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André Lewin
Ahmed Sékou Touré (1922-1984).
Président de la Guinée de 1958 à 1984.

Paris. L'Harmattan. 2010. Volume II. 263 pages


Chapitre 35
Janvier 1959 — Premières années, premières difficultés


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“Deux mois après l'accession à l'indépendance, l'ensemble des services de la République de Guinée fonctionnait normalement.” Tel est le constat optimiste et rassurant que dresse Ismaël Touré, ministre des travaux publics, dans sa préface à un numéro spécial consacré à la Guinée, en janvier-février 1959, par un important magazine économique international 134.
Mais quelques mois plus tard, du 14 au 17 septembre 1959, un an environ après la proclamation de l'indépendance, c'est à dire au moment de faire un tout premier bilan objectif, se tient le Vème Congrès du PDG, consacré, selon Sékou Touré, à régler les problèmes qui “découlaient des réalités négatives du tribalisme, du régionalisme, de la mystification religieuse, du fétichisme, de la discrimination de sexe et de l'infériorisation de la femme, de la stratification de la société en classes et en castes.” On y traite donc de la prédominance du Parti, de la décolonisation des structures et des mentalités, de l'égalité entre l'homme et la femme, de la réforme de l'enseignement, de la suppression des écoles privées, de la planification… Bref, on y aborde une série de problèmes réels, qui ont rendu la tâche difficile.
L'ambassade de France en Guinée commente ainsi les résultats de cette première année : “Dans le nouveau cadre ainsi créé, toute opposition officielle a évidemment disparu, bien que l'enthousiasme soit loin d'être unanime dans la population, à laquelle les sujets de mécontentement ne manquent pas : incertitude économique, chômage dans les villes, travaux forcés qualifiés d'‘investissement humain’ 135, cotisations obligatoires au PDG, participation à d'innombrables réunions politiques, amendes etc. Nulle part cependant, n'apparaissent de manifestations organisées d'hostilité. Par l'établissement d'un réseau de plus en plus serré, par la délation et la menace, le Parti inspire partout une crainte génératrice de prudence.
Cependant, le prestige de Sékou Touré reste entier. Il demeure le chef incontesté du pays. Pourtant, il prend grand soin de respecter le principe de la direction collégiale et n'agit comme chef du gouvernement qu'après y avoir été autorisé par le bureau politique national du Parti ; il demeure donc soumis au contrôle de celui-ci. Or, sinon parmi les ministres et les membres du bureau politique, du moins aux échelons inférieurs du PDG, des critiques se font parfois entendre, notamment chez les militants et les chefs locaux, impatients d'agir et d'imposer ce qu'ils croient être l'orthodoxie marxiste. Ceux des membres du gouvernement et du bureau politique que l'on taxe d'extrémisme, comme Keita Fodéba ou Ismaël Touré, prétendent qu'ils sont eux-mêmes dépassés et que l'“aile gauche” du Parti risque de les entraîner plus loin qu'ils ne le souhaitent. Il reste à savoir si, dans les mois qui vont venir, Sékou Touré pourra manoeuvrer comme il l'entend et freiner certains entraînements, ou s'il devra au contraire tenir un plus grand compte que par le passé de la poussée des “ultras”.
Le Congrès national du PDG réuni au milieu du mois de septembre 1959 n'a apporté aucune lumière à cet égard. Le “Rapport de doctrine et de politique générale” rédigé par M. Sékou Touré et qui devrait être la charte de son action future, le fait apparaître comme hésitant devant la solution à apporter à de nombreux et importants problèmes. On le sent plus à l'aise dans une opposition critique que dans la définition d'une politique constructive. L'examen de questions telles que le plan triennal, la monnaie guinéenne, l'institut d'émission, la Banque nationale, etc., a été remis à une prochaine conférence nationale du PDG.” 136

La planification apparaît en effet comme un élément de prévision et d'organisation indispensable. Avant même l'indépendance, Sékou Touré a commencé à faire appel à la section coloniale du Parti communiste français pour l'aider à trouver des experts sur le plan économique. Le premier d'entre eux, Gérard Cauche, membre de cette section et ancien administrateur des colonies, arrive à Conakry début octobre 1958. Il accompagne dans les pays de l'Est la première mission ministérielle guinéenne dirigée par Keita Fodéba, participe aux premiers travaux de planification et contribuera à la nationalisation des grands secteurs de l'économie avec quelques succès relatifs 137.
En dehors de quelques experts étrangers, le plus souvent tchèques, envoyés en général par l'ONU, les professeurs français Charles Bettelheim, qui séjourne à plusieurs reprises en Guinée, et René Dumont, “petit groupe d'économistes français amis de Sékou Touré”, sont parmi les principaux inspirateurs de la politique économique du gouvernement. Ils ont contribué à élaborer un plan de développement agricole et industriel assez largement inspiré du modèle des pays communistes. Bettelheim jouera également un rôle important dans la réforme monétaire de mars 1960, ainsi que nous le verrons. La mission de planification a remis le 14 décembre 1959 un premier projet de plan triennal, destiné à la conférence des cadres du Parti.
La conférence économique de Kankan en avril 1960 adopte le premier plan triennal, mais bien des années plus tard, Sékou Touré se rappelle combien les discussions furent difficiles : “Il y eut de telles séances pénibles ! Le secrétaire général du parti fut obligé d'interrompre les débats pour l'organisation d'une séance spéciale qui fut exclusivement consacrée à la définition de notre politique de planification et au choix des méthodes de travail en rapport harmonieux avec nos moyens propres et nos capacités réelles.” 138
Devraient être impérativement réalisés au cours de cette première tranche, les équipements suivants :

