît peut-être mieux Sékou Touré que nous, propose qu'une commission de médecins psychiatres aille en consultation auprès de l'exalté de Conakry", faisant allusion à un texte remis par un collaborateur d'Houphouët à deux agences de presse installées à Abidjan.
Pourtant, le 21 septembre, Sékou déclare que Conakry "n'appliquera pas la réciprocité et l'ambassade guinéenne à Dakar pourra continuer à fonctionner normalement jusqu 'à ce que le gouvernement sénégalais prenne une décision contraire."
Le 2 octobre 1973, la Guinée porte plainte contre le Sénégal — et contre la Côte-d'Ivoire- au Conseil de sécurité de l'ONU.
Le président de l'Ouganda, le général Idi Amine Dada, invité par Sékou Touré pour une visite d'État, séjourne en Guinée du 19 au 23 novembre 1973, période qui coïncide avec le troisième anniversaire du débarquement.
Sékou Touré fait à ce visiteur, qui ignore totalement le contexte de l'Afrique francophone et de ses relations avec l'ancienne métropole, un récit détaillé de ses déboires avec la France et avec ses deux voisins. Désireux de bien faire (dans son compte-rendu au général Gowon, président du Nigeria et président en exercice de l'OUA, il lui écrit : "Comme vous le savez, je suis un homme de paix, d'amour, de compréhension et de confiance mutuelle" 37, le président ougandais ressent l'obligation de s'entremettre, après avoir conseillé à Sékou Touré de mettre une sourdine aux mises en cause publiques de ses deux collègues. Alors qu'il est attendu au Zaïre, Amine Dada se rend donc le 23 novembre à Dakar où il rencontre Senghor, puis à Abidjan, où, en l'absence d'Houphouët retenu au village par une maladie de sa soeur, il est reçu par une importante délégation (ministre d'État, présidents de l'Assemblée nationale et du Conseil économique et social, ministre des affaires étrangères). A tous, il fait la leçon et les encourage dans la voie de la réconciliation, estimant les avoir convaincus que l'impérialisme, le néocolonialisme et les ennemis de l'Afrique profitent seuls de leurs querelles. Cette tentative de bons offices ne semble avoir débouché sur rien.
Il faudra attendre qu'en février 1974, le général Gowon, président du Nigeria, président en exercice de l'OUA, se rende à Conakry et convainque Sékou, "au nom de l'unité africaine", de retirer sa plainte au Conseil de sécurité. De plus, Kurt Waldheim, le secrétaire général de l'ONU, doit parcourir l'Afrique occidentale en mars, période prévue pour l'examen de cette plainte à New York, et rencontrer les trois protagonistes : il était donc plus qu'urgent que cette plainte fut retirée ; ce qui fut fait.
Quelques mois plus tard, Sékou Touré s'emportera de nouveau lorsque se rencontrent à Dakar, chez Abdou Diouf, Premier ministre, en l'absence de Senghor, le nouveau ministre des affaires étrangères du Portugal Mario Soares et Aristide Pereira, secrétaire général du PAIGC 38.
Selon le dernier tome du Journal de l'Élysée de Jacques Foccart 39, Senghor et Houphouët se mettent à cette époque d'accord pour tenter d'éliminer Sékou Touré, éventuellement en utilisant les troupes du PAIGC qui sont présentes à Conakry et dans les zones frontalières de la Guinée avec la Guinée portugaise, ou par d'autres moyens. Senghor, mandaté par Houphouët, en parle à Georges Pompidou lors d'une visite à Paris. Dans son compte-rendu de la journée du 1er février 1974, Foccart rapporte les propos du président français, déjà très malade (il mourra exactement deux mois plus tard) :
"Senghor m'a parlé comme vous me l'aviez annoncé, du problème de la Guinée. Il faisait d'ailleurs cette démarche en son nom et en celui du président Houphouët. Personnellement, il ne semble pas y tenir particulièrement. Je lui ai répondu, comme prévu, que je ne voulais en aucun cas que la France soit mêlée à cette affaire de Guinée. Cela était l'essentiel de notre entretien. Ma réponse a été catégorique … "
D'ailleurs, début mars 1974, dans l'une de ses dernières décisions de politique étrangère, le président Pompidou donnera à Michel Jobert, son ministre des affaires étrangères, et à Jacques Foccart son accord pour que l'ancien ministre André Bettencourt accepte l'invitation à se rendre en Guinée que Sékou Touré lui avait fait parvenir par mon intermédiaire 40.
