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André Lewin
Ahmed Sékou Touré (1922-1984).
Président de la Guinée de 1958 à 1984.

Paris. L'Harmattan. 2010. Volume I. 236 pages


Chapitre 31
19 octobre 1958 — Les deux Allemagne courtisent la Guinée


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Le dimanche 19 octobre 1958, trois semaines après le référendum du 28 septembre, deux semaines après la proclamation de l'indépendance le 2 octobre, le consul d'Allemagne fédérale au Sénégal, Walter Reichhold, qui a été prié d'interrompre ses congés en Allemagne 1, fait escale à Dakar et reprend immédiatement l'avion pour Conakry, accompagné de son collaborateur Ruhfus ; ils y arrivent à 11 heures du matin 2. Ils remarquent que les formalités d'entrée dans le pays sont déjà effectuées par des policiers guinéens. Ils s'installent à l'hôtel de France (l'actuel Novotel — Hôtel de l'Indépendance). Entre temps, un dénommé Jean Nègre a déjà effectué des formalités pour devenir Consul honoraire d'Allemagne.
Conformément aux instructions reçues, ils se présentent encore le même jour aux bureaux de Jean Risterucci, inspecteur général de l'administration coloniale française venu en Guinée au moment du référendum pour assurer la période de transition ; celui-ci n'est pas là, mais ils voient son directeur de cabinet. L'après-midi, ils rencontrent un certain nombre de résidents de Conakry, notamment des Français. Ils apprennent alors que les Allemands de l'Est sont déjà sur place 3. Ainsi, dès la première prise de contact, le problème de “l'autre Allemagne”, celle que les documents officiels de Bonn ne cessent jusqu'à la fin d'appeler “la zone soviétique d'occupation” (SBZ pour Sowjetische Besatzungs Zone) va constamment se poser. Bönn s'en tient fermement à la Doctrine Hallstein, du nom du secrétaire d'Etat à la chancellerie du chancelier Konrad Adenauer, élaborée dans les années 50, et selon laquelle il est inconcevable qu'un pays puisse entretenir simultanément des relations diplomatiques avec les deux parties de l'Allemagne et par conséquent, les relations seraient rompues par la République fédérale avec tout pays qui agirait ainsi ; seule exception, l'Union soviétique.
En fait, la RDA a été, au lendemain du 2 octobre, l'un des tout premiers pays à reconnaître l'indépendance de la Guinée. Et dès le 13 octobre, une semaine avant la venue de Reichhold, une délégation de trois officiels d'Allemagne orientale est arrivée sur place; son itinéraire depuis Berlin-Est a été compliqué : elle est passée par Prague, Zurich, Rome, Kano et Abidjan. Accueillie par le ministre de l'intérieur Keita Fodéba, elle est composée du vice-ministre du commerce extérieur Carl Eckloff, de l'ambassadeur Georg Stibi, et d'un secrétaire, Paul Markowski ; elle est munie de pleins pouvoirs signés des deux plus hautes autorités étatiques de la RDA, Wilhelm Pieck, président de la République, et Otto Grotewohl, président du Conseil des ministres. Des pourparlers sont engagés à propos d'échanges commerciaux : compensation de bananes et de café contre des machines-outils, mais la délégation propose aussi l'ouverture d'ambassades. Le lundi matin, Reichhold téléphone au secrétaire d'État aux affaires étrangères Fodé Cissé, qui les fait venir dans son bureau. Peu après, Sékou Touré, qui recevait le sous-secrétaire d'État du Liberia Cassel et le chargé d'affaires du Liberia à Paris Fernandez, qui fait fonction d'interprète, vient les chercher lui-même chez Fodé Cissé et les amène dans son propre bureau.
Après les congratulations d'usage, Reichhold lui annonce que la Guinée peut compter sur sa prochaine reconnaissance par la RFA, mais que Bonn consulte généralement ses alliés avant de prendre une telle mesure. Il ajoute qu'aucune reconnaissance n'interviendra si Conakry s'avisait de reconnaître le régime communiste de Pankow 4. Sékou rétorque qu'il est exact que la délégation est-allemande, qu'il a effectivement reçue, a proposé l'échange d'ambassadeurs et qu'il pourra difficilement y renoncer si l'Allemagne fédérale s'associe à l'isolement dans lequel la France s'efforce de cantonner la Guinée ; en revanche, s'il était certain que Bonn reconnaisse rapidement son pays, il ne ferait pas usage de l'offre des Allemands de l'Est.
Sékou en profite pour préciser que contrairement à ce que la France tentait de faire croire il n'était jamais allé à Moscou ou à Varsovie recevoir une formation politique ; il ne connaissait d'ailleurs pas Moscou, mais il était exact qu'en compagnie de Gabriel d'Arboussier et de quelques membres du RDA (Rassemblement Démocratique Africain), “aujourd'hui en odeur de sainteté”, il avait participé à une réunion à Berlin-Est. Sékou Touré s'y est effectivement rendu à l'occasion du Congrès Mondial de la Paix du 21 au 26 février 1951 ; c'est à cette occasion que pour la première fois le nom de Sékou Touré fut mentionné dans les journaux français, notamment dans Le Monde.
Sékou Touré rappela aussi que si la France prenait encore des mesures comme le récent détournement vers Abidjan d'un bateau de 4.000 tonnes de riz destiné à la Guinée, il n'hésiterait pas à s'allier “même avec le diable” pour sauver son pays. Il avait envoyé à tous les chefs d'État et de gouvernement du “monde libre” (il employa cette dernière expression comme à dessein) des télégrammes leur demandant une reconnaissance ; il en avait également adressé un à Bonn. S'il ne recevait pas de réponse, ou seulement des réponses dilatoires, il serait obligé de chercher ses amis ailleurs. En fait, les pays socialistes n'avaient pas tardé à se manifester, et la Bulgarie avait été le premier pays européen à reconnaître le nouvel État.
Après avoir vu Sékou Touré, la délégation allemande se rend chez Keita Fodéba, ministre de l'intérieur, et chez Barry III, secrétaire d'État à la présidence, qui avaient demandé à la rencontrer. Keita Fodéba raconte ses voyages d'antan dans les pays de l'Est et estime que la Guinée fait partie politiquement, économiquement et culturellement de l'Occident.
Dans l'après-midi, la délégation est invitée par les Libériens à une réception, à laquelle les trois délégués est-allemands n'ont pas été conviés.
Sékou Touré, qui y assiste, y prend la parole et reprend plus ou moins ses propos du matin 5. La délégation profite du lundi et du mardi pour prendre des contacts avec diverses personnalités du monde de l'administration, du commerce, de l'économie. Tous leur affirment que Sékou Touré n'est pas communiste ; mais beaucoup craignent que l'influence du dirigeant ivoirien Félix Houphouët-Boigny à Paris ne vise à différer la reconnaissance de la Guinée jusqu'à ce que Sékou Touré ait été éliminé. Risterucci, qui est rentré entre-temps à Conakry et que Reichhold voit avant son départ pour Dakar le 22 octobre, lui confirme qu'à son avis, Houphouët fera tout pour faire “tomber” Sékou ; il ajoute que lors de l'incident du cargo de riz, il a sérieusement envisagé de donner sa démission. Juste avant de partir, Reichhold doit démentir une rumeur selon laquelle des marins allemands avaient été molestés au port, ce qui aurait amener les cargos allemands à éviter désormais le port guinéen. Revenu à Dakar, Reichhold rencontre Roger Chambard, le conseiller diplomatique du haut-commissaire de France, Pierre Messmer 6.