Pour assurer au 1er juillet 1960 le démarrage théorique de ce premier plan triennal, l'expert tchèque auprès du ministre du plan demande le recrutement de 120 experts afin d'assurer sa mise en route. Le budget total du plan est estimé à 38 milliards de francs (il sera porté ultérieurement à 45 milliards), et la première tranche (1960-61) à 23 milliards. Heureusement, il semble que les rentrées fiscales soient excellentes, car les arriérés d'impôt des derniers exercices (depuis 1955) ont été largement réglés et que le taux de recouvrement pour l'année 1959 soit proche de 90%. Le budget de fonctionnement de l'année 1959 est donc à peu près en équilibre 139, et pour le budget d'équipement, on compte essentiellement sur l'aide extérieure, soit sous forme de prêts et de dons, soit sous forme de projets réalisés à la suite d'accords de coopération.
Mais, comme nous le verrons ultérieurement, la réforme monétaire du 1er mars 1960, la sortie de la zone Franc et la création d'un franc guinéen, vont assez rapidement déséquilibrer l'économie et perturber les prévisions. Ceci d'autant plus que le marché français absorbe la quasi-totalité des exportations guinéennes, et que celles-ci ne cessent de diminuer. Ainsi, en 1960, la Guinée exporte 51.663 tonnes de bananes (brut) contre 64.699 en 1959, 82.955 en 1958 et 96.423 en 1955. Cette baisse est essentiellement due à la très forte diminution des ventes vers la France métropolitaine et l'Algérie, qui est loin d'être compensée par les ventes dans les pays de l'Europe de l'Est, qui de surplus sont liés à la Guinée par des accords de troc, qui ne donnent pas lieu à des rentrées de devises 140. A partir de cette époque le pays commence à connaître une sérieuse crise d'approvisionnement pétrolier (plusieurs bâtiments n'arrivent pas, par suite de pannes ou par mauvaise gestion). Les prix augmentent considérablement. Mais il y a aussi des problèmes d'approvisionnement en produits agricoles; ainsi, à la mi-1959, les besoins de la Guinée pour le reste de l'année sont de 15.000 tonnes de riz.
Pour tenter de remédier à cette situation, le gouvernement crée un Comptoir guinéen du commerce extérieur (CGCE) et un Comptoir guinéen du commerce intérieur (CGCI).
Le premier de ces comptoirs, dirigé depuis l'été 1959 par Framoï Bérété, assure l'importation des marchandises de consommation et des biens d'équipement jusqu'au stade de la douane, et l'exportation des produits du cru jusqu'au stade du quai, participe à l'élaboration des programmes annuels ou pluriannuels des importations et des exportations ainsi qu'à celle des accords commerciaux et à la préparation des campagnes de traite des produits du cru, signe les contrats de vente des produits ou d'achats de marchandises découlant de ces opérations, enregistre et vise les certificats ou licences d'importation ainsi que les autorisations d'exportation 141. Très vite, il contrôle 40% du commerce extérieur de la Guinée, qui s'oriente vers les pays de l'Est. Il se réserve l'exportation d'une forte proportion des principales productions guinéennes (café: 5.000 tonnes sur 9.000; palmiste 15.000 tonnes sur 20.000; bananes : 35.000 tonnes sur 70.000; arachides en totalité).
Quant au Comptoir guinéen du commerce intérieur, il assure la commercialisation intérieure au stade de gros, demi-gros et détail des marchandises importées dédouanées et des produits du cru jusqu'à quai, approvisionne les services administratifs ou ministériels, fournit au stade de gros le commerce traditionnel et les coopératives, gère les magasins-témoins et les magasins régionaux, participe à l'élaboration des programmes annuels et pluriannuels des importations et exportations, ainsi qu'à celle des accords commerciaux et la préparation des campagnes de traite des produits du cru.
Les problèmes économiques prennent de plus en plus d'importance, car le régime comprend que les investissements étrangers, notamment dans le secteur minier, conditionnent la réussite de l'expérience du développement à la guinéenne.
Par décret du 20 octobre 1959, l'ensemble du sol guinéen (et donc aussi du sous-sol) est déclaré propriété de l'État. Mais ceci concerne surtout les biens vacants et sans maîtres, ainsi que les concessions qui n'étaient pas suffisamment exploitées, et non les propriétés régulièrement immatriculées ou mises en valeur. En revanche, les planteurs et les colons français ou libanais, ainsi que les sociétés étrangères, dont beaucoup cessèrent leur exploitation ou quittèrent le pays après l'indépendance, étaient touchés par ces mesures. Désormais, tout transfert de propriété devra être autorisé par les autorités locales.
Des redistributions de terres ou de propriétés urbaines ont lieu, soit au profit de particuliers guinéens, soit au profit de coopératives des organismes de base du Parti, qui acquièrent ainsi des biens parfois considérables qu'ils sont censés mettre en valeur. Mais la collectivisation des terres se heurte à l'opposition d'une partie des paysans et des éleveurs, habitués aux pratiques traditionnelles que sont les jachères, la transhumance, les feux de brousse. Les responsables locaux du Parti se comportent parfois en potentats encore plus exigeants que les anciens chefs [de canton]. Sékou Touré reconnaît que dans la région de Beyla par exemple, les responsables du Parti menaçaient les paysans des coopératives de leur supprimer les approvisionnements si les résultats des champs collectifs n'assuraient pas à leur fédération de bons classements dans les concours destinés à valoriser l'investissement humain ; il admet également qu'un peu partout, les cadres locaux du PDG avaient tendance à détourner à leur profit les crédits, équipements et semences mis à la disposition des coopératives.
Au cours des années, cette tendance ira s'accentuant, permettant ainsi aux responsables des instances politiques d'accroître sensiblement leurs propres concessions rurales ou leurs propriétés urbaines, en constituant une véritable nouvelle classe possédante ancrée sur ses privilèges et peu désireuse de modifier le système. Tous les efforts de Sékou Touré pour remédier à cette situation échoueront, comme par exemple l'application de la Loi-cadre de 1964. Même si elles sont sincères, ce qui est d'ailleurs probable, ces tentatives, menées jusqu'à la fin du régime pour moraliser le pays et empêcher ces inégalités croissantes, se heurtent au fait que les profiteurs et les tenants de cette nouvelle bourgeoisie d'État sont également les soutiens les plus effectifs du Parti et de son leader.
La situation économique de la Guinée qui n'avait jamais été très florissante depuis l'accession à l'indépendance et s'était même progressivement dégradée, était devenue pour les responsables guinéens le problème le plus urgent au début de 1961. La diminution des importations n'était pas seule en cause. Il faut y ajouter l'incapacité, voire la malhonnêteté des gestionnaires des comptoirs et l'incurie générale de l'administration guinéenne. Alors que les produits de première nécessité faisaient totalement défaut aussi bien dans les magasins de la capitale que dans la brousse, 120.000 tonnes de marchandises périssables s'entassaient sur les quais du port de Conakry. Dans l'immédiat, une mobilisation générale des moyens de transport est ordonnée, pour évacuer le port et ravitailler l'intérieur.
Or, deux mois après cette promesse de réorganisation, la situation reste la même., Aucun plan de transport n'ayant été établi, les marchandises ont été enlevées du port dans un désordre indescriptible. L'opération a eu pour seul résultat de dégager les entrepôts du port au détriment de ceux du CGCE et du CGCI. Après un court répit, les chefs des régions administratives ont recommencé à réclamer de toute urgence l'affectation de véhicules de transport et la livraison de marchandises de première nécessité. Les produits les plus demandés restent la farine, le sucre, le riz, le ciment et l'essence. Les centres les plus touchés paraissent être Pita, Mali, Siguiri et Labé. Il est probable qu'une partie du ravitaillement, mieux assuré, de la Guinée forestière est assuré par la Sierra Leone et le Liberia, où d'autre part le bétail guinéen continue à passer en fraude.
Le désordre bat son plein. 200 tonnes de café se détériorent à Nzérékoré, tandis que le stock de farine de Conakry est charançonné, et les moyens de transport manquent toujours ; cinquante camions sont immobilisés à Koundara par manque d'essence. Et les quais du port de Conakry sont de nouveau encombrés par des stocks de marchandises livrées sans discernement par l'URSS et les pays de l'Est.
Les mesures destinées à réorganiser le CGCE et le CGCI ne semblent pas se concrétiser. Ce retard serait dû en grande partie au manque de cadres valables pour diriger les nouvelles sociétés. Aucune réforme commerciale importante n'a vu le jour, exception faite pour la fixation des marges bénéficiaires du commerce privé et personne ne semble d'ailleurs s'y intéresser ; la masse de la population semble s'accommoder tant bien que mal de cet état de choses. Elle vit repliée sur elle-même et dans bien des régions a repris son mode de vie ancestral.
Mais le fonctionnement des deux Comptoirs, organismes d'État très lourds et peu fonctionnels, ne donne pas du tout satisfaction, et ne remédie en rien aux pénuries. Aussi, le 3 mai 1961, lors d'une séance extraordinaire de la Chambre économique de Guinée (qui a remplacé le 31 octobre précédent l'ancienne Chambre de commerce, d'agriculture et d'industrie), Sékou Touré laisse entendre la prochaine disparition du CGCI et du CGCE. Le 1er juin, la dissolution est confirmée pour la fin de l'été, leurs attributions sont reprises par le ministère du commerce. “Dès l'arrivée au port, les marchandises distribuées sans discrimination à tous les commerçants pourront circuler librement à l'intérieur du pays. La vente au détail au niveau de l'État sera arrêtée.” En même temps est annoncée la création de 297 sociétés d'État visant à fractionner et à spécialiser le commerce de la Guinée ; elles auront leur autonomie de gestion et travailleront selon les normes commerciales, mais l'État conserve le contrôle de la monnaie et des prix. En août 1961, on estime que la perte du CGCE en deux ans se monterait à deux ou trois milliards de francs guinéens (aucune comptabilité n'ayant été tenue, les experts tchèques venus pour dresser le bilan s'en tiennent à des approximations).
L'existence des Européens est devenue très difficile, non parce qu'ils manquent de fonds en dépit de la montée en flèche du coût de la vie, mais parce qu'ils ne peuvent plus se procurer les produits auxquels ils sont habitués et les objets de première nécessité. Les médicaments sont rares et proviennent presque tous des pays de l'Est ; les médecins ne peuvent lire les notices explicatives et, habitués aux produits français, ne savent comment employer les nouvelles livraisons. Le lait, les aliments pour enfants, font défaut. Même les étrangers sympathisants du régime et venus pour aider le pays sont découragés. C'est le cas du couple Gérard et Vickie Cauche :