Il faudra attendre mars 1978 pour que se produise à Monrovia la réconciliation entre Sékou Touré, Senghor et Houphouët, définitive cette fois. Mais entre temps, fait capital, est intervenue le 14 juillet 1975 la normalisation des relations entre la Guinée et la France. Pour que celle-ci porte tous ses fruits, j'étais bien conscient, en tant qu'ambassadeur de France en Guinée depuis le tout début de 1976, qu'elle impliquait également une véritable réconciliation de la Guinée avec ses voisins, et donc de Sékou Touré avec ses deux homologues. J'y consacrai donc beaucoup d'efforts, d'autant que la visite d'État que le président Valéry Giscard d'Estaing souhaitait rendre à la Guinée était elle aussi conditionnée — implicitement — par cette réconciliation. Je n'étais bien entendu pas le seul à travailler dans ce sens : comme le président ougandais Idi Amine Dada en 1973, le président gambien Daouda Jawara avait essayé en 1975 (il était très intéressé par l'idée d'un développement du fleuve Gambie, qui prend sa source en Guinée et traverse le Sénégal avant de terminer sa course dans son pays), mais avait été découragé par Senghor, qui en approuve le principe mais ne veut pas parler directement à la Guinée ; en revanche, les présidents de Mauritanie Moktar Ould Daddah et du Liberia William Tolbert, ainsi que mes collègues Jacques Raphaël-Leygues (à Abidjan) et Fernand Wibaux (à Dakar) s'y employaient aussi, avec de meilleurs résultats.
A cette réconciliation, Félix Houphouët-Boigny est davantage disposé que Senghor. Le leader ivoirien déclarait en 1974 (alors que je venais de conclure la normalisation des relations entre Bonn et Conakry et que je commençais à négocier celle avec Paris) à l'ambassadeur de France à Abidjan, Jacques Raphaël-Leygues :
"Je sais bien que Sékou Touré a vis-à-vis de moi surtout une sorte de dépit amoureux. Je sais très bien que le dépit amoureux peut amener au suicide. Mais Sékou Touré est intelligent. Qu'il sache que la porte est ouverte pour que nous nous voyions et reprenions des relations. Il n'aura pas à forcer la porte, ni même à la pousser."
A la veille de la réunion de Monrovia, Senghor au contraire restait méfiant et réticent, et déclarait qu'il ne pourrait pas se rendre dans la capitale libérienne en raison d'un voyage qu'il avait programmé en Arabie saoudite, ce qui pour lui était plus important qu'une réconciliation de plus avec Sékou Touré. Il a fallu multiplier les démarches pour qu'il change finalement d'avis et fasse le voyage de Monrovia.
Entre la dernière rupture de 1973 et les retrouvailles de Monrovia, les choses n'avaient pourtant pas été toujours faciles. Le "Complot peul" de 1976, avec l'arrestation, les "aveux" et finalement la mort de Diallo Telli (que Senghor avait vainement tenté de décourager de revenir en Guinée lorsqu'il abandonna ses fonctions de Secrétaire général de l'OUA en 1972, et à qui Abdou Diouf avait proposé de lui chercher un poste au Sénégal ou ailleurs), et la mise en accusation quasi collective de l'ethnie peul par Sékou Touré, ne facilitèrent pas les choses, d'autant que les Peuls sont très nombreux parmi les Guinéens résidant en exil au Sénégal.
Le 20 février 1977, un programme d'action conjoint est signé par les quatre principaux mouvements d'opposition à Sékou Touré 41.
Les opposants, soutenus par leurs collègues en France, décident de tout mettre en oeuvre pour contrarier la réconciliation de la Guinée avec la France, et avec les deux pays voisins. Ils y restaient actifs et nombreux, en dépit des mesures d'amnistie prises par le président Sékou Touré pour encourager le retour des exilés au pays, ce qui se fit au compte-gouttes, cependant que les voyages individuels se multipliaient dans les deux sens. Le 17 novembre 1977, désireux de faire un geste en direction de Sékou, le gouvernement de Dakar fait procéder à l'arrestation d'une vingtaine de guinéens du Rassemblement des Guinéens de l'Extérieur, qui s'entraînaient dans un camp en Casamance, près de Kolda et de la frontière guinéenne. Un mois plus tard, ils sont expulsés vers le Mali.
La violente offensive lancée en juin 1977 par Sékou Touré contre le Parti socialiste français et François Mitterrand, accusés d'avoir laissé présenter à leur Congrès une motion sur les droits de l'homme en Guinée, n'épargne pas Houphouët-Boigny et Senghor, ces "membres de l'internationale des néocolonisés", tous mis dans le même panier par le "Responsable Suprême de la Révolution" guinéenne. Dans l'un de ses plus violents discours, prononcé le 10 juin devant une foule énorme massée dans le Stade du 28 Septembre, Sékou Touré s'en prend à ses deux voisins au nom de leur pratique des droits de l'homme. Voici l'essentiel de ce qu'il dit de Senghor :
"Léopold Sédar Senghor, alors qu'il est catholique, se rend à la Mosquée. C'est bien, s'il le fait. Mais voilà un fidèle qui profite de l'occasion pour s'armer dans le but d'abattre Senghor. Est-ce vrai, est-ce faux ? Nous n'apprécions pas ; nous n'étions pas là-bas, mais c'est ainsi que nous avons appris qu'un Sénégalais armé d'un pistolet était là-bas, qu'il avait tenté de monter dans la voiture dans le but de tuer Senghor. Voilà les faits. Il n'a même pas tiré l'arme, mais puisqu'on lui reconnaît l'intention d'utiliser l'arme dont il était porteur, voilà qu'on le condamne à la peine capitale et qu'on l'exécute à partir de l'intention. Cela, pour ces messieurs de la Social Souillure, c'est normal, parce que Senghor est leur homme 42.
