webGuinee/Bibliotheque/Histoire - politique
webAfriqa Custom Search Engine

Supportology.com

Over Eight Million Books w/ Free Shipping

Highland Leather Dining Chairs

Spreadshirt Designer

SpeedTrader.com

Free Shipping at DermStore

Kodak Store

Shop Custom Frames at pictureframes.com

Click here for a fine jewelry catalog

JewelBasket.com distinctive jewelry

Best Deals on DVDs and Video Games on the web at I

Shop at Datavision for great deals on computers an

Kelloggs Coupons

André Lewin
Ahmed Sékou Touré (1922-1984).
Président de la Guinée de 1958 à 1984.

Paris. L'Harmattan. 2010. Volume 2. 263 pages


Chapitre 36
5 janvier 1959 — Un Habsbourg juge Sékou Touré


       Home      Next

Du 5 au 12 janvier 1959, Conakry reçoit un visiteur de marque inattendu: il s'agit de Robert d'Autriche 155, venu effectuer une mission de contact pour le compte de la Banque de l'Indochine. Trois mois plus tard, une autre personnalité, française celle-là, rencontre également Sékou Touré, entre temps devenu président de son pays 156. Il a paru à l'auteur particulièrement intéressant de reproduire ces deux documents, qui tracent de Sékou Touré deux portraits assez différents, et pas du tout conformes à l'idée qui est répandue à Paris à son sujet.

La note de Robert d'Autriche :

Du 5 au 10 janvier (1959), je me suis rendu à Conakry pour négocier avec le président Sékou Touré l'obtention d'une concession pour un Consortium franco-européen 157.
Voici, en résumé, la situation telle qu'elle se présente dans son contexte politique.

  1. Il y a certaines contradictions entre le point de vue de Paris sur la Guinée et la situation réelle. Cette image a été créée en partie par l'absence de journalistes valables a Conakry, et d'autre part, par le point de vue très personnel des fonctionnaires français rapatriés.
  2. Le sentiment de la population est nettement francophile. Plusieurs faits me l'ont demontré, et entre autres, un mot du Président Sékou Touré qui, discutant d'une question politique sur le Ghana, s'est écrié : “Nous, Latins…”
    Une question essentielle pour les Africains est celle de l'éducation, par laquelle ils se sentent élevés à un niveau supérieur et les rend égaux aux Européens. La fermeture des écoles techniques et de la moitié des écoles primaires a été un coup très dur pour la population africaine qui désire à tout prix arriver à une entente avec la France afin que ces écoles rouvrent leurs portes.
  3. Durant ma visite, j'ai eu trois entretiens avec le Président Sékou Touré. Le premier a eu lieu avant les accords passés avec Ia France. J'ai trouvé un homrne nerveux et anxieux. L'entrevue prit rapidement une tournure politique. C'est à ce moment-là que le President m'a demandé si je croyais que le Général allait assouplir sa position et reconnaître de jure l'independance de la Guinée. Je répondis négativement, en soulignant qu'à mon avis, il fallait d'abord signer les accords avec la France et ne pas demander comme condition sine qua non la reconnaissance officielle, car celle-ci suivra automatiquement la signature des accords, tandis qu'une position intransigeante de la Guinée n'aboutirait à aucune solution valable.
    La France peut attendre, la Guinée n'a pas ce loisir.
    Ma seconde entrevue avec le President eut lieu le lendemain de la signature des accords. Je trouvai un homrne détendu et confiant dans l'avenir. Il m'exprima encore une fois sa foi dans l'avenir de l'Afrique française.
  4. Il ne fait aucun doute qu'aujourd'hui tous les partis et les mouvements africains ont des observateurs en Guinée, et les Africains de langue française, surtout, suivent avec intérêt les evenements politiques qui se déroulent dans ce pays, car cet exemple leur dictera leur propre ligne de conduite.
  5. Le depart rapide des fonctionnaires français n'a pas causé trop de perturbations aux échelons administratifs inférieurs, mais a plutot simplifié le système.
    C'est parmi les hauts fonctionnaires que la situation est plus précaire. Ils ont quelques très bons fonctionnaires, mais en nombre insuffisant. Il faut donc prévoir en Guinée une situation analogue à celle du Ghana après son indépendance, c'est-à-dire que les Ministres chercheront à s'adjoindre des “Conseillers” blancs. Malheureusement, le Ministere de la Propagande Guinéenne a déjà fait appel a un progressiste français. II faudrait que la France envoie rapidement en Guinée quelques experts qu'elle mettrait à la disposition du Gouvernement de Conakry. Ces experts devront être choisis en dehors des cadres trop connus de la France d'Outre-mer. Il faudrait envoyer de préférence de grands administrateurs des cadres métropolitains.
    Si la France tarde à envoyer ces “Conseillers”, il est certain que des partis subversifs ou des États étrangers enverront du personnel qui fera une politique anti-française. On risquerait ainsi, non seulement de s'aliéner la Guinée, mais encore de créer un exemple fâcheux pour l'ensemble de l'Afrique Noire.