Les conclusions que Reichhold transmet à Bonn sont très nettes : à Conakry et à Dakar, on est persuadé que les adversaires de Sékou à Paris feront tout pour le renverser le plus rapidement possible, par des infiltrations frontalières, par des rivalités ethniques, par le mécontentement populaire à la suite de privations. Le nouveau régime guinéen ne dispose pour le moment que de 1500 fusils en cas de troubles. Les cadres techniques manquent. Sékou lui-même connaît mal les affaires internationales ; il croit que l'Allemagne de l'Est est membre des Nations unies et peut donc faciliter l'admission de son pays à l'ONU (il le croit d'ailleurs aussi pour la RFA, en fait les deux Allemagne sont alors observateurs) ; il a pris l'aimable et conventionnel télégramme d'accusé de réception envoyé par Dumont, le consul général des États-Unis à Dakar, pour une reconnaissance officielle par Washington. Si le chaos s'installe en Guinée, les pays du bloc de l'Est prendront pied plus facilement en Afrique de l'Ouest. Si Bonn ne reconnaît pas rapidement le nouvel État, c'est une ambassade de l'Allemagne de l'Est qui s'y ouvrira et les intérêts majeurs de la France — comme ceux des autres Occidentaux — en Guinée seront sévèrement menacés.
Paris avait été informé des intentions de Bonn, et en particulier de la préoccupation prioritaire des Allemands d'éviter à tout prix la reconnaissance de la “Zone soviétique d'occupation” par la Guinée, ce qui constituerait une première de la part d'un pays non communiste. Le 22 octobre, le ministre français des affaires étrangères Couve de Murville s'est entretenu de la Guinée avec le secrétaire d'État américain John Foster Dulles et l'ambassadeur britannique ; il leur a dit que Paris ne faisait plus d'objections à une reconnaissance de l'indépendance de la Guinée par les puissances amies. Toutefois, une note verbale du 24 octobre de l'ambassade de France à Bonn précisait que s'il n'y avait pas d'inconvénients à ce que les pays amis reconnaissent “le fait ainsi accompli” et le fassent même assez vite pour ne pas laisser le bloc soviétique gagner de l'influence, Paris préférerait malgré tout que l'établissement de relations diplomatiques soit différé “jusqu'au transfert effectif des droits de souveraineté” . Ce qui pouvait durer plusieurs mois, les instances de la future Communauté franco-africaine ne devant se réunir pour la première fois qu'en février 1959 !
Ayant été informés de ce que Washington et Londres allaient procéder très prochainement à la reconnaissance de la Guinée, les services du ministère fédéral proposent au ministre Heinrich von Brentano, au chancelier Konrad Adenauer et au président Theodor Heuss d'y procéder sans retard, en annonçant également l'intention de Bonn d'établir par la suite des relations diplomatiques, ainsi que la prochaine mission d'un envoyé spécial chargé de discuter de coopération économique. C'est ce qui est fait par un télégramme du 31 octobre 1958, signé par le chancelier fédéral. Le Royaume-Uni procède à la reconnaissance ce même jour, Washington le fera le 2 novembre.
Le 20 novembre, la section politique du ministère demande aux services financiers de prévoir les crédits nécessaires pour le renforcement immédiat du consulat de Dakar et pour l'ouverture en 1959 d'une ambassade à Conakry — un chef de mission, un conseiller économique, un secrétaire chargé des affaires consulaires, deux secrétaires, un archiviste responsable du bureau d'ordre, deux employés locaux (un coursier, un chauffeur).
Quelques jours plus tard, de Gaulle cherche — mais un peu tard — à influencer le chancelier Adenauer, sachant que c'est à celui-ci que l'on a fait signer le télégramme de reconnaissance de la Guinée. Il espère qu'au moins, Bonne (sic) ne se hâtera pas d'établir de relations diplomatiques et d'ouvrir une ambassade. Le 26 novembre, le général de Gaulle (qui n'est encore que président du Conseil) profite d'un entretien avec le chancelier Adenauer pour exprimer le fond de sa pensée à propos de Sékou: “Hier, j'ai fait la Communauté avec les pays noirs. Tous ont été d'accord, sauf la Guinée, à cause de son maître communiste Sékou Touré. Je retire de ce pays les maires, les fonctionnaires et les fonds. Sékou Touré se tourne vers Nkrumah en vue d'une alliance. Le Ghana marque son accord, les Anglais aussi d'ailleurs, et donnent à Sékou Touré 12 millions de livres sterling. Ce n'est pas cela l'alliance…” Il espère évidemment convaincre le chancelier de la République fédérale de ne pas passer rapidement à l'ouverture d'une ambassade en Guinée 7.
Devant l'absence de réaction des services budgétaires, le 17 décembre, le service politique du ministère fédéral envoie une note d'un ton nettement plus impatient, faisant état des événements intervenus entre-temps, qui rendent impérative l'ouverture rapide d'une ambassade : les atermoiements provoqués par les démarches de la France auprès des pays occidentaux font que la “zone soviétique d'occupation” a signé, le 17 novembre, non seulement des accords commerciaux et culturels avec la Guinée, mais aussi un accord sur l'établissement de missions commerciales avec statut consulaire ; devant le risque de marginalisation de l'Occident et les progrès des pays communistes dans cette “tête de pont”, les Etats-Unis vont ouvrir dans les deux mois une représentation diplomatique confiée à un chargé d'affaires ; le Royaume-Uni en fera de même. La République fédérale se trouve dans la situation insupportable de devoir s'informer uniquement par la presse des activités en Guinée de la Zone soviétique d'occupation, car Dakar, Accra et Monrovia sont trop éloignés pour disposer des contacts indispensables. La note aurait pu ajouter que le 12 décembre, la Guinée est devenue le 82ème pays membre de l'ONU, en dépit des efforts redoublés de la France, qui s'est finalement abstenue au Conseil de sécurité et n'a donc pas opposé son veto comme elle avait envisagé de le faire. L'auteur a expliqué dans la biographie qu'il a consacrée à Diallo Telli comment les choses se sont alors passées 8.
Peu après, la section compétente répond qu'un poste au moins sera prévu au budget 1959.
Le 17 novembre 1958, la délégation venue d'Allemagne de l'Est a bien conclu avec la Guinée deux accords, l'un commercial — relatif à l'échange de marchandises et au mode de paiement entre la République de Guinée et la République démocratique allemande, l'autre culturel — relatif à la coopération et au développement des relations culturelles entre les deux États, accompagnés d'un procès-verbal “relatif à l'échange de représentations commerciales”. Ces représentations posséderont également les droits consulaires 9. On saura seulement tard que c'est Sékou Touré lui-même qui a signé ces documents le 18 novembre.