Un autre fait au Sénégal. Voilà des jeunes étudiants qui revendiquent une amélioration de leurs conditions de vie. On les arrête. Ce sont les Blondins 43. Ils sont morts tous ! Là, le Parti Socialiste Français est muet.
Tous les crimes de Senghor, eh bien, c'est l'engrais pour faire pousser la néo-colonisation, en consolider les bases; c'est bien pour le Parti de la pourriture ; l'engrais, c'est de la pourriture. C'est pourquoi les crimes sont pardonnés quand ils se passent là-bas, au Sénégal. Chez nous, ce ne sont pas des intentions que nous avons condamnées, ce sont des faits et des faits cruels que nous avons condamnés ; ce sont des faits meurtriers. Et, pour ces "socialistes", nous devenons des criminels pour avoir défendu notre pays ; quant aux criminels, ce sont les victimes du Peuple de Guinée. Voilà le jugement du Parti Socialiste Français.
(…) Nous allons vous apprendre que c'est là une des raisons de l'offensive du Parti Socialiste Français contre la Guinée : Senghor est franc-maçon, Houphouët est franc-maçon, Mitterrand est franc-maçon ; ils appartiennent à La même Loge, le Grand Orient. Nous savons comment ils ont voulu conditionner les cadres du Parti Démocratique de Guinée, et même nous particulièrement. Mais malheureusement pour eux, nous ne sommes pas de ces hommes vendables ou achetables. Nous mourrons pour des principes, mais pas pour l'argent. Nous défendrons l'honneur. Nous avons dit à chacun : "Votre histoire est votre histoire. Nous sommes des musulmans croyants ; nous sommes des révolutionnaires intègres, nous n'appartiendrons jamais à la franc-maçonnerie quel qu'en soit le prix". Mais hélas ! ce langage ne plaît pas à certains, et comme ils sont puissants, comme ils ont des moyens, ils vont faire étalage de leurs moyens, croyant nous briser ; ils s'y briseront, soyez en persuadés. Voilà que la Loge met en branle ces hommes contre la Guinée !
Il y a une autre raison. Quel est l'ami intime de Monsieur François Mitterrand ? C'est le Général Moshé Dayan d'Israël, que vous connaissez 44. C'est son ami intime. Au sein de l'internationale Socialiste, le ministre des Affaires étrangères d'Israël est avec Mitterrand et Senghor. C'est leur droit, que l'Internationale vive longtemps. Nous le souhaitons, à condition que ce ne soit pas contre le progrès de l'humanité.
Nous devons souligner que nous n'avons pas que des ennemis là, puisque certaines grandes personnalités de ce groupe nous ont demandé amicalement, certainement sur la base d'une considération, si nous pouvions adhérer à l'Internationale. Elles nous priaient d'y adhérer et d'accepter d'appartenir au bureau de l'internationale en estimant le rôle que joue Le Parti Démocratique de Guinée en Afrique. Nous avons dit non, que nous ne le pouvions pas, pour des raisons majeures. Nous coopérons loyalement avec tous les partis qui vont dans Le sens du progrès, mais nous ne pouvons pas être membre de l'Internationale Socialiste.
Nous savons comment par la suite, un homme de paille comme Senghor devait sauter sur la bonne aubaine, parce que les gens de son acabit, tous ceux de ces gouvernements qui n'ont pas l'appui sincère de leur peuple, qui craignent le Peuple parce qu'ils ont trop de crimes à se reprocher, tous ces gouvernants cherchent un point d'appui extérieur, leur équilibre est externe ! Ce n'est pas le cas de la Guinée. C'est pourquoi nous disons que tous peuvent faire l'unité d'action contre nous, tant que nous aurons la confiance du Peuple de Guinée, nous resterons debout jusqu'à la mort. C'est pourquoi nous ne mentirons jamais, nous ne nous livrerons jamais à l'opportunisme comme le font nos ennemis. Ce sont eux qui changent de langage.
Voilà, c'est cet homme-là qui oublie tout et qui va mentir. S'il ne connaissait pas encore la Guinée, on comprendrait. Que ce soit le Président Giscard d'Estaing qui attaque le régime guinéen, que ce soit un autre Français qui nous attaque, nous aurions dit : "Ils n'ont jamais vu la Guinée, ils n'ont entendu qu'un son de cloche à partir duquel ils nous ont condamnés. Ne répondons pas. Un jour, ils connaîtront la réalité." Mais Mitterrand, lui, connaît la Guinée et quand il dit ce qu'il sait être faux, il ment sciemment, il ment résolument; on voit que l'homme n'a plus le ressort humain.