Le 15 janvier 1959.

La seconde note

Nous l'avons vu pendant deux heures, de 18 à 20 heures, le lundi 20 avril 1959, quelques heures après notre arrivée, dans les circonstances suivantes.
Devinat — qui fut son collègue à l'Assemblée nationale — est demeuré en bons termes avec lui 158. De Paris, il lui demanda une audience qui lui fut immédiatement accordée. Le problème était de me faire recevoir aussi. Devinat décida de dire à Sékou Touré que sa politique d'orientation communiste inquiétait beaucoup de milieux français qui pourraient investir en Guinée, et leur proposa de me faire entrer pour que je puisse l'entendre en ma qualité de conseiller d'un très grand groupe financier français. Sékou Touré accepta immédiatement et j'entrai aussi.
Sékou Touré, en pleine forme, était vêtu d'un boubou blanc luxueux et immaculé, la tête couverte d'un bonnet d'astrakan blanc dont la forme rappelait celle du bonnet de Nehru. Nous étions assis autour d'une table ronde. Le 4ème interlocuteur étant Barry Diawadou, ministre de l'Éducation nationale, avec qui nous avions rendez-vous, et que Sékou Touré avait fait venir. Il ne devait pas dire un mot pendant deux heures.
Durant la conversation, dont la longueur surprit visiblement l'entourage, Keita Fodéba, ministre de l'Intérieur, entra pour une communication assez urgente. Sékou Touré l'arrêta très brusquement et lui dit : “Si tu n'as pas le temps et si tu as du travail, tu peux t'en aller, sinon reste”. Interloqué, Keita Fodéba sortit.
Sékou Touré parle presque constamment, dans un français choisi, avec une facilité, une intelligence, une maîtrise exceptionnelles. Il avait envie de convaincre, mieux encore, de séduire. Comme représentant du “Grand Capitalisme” et comme expert du communisme, je l'intéressais beaucoup. Aussi faut-il se souvenir que ses propos visaient moins à dire la vérité qu'à désarmer un adversaire. De là les contrevérités qu'ils contiennent, et les “arrangements” des faits. Sékou Touré garda de bout en bout le contrôle de la conversation. Affectant de répondre franchement, il sut éluder ce qui était embarrassant. Il laissa une impression considérable d'énergie et de ruse. Il a une idéologie, c'est le marxisme. Une passion, c'est le pouvoir. Un ennemi, le colonialisme. Une tendance encore mal formulée : comment peut-on adapter le marxisme aux réalités africaines ?
Son opportunisme personnel rejoint là son opportunisme idéologique. C'est un grand comédien.
D'entrée de jeu, je lui posai très nettement le problème de l'orientation de son régime. Allait-il faire du communisme à l'intérieur et s'allier avec l'Est à l'extérieur ? C'est sur ces deux questions qu'il improvisa la longue réponse que voici :