La valeur des marchandises couvertes par les six premiers mois de l'accord est de 2 millions de dollars ; il s'agit notamment, pour les exportations guinéennes, de bananes, de café, d'arachides et d'un poste “divers” qui couvre des essences d'orange et des arômes (par suite d'une erreur, le texte en français, rectifié par la suite, écrit : “armes” ! 10) ; le minerai de fer figure pour mémoire ; les exportations de la DDR consistent en sucre, textiles, ciment, engrais, etc. Les échanges culturels prévus sont très variés : échanges, stages, expertises, bourses, publications, dans les domaines de la santé, de l'éducation, de l'enseignement supérieur et technique, des beaux-arts, de la littérature, du film, de l'information, etc. Le procès-verbal accorde des privilèges, immunités et exemptions d'impôts quasi-diplomatiques aux agents et à leur famille, aux bureaux et aux documents, ainsi que le droit d'arborer les armoiries d'État et de hisser le drapeau lors des fêtes nationales ; il se termine par cette phrase inquiétante : “Après l'échange de représentations diplomatiques entre la République Démocratique Allemande et la République de Guinée, les représentations commerciales seront incorporées dans les représentations diplomatiques.”
Le statut de la mission commerciale est-allemande et son évolution vont inquiéter Bonn pendant plusieurs mois, voire plusieurs années, d'autant que les représentants de la RFA n'accéderont pas facilement aux informations : tous les contacts avec les “autres Allemands” leur sont interdits et les textes des accords ne sont pas publiés. Pendant douze ans, jusqu'en 1970, Bonn fera tout pour empêcher ou pour retarder la reconnaissance formelle et l'ouverture d'une ambassade, alors même que le gouvernement ouest-allemand aura lancé à partir de 1963 (et plus encore après que Willy Brandt sera devenu chancelier en 1969) une nouvelle Ostpolitik impliquant des contacts directs avec les autorités de la RDA, et qu'il accepte désormais dans d'autres régions du monde (Europe de l'Est, Asie, Amérique latine) que Pankow ouvre des ambassades même là où Bonn en a déjà une. Nous sommes encore dans un contexte de guerre froide, mais aussi d'aprèsguerre : Bonn s'efforce de retrouver une place normale dans le concert international tout en tenant compte des intérêts des puissances alliées — du moins les puissances occidentales. Inversement, la RDA fera tout pour obtenir la reconnaissance diplomatique complète ; après une première tentative avortée en mars 1960, ce sera chose faite en septembre 1970. La rupture entre Bonn et Conakry interviendra peu après ; cependant, c'est Conakry qui en prendra l'initiative, alors qu'on aurait pu penser que c'est Bonn qui le ferait en guise de représailles.
Le 24 décembre 1958, veille de Noël, Jacques Schricke, chargé des affaires africaines à l'ambassade de France à Bonn, est informé par le ministère fédéral des affaires étrangères de ce que Georg Korth, ancien ambassadeur au Costa Rica, envoyé spécial chargé d'explorer les possibilités d'une coopération économique avec la Guinée, se rendra le 5 janvier 1959 à Conakry. En fait, sa mission sera retardée de deux jours, parce qu'il faut désigner pour l'accompagner un représentant du ministère des affaires économiques : ce sera l'un de ses directeurs, M. von Mahs.
Leur mission durera du 7 au 16 janvier ; ils seront logés dans une maison d'hôte, alors que la mission est-allemande reste installée à l'hôtel.
Les instructions que Korth reçoit avant son départ sont datées du 29 décembre. On y mentionne expressément que Bonn tient compte dans son approche du point de vue français, mais que la position de Paris s'est assouplie quant à la reconnaissance, sinon quant à l'établissement de missions diplomatiques. Celle-ci dépendra maintenant de l'analyse que fera Bonn de la portée de l'accord conclu entre Conakry et la “zone soviétique d'occupation”. Si les réponses guinéennes sont positives, Korth pourra annoncer l'arrivée prochaine d'un chargé d'affaires, suivi d'un ambassadeur, et proposer le démarrage rapide d'une coopération dans le domaine de l'élevage (un vétérinaire pourrait venir s'installer à bref délai) et de la santé (l'Allemagne est prête à faire don d'une ambulance). La signature d'une convention-cadre d'aide économique pourra être envisagée. La coopération économique pourrait s'amorcer, même en cas de reconnaissance de la RDA. De plus, Korth devait s'informer de quelques autres points : le capital étranger pourra-t-il s'investir dans le pays et sous quelles conditions ? La Guinée signera-t-elle l'accord d'association — à l'époque appelé convention de Yaoundé — avec la Communauté européenne ? En effet, le ministre belge des affaires étrangères Wigny a suggéré que l'aide de la Communauté européenne se substitue en Guinée à celle de la France, mais ceci implique que Conakry établisse des liens d'association avec Bruxelles, ce qui n'est pas encore le cas.
Le ministre de l'économie et du plan Louis Lansana Béavogui est chargé par Sékou Touré de travailler avec la délégation ouest-allemande. Ensemble, ils parlent échanges commerciaux ; ils s'entretiennent de divers projets de coopération; la Guinée s'intéresse aux transports urbains, à la formation d'ingénieurs des mines et des travaux publics. Le 10 janvier, Sékou Touré lui-même rassure Korth : la Guinée n'envisage pas de reconnaître la RDA, ni d'établir avec elle de relations diplomatiques ou consulaires. Les deux émissaires allemands visitent également à Kindia l'Institut des Fruits et Agrumes Tropicaux (dont le statut est encore français), ainsi qu'à Fria la mine de bauxite et l'usine d'alumine à laquelle l'Allemagne participe à hauteur de 5 % ; la production devrait y commencer dans un an : le premier train minéralier circule en mars 1960.
Les conclusions de Korth, qui a réussi à se procurer le texte des accords avec les Allemands de l'Est, sont claires : la Guinée s'alliera avec les pays communistes dans la mesure exacte où les pays occidentaux la décevront. Elle vient de conclure un accord avec la France pour rester dans la zone franc sans adhérer pour autant à la Communauté. Il est pour Bonn urgent et opportun d'établir des relations diplomatiques avec Conakry.
Une très intéressante interview de Sékou Touré paraît dans l'hebdomadaire ouest-allemand Der Spiegel du 28 janvier ; il y répond de manière détaillée et habile aux questions du correspondant du journal à Paris, Lothar Ruhl, venu à Conakry pour y recueillir, dans le bureau même du président, une interview ; le titre en est clair : “En Afrique, le temps de la France est révolu.” Pourtant, Sékou Touré y rappelle que “les liens de la Guinée avec la France et la culture française seront toujours plus forts et plus étroits qu'avec n'importe quel autre État hors d'Afrique”.