Mais les raisons ? Ce n'est pas qu'il veuille seulement faire plaisir à la Loge qui nous combat, à Houphouët et Senghor qui l'ont pris en mains ; il y a une autre raison, c'est l'argent. Qu'on nous excuse; mais quand on analyse, il faut donner des éléments. En voici. Bon Dieu ! Ils ont tellement parlé de la Guinée, ils ont tellement dit que le Peuple ne veut pas de son régime, que c'est la misère noire, qu'on se demande pourquoi ils ne laissent pas tous les journalistes français venir voir cette Guinée et constater que le Peuple guinéen est vraiment malheureux. Ce serait une bonne occasion pour eux que de laisser venir tous les Français prendre contact avec les réalités guinéennes. Mais ils ont peur. Houphouët a peur, Senghor a peur ; quant à Mitterrand, il se dit que si jamais le Président de la République Française Giscard d'Estaing est bien accueilli en Guinée et que tout se passe bien, ce serait un point que le chef de l'État français va marquer à l'endroit de l'Afrique progressiste ; son rayonnement et son prestige s'en trouveraient renforcés. Et Mitterrand fait tout pour que cette visite n'ait pas lieu ou que, le cas échéant, si elle a lieu, elle n'ait pas dans l'opinion française la moindre portée politique et morale. Ce sont des calculs mesquins de ce genre qui amènent les gens à mentir avec cynisme, à mentir sans respect pour eux-mêmes, sans respect pour leur Peuple ; car mentir au Peuple prouve le manque de respect le plus total à l'endroit du Peuple, le manque de respect à l'endroit de soi-même.
Camarades, de la vigilance donc ! Si le Parti Socialiste va en guerre, peut-être a-t-il des adeptes ou sa 5ème colonne parmi nous. Donc, vigilance ; vigilance autour de nous ! Si Houphouët finance Mitterrand, si Senghor lui donne toutes les certitudes, Houphouët, Mitterrand, Senghor échoueront comme ils ont déjà échoué. La vérité continuera sa marche en avant (…) Sa victoire, la victoire du Peuple révolutionnaire de Guinée, est garantie."
C'est juste avant cette diatribe, début juin 1977, que Joseph Mathiam, ministre sénégalais de la jeunesse et des sports, s'était rendu à Conakry, premier responsable sénégalais de ce niveau à le faire depuis 1973. Et ce sera le sport qui donnera le coup d'envoi du processus officiel de réconciliation.
Notes
1. Selon Bernard Charles, “Les relations franco-guinéennes”, Paris, Association française de science politique, table-ronde, mars 1959.
2. Archives Foccart, Fonds privé.
3. Le Monde, 26 avril 1960.
4. Ces témoignages figurent en annexe.
5. L'un d'entre eux, Seyni Niang, est mis en cause à la fin de 1961 dans le “Complot des enseignants”,arrêté une première fois le 7 décembre, relâché huit jours plus tard, arrêté de nouveau le 24 décembre, en même temps que tous les autres membres du groupe PAI présents en Guinée ; il restera en prison sept quatre ans sans être jugé et sera libéré en 1966 (Témoignage à l'auteur de Seyni Niang, représentant du PAI en Guinée professeur de mathématiques Dakar, 30 mai 1998 ). Les membres du PAI ont été expulsés de Guinée à la suite de la rencontre Sékou-Senghor à Labé en janvier 1965. Seyni Niang reprit alors son enseignement de mathématiques au Lycée Van Vollenhoven de Dakar, où il fut le premier enseignant africain (témoignage à l'auteur de Souleymane Bachir Diagne, premier Sénégalais élève de l'École Normale Supérieure — il y eut avant lui des originaires du Sénégal, mais à l'époque de nationalité française —, agrégé de philosophie, ancien conseiller culturel du président Abdou Diouf, Paris, 14 mars 2006). Le pharmacien sénégalais Majhmout Diop, partisan de l'indépendance des colonies dès les réunions d'étudiants à Paris en 1953 (il fut président de l'association des étudiants nationalistes), fondateur du PAI en 1957, fut arrêté au Sénégal en 1960, mais réussit à s'exiler ; condamné à 15 ans de prison par contumace, il a vécu de longues années en exil, à deux reprises en Guinée, où il est reçu par Sékou Touré presque en chef d'État, et plus longuement au Mali. Il est rentré au Sénégal après 16 années à l'étranger, et a repris son officine de pharmacie, nommée "Nation" (conversation de l'auteur avec Majhmout Diop à Dakar en 1998). Candidat à l'élection présidentielle de 1983 contre Abdou Diouf, plus tard vice-président du Sénat en 1999, Majhmout Diop est décédé en janvier 2007.
6. Ce n'est pas l'avis de Mamadou Dia, qui ne croit pas à une action déstabilisatrice qu'aurait systématiquement menée Sékou Touré pour menacer l'unité du Sénégal ; tout au plus a-t-il pu recevoir quelques meneurs séparatistes qui affirmaient avoir des idées progressistes (conversation de Mamadou Dia avec l'auteur, Paris, 23 février 1999). Chef de file des indépendantistes, le secrétaire général du Mouvement des Forces Démocratiques de Casamance (MFDC), l'abbé Augustin Diamacoune Senghor, se rappelle que Sékou Touré a plusieurs fois affirmé dans des discours que “la Casamance n'est pas le Sénégal”, ceci aussi bien lorsque les relations entre Dakar et Conakry étaient bonnes que lorsqu'elles étaient mauvaises, mais qu'il n'a jamais apporté d'aide directe aux séparatistes, d'autant que les actions de guérilla ont essentiellement commencé après la démission de Senghor en 1980, à un moment où le Sénégal et la Guinée étaient totalement réconciliés (entretien de l'auteur avec l'abbé Diamacoune, Paris, Hôpital du Val de Grâce, 8 novembre 2006, quelques semaines avant son décès en janvier 2007).