  1. Le grand problème de la Guinée, c'est le sort des paysans. Il faut accroître leur niveau de vie, ce qui ne peut se faire qu'au détriment de celui des privilégiés. En Guinée, les privilégiés ne sont pas seulement les Européens, mais aussi les travailleurs des villes et les fonctionnaires africains, beaucoup trop payés par rapport aux paysans. Ils seront donc diminués. Je les ai avertis. Ils l'acceptent.
    Nous remplacerons le capital par l'investissement humain. Seul moyen restant. Grâce au travail déjà fait, il y a des résultats : des routes, des écoles, etc. ont été construites ; là où il aurait fallu des milliards en régime capitaliste, tous ces travaux se sont faits librement par décision des assemblées de villages, de cantons, sans intervention du gouvernement. (On peut remarquer la parenté de ce système avec celui en usage en Chine). Pour aider les paysans, des coopératives ont été créées afin de supprimer les intermédiaires qui les rançonnaient. Ainsi est établi un circuit direct production-consommation. Les paysans étaient endettés. Grâce aux coopératives, l'État a payé leurs dettes en faisant des avances. Ce sont les coopératives qui vendent ensuite la récolte des paysans aux très grandes maisons commerciales. Ainsi, insiste Sékou Touré, si la propriété reste individuelle, la vente est collective.
    En même temps, l'État donne aux coopératives des charrues, des tracteurs, par distribution ou prêts aux paysans. Sékou Touré explique en détail que cette organisation communautaire correspond à l'histoire de l'Afrique, à ses traditions et aux besoins de la Guinée.
  2. Vis-à-vis des sociétés capitalistes deux mesures sont nécessaires.
    1. Leurs sièges sociaux doivent être transférés à Conakry. Autrefois tout était centralisé à Dakar. La Guinée se trouverait privée de ressources fiscales si cela durait. Les maisons doivent donc tout centraliser en Guinée pour le 1er juillet : ce n'est pas une brimade, mais une nécessité fiscale.
    2. La nationalisation du commerce extérieur est une nécessité pour que les licences d'importation ne soient plus distribuées à Dakar. On a essayé de torpiller ce projet, mais il est indiscutable.
    Conclusion de Sékou Touré : rien de cela ne prouve une volonté de ma part de gêner les capitalistes en Guinée.
  3. Le problème de l'aide reçue de l'Est
    En bon stratège, Sékou Touré attaque avant de répondre et de s'expliquer. Si donc il s'est appuyé sur l'Est, c'est à cause des conditions inacceptables de départ des Français.
    Ils ont vidé la Présidence de tous ses dossiers, arraché les téléphones, emporté tous les papiers de tous les accords. Il ne restait plus un dossier au Parquet. Il y a eu dans les bâtiments officiels abandonnés des vitres, des assiettes, des verres brisés, volontairement, par centaines. Le plan des téléphones de Conakry a été brûlé (il faut essayer 1.000 lignes avant d'en poser une). Et la France a laissé des armes perfectionnées aux démobilisés guinéens, sans doute pour faire des maquis (Sékou Touré a récupéré 400 de ces armes).
    Pour souligner par comparaison sa correction, Sékou Touré dit qu'il n'a parlé de tout cela à personne, surtout pas aux diplomates de l'Est.
    Après cette introduction Sékou Touré peut alors expliquer pourquoi il s'est tourné vers l'Est. Il avait besoin de tout. L'État a fourni un certain nombre de choses. La France refusait ses bananes. La Pologne et la Tchécoslovaquie les ont prises.
    Il n'est pas vrai qu'il a reçu un gros poste de radio de la RDA. Il a commandé un poste de 50 kW aux États-Unis. Mais l'Allemagne orientale pouvait vendre à bon marché des appareils secondaires pour la station. Il les a fait acheter, et les Allemands de l'Est ont dit alors qu'ils lui faisaient cadeau d'un poste de 10 KW.h. On est loin, dit-il, de tout ce qu'on a dit en France.
    Pour les armes, il a demandé en octobre 500 fusils à la France. Refus. De l'étoffe kaki pour habiller les soldats. Refus : aussi ses gendarmes étaient-ils vêtus de boubous. Il a demandé à Monrovia (“à notre doyen”, dit-il drôlement). Rien. Il a demandé 1.000 fusils aux États-Unis. Les Tchèques lui ont alors envoyé des armes (il ne dit pas dans quelles conditions). Il cite 3.000 fusils, 2 voitures blindées, du matériel radio très utile.
    Il termine ce point en disant qu'il prendra à toutes mains, “y compris dans celles du diable” .
  4. On me reproche d'employer des méthodes communistes. Je ne comprends pas ce que cela veut dire. Ici, l'état d'esprit est communautaire. Il faut aussi, politiquement, s'appuyer sur le peuple. C'est la seule force pour faire les changements indispensables. Notre peuple n'est pas divisé, mais uni. Tout est démocratisé. Chaque semaine les 4.300 sections du Parti se réunissent. Tout se décide là, en présence du peuple (à remarquer à quel point ce système est celui de la démocratie populaire). Dans cette unité du peuple, tout le monde travaille de ses mains. Au lieu de se reposer le dimanche, fonctionnaires et intellectuels travaillent aussi à tracer les routes, pioches en mains, avec le peuple. Le voudraient-ils que la contrainte sociale ne pourrait les laisser à l'écart (remarquer là aussi la parenté avec la Chine).
    Et Sékou Touré de conclure sur ce point. “Si ce sont là ce que vous appelez des méthodes communistes, laissez-moi vous dire qu'elles conviennent parfaitement à l'Afrique et à la Guinée”.
    Le soir est tombé depuis longtemps. Sékou Touré fume. Il s'arrête un instant. Il réfléchit. Il a envie de dire, avant de finir, des choses qui doivent nous frapper. Un soupçon d'émotion envahit son visage. Dans ses paroles un certain accent de sincérité va passer. Devant nous, il va se livrer à un bref et pénétrant examen de conscience idéologique.
    Est-ce une dernière manoeuvre ? Est-ce la minute de vérité ?
    “Nous avons été formés par l'Occident, que cela nous plaise ou non. Le renier serait une faute historique. Ce que nous voulons, c'est rejeter ce qui est occidental et ne nous convient pas, et en même temps d'ailleurs, éliminer tout ce qui, dans nos traditions, nous retarde. Cela, nous le ferons.
    Nous ferons aussi un syndicalisme original. L'UGTAN, on l'oublie, a été faite contre la CGT et la FSM. A partir d'elle nous ferons un syndicalisme panafricain, indépendant de l'Est et de l'Ouest. Le marxisme nous a appris la lutte des classes. Mais il n'y a pas de lutte de classes en Afrique, au sens marxiste du terme. En Afrique, la lutte de classes oppose les paysans (opprimés) aux travailleurs des villes (plus favorisés). Quoi de commun avec l'Europe au 19ème ou 20ème siècles. Comment, dans ces conditions, serions-nous des marxistes orthodoxes ?
    En vérité (et Sékou Touré insiste visiblement) tout ce qu'on nous a appris, nous l'avons remis sur le métier. Nous cherchons à faire une révolution originale, africaine, Ne nous enfermez pas dans des catégories toutes faites.”