Le lendemain 29 janvier, Sékou Touré, dans un télégramme au président fédéral allemand, annonce l'arrivée prochaine d'une délégation composée de deux ministres et de deux secrétaires d'État. En fait, ils ne seront que deux : Louis Lansana Béavogui, ministre des affaires économiques, accompagné d'Alassane Diop 11 secrétaire d'État à l'information, séjournera en Allemagne du 25 au 28 février. Venant de Budapest via Zurich, les deux ministres ont des entretiens au ministère fédéral des affaires étrangères ainsi qu'à celui de l'Économie ; ils visitent les firmes Bayer et Krupp, ainsi que la radio de Cologne. Ils repartent ensuite via Zurich en direction de l'Allemagne de l'Est : ils visiteront la Foire de Leipzig ; Béavogui y signera le 3 mars un nouvel accord de commerce.
Mais Lansana Béavogui et Alassane Diop, accompagnés de Keita Fodéba, ministre de l'intérieur, et du directeur du cabinet du ministre de l'Économie rurale, du paysannat et de la coopération, le très influent sénégalais Habib Niang, avaient déjà séjourné en Allemagne de l'Est du 4 au 10 février ; Willi Stoph, vice-président du Conseil et ministre de la défense, avait donné un déjeuner en leur honneur le 9. Ils avaient été reçus par diverses personnalités, dont l'ambassadeur Schwab, vice-ministre des affaires étrangères, le vice-président du conseil Paul Scholz et le ministre des affaires étrangères Dr. Lothar Bolz. Keita Fodéba avait déclaré que la délégation rendait “notre première visite à un pays du camp socialiste qui peut nous servir de modèle. La politique de notre jeune gouvernement est animée de l'esprit donc s'inspire la politique des pays socialistes.” et avaient visité une usine de matériel radiophonique (dont le directeur, M. Henrion, révéla qu'un poste émetteur allait être livré à la Guinée et qu'un de ses techniciens devait s'y rendre prochainement pour le mettre en service). Une coopération dans le domaine de l'information avait été discutée, notamment avec le professeur Ley, président du comité d' Etat pour la radiodiffusion, ainsi que l'envoi de boursiers dans les universités et grandes écoles, de la RDA. La délégation a également prié la RDA de fournir à la Guinée des passeports et des cartes d'identité, demande qui provoquera plus tard un malentendu 12.
Le secrétaire d'État fédéral aux affaires étrangères von Etzdorf conclut dans le sens de la reconnaissance sa note du 3 février 1959 au ministre von Brentano. Pendant un mois, divers services échangent des notes sibyllines pour savoir si les accords entre la Guinée et la zone soviétique d'occupation constituent ou non une reconnaissance implicite, si l'attribution de droits consulaires équivaut à l'attribution de compétences consulaires, si un exequatur est nécessaire, etc. Finalement, le 4 mars, von Brentano signe une lettre adressée à Sékou Touré pour lui annoncer que la République fédérale envisage d'envoyer “pour commencer” un chargé d'affaires ; “dès que possible”, cette mission sera élevée au rang d'ambassade. Entre-temps, un citoyen de la RDA, Manfred Bambor, qui a le titre de vice-consul et de chef par intérim de la délégation commerciale, est arrivé à Conakry pour y chercher trois bureaux et une villa. Le 26 février 1959, la délégation commerciale ouvre ses portes ; elle emploie 13 employés masculins et 4 femmes, dont deux secrétaires. Le chef de la délégation, Wilhelm Kirschey, qui s'installe fin avril, porte le titre de consul général ; sa voiture porte la plaque verte CD, mais en revanche, il ne figure pas sur la liste diplomatique. L'équipement de bureau et des brochures de propagande ne tardent pas à arriver à bord de cargos polonais. L'ensemble des employés parle très bien le français, mais ils ne se déplacent qu'en groupe 13.
Barry III, secrétaire d'État à la présidence, se rend à son tour à Bonn et signe le 18 mars un accord de coopération pour le développement économique et la coopération technique, portant notamment sur l'élevage et la pêche. A la même époque, en mars 1959, Saïfoulaye Diallo, alors président de l'Assemblée nationale, visite la SBZ.
Le 17 avril, le consul allemand à Dakar, Reichhold, remet à Sékou Touré une station médicale mobile arrivée avec lui de Dakar sur le cargo Wadai et confirme que quatre bourses (deux de quatre ans et deux d'une année) sont à la disposition de la Guinée (le bruit court que l'Allemagne de l'Est en aurait déjà proposé cent). Coïncidence significative : le même jour, un cargo polonais vient de débarquer à Conakry une nouvelle livraison d'armements tchécoslovaques !
En mai 1959, quatre autres personnalités guinéennes visitent l'Allemagne fédérale : le ministre de la Justice Damantang Camara, le secrétaire d'État à l'information Alassane Diop, ainsi que le vice-président de l'Assemblée nationale Keita et l'ambassadeur à Paris Nabi Youla ; ils se rendent notamment à la Foire commerciale de Hanovre. A Bonn, les conversations portent sur le retard de l'envoi du chargé d'affaires allemand 14. Les gens de Bonn disent : depuis mars, Sékou Touré n'a pas répondu à la lettre de von Brentano ; les officiels guinéens expliquent que Sékou est la fois chef d'État, chef de gouvernement, ministre de la défense, ministre des affaires étrangères ; que les visites officielles en Guinée — et notamment la longue visite de Nkrumah, qui est resté trois semaines en avril/mai — lui prennent beaucoup de temps. Pourtant, dans les deux camps, Est comme Ouest, d'autres pays progressent et le retard que prend la République fédérale est en effet difficile à comprendre : les États-Unis, qui ont déjà un chargé d'affaires sur place, ont décidé de nommer un ambassadeur, un universitaire, professeur de langues romanes à l'université Howard de Caroline du Nord — université noire —, John Morrow, le premier ambassadeur noir — en fait un métis de teint très clair — de leur histoire et le président Eisenhower a invité Sékou, qui a accepté l'invitation, à se rendre à Washington.

[Erratum. Feu John H. Morrow vécut et enseigna principalement à Durham, Caroline du Nord, où il fut chef du département de langues modernes étrangères à North Carolina College, une institution publique étatique.
Certes, son deuxième prénom était Howard, mais il n'exerça pas à Howard University, la grande université noire de la capitale fédérale, Washington, DC. Lire le chapitre The Call. — Tierno S. Bah]

Le Royaume-Uni a décidé d'accréditer à Conakry son ambassadeur à Monrovia; la France elle-même a désigné un chargé d'affaires, Francis Huré, qui est arrivé dans la capitale guinéenne le 24 janvier 15.
Le bloc de l'Est est évidemment déjà très présent : l'ambassadeur de Bulgarie, arrivé le premier sur place, est donc le Doyen du corps diplomatique ; nommé le 9 mars, l'ambassadeur soviétique Guerassimov, exnuméro 2 au Caire, présente ses lettres de créance le 22 avril. Même Israël s'apprête à accréditer un ambassadeur, en dépit des objections arabes. Il est probable que c'est une querelle d'influences au sein des instances dirigeantes à Conakry — gouvernement ou Bureau politique du Parti Démocratique de Guinée — entre tenants d'une ligne résolument progressiste appuyée sur les pays de l'Est et partisans d'une ligne plus modérée, qui est responsable du retard.