7. Lors de son discours célébrant le 5ème anniversaire de l'indépendance, le 2 octobre 1963, discours particulièrement bref (une vingtaine de minutes à peine), Sékou Touré prend la peine de réfuter assez longuement les rumeurs courant à Dakar selon lesquelles il nourrirait des visées sur la Guinée-Bissau. Voir aussi en annexe ce qu'écrit dans Le Monde du 11 juin 1974 son correspondant à Dakar Pierre Biarnès.
8. Mécontent d'une rupture décidée avant tout par Senghor, Modibo Keita saisit à deux reprises Dag Hammarskjöld, Secrétaire général de l'ONU, en lui demandant de faire condamner l'attitude “agressive” du Sénégal. Hammarskjöld se borne à transmettre ces plaintes aux membres du Conseil de Sécurité, qui ne vont pas plus avant. Entre-temps, la Fédération du Mali avait répondu à l'appel de l'ONU en envoyant fin juillet un bataillon de Casques bleus au Congo ex-belge, composé de quatre compagnies, deux sénégalaises et deux soudanaises. Après la scission, ce bataillon formera deux contingents séparés.
9. A la mi-juin, Camara Gadiri Mangué, consul de Guinée à Freetown, s'est rendu à Monrovia dans un avion spécialement mis à sa disposition par Sékou Touré, afin d'y rencontrer Modibo Keita, alors en visite au Liberia, et de lui conseiller de ne pas faire escale à Conakry — comme cela avait été initialement prévu — lorsqu'il se rendra le 19 juin à Dakar pour y assister le lendemain à la proclamation de l'indépendance de la fédération. Sékou Touré aurait été mécontent parce que Modibo Keita aurait donné une réception à l'ambassade de France à Monrovia et y aurait tenu des propos réservés sur les liens tissés entre Sékou Touré et Nkrumah (dépêche du 20 août 1960 du consul de France à Freetown, Georges Meunier (archives du Quai d'Orsay).
10. Archives Foccart, carton 80, dossier 268.
11. Le 25 août 1960, Conakry décide que les Guinéens devront désormais avoir un visa pour se rendre au Sénégal (la mesure sera rendue effective un an plus tard ; les passeports devront d'ailleurs être déposés non pas directement à l'ambassade du Sénégal à Conakry, mais à la direction de la sécurité … qui fera suivre !).
12. Toutefois, la Guinée a déjà ouvert depuis peu une ambassade à Abidjan, ce qui chagrine Senghor. L'ambassadeur du Sénégal à Conakry est Alioune Cissé, secrétaire général de l'Union Générale des Travailleurs Sénégalais, que Sékou Touré connaît depuis plus de dix ans ; il présente ses lettres de créance en juillet 1961. Il sera remplacé par Carvalho. Le 5 juin, Nanamoudou Diakité ouvre l'ambassade de Guinée au Sénégal. Après son décès en 1963, il est remplacé par Tibou Tounkara, alors ambassadeur à Paris. Celui-ci, un ancien instituteur proche de Keita Fodéba, quittera Dakar pour devenir ministre de l'information, puis de l'économie rurale. Il sera arrêté en juillet 1971, incarcéré au Camp Boiro et fusillé quelques mois après.
13. Ce désir n'est pas nouveau ; déjà le 28 juillet 1959, Senghor avait écrit au général de Gaulle pour lui suggérer d'inviter Sékou Touré à s'arrêter à Paris quand il se rendrait aux États-Unis pour la session des Nations Unies.
14. L'ambassadeur précise qu'elle a été écrite avant que ne soit connue à Dakar la libération à Conakry du pharmacien français Pierre Rossignol, détenu depuis deux ans pour participation au complot pro-français de 1960, et libéré le 1er avril à la suite de la signature des accords d'Évian. De son côté, Sékou envoie à la même période à Paris deux de ses ministres Ismaël Touré et Keita Fodéba (ils passent pour être — du moins à cette époque — plutôt peu partisans d'un rapprochement avec la France), porteurs d'un message pour le général de Gaulle, qui ne les recevra pas.
15. Archives Foccart, carton 80, dossier 268.
16. Mais (art. 36) “l'extradition peut être refusée si l'infraction pour laquelle elle est demandée est considérée par l'État requis comme une infraction politique. Toutefois, s'agissant de telles infractions, chacune des parties contractantes déclare qu'elle ne sera pas terre d'asile pour des individus se livrant de façon individuelle ou concertée à des actes pouvant porter atteinte à la sécurité intérieure de l'autre partie quelque soit le lieu de commission de l'infraction.”
17. Voir en annexe le compte-rendu de la fin de cette visite par l'ambassadeur de France au Sénégal, l'ancien recteur et futur ministre Lucien Paye. Proche de Mamadou Dia, qui a été arrêté en 1962, jugé en 1963 et condamné à perpétuité, Sékou s'abstient de faire allusion à son sort. Emprisonné à Kédougou, où il finit de perdre la vue, Dia refusera toujours de demander sa grâce. Mamadou Dia sera finalement libéré par Senghor en 1974. Le président Abdoulaye Wade, qui fut son défenseur lors de son procès, ordonnera un procès en révision du jugement en 2001 ; âgé de 90 ans, Mamadou Dia affirme qu'il “se passerait volontiers” de ce nouveau procès, mais qu'il s'y résigne.