« Après 1962, la vie était devenue intenable en Guinée, mes deux filles et mon fils au Lycée Donka de Conakry étaient eux-mêmes menacés. Quant à mon mari, il ne pouvait sans risque continuer à exercer son mandat auprès d'un Sékou Touré qui n'était plus lui-même. Mes propres élèves étaient en grève. Nous sommes donc rentrés en France en juillet 1962. » 142

La situation se détériore également sur le plan politique et social, où les éléments les plus actifs sont les syndicats, qui cherchent à s'affranchir de la tutelle du PDG. La vie chère est pour eux un excellent argument. Les syndicats du port, et plus particulièrement celui des dockers, constituent le groupe le plus remuant : les 8 et 9 mai, les dockers, qui venaient pourtant d'obtenir la promesse d'une augmentation de 15%, ont pris pour prétexte le manque d'eau douce au port pour refuser de travailler, et n'ont cédé que sous la menace d'une intervention de l'armée. Leur chef de file est El Hadj Sidibé Sory, proche de Diallo Saïfoulaye, ce qui lui assure une immunité relative. Les syndicats du port ont la haute main sur le Bureau d'embauche de la main d'oeuvre portuaire récemment créé et en profitent pour s'opposer à l'administration du port.
Les mouvements de revendication ne se limitent d'ailleurs pas au port, mais se généralisent un peu partout, et notamment dans le bâtiment. Il faut noter que ces agitations se produisent souvent alors que Sékou Touré est en voyage et laisse ainsi beaucoup d'initiative à Diallo Saïfoulaye, habituellement étroitement surveillé. C'est à lui, que certains observateurs qualifient de “marxiste convaincu” (ce qui n'est pourtant pas du tout le cas), que l'on attribue la principale responsabilité de l'orientation vers l'Est. Il a pratiquement accaparé la gestion des affaires courantes. C'est un homme d'action, qui sait prévoir, et dont l'autorité ne cesse de grandir. Le régime semble d'ailleurs décidé à ne pas laisser l'agitation gagner.