Enfin, la réponse — positive — de Sékou Touré est communiquée à Paris le 26 juin par une note de l'ambassadeur Nabi Youla. Le terme d'“ambassade” n'est toutefois pas mentionné. Peu après, début juillet, Sékou Touré envoie un télégramme très chaleureux à Heinrich Lübke à l'occasion de son élection comme président de la République fédérale d'Allemagne (RFA).
Finalement, Bonn désigne Gisbert Poensgen comme chargé d'affaires. Ce jeune conseiller parle bien le français ; boursier à Paris, il y a étudié le droit et les sciences politiques. La première phrase de ses instructions du 24 juillet en donne le ton : “Ihre Aufgabe in Conakry führt Sie in ein Land Schwarz-Afrikas, das vom Tage seines Entstehens an zurn Sorgenkind der freien Welt geworden ist.” (“Votre tâche à Conakry vous conduit dans un pays d'Afrique noire qui est devenu dès le jour de sa naissance un sujet de préoccupation pour le monde libre”). Son premier devoir sera d'observer — de surveiller — les relations entre Conakry et Pankow, et d'éviter tout geste qui pourrait être interprété comme une reconnaissance formelle ; à cette époque, il est vrai, 12 pays seulement — bloc de l'Est, Chine, Yougoslavie — reconnaissent la RDA, alors que 70 ont des relations diplomatiques avec la République fédérale. L'argumentation doit porter sur la volonté du peuple allemand de rester un, et la nécessité de respecter cette volonté par l'autodétermination, c'est-à-dire par des élections libres. Le chargé d'affaires devra essayer d'éviter que la délégation commerciale est-allemande soit invitée à des réceptions officielles, de faire comprendre qu'il n'assistera lui-même qu'aux manifestations où il sera le seul représentant allemand, de tout faire pour ne pas donner l'impression qu'il existe deux États allemands.
Poensgen atterrit le 22 juillet à Conakry. Il s'installe à l'Hôtel de France et informe téléphoniquement le protocole de son arrivée (quelques semaines plus tard, les Allemands feront l'acquisition du rez-de-chaussée de l'immeuble de la société d'assurances La Paternelle pour y installer leur chancellerie, et d'une villa à la Minière pour la résidence du chef de poste diplomatique). Le lendemain, Poensgen rend visite à Robert Duvauchelle, conseiller à l'ambassade de France. Il veut ensuite rencontrer Fodé Cissé, le secrétaire d'État aux affaires étrangères, mais celui-ci quitte le bâtiment au moment même où Poensgen arrive ; il n'est donc reçu que par un jeune attaché. Dans l'après-midi toutefois, Fodé Cissé (dont une précédente note affirme qu'il aurait seulement reçu une formation de tirailleur 16) le reçoit.
“On m'a expliqué votre cas”, commence-t-il, et demande combien de temps Poensgen compte rester à Conakry. “J'y suis, j'y reste”, réplique le chargé d'affaires, et il remet une traduction de ses lettres d'accréditation en précisant qu'il s'agit là de la première étape de l'ouverture d'une ambassade. Cissé répond qu'il en informera scrupuleusement le président, et insiste sur les questions d'aide.
Le 25 juillet, le chargé d'affaires est invité par le protocole à se rendre à Kindia pour une manifestation du Parti Démocratique de Guinée (PDG). Il se rend sur place dans une voiture prêtée par le protocole (elle restera à sa disposition, de même qu'un gendarme, jusqu'à ce que l'ambassade reçoive son propre véhicule). Fodé Cissé et l'ambassadeur des États-Unis (qui vient d'arriver et qui n'a pas encore présenté ses lettres de créance) l'accompagnent. Sur place, les missions diplomatiques des pays de l'Est sont déjà présentes, mais il n'y a aucun Allemand de l'Est. Les délégations attendent Sékou pendant plusieurs heures. Poensgen est assis à côté du secrétaire de l'ambassade bulgare, sympathique et volubile, qui lui déclare que les pays de l'Est ont été surpris de son arrivée, qu'ils ne sont cependant pas inquiets de l'ouverture d'une ambassade de la RFA.
Pendant plusieurs jours, rien ne se passe. Le chargé d'affaires ne parvient même pas à rencontrer Alassane Diop, à qui il voulait donner son curriculum vitae et un communiqué annonçant son arrivée, pour publication dans la presse locale (à ce moment, il ne paraît en Guinée aucun journal, il n'existe que le bulletin ronéoté de l'Agence France-Presse AFP, et bien entendu la radio).
Et puis Sékou revient de sa tournée à l'intérieur du pays. Dès le lendemain, le 30 juillet, Sékou le reçoit. L'ambassadeur des Etats-Unis John Morrow a présenté ses lettres de créance quelques heures auparavant. Une garde d'honneur de 30 soldats en uniformes blancs et parements bleus accueille Poensgen en bas des marches du Palais présidentiel (l'ancien palais du gouverneur français). Poensgen remet au président la lettre du ministre allemand des affaires étrangères. Le ministre Béavogui, le secrétaire d'Etat Fodé Cissé et Alpha Amadou Diallo, secrétaire général du ministère des affaires étrangères, ainsi que André Sassone, responsable du protocole, assistent à la cérémonie. Poensgen note que Sékou est habillé en costume européen, et qu'il a l'air souffrant et très fatigué (il l'avait déjà mentionné dans son compte-rendu de la manifestation de Kindia). L'ensemble de l'entretien se passe assis. Bien qu'il ait été convenu au préalable qu'il n'y aurait pas de discours, Poensgen est prié de prononcer une allocution ; il y assure la Guinée et son président des sentiments fraternels de l'ensemble du peuple allemand et exprime l'espoir de voir bientôt une ambassade de Guinée s'ouvrir à Bonn ; il souligne aussi l'importance de l'accord de coopération économique et technique.
Sékou Touré lit attentivement la traduction de la lettre et salue Poensgen par quelques phrases très générales ; puis il insiste sur la mise en oeuvre rapide et efficace de l'accord de mars et rappelle que la Guinée doit en appeler aux hommes de bonne volonté dans le monde entier. La conversation, dont Poensgen rapporte qu'elle se déroula péniblement en raison de l'état d'épuisement de Sékou, porte sur l'arrivée, espérée pour octobre, des deux experts allemands en élevage et de deux autres pour la pêche au thon. Sékou Touré insiste sur la nécessité de créer une chaîne de froid entre le Fouta, principale région d'élevage, le centre minier de Fria et Conakry, principales zones de consommation, ainsi que pour l'exportation de la viande. Sékou termine en disant sa satisfaction de voir Bonn nommer un jeune diplomate, “car la responsabilité de l'avenir de nos peuples repose sur les jeunes générations“. Le soir même, Radio Conakry rend compte de la cérémonie et retransmet les quelques phrases prononcées par Sékou et par le chargé d'affaires.