18. Le 9 mai, quelques jours avant l'arrivée de Sékou, Mamadou Dia, arrêté en décembre précédent, est condamné à la prison à perpétuité et emprisonné à Kédougou. Sékou, qui a eu pourtant avec lui d'excellents rapports, n'y fait aucune allusion pendant sa visite, au nom de la non-ingérence. Il conseille même à l'opposition de se rallier à Senghor. Mamadou Dia, qui avait déjà de sérieux problèmes ophtalmologiques et qui était devenu presque aveugle au cours de sa longue détention, sera libéré en mars 1974 seulement, et amnistié deux ans plus tard. De son côté, l'ancien ministre de l'intérieur, Valdiodio Ndiaye, celui qui a reçu de Gaulle à Dakar en août 1958, est lui aussi accusé de complot et emprisonné ; il fera douze ans de prison, de 1962 à 1974.
19. Un mois avant son voyage en Afrique, le 11 décembre 1964, Che Guevara est à New York où il s'adresse “au nom de la Révolution cubaine” à l'Assemblée générale de l'ONU ; pendant son discours, des anti-castristes tirent une roquette sur le bâtiment du Secrétariat. Un mois après son déplacement en Guinée, le 24 février 1965, le Che est à Alger, où au cours du 2ème séminaire afro-asiatique, il accuse les pays socialistes, qui font payer leur “aide” au Tiers-monde, d'être “dans une certaine mesure les complices de l'exploitation impérialiste”. Est-ce Sékou Touré qui l'en a convaincu ? Cela rejoint en tous cas ses thèses sur le coût, les modalités et l'inefficacité de l'aide d'une partie au moins de l'aide des pays communistes (voir ses reproches au moment du “complot de 1961” et plus encore en octobre 1964, quelques mois justement avant la visite du Che en Guinée). A son retour à Cuba le 15 mars 1965, Che Guevara est accueilli à l'aéroport par Fidel Castro, mais ils ont ensuite une discussion de plus de quarante heures qui se passe souvent mal. Leurs divergences sont devenues trop profondes. Che Guevara ne se montrera plus jamais en public et écrira à Castro une lettre d'adieu dans laquelle il abandonne toute charge publique et fonction oflïcielle et renonce à la nationalité cubaine (Fidel lira peu après cette lettre à la télévision, alors que le Che ne voulait la voir rendue publique qu'après sa mort). Le Che plongera peu après dans la clandestinité ; certains affirment l'avoir vu en Chine, au Vietnam, au Moyen Orient (Ernesto Che Guevara de la Serna serait juif par sa mère, descendante de juifs sépharades espagnols, et même lointain cousin d'Ariel Sharon, à qui il aurait rendu visite ; ceci a été démenti ; en revanche, il semble d'être rendu dans des camps de réfugiés palestiniens). Fin avril 1965, avec une quinzaine de volontaires cubains, il prend le nom swahili de Tatu (ce qui signifie “trois”) et rejoint les guérilleros congolais dans le maquis, où il reste près d'un an auprès de Laurent-Désiré Kabila (voir Jean Cormier, "Che Guevara, compagnon de la révolution", Paris, Gallimard, Découvertes, 1996). Malade et découragé, il est rapatrié à Cuba via la Tanzanie. Ensuite, il part pour la Bolivie où il sera tué en octobre 1967. Il avait rencontré dans les maquis congolais Abdoulaye Yérodia (ultérieurement ministre des Affaires étrangères de Laurent-Désiré Kabila, puis vice-président de la RDC sous Joseph Kabila). Interrogé lors du Sommet de l'OUA à Alger en juillet 1999 par Catherine Clément et par l'auteur sur ses relations avec le leader cubain pendant ces années de lutte dans le maquis, Abdoulaye Yérodia répond spontanément : “De grands souvenirs ? Oui, j'ai pissé avec Guevara !”
20. Sur le télégramme de Dakar sollicitant de la part de Senghor l'avis du général de Gaulle sur cette acceptation, de Gaulle écrit un énigmatique : “Oui : cela vaut beaucoup mieux qu'il s'en aille”. (Archives Foccart. carton 63, dossier 205)
21. In L'Afrique et la Révolution, Paris, Présence Africaine). Wole Soyinka avait dit que “le tigre ne proclame pas sa négritude, il saute et dévore sa proie”. Senghor réplique que “de même que le zèbre ne peut se défaire de ses zébrures sans cesser d'être un zèbre, le nègre ne peut se défaire de sa négritude sans cesser d'être nègre”, et précise qu'un tigre est un animal dont l'identité est en quelque sorte automatique et passive, alors qu'un nègre est un homme dont l'identité peut être volontairement affirmée ou niée.
22. Le chanteur guinéen Mory Kanté (???) y obtiendra un énorme succès, passera en exclusivité sur la 1ère chaîne de la télévision algérienne avant de repartir donner des concerts à Sidi-Bel Abbès et à Oran. Le Bembeya Jazz est lui aussi présent et décroche la médaille d'argent du 1er PANAF ; il donnera un deuxième concert à Alger-Tipasa, ainsi qu'un autre à Blida.