L'audience est terminée. Alerte, souriant, détendu, Sékou Touré se lève, nous donne des livres, nous dit de revenir et nous nous séparons. Dans les couloirs de l'ancien palais du Gouverneur, nous cheminons en silence. Nous nous interrogeons sur la part de sincérité dans ces longues et habiles déclarations. Le sentiment d'avoir été en présence d'un homme qui domine de haut ses problèmes et son pays s'est emparé de nous.
A l'entendre on pouvait avoir le sentiment qu'il ne s'agit pas d'un ennemi irréductible et qu'il est encore possible de le ramener à nous.
A le voir agir, on ne peut guère pourtant conserver d'illusions. Mais ce serait mentir que dissimuler l'impression considérable qu'il produit.

Notes
155. Robert de Habsbourg ( 1915-1996), Archiduc d'Autriche-Este, époux de la princesse Marguerite de Savoie-Aoste, frère de Otto de Habsbourg, est l'un des fils de l'impératrice Zita de Bourbon et de Charles de Habsbourg-Lorraine, dernier empereur d'Autriche, dernier roi apostolique de Hongrie et dernier roi de Bohème, de 1916 à 1918. La note reproduite a été communiquée au Quai d'Orsay et figure dans ses archives (dossier GU 6-3). L'auteur ignore si et par qui elle a été lue à l'époque.
156. Il n'a pas été possible à l'auteur de déterminer l'identité de ce visiteur, accompagné par l'ancien parlementaire Paul Devina!. Mais la description de l'entretien est si précise et les commentaires si intéressants que l'auteur a jugé utile de l'inclure dans ce travail. Il s'agissait de toute évidence d'un cadre financier de haut niveau, travaillant régulièrement avec de grands groupes industriels français. Il pourrait s'agir de Pierre Moussa, inspecteur des finances, à l'époque directeur à la Banque mondiale (selon Maurice Jeanjean, alors cadre supérieur de Pechiney à Fria auteur d'une biographie de Sékou Touré parue en 2005 chez L'Harmattan).
157. Il s'agit probablement d'un consortium minier, mais l'auteur n'a pas été en mesure de l'identifier.
158. Paul Devinat avait été député du parti radical, ancien ministre et proche collaborateur de plusieurs ministres (dont Georges Mandel aux Colonies avant-guerre). A l'époque de ce voyage en Guinée, il était président de la Banque de l'Union Industrielle.

       Home      Next
Movie making software for instant home movies

[ Home | Etat | Pays | Société | Bibliothèque | IGRD | Search | BlogGuinée ]


Contact :info@webguine.site
webGuinée, Camp Boiro Memorial, webAfriqa © 1997-2013 Afriq Access & Tierno S. Bah. All rights reserved.
Fulbright Scholar. Rockefeller Foundation Fellow. Internet Society Pioneer. Smithsonian Research Associate.