Le 19 août, Poensgen informe Bonn qu'une campagne habilement lancée par les pays de l'Est présente la RFA comme un satellite de la France, et que ces arguments trouvent un écho favorable au moins chez certains membres du gouvernement. Il indique aussi que pour la population de base en Guinée et même pour beaucoup de cadres, le concept d'Allemagne reste vague, et qu'en particulier, la RDA, l'“Allemagne démocratique“, est assimilée à la “vraie“ Allemagne, sinon à la seule, parce qu'elle est active et très visible sur place. Poensgen préconise donc d'élaborer une politique à long terme pour redresser cette image et propose deux gestes politiques pour créer un climat positif : l'envoi rapide d'un ambassadeur en titre et une invitation pour Sékou Touré à se rendre à Bonn.
Avant même qu'une réponse soit donnée par Bonn sur cette suggestion, la rumeur court que Sékou aurait été invité à Berlin-Est par Wilhelm Pieck, le président de la RDA, et qu'il aurait accepté cette invitation ; une interminable discussion entre services s'engage à Bonn pour déterminer si une visite de ce genre signifierait ou non reconnaissance officielle. Poensgen reçoit instruction de vérifier la réalité de l'invitation et de tout faire pour que Sékou n'accepte pas cette offre, qui a de toute évidence été déclenchée par l'arrivée du chargé d'affaires ouest-allemand à Conakry, mais dont il n'est pas certain qu'elle soit déjà parvenue entre les mains du gouvernement guinéen. S'il s'avérait que cette invitation n'est pas encore acceptée, Poensgen est autorisé par télégramme du 1er septembre 1959 à inviter Sékou Touré à se rendre à Bonn, si possible dans la foulée de ses visites aux États-Unis, au Canada et en Grande-Bretagne, fixées pour novembre.
Le 4 septembre, Poensgen rencontre Fodé Cissé qui lui déclare que Sékou Touré n'envisageait pas de se rendre en RDA du moment que celle-ci n'avait pas de relations diplomatiques avec la Guinée ; ce qui confirme qu'une telle invitation est bien arrivée, mais ce qui rassure Bonn sur son acceptation. Ce qu'en revanche ne dit pas Fodé Cissé, c'est qu'une délégation — modeste il est vrai, parce que dirigée par Fodé Touré, le président de la Cour d'appel de Conakry accompagné de deux députés — sera bien présente à Berlin-Est les 6 et 7 octobre, pour le 10è anniversaire de la RDA 17, que plusieurs membres du gouvernement assistent à la réception donnée le 7 par le représentant commercial de l'Allemagne de l'Est à cette occasion, que des films de propagande sur la RDA sont projetés en public dans la capitale, qu'enfin, dix boursiers guinéens viennent de partir pour la RDA et qu'une quarantaine d'autres se prépareraient à partir. Fodé Cissé précise par ailleurs que l'invitation de la RFA serait certainement acceptée, que la date de novembre était en revanche problématique, car en plus des États-Unis, du Canada et de la Grande-Bretagne, il y avait des invitations plus anciennes provenant de la République Arabe Unie, de la Tunisie et du Maroc.
A Bonn, certains trouvent que tout cela est un peu précipité, du moins tant que les deux pays n'ont pas formellement échangé d'ambassadeurs en titre depuis Paris, Nabi Youla indique d'ailleurs que pour la Guinée, cela ne saurait tarder — et en effet, c'est lui-même qui sera également nommé à Bonn ; il y présente ses lettres de créance le 13 octobre au président Lübke ; il a revêtu un grand boubou blanc, contrairement à la cérémonie similaire de Paris, où pour ne pas rappeler au général de Gaulle Sékou Touré et les foules guinéennes vêtues de boubous blancs lors de sa visite à Conakry, il avait mis une jaquette ! 18. A Bonn, la décision est prise en septembre de demander l'agrément comme ambassadeur du Dr. Herbert Schroeder, qui pourrait arriver en Guinée en octobre. Sur le télégramme qui évoque la visite à Bonn début novembre, un haut fonctionnaire écrit à la main : “Attention, le 7 novembre, il y a le bal de la presse auquel le président fédéral se rend traditionnellement.“
Le 15 septembre, Poensgen a informé confidentiellement le chargé d'affaires français à Conakry de cette éventualité ; quelques jours plus tard, Schricke, conseiller de l'ambassade de France à Bonn, exprime son “étonnement“ et suggère que cette initiative a dû être prise par Poensgen ; il précise que tout ce qui concerne la Guinée reste très sensible à Paris “en haut lieu“. Début octobre, Fodé Cissé indique la date du 15 au 18 novembre comme celle qui convient le mieux, mais ajoute que Sékou ne veut pas rester trop longtemps absent de Guinée.
A peine l'invitation a-t-elle été formulée et acceptée en principe que les rumeurs courent : l'ambassade des États-Unis à Conakry rapporte que Sékou Touré voudrait la reporter ; quelques jours plus tard, cette même ambassade indique certains cadres guinéens affirment que c'est Bonn qui veut retarder la visite !
Le 28 octobre, alors que Sékou Touré se trouve déjà depuis deux jours aux Etats-Unis, l'ambassade d'Allemagne fédérale à Paris informe Bonn de ce que les missions diplomatiques françaises à Washington, Londres et Bonn ont été priées de ne pas s'associer aux manifestations officielles données à l'occasion de la visite de Sékou Touré ; la France avait été prise à partie de manière tellement grossière par Sékou Touré lors de manifestations de ce genre, qu'il n'y avait pas d'autre solution. Au surplus, réagissant à des informations de presse suivant lesquelles Paris considérerait ces visites comme inopportunes, le fonctionnaire responsable de la Guinée au Quai d'Orsay avait répondu que la France avait été consultée, qu'elle n'avait pas d'objections à ces visites, mais que les trois gouvernements occidentaux devaient y “voir clair“ dans l'attitude de Sékou Touré. A Bonn, l'ambassade de France avait à plusieurs reprises demandé que la visite ne soit pas “trop spectaculaire“.
L'ambassade de la RFA à Conakry propose un ordre du jour pour les discussions : politique extérieure (division de l'Allemagne, relations franco-allemandes), coopération culturelle (formateurs de mouvements de jeunesse, syndicalistes, presse), coopération économique (pêche, etc.), relations économiques (Fria, Compagnie Minière de Conakry, accord de promotion et de protection des investissements, place du secteur privé, accord commercial, commande de locomotives Diesel pour 7 millions de DM).
Le 29 octobre, Nabi Youla vient de Paris à Bonn préparer la visite. Il s'enquiert des automobiles Mercedes, des modèles, des prix. Sékou Touré envisagerait d'en acquérir une, modèle 300 Limousine, pour remplacer sa Chevrolet qui ne serait pas assez représentative. Cette remarque survient au moment où l'on parle comme cadeau pour la visite d'une reproduction en bronze des armoiries de la Guinée. Prix environ 18.000 DM. Le service du protocole est favorable à une voiture, car ce serait une excellente publicité pour l'Allemagne de l'Ouest et ses capacités économiques.