23. Mais après la réconciliation franco-guinéenne de 1975, Sékou Touré infléchira nettement son opposition, et fera participer des délégations ministérielles à des réunions francophones (celle des ministres de la justice, pour commencer). Et il fera appel en nombre accru à des enseignants français, sans pour autant renoncer complètement à l'alphabétisation en langues nationales.
24. Télégramme diplomatique en date du 8 juillet 1966, n° 716/718 de Dakar, Immédiat, Secret, signé de l'ambassadeur Vyau de Lagarde. Ce télégramme mentionne également que les conversations de Senghor avec d'autres dirigeants africains lors de la conférence fondatrice de l'OCAM à Tananarive, du 25 au 28 juin, auraient joué un rôle dans sa décision de rupture. (Documents diplomatiques français, 1966, Tome 2).
25. TD Urgent, Réservé, du 12 décembre 1966. n° 1035/1040, de Dakar, signé par l'ambassadeur Vyau de Lagarde (Documents diplomatiques français, 1966, Tome 2). L'auteur n'a pas retrouvé trace de ces discours sans doute tenus lors de réunions dans des régions guinéennes proches du Mali.
26. Ce match "aller" Guinée-Sénégal comptant pour la coupe d'Afrique des nations s'est joué le 19 février devant près de 30.000 spectateurs au stade du 28 septembre de Conakry. La prestation de l'équipe nationale du Sénégal n'est pas brillante, et le match se termine sur un score de trois buts à zéro. Les chances de qualification de l'équipe nationale du Sénégal se trouvent ainsi considérablement réduites. Cette défaite tombe à un mauvais moment pour les autorités sénégalaises. C'est un point psychologique que marque Sékou Touré. Car si les peuples sénégalais et guinéen ont toujours eu de bonnes relations au plus fort de la crise entre leurs deux États, du côté de Conakry, on n'a pas manqué au lendemain du match d'épiloguer sur "la victoire de la jeunesse révolutionnaire sur la jeunesse réactionnaire." C'est alors qu'il se trouvait au Caire que Senghor a appris la défaite de l'équipe nationale du Sénégal. En route pour Alger, l'avion qui le transporte connaît des ennuis techniques. Son Super Constellation, qui a réussi à effectuer le trajet Le Caire-Alger avec un moteur en panne, a atterri sans incident à l'aéroport d'Alger, avec un retard de deux heures sur l'horaire prévu. A son arrivée, Senghor est reçu par Boumediène qui souligne à mots couverts leurs divergences : "Nous ne saurions nous estimer en parfait accord avec notre conscience tant que ne seront pas liquidées de notre continent les séquelles du colonialisme et de l'occupation étrangère".
27. Il avait écrit le 8 mai 1967 que "la tension monte dans le pays, et les responsables ne se gênent plus pour critiquer ouvertement Sékou Touré. Il est certain que le règne de ce dernier touche bientôt à sa fin et que, s'il se risquait à effectuer un voyage à l'extérieur, il ne fait aucun doute qu'il se passerait un coup de théâtre." De son côté, Sékou est favorable à Mamadou Dia, alors emprisonné ; les émissions de la "Voix de la Révolution" en langues vernaculaires affirment que le règne de Senghor va se terminer et que Mamadou Dia reviendra au pouvoir.
28. Voir en annexe une note secrète établie par un participant sénégalais à ces entretiens.
29. La création de l'OERS a été précédée, à l'époque coloniale, par la création en 1934 de la Mission d'Études et d'Aménagement du fleuve Sénégal (MEAF), suivie en 1938 de la Mission d'Aménagement du fleuve Sénégal (MAS) ; en 1959, celle-ci devient un organe commun de mise en valeur du fleuve au service des trois États autonomes (Sénégal, Mali, Mauritanie), auxquels la Guinée se joint en 1963, au sein du Comité Inter-États. La Guinée sort en 1972 de l'OERS, qui devient alors OMVS (Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal) et y revient en 2006, après avoir été observateur pendant quelques années.
30. Senghor sera également reçu à l'Académie des Sciences d'Outre-mer (ex Académie des Sciences Coloniales) le 2 octobre 1981 (il y avait déjà été élu comme membre associé en avril 1971 ). Elu à l'Académie française le 2 juin 1983 (sans qu'à la connaissance de l'auteur, Sékou Touré l'ait félicité), il y sera reçu officiellement par Edgar Faure le 29 mars 1984, veille du jour où l'on procédait à Conakry aux obsèques du leader guinéen, décédé trois jours auparavant. Valéry Giscard d'Estaing succèdera à Senghor à l'Académie française.
31. En fait, cette déclaration — présentée comme ayant été faite par le président lui-même — a été préparée par certains de ses collaborateurs et diffusée alors que Senghor se trouvait, non pas à Dakar, mais dans la résidence présidentielle de Popenguine. Il n'en aurait sans doute pas approuvé les termes. C'est d'ailleurs pourquoi il est probable que ces collaborateurs, très remontés contre Sékou, ont jugé préférable de ne pas le consulter au préalable (information donnée par l'ancien président du Sénégal Abdou Diouf à l'auteur).