[Erratum. Ce passage confus et contradictoire découle de, et dévoile les failles méthodologiques de l'entreprise d'André Lewin, qui n'a pas su ou voulu éclairer son sujet à la lumière des rapports de celui-ci avec ses principaux alliés et adversaires. Ainsi l'auteur aborde ici superficiellement Saifoulaye Diallo. Et, péremptoire, il rejette l'etiquette “marxiste”. Toutefois, des prédécesseurs mieux qualifiés attestent, du contraire. Ils rappellent aussi qu'entre 1956 et 1962, Saifoulaye fut, de jure, une prééminence politique et étatique : secrétaire politique du PDG, président de l'Assemblée territoire devenue nationale, numéro deux de l'Etat.
Et même avec le début de son déclin en 1963, il resta de facto le chef de file de l'aile gauche du PDG, en dépit des coups bas de Sékou Touré.
Lire par exemple Bernard Charles (1963) : Le Sphinx et Autorité et prestige, et Ameillon (1964) Les intellectuelsTierno S. Bah]

Au début de 1959, trois exécutions publiques ont lieu simultanément à Conakry (quartier de Boulbinet), d'autres à Siguiri et à Macenta. L'une des executions, le 19 octobre 1959, concerne Camara Chérif, un jeune voleur, accusé d'avoir volé six chemises, qui est fusillé en public dans une cour d'école de Conakry qui donne sur la plage de Boulbinet, en présence des enfants des écoles et d'un nombreux public. Parmi les spectateurs, un jeune adolescent qui en garde une impression durable, c'est Sidya Touré, un futur Premier ministre guinéen 143.
Le 21 avril 1959, le monument aux morts du centre ville est devenu le Monument aux Martyrs du colonialisme (aujourd'hui, il porte la mention: “La République de Guinée à tous ses martyrs”).
A la même époque, des manifestations parfois violentes ont lieu à travers le pays. Des militaires mécontents créent des incidents sanglants en Guinée forestière. Au Fouta-Djalon, les mouvements de protestation prennent une telle extension que le gouvernement décide d'un grand procès public devant la Cour d'assises de Dalaba. On craint que des peines de mort soient prononcées contre les meneurs. Mais Sékou Touré, qui veut éviter de nouvelles réactions d'opposition dans le pays peul, demande au dernier avocat français qui exerce encore en Guinée, Maître Guy Fleury, d'assurer la défense des inculpés. Les peines finalement infligées seront modérées. Mais Guy Fleury décide peu après de quitter le pays.
Cependant, les Guinéens dans leur ensemble se montrent de plus en plus hostiles aux pays de l'Est. Très mécontents du matériel fourni, ils ont le sentiment d'être traités en quantité négligeable, bonne à absorber les rebuts soviétiques. Ils ne s'entendent pas avec les experts dont le nombre sans cesse croissant les inquiète et contredit le slogan de l'africanisation : un blanc reste toujours un blanc, en définitive ; beaucoup conservent une nette préférence pour les Français, qui les comprennent et leur marquent de l'estime 144.
La communauté libanaise, forte d'environ 4.000 personnes (qui ont souvent également les nationalités française et/ou guinéenne), reste active et influente, notamment dans le commerce et les professions libérales, mais souffre elle aussi de la dégradation de la situation, et craint d'en être rendue responsable, soit par la population soit par le régime. Ce dernier cherche d'ailleurs très vite à établir de bonnes relations avec le Liban. En février 1959, une délégation conduite par Béchir Awar, député du mont Liban, vient à Conakry où elle est reçue par Sékou Touré. En mai 1959, c'est une délégation guinéenne conduite par Habib Tall, vice-président de l'Assemblée nationale, et Chérif Nabaniou, professeur (et futur ministre), qui se rend au Liban. Elle est reçue par le président du Liban, le président du conseil et le président de la chambre basse. Gabriel Assad, un Libanais de Guinée, offre une réception à laquelle assiste le futur président, Pierre Gemayel, alors vice-président du conseil.
En attendant des jours meilleurs, les commerçants locaux en profitent pour vendre aux “Russes” les articles défraîchis et même usagés qu'ils n'espéraient plus liquider, ceux-ci achetant tous les vêtements d'origine européenne qu'ils peuvent trouver dans les magasins. Les Chinois eux-mêmes ne semblent plus en faveur. Sékou Touré aurait récemment refusé une proposition de l'ambassade de la RPC, concernant la venue en Guinée de 800 Chinois spécialistes de la riziculture.
Le gouvernement ne connaît d'ailleurs toujours pas le nombre des experts étrangers travaillant à son service, en dépit d'un recensement entrepris sur ordre de Sékou Touré. Si les Polonais et les Tchèques n'ont fait aucune difficulté pour fournir la liste de leurs ressortissants, l'ambassade soviétique emploie les moyens les plus dilatoires pour éviter de répondre. Devant cette mauvaise volonté, le gouvernement guinéen vient de s'adresser aux entreprises elles-mêmes et leur a demandé de faire le relevé (familles comprises) de tous les ressortissants étrangers à leur service. On peut cependant noter que dans les derniers arrivages d'experts, on comptait une nette majorité de Yougoslaves.
Le 18 mars 1959, Raoul de Vitry, le PDG de Pechiney, est reçu par Sékou Touré ; il lui parle bien entendu des travaux de Fria, qui progressent, et du projet du barrage du Konkouré, qui est bloqué. En avril 1959, l'ancien gouverneur de la Guinée Roland Pré et M. Lallemand, administrateur de la France d'Outre-mer, viennent au nom du Bureau de recherches géologiques et minières 145 proposer la création d'une société pour l'exploitation des très riches gisements de minerai de fer des monts Simandou et Nimba. Mais nous allons voir que diverses mesures vont contrarier la mise en oeuvre effective de la plupart de ces projets.
Le 15 janvier 1961, Sékou Touré est réélu président de la République pour sept ans, mais cette fois-ci au suffrage direct, et conformément à la constitution de novembre 1958 : 1.576.580 voix sur 1.586.544 exprimés (99,37%). Le 28 janvier, un nouveau cabinet est formé, qui passe de 12 à 20 membres, avec pour la première fois une femme au gouvernement, [Il s'agit de Mme. Loffo CamaraT.S. Bah]. Sékou Touré laisse les affaires étrangères à Louis Lansana Béavogui, comme il avait laissé la défense nationale à Keita Fodéba en mars 1960.