A Conakry, on se demande si Sékou Touré poursuivra après Bonn son voyage vers les pays de l'Est (Tchécoslovaquie et Union soviétique), s'il fera une halte (technique ou politique) à Berlin-Est, quelle sera la suite qu'il amènera avec lui … On remarque que début octobre, une délégation de trois personnes, dont deux députés, a participé à Berlin-Est aux cérémonies du 10ème anniversaire de la RDA.
C'est le premier voyage effectué hors d'Afrique par Sékou Touré comme président — il dure du 25 octobre au 5 décembre, soit 6 semaines. Il le mènera successivement — après des escales essentiellement techniques au Ghana et au Portugal — aux États-Unis (Washington, Caroline du Nord, Chicago, Los Angeles et bien entendu New York, où il s'adresse à l'Assemblée générale des Nations Unies en tant que chef du jeune nouvel État, alors que Félix Houphouët-Boigny l'écoute… des bancs de la délégation française, qu'il préside en tant que membre du gouvernement français !) ; la visite au Canada a été annulée à la dernière minute pour des raisons qui tiennent à l'attitude du Canada concernant des investissements dans la bauxite ; le périple se terminera par la Grande-Bretagne (pays où Nabi Youla a été nommé ambassadeur en septembre et où il présenté ses lettres de créance à la Reine Elisabeth, revêtu là encore d'un boubou), l'Allemagne, la Tchécoslovaquie et l'Union soviétique ; Sékou Touré rentrera chez lui par le Maroc, puisqu'une visite projetée en Tunisie a été annulée).
Le séjour en République fédérale, qui a le caractère de visite d'État, durera finalement deux jours, du 15 au 17 novembre, suivis de deux jours de séjour privé. A l'origine, le séjour devait durer une semaine et commencer à Hambourg et avait été raccourci à deux jours à la demande des Guinéens ; puis Sékou avait fait savoir qu'il resterait volontiers deux jours de plus s'il pouvait voir des installations industrielles intéressantes (il visitera effectivement des entreprises dans la région de Francfort, notamment Hoechst). Sékou Touré est accompagné de Madame Andrée, son épouse, de Saïfoulaye Diallo et son épouse, de Nabi Youla, des ministres Lansana Béavogui (maintenant passé à l'économie et au plan), Keita Fodéba (intérieur), du Commandant Noumandian Keita (Chef d'état-major général de l'armée), de Madame Barry, sa secrétaire, et du mari de celle-ci, directeur d'un institut de recherches agronomiques en Guinée.
Sékou Touré arrive le 15 novembre en début d'après-midi à l'aéroport de Düsseldorf-Wahn, en provenance de Londres. Il passe l'après-midi dans cette ville, puis se rend en fin de journée par train spécial à Bonn ; la gare est pavoisée aux couleurs guinéennes, il y a même un véritable éléphant. Le président fédéral et Madame Lübke accueillent à la gare le président guinéen et son épouse, qui sont vêtus de tenues africaines. La délégation est logée au château de Petersberg.
Le 16 novembre, Sékou Touré prend son petit déjeuner avec le président Lübke. Il y prononce une assez longue allocution qui montre qu'il connaît bien les préjugés qui courent à Conakry pour tenter d'isoler la Guinée de la RFA : il a sur le problème de l'Allemagne des phrases très générales mais qui conviennent parfaitement à ses interlocuteurs ; il parle de sa volonté loyale pour une coopération sans restrictions. Il fait une discrète allusion au fait qu'un grand pays comme l'Allemagne devrait travailler avec la Guinée sans se préoccuper de l'avis de l'ancienne puissance coloniale, sans pour autant compromettre les alliances existantes. Puis, il a un entretien avec le Chancelier Konrad Adenauer.
Dans ses conversations avec le ministre fédéral des affaires étrangères von Brentano, le problème de la France est abordé : von Brentano assura Sékou Touré qu'en dépit des liens excellents de la RFA avec la France, Bonn voyait la Guinée “non pas à travers les lunettes françaises, mais avec des yeux allemands“, et qu'il était même “prêt à aider la France à nettoyer quelque peu ses lunettes“. Sékou se montra discret sur ses relations avec la France, rappela qu'il n'avait pas voulu rompre complètement avec Paris cepedant que de Gaulle voulait manifestement une rupture totale avec la Guinée de Sékou Touré, et ce dernier ne montra pas d'intérêt pour une éventuelle médiation allemande dans son différend avec la France. On présente ensuite à Sékou Touré le corps diplomatique (l'ambassadeur de France à Bonn, alors François Seydoux de Clausonne, n'est pas présent). Le soir, une grande réception est donnée par le président fédéral.
Le 17, le président guinéen prend son petit déjeuner avec le vice-chancelier et ministre de l'économie, le professeur Ludwig Erhard, se rend dans les mairies de Bonn et de Bad Godesberg, participe à une réunion avec les dirigeants du Deutscher Gewerkschafts Bund (Union des syndicats allemands), rencontre la presse, assiste à une réception donnée en son honneur par le Dr. Eugen Gerstenmaier, président du Bundestag et par le Afrika-Verein (Cercle de l'Afrique), et enfin offre un dîner officiel de 60 couverts au Petersberg. Sékou Touré est décoré de l'Ordre du mérite de la République fédérale. A l'issue de la visite, un communiqué conjoint est rendu public. Sékou Touré insiste pour qu'y figure le fait qu'il a été décoré de l'Ordre national allemand. Au cours de sa conférence de presse, à laquelle assistent 200 journalistes, il élude habilement la question sur la reconnaissance de l'Allemagne de l'Est, rappelle qu'il n'a pas l'intention de visiter Berlin-Est, mais n'exclut pas qu'ille fasse peut-être à l'avenir.
Pendant ce temps, il y a un programme séparé pour les dames, avec tournée d'établissements sociaux et hospitaliers, visite de la cathédrale de Cologne, et réception à la résidence de Madame Lübke.
L'ensemble du séjour est favorisé par un temps superbe, l'atmosphère est amicale, et même chaleureuse. La population de Bonn, qui n'a pas encore vu beaucoup de visites officielles — et encore moins de leaders noirs africains — est nombreuse sur le parcours et manifeste à la fois son plaisir et sa joie.
Au terme de la visite, la délégation reçoit des cadeaux : un appareil de photo Leica, un studio pour la radio guinéenne (il sera installé dès avril 1960 dans le quartier de Camayenne), 20.000 DM. de médicaments, 1.000 paquets “culturels“ de la Croix Rouge allemande avec des adresses d'enfants allemands désireux de correspondre avec de jeunes Guinéens, un projecteur de cinéma, et enfin, une sculpture en bronze massif représentant les armoiries de la Guinée. Il n'est pas question de Mercedes. Pourtant, on apprendra plus tard que Keita Fodéba en a commandé une pour son usage personnel, et que Nabi Youla en a fait de même pour le président, ainsi que des Votkswagen pour la police. Début janvier 1960, l'un et l'autre s'enquièrent auprès du nouvel ambassadeur allemand des délais de livraison.