32. Selon Marchés Tropicaux, 30 janvier 1971.
33. D'une manière générale. Sékou Touré implique Senghor dans les conséquences de l'agression du 22 novembre 1970. “La négritude et la 5ème colonne” (in Revue du PDG, n° 4, janvier 1971)
34. Revenu alors à Dakar au sein de sa famille, il ne cessa pas pour autant de s'intéresser à la Guinée, où il retourna à plusieurs reprises après la mort de Sékou Touré. A Dakar, il eut avec l'auteur de fréquentes et amicales discussions. Alassane Diop est mort à Dakar le 15 juin 2003, et son épouse, qui était apparentée à celle de Keita Fodéba, est décédée début 2009.
35. Le 13 juillet 1975, dans le discours qu'il prononce à Bamako et dans lequel il annonce la normalisation des relations franco-guinéennes, Sékou laisse entendre que la Guinée pourrait rejoindre l'OMVS, et en septembre de la même année, le secrétaire général de l'organisation, Ould Ammar, déclare qu'il souhaite le retour de la Guinée. Mais l'état des relations guinéo-sénégalaises ne permet pas à l'époque de donner suite à ces velléités.
36. A la même époque, l'opposant David Soumah, dont les activités au Sénégal sont régulièrement mises en cause par Sékou, envoie une lettre à Senghor déplorant les outrances verbales du leader guinéen contre Senghor et Houphouët-Boigny ; mais il évoque aussi son propre cas, citant une allocution de Sékou Touré diffusée le 14 septembre, faisant état de documents et d'actes juridiques concernant un détournement de fonds de la société dakaroise IPRAO ; pour lui, il ne fait aucun doute que des pièces essentielles de ce dossier où il est impliqué ont été communiquées à Conakry ; il s'étonne que des éléments d'une information judiciaire en cours et des fiches d'un dossier médical le concernant, si confidentiel que lui-même n'en a pas eu connaissance, soient analysés publiquement par le chef de l'État guinéen. Il exprime aussi sa surprise au sujet de la communication d'un échange de correspondance entre des avocats de cette affaire, et généralement, il s'inquiète de l'efficacité du réseau d'espionnage guinéen au Sénégal.
37. L'auteur a pu se procurer le texte confidentiel de ce compte-rendu de quatorze pages rédigé en langage souvent imagé, établi à l'issue de la visite, et envoyé en copie à Sékou Touré, Senghor, Houphouët-Boigny et Nzo Ekangaki, secrétaire général de l'OUA.
38. La Guinée-Bissau et la Casamance continuent de peser sur certains esprits tant à Dakar qu'à Conakry. Dans la capitale guinéenne, on s'inquiète des contacts occasionnels entre dirigeants portugais et sénégalais. surtout si des responsables du PAIGC y sont associés ; dans la capitale sénégalaise, on se demande quelles sont les arrière-pensées de Sékou quant à une grande Guinée qui engloberait la Guinée-Bissau et la Casamance. Voir à ce propos en annexe ce qu'en écrit à cette époque dans Le Monde son correspondant Pierre Biarnès.
39. La fin du gaullisme (1973-1974), (Tome 5), entretiens avec Philippe Gaillard, Paris, Fayard/Jeune Afrique, 2001. Voir notamment pages 528/529.
40. Ouvrage cité ; page 567.
41. Il est notamment formé un comité de coordination de l'opposition guinéenne, comprenant :
- l'Union générale des Guinéens au Sénégal (David Soumah)
- le Regroupement des Guinéens de l'Extérieur (Siradiou Diallo)
- l'Organisation de Libération de la Guinée (Mamoudou Bah)
- l'Organisation Unie pour la Libération de la Guinée (Seydou Conté)
- l'Union Populaire de Guinée (Jammes Soumah)
- l'Union Libre des Guinéens (Thierno Diallo)
Un comité de coordination provisoire avait déjà été formé l'année précédente, au sein duquel figurait Moussa Keita, chef de cabinet de M. Boissier-Palun, président du Conseil économique et social du Sénégal.
42. Il s'agit d'une tentative d'attentat commise contre Senghor à la mosquée de Dakar en pleine fête de la Tabaski, le 23 mars 1967. L'agresseur, un nommé Mustafa Lô — qui n'avait pas eu le temps de tirer —, fut condamné à mort et exécuté. Senghor lui refusa la grâce présidentielle.
43. Sékou fait allusion, de manière pas très précise, à la mort en 1973, à la prison de l'île de Gorée, du jeune Oumar Blondin Diop, condamné à 3 ans de prison, le 22 mars 1972, pour avoir tenté de faire évader ses deux frères, eux-mêmes arrêtés et condamnés pour l'incendie du Centre culturel français lors de la visite du président Pompidou à Dakar le 5 février 1971.
Suicide, affirmèrent les autorités ; le rapport d'autopsie conclut à une mort par pendaison ; mais sa famille et ses camarades étudiants contestèrent vivement cette version des faits.
44. Confusion évidente, volontaire ou non, avec l'ami d'enfance de François Mitterrand, Georges Dayan. Moshe Dayan était par ailleurs ministre israélien de la défense, et non pas des affaires étrangères, comme Sékou l'affirme quelques lignes plus loin.