[Erratum. Le vote de 1961 fut la première élection présidentielle de Sékou Touré. Jusqu'alors, il était président désigné à la magistrature suprême par l'Assemblée nationale. — Tierno S. Bah ]

Au cours de ces toutes premières années, Sékou Touré met en place autour de lui, à la présidence, des équipes de fidèles, qui ne sont d'ailleurs pas tous guinéens : Gabriel Féral, un Français, ancien administrateur en Guinée, devient chef de cabinet pour quelque temps. Demba Diallo, un Soudanais qui était directeur de l'Ecole d'administration créée en 1957 à Conakry par le conseil de gouvernement, est nommé directeur de cabinet, mais partira à la demande de Modibo Keita, qui souhaite l'avoir auprès de lui au moment de la création du Mali. André Sassone est chef du protocole.
Une Allemande, Betty Huens, joue en coulisses un rôle de communicatrice 146. Font partie de l'entourage plus ou moins proche Jean-Paul Alata, comptable (mais qui jouera un rôle de plus en plus important), Guidicelli, également comptable, Demarchelier, et Bergougnant, agent des travaux publics. Sékou Touré connaît l'importance de l'information et de la communication ; il s'est personnellement occupé de journaux syndicaux et de publications du Parti. Dès le premier gouvernement d'après l'indépendance, le 4 octobre 1958, le Sénégalais Alassane Diop, spécialiste de la radio, est secrétaire d'État à l'information (il est venu en Guinée à la demande de Sékou Touré avant même l'indépendance) ; il gardera le même poste (plus le tourisme) lors du remaniement de mars 1960, sera remplacé par Bengaly Camara en 1961, reviendra à l'information en 1963 et sera remplacé en 1964 par Nabi Youla.
Au cours des premiers mois, Sékou Touré a accordé des interviews à plusieurs journalistes occidentaux réputés 147. C'est un Égyptien, Mally, qui est le conseiller de presse du président. Un certain Louis Boyer (dit Sylla), français métropolitain, attaché de presse personnel de Sékou Touré, un moment directeur de l'information, rédige les commentaires de Radio Conakry et on l'entend régulièrement à l'antenne; il passe pour être très proche de Keita Fodéba 148. Le journaliste Émile Tompapa est directeur de la Radiodiffusion nationale 149.
Bangoura Karim est nommé administrateur de l'Agence Guinéenne de Presse le 1er janvier 1960. Alpha Diallo, dit “M'en-parler”, est directeur de l'information, et deviendra président de l'URTNA (Union des radiotélévisions nationales africaines). Est également speakerine à Radio-Conakry la fille du premier mariage d'Andrée Blouin 150.

[Erratum. André Lewin confond le nom de deux personnalités :

  • Alpha Amadou Diallo, vétérinaire, haut-fonctionaire puis ministre, surnommé “M'en parler“, parce qu'il basait ses décisions sur le prélable “d'en parler” au président Sékou Touré. Il fut fusillé au Camp de Kindia en 1972. Lire le témoignage de Touré Kindo.
  • Alpha Ibrahima 'Mongo' Diallo, qui fut le premier président de l'URTNA. Il devint ministre de l'information sous Lansana Conté, tout comme son frère cadet, Capitaine Alpha Oumar Barou Diallo, membre du CMRN et des gouvernements militaires de 1984 et 1985.

Voir la photo de l'interview de l'ambassadeur John H. Morrow par Mongo en 1959 à Conakry. . — Tierno S. Bah]

Du 15 au 28 janvier 1961 , une grève est déclenchée à la Société des bauxites du midi (île de Kassa) à propos du remplacement annoncé des techniciens français (c'est la 1ère grève en Guinée depuis 1958). Le directeur Richardson est mis en cause, mais un compromis intervient le 26 janvier sur l'africanisation progressive des cadres. Le 31 janvier 1961, Sékou Touré procède à la nationalisation de la production électrique (confiée à Énergie Électrique de Guinée), ainsi que de la Compagnie de distribution d'eau à Conakry. Il accuse les deux compagnies françaises d'inefficacité et même de sabotage volontaire, mettant en péril la sécurité économique et sociale du pays. Il précise cependant que les actionnaires publics (Électricité de France) et privés des deux sociétés seront indemnisés. Le motif immédiat invoqué pour cette mesure est une panne d'électricité survenue le 28 janvier pendant la cérémonie inaugurale d'une exposition chinoise. Il a alors déclaré que “les pannes se produisaient trop souvent à des moments précis et il ne faudrait pas s'étonner si le gouvernement guinéen prenait des mesures pour remédier à cet état de choses.”
Le 13 mars 1961, le gouvernement réorganise l'exploitation de l'or et du diamant et crée un monopole d'État ; ceci entraîne la nationalisation des deux dernières sociétés privées d'exploitation du diamant, ainsi que la fermeture de la Bourse du diamant de Kankan, gérée jusque là par des commerçants privés de diverses nationalités.
Le 14 mai 1961, on annonce à Paris que la Guinée a donné à un consortium de banques européennes la concession des mines de fer des monts Nimba et Simandou. Ce consortium nommé Consafrique (Consortium européen pour le développement des ressources naturelles de l'Afrique) et créé initialement au Luxembourg en 1957, comprend la Banque de l'Indochine, la Deutsche Bank, la Hambros Bank (GB), en association avec Eugène Lubovitch, fondateur de la Compagnie minière de Conakry (qui travaille en Guinée depuis 1953 sur le fer) et dans laquelle la Fédération britannique du fer et de l'acier a une part de 30%. M. Garreau-Dombasles en est le président depuis 1959.
Trois nouvelles banques voient le jour le 1er juin 1961, qui ne sont en réalité que de simples démembrements plus ou moins autonomes de la Banque Centrale de la République de Guinée : Crédit National, Banque Guinéenne du Commerce extérieur, Banque nationale de Développement Agricole. En outre, l'Office des changes soit être radicalement transformé. Une société guinéenne d'Assurance créée le 1er juin contrôlera les activités des sociétés privées et les réassurera obligatoirement. Elle se réserve aussi les assurances administratives, qui représentent 80% du marché. Dans le courant de l'été 1961 sont créées une série de sociétés d'État, parmi lesquelles le 9 juin Pharmaguinée, le 12 juin Sonatex (importation d'articles textiles et d'habillement) et Diverma (marchandises diverses), dotées de 50 millions de francs guinéens, le 14 juin Agrima (importation de matériels et de produits pour l'agriculture), Alimag (importation d'alimentation générale), Guinexport (exportation de produits guinéens), et Ematec (importation de matériels techniques). Le 29 juin, c'est la création de l'Office National des Hydrocarbures (ONAH) avec une dotation de 175 millions de Francs Guinéens. Le fonctionnement de l'ONAH inquiète les sociétés pétrolières occidentales installées, car elles s'interrogent sur leurs chances de survie dans un pays où elles commencent à distribuer surtout du carburant d'origine soviétique.
Le 9 août 1961, Sékou Touré procède à la nationalisation de la société Jules Burki, la plus importante compagnie privée de transports de Guinée ; elle assure les transports routiers, l'acconage, la manutention, le transit, l'entreposage, le camionnage, le cabotage et la consignation ; ses installations sont réquisitionnées pour servir les objectifs de l'État guinéen.
Le 25 août 1961, la firme canadienne Aluminium Ltd. et sa filiale française, la Société des bauxites du Midi (SBM), annoncent qu'elles mettent en veilleuse le projet d'exploitation de bauxite et de fabrication d'alumine à Boké, qui devait démarrer en 1964. Lors de conversations avec la compagnie, des arguments techniques (découverte de nouveaux procédés de réduction de la bauxite) et financiers sont avancés par les responsables. Les premiers travaux sur le site avaient commencé en 1957. Les responsables de la compagnie ont tenté en vain d'obtenir des concours financiers auprès du gouvernement américain, puis auprès de compagnies privées américaines — Reynolds, Kaiser — et allemandes — VAW, qui ne confirmèrent pas leur intérêt. La Société des bauxites du Midi avait commencé à travailler en Guinée en 1949, et avait annoncé en 1956 son intention de développer le gisement de Boké, en construisant un port, un chemin de fer, une cité et une usine d'alumine, le tout pour 175 millions de dollars. Les études commencèrent en 1957, mais les problèmes financiers commencèrent à ralentir le rythme. Ismaël Touré l'explication suivante : “En 1961, prétextant la récession de l'aluminium sur le marché mondial et la surcapacité de production de ses installations au Canada, de même que les changements prochains de la technologie de fabrication de l'aluminium, la Société des bauxites du Midi a décidé une modification unilatérale de la convention que l'État guinéen avait scrupuleusement respectée nonobstant les conditions nouvelles créées avec l'Indépendance nationale. C'est pourquoi en octobre 1961, il a été mis fin à ses activités en République de Guinée.” 151
Le 25 septembre 1961, Raoul de Vitry, président de Fria, accompagné d'Osborne, vice-président, exposent à Sékou Touré que les refus de devises qui lui sont opposés par l'Office des changes empêcheront rapidement le bon fonctionnement de l'usine. Le ministre des mines propose que la Guinée garde un tiers des [divises] devises produites par la vente de l'alumine. La société accepte cette solution, à la condition que les dix à vingt millions de francs (nouveaux) dûs lui soient remboursés, que les 4/5ème de la soude et la moitié du fuel nécessaires à l'entreprise puissent être achetés en Guinée, et que les employés français puissent transférer mensuellement la moitié de leur salaire. C'est à dire que finalement la Guinée ne recevrait qu'un cinquième des devises. Conakry refuse.
Le 11 octobre 1961, Sékou Touré reçoit Mac Cloy, président de la Chase Manhattan Bank, et Lucius, président des Chantiers de l'Atlantique. Le 20 octobre, il reçoit Nathanael V. Davis, président d'Aluminium Ltd, et Eichenberger, directeur général de la Société des bauxites du Midi (SBM) Le 25 octobre 1961, le gouvernement guinéen informe la Société des Bauxites du Midi qu'elle doit cesser le 23 novembre toutes ses activités dans l'île de Kassa et à Boké ; aucune indemnisation n'est prévue pour les biens de la Société, que son président Nathanael Davis et son directeur Jean-Yves Eichenberger estiment à 23 millions de dollars. Le 13 novembre, le gouvernement guinéen annonce que les gisements de Kassa seront désormais exploités par des équipes soviétiques, polonaises, tchèques et hongroises, sous la direction d'un cadre guinéen.
Alors que Fria commence tout juste à démarrer, le régime se prive de l'apport que pouvait apporter une société minière en fonctionnement, d'autant que l'exploitation des minerais de fer dans la région de la capitale prend fin elle aussi. Il faudra une quinzaine d'années avant que de nouveaux gisements de bauxite soient mis en exploitation, et cinquante ans après l'indépendance, aucun des riches gisements de minerai de fer du Simandou et du Nimba n'est exploité.
Le 8 janvier 1962, les nationalisations se poursuivent par la fermeture de la Banque de l'Afrique Occidentale (dernière banque privée qui opérait encore).
Les deux immeubles construits par des banques et des sociétés d'assurance (L'Urbaine et la Seine) au centre de Conakry, les deux seuls modernes de la capitale à l'époque, évalués à 39 millions de dollars, deviennent propriété de l'État. Ils seront occupés par des bureaux ou habités par des cadres guinéens, mais celui qui surplombe les jardins et le palais de la présidence sera ultérieurement vidé de ses occupants pour raisons de sécurité. Pour attirer les investissements étrangers, qui se désintéressent de la Guinée pour se diriger vers la Côte d'Ivoire, qui a adopté un code des investissements extrêmement généreux, Sékou Touré prend une première ordonnance le 11 mai 1960 (peu après la réforme monétaire) ; cette ordonnance reste timide, n'accorde pas de garanties particulières et maintient le cap général de l'économie socialiste, même pour les capitaux étrangers. De son côté, Charles Bettelheim a préparé un projet de loi sur les investissements, qui inquiète Paris. Mais Sékou Touré fait finalement voter le 5 avril 1962 par l'Assemblée nationale un code d'investissements très avantageux pour certains secteurs prioritaires.
Quelques entreprises, mais peu nombreuses, profitent de ces dispositions favorables : Entreprise Guinéenne de Travaux Publics et Maritimes (EGTPM), Compagnie Commerciale Industrielle Guinéenne (CCIG), Société Guinéenne de Fabrication (SOGUIF AB). Mais les grandes sociétés, notamment dans le secteur minier, préféreront par la suite négocier des conventions particulières avec la Guinée et créer avec l'État guinéen des sociétés d'économie mixte, plutôt que de se plier au régime commun. Alors que la situation économique et sociale est dégradée et que la sécurité publique est parfois menacée, le régime se préoccupe de donner un certain éclat à la vie culturelle. Les Ballets africains et les ensembles instrumentaux guinéens voyagent à travers le monde et remportent d'éclatants succès, même si, au début de l'année 1959, à New York, les réactions puritaines d'organisations moralisatrices ont forcé les danseuses des Ballets africains, qui présentaient leur spectacle à Broadway du 16 février au 28 mars, à couvrir leurs seins. A Paris, on a ricané, mais à Conakry, Sékou Touré a emboîté (provisoirement) le pas à Nkrumah, qui lui a expliqué, lors d'un séjour à l'occasion du 1er mai, qu'il avait décidé de laisser les femmes des régions côtières du Ghana, plus “évoluées”, faire campagne auprès de leurs soeurs du Nord du pays afin qu'elles renoncent à leur nudité. Sékou Touré de son côté a affirmé dans un discours que “nous ne verrons plus de jeunes femmes torse nu porter des plateaux avec deux bananes.” Effectivement, tout au moins dans la capitale, on voit davantage de calicots tombant depuis les épaules 152.
En décembre 1961, pour l'indépendance du Tanganyika (future Tanzanie après l'absorption de Zanzibar), l'ensemble instrumental de la Radiodiffusion guinéenne, organisé par Bangoura Karim, fait une première tournée triomphale en Afrique (Ouganda, Nigeria, Liberia).
Lors d'un entretien avec Maurice Voisin, directeur de la publication dakaroise L'Écho d'Afrique noire, Sékou Touré fait d'abord une réflexion d'ordre politique, puis répond à une question sur la culture :
— Je pense à la récente entrevue du Négus avec le général de Gaulle. Qu'est ce que le Négus a de mieux que Sékou Touré ? Est-ce que c'est parce que c'est un monarque absolu dont le pays est mis en valeur par d'autres européens ? Souhaite-t-on en arriver là avec la Guinée ?
Le journaliste :
— C'est peut-être un détail, mais je vous pose la question : j'ai remarqué qu'à Radio Conakry, il n'y avait plus un disque français qui passait. Croyez-vous que ce soit utile au moment présent ?
Sékou Touré réfléchit quelques instants :
— Le problème est important, quoique vous sembliez le minimiser. Il s'agit de la réhabilitation de la civilisation et de la culture africaines. Le développement culturel de nos sociétés a été interrompu par le phénomène de la colonisation, qui partant de buts certainement économiques, a eu une politique d'oppression et d'exploitation qui touchait la culture africaine qu'il fallait absolument étouffer pour pouvoir poursuivre une politique d'assimilation. Le nouvel État de Guinée a pris conscience de la nécessité historique de réhabiliter la culture africaine … Nous avons à faire un choix qualitatif qui doit être porté à la connaissance de l'opinion publique. Le contenu de l'information doit refléter exactement la nature de notre politique, et même sur le plan musical, permettre aux Africains à aimer leur culture et à la développer. Nous savons d'ailleurs qu'à Moscou, à Paris, à New York, les disques africains ne passent pas très souvent à la radiodiffusion, et nous ne pouvons pas par conséquent donner aux auditeurs de la radio guinéenne rien que des disques français. Ces derniers n'intéresseraient peut-être qu'une petite élite habituée au tango ou à la valse, mais nous voulons que notre radiodiffusion ait un contenu populaire et réponde aux aspirations des populations. C'est pourquoi nous avons donné des instructions pour que tous les disques africains servent à la radio guinéenne pour permettre aux populations de se retrouver à travers ces chants et de comprendre leur signification.” “Au cours d'un meeting, nous avons dit à nos frères, notamment à ceux qui occupaient des postes culturels : “Nous supprimons toutes les partitions musicales venant d'Europe; nous ne voulons plus de tangos ni de valses.” Et des camarades nous ont vivement critiqués, en disant que c'était une décision anormale.” Nous avons dit : “Oui, nous avons la folie de notre peuple et de notre culture que nous voulons réhabiliter. Si vous voulez danser la danse de l'Afrique, valorisez le folklore, faites des partitions musicales, expression de notre culture, nous serons le premier invité de votre bal que nous ouvrirons avec plaisir. Et vous chanterez en nos langues nationales.” 153

Début 1960, le ministre de l'intérieur interdit verbalement aux exploitants de salles de cinéma de projeter des actualités françaises. Tout une série de publications françaises (notamment les journaux féminins) ne sont plus autorisées à pénétrer sur le territoire guinéen. L'année suivante, Sékou Touré annonce l'installation à Conakry de 123 haut-parleurs pour l'écoute collective de la radio nationale; ce sont les Allemands de l'Est qui procèdent à ces travaux.

Notes
134. Afrique Magazine de janvier-février 1959, mensuel établi à Casablanca, mais diffusé en France.
135. Au cours d'une longue tournée effectuée fin novembre et début décembre 1961 en Guinée forestière et en Haute Guinée par Sékou Touré, accompagné de nombreux cadres du Parti, les paysans se sont souvent plaints des conditions dans lesquelles se déroulait l'investissement humain. Ainsi à Macenta, ils ont accusé les responsables locaux du Parti de décider à leur place de la réalisation du travail auquel on les contraignait, de les faire surveiller par des gardes dont les exactions étaient nombreuses, de s'attribuer le profit moral et les avantages matériels des travaux accomplis, et de ne pas hésiter à spolier et à humilier les militants de base. Au cours de cette tournée, de nombreux responsables ont été démis de leurs fonctions. Sékou Touré a cependant très mal pris les plaintes formulées au BIT à Genève contre la pratique de l'investissement humain.
136. Note de l'ambassade de France en Guinée en date du 24 septembre 1959 (Archives Guinée du Quai d'Orsay, dossiers politiques, GU-1 959).
137. Son épouse, Yvonne, enseignante, commence à enseigner au Lycée de Donka en février 1959.
138. Intervention de Sékou Touré en conseil des ministres pour l'élaboration du plan de développement des années 1981-1985; Horoya, 28/29 septembre 1980
139. Pour 1959, il est de 14.922.240.000 de francs CFA.
140.

  1958 1959 1960
France (hors Algérie) 73 .819 27.784 4.997
Algérie 6.715 6.183 3.088
Maroc 1.485 469 312
Allemagne de l'Est 936 19.244 22.902
URSS-   6.614 11.528
Tchécoslovaquie   4.405 7.376
Divers     1.460
Total 82.955 64.699 51.663

(Source : Marchés Tropicaux et Méditerranéens, 4 février 1961)
141. Le CGCE est également responsable de l'organisation commerciale à l'étranger : il existe un bureau à Paris, dirigé par William Gemayel, un commerçant franco-libanais, qui est egalement chargé de trouver des bureaux pour installer l'ambassade de Guinée en France (il sera arrêté en 1971 et libéré en 1975), et un en Suisse (il est dirigé par M. Franzen). D'autres créations sont envisagées au Maroc, en Italie et en Allemagne fédérale.
[Erratum. Madame et Monsieur Gemayel furent tous les deux arrêtés, pas seulement le mari. Ce dernier fut sévèrement torturé mais ne plia plia pas sous la torture. Lire Alata. — Tierno S. Bah]
142. Lettre de Mme Vickie Cauche à l'auteur, 9 juin 1995.
143. Conversation avec l'auteur, Paris, 22 mai 2003.
144. En 1956, on dénombrait 25.000 Français en Guinée. Au lendemain du référendum, il y en a 3.000, dont 1.600 à Conakry et 800 à Fria.
145. Le BRGM résulte de la fusion, intervenue en 1959, entre plusieurs institutions minières françaises, dont le BUMIFOM (Bureau minier de la France d'Outre-mer). Roland Pré y a exercé des fonctions de direction pendant plusieurs années et sa connaissance de la Guinée, où il a été gouverneur, a sans doute suscité cette démarche.
146. Elle passe pour avoir été très proche de Keita Fodéba. Elle semble avoir joué un rôle dans l'attribution à des sociétés américaines des contrats d'impression des premiers timbres-poste de la Guinée indépendante.
147. Lothar Ruehl, correspondant à Paris de l'hebdomadaire allemand Der Spiegel, interview parue le 28 janvier 1959 ; Claude Krief, envoyé spécial de L'Express, interview parue le 30 avril 1959 ; Maurice Voisin, directeur de la publication dakaroise L'Echo d'Afrique noire, entretien paru le 19 août 1959 ; François Mitterrand, envoyé spécial de L'Express, article paru le 25 janvier 1962 (voir le chapitre 50 qui lui est consacré) ; interview pour Cinq Colonnes à la Une en octobre 1962 (finalement non diffusée) ; Michel Colomès pour son émission Sept jours de la semaine en septembre 1963.
148. Voir en Annexe 1 l'appréciation sur Louis Boyer dit Sylla du professeur Jean Suret-Canale, de l'ancien ministre le Sénégalais Alassane Diop, et de l'imprimeur de Geneve Philippe Kundig.
149. Voir en Annexe 2 l'histoire des débuts de Radio Conakry.
150. Voir des éléments biographiques dans le chapitre 45 sur la crise congolaise.
151. Dans un article qu'il a signé, "Le développement économique de la République de Guinée", publié dans la Revue RDA n° 19 de 1967.
152. Ces faits sont rapportés dans le New York Times du 18 mai 1959 par son envoyé special Thomas F. Brady. Ce dernier est devenu un journaliste familier de la Guinée depuis qu'il a pu interviewer Sékou Touré au lendemain de l'indépendance. L'accompagnant après leur entretien jusqu'à l'hôtel où logeait Brady (l'hôtel de France, devenu ultérieurement l'hôtel de l'Indépendance-Novotel), Sékou Touré lui demanda, puisqu'ils avaient évoqué la cuisine africaine, s'il était libre pour déjeuner. Brady rapporte : “Dans sa vaste et confortable maison toute proche, Madame Touré, une beauté renommée et une gracieuse hôtesse, ne se montra pas surprise à l'arrivée d'un visiteur inattendu. Nous mangeâmes du fonio, une semoule faite de millet pilé et un poulet mijoté.”
153. Entretien paru dans L'Echo d'Afrique noire le 19 août 1959.

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