On a beaucoup remarqué à Bonn que les Guinéens se sont montrés très discrets lors des entretiens avec le vice-chancelier ministre de l'économie ; visiblement, leur souci était de faire une visite politique plutôt que de passer pour des quémandeurs. Telle a d'ailleurs toujours été la position officielle de la Guinée, et en particulier de son président.
Pendant ses visites aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en Allemagne, Sékou Touré avait fait l'objet de pressions croissantes, y compris dans son entourage, non seulement pour maintenir les visites en Tchécoslovaquie et en Union soviétique, mais aussi pour y ajouter l'Allemagne de l'Est. Sékou maintint pourtant ferme son refus de s'arrêter à Berlin-Est, même lorsque les soviétiques, qui avaient mis à sa disposition un avion Iliouchine 18, insistent afin qu'il abrège sa visite en RFA (il aurait pu renoncer à sa visite privée des 17 et 18 novembre) et fasse au moins une escale à Berlin-Est. Sékou Touré fit même savoir à Smirnov, l'ambassadeur soviétique à Bonn — qui l'accompagne en URSS — qu'il renoncerait à l'avion russe si celui-ci ne pouvait lui garantir un vol non-stop de Francfort jusqu'à Moscou.
L'embarquement à l'aéroport de Francfort se fit sans problèmes, et sans enthousiasme. Dans sa dernière interview à la presse allemande à l'aéroport, Sékou fit remarquer avec ironie que contrairement aux rumeurs, la Guinée n'était pas un satellite de l'URSS et que lui-même n'était pas citoyen de Moscou, et pas non plus le petit frère de Krouchtchev ! Assise à côté de l'ambassadrice soviétique, Madame Andrée regardait ostensiblement des journaux. Au moment de prendre congé, Nabi Youla, sur lequel les officiels allemands ne tarissent pas d'éloges, insiste auprès de Sékou Touré sur l'importance d'ouvrir le plus rapidement possible une ambassade à Bonn, c'est-à-dire de trouver une chancellerie et une résidence 19. Les Allemands sont également impressionnés par le fait que Sékou Touré a un certain jour prononcé sept discours ! A Moscou, pourtant, Sékou se laisse arracher une promesse de se rendre prochainement en Allemagne de l'Est.
Le retour de Sékou Touré à Conakry est triomphal. Le lendemain, Sékou Touré en fait pendant toute une journée le compte-rendu aux ministres et responsables du Parti. Le lendemain encore, il tient un meeting populaire dans la grande salle des congrès du parti. Madame Andrée et Madame Barry, invitées par des organisations de femmes soviétiques, repartent le 10 décembre dans l'avion qui les a ramenées à Conakry, pour un séjour de quelques semaines en URSS. Selon plusieurs témoignages, Sékou Touré semble avoir affirmé que c'est l'accueil en RFA qui avait été le meilleur, le plus amical, le plus chaleureux, le plus humain. Une photographie du président prise pendant son séjour à Bonn est retenue comme nouveau portrait officiel. Le 4 décembre, le Nord-und-West Deutscher Rundfunk diffuse une interview du président guinéen réalisée par Egon Bahr.
Le 14 décembre, le Dr. Herbert Schroeder, qui a assisté à une bonne partie de la visite officielle en RFA, présente ses lettres de créance à Sékou Touré. Celui-ci est en tenue africaine. Schroeder le trouve très amical et bien disposé, mais aussi fatigué et soucieux.
Fin décembre 1959, Kurt Enkelmann, vice-ministre du commerce extérieur de la RDA, visite la Guinée ; il est reçu la veille de Noël par Sékou Touré.
Coïncidence ? Le 26 décembre, Fodé Cissé informe l'ambassadeur Schroeder qu'en raison de fortes pressions exercées par les pays de l'Est et en particulier l'URSS, la Guinée s'apprête à reconnaître la RDA. Catastrophé, Schroeder informe Bonn, qui lui demande d'effectuer immédiatement une démarche de protestation, rappelant avec force tous les arguments bien connus. Quelques jours plus tard, on l'informe que Sékou Touré renonce à son intention.
Mais ce sera pas la seule alerte. Le 18 février 1960, Warnke, président du syndicat est-allemand FDGB (Freier Deutscher Gewerkschafts Bund) et vice-président de la Fédération Syndicale Mondiale (FSM) arrive en Guinée, où il reste jusqu'au 4 mars, à la tête d'une importante délégation syndicaliste. D'ailleurs, Sékou Touré l'a invité, non pas en tant que président guinéen, mais en tant que président de l'UGTAN (Union générale des Travailleurs d'Afrique Noire), formation qu'il avait contribué à lancer quelques années auparavant et dont il avait été élu président au début de 1959, alors qu'il était déjà chef d'Etat. L'établissement de relations diplomatiques est bien entendu l'un des objectifs essentiels de cette visite, mais divers projets de coopération entre syndicats sont également annoncés lors de la visite 20.
Mais de plus, la visite de Warnke coïncide avec la distribution à l'ONU par la délégation guinéenne d'un document qui accuse la RFA d'aider la France à fabriquer ses bombes atomiques et qui affirme que des soldats de la Bundeswehr camouflés au sein d'unités de la Légion étrangère se battent en Algérie aux côtés de l'armée française. La France et l'Allemagne s'indignent et protestent, la Guinée n'insiste pas ; mais c'est une nouvelle alerte, d'autant que ces accusations répètent presque mot pour mot des phrases utilisées dans ses discours par Warnke.
Et puis, au début du mois de mars 1960, une crise plus sérieuse éclate. L'ambassadeur de Guinée à Moscou, le Dr. Seydou Conté, tout de noir vêtu, écharpe blanche, et chapeau à bords roulés, est reçu à Berlin-Est par le secrétaire d'État Opitz, puis, le 6 mars, par le président de la RDA Wilhelm Pieck. Des photos de l'entrevue paraissent dans la presse est-allemande, qui se réjouit bruyamment. Le secrétaire général du SED (Parti socialiste unifié) Walter Ulbricht fait publier un communiqué. A Moscou, cette information est présentée comme très positive. Bonn a donc de sérieuses raisons de craindre qu'il y ait eu reconnaissance et remise de lettres de créance. La presse ouest-allemande est indignée. Schroeder est convoqué à Bonn ; il y part le 7 mars, après avoir vu Sékou Touré qui se dit “étonné“ et annonce qu'il va faire une enquête. Selon lui, Seydou Conté devait effectivement aller à Berlin-Est pour l'excuser auprès de Wilhelm Pieck de ne pas s'y être rendu lors de son voyage de novembre dernier, comme il l'avait laissé entendre à Moscou ; et puis, Seydou Condé devait discuter de problèmes de coopération avec ce pays qui, il ne fallait pas l'oublier, avait été l'un des tout premiers à reconnaître la Guinée. Il n'avait pas signé la lettre, c'était Abdourahmane Diallo, qui assurait l'intérim en son absence. Si on avait l'impression qu'il y avait eu remise de lettres de créance, c'est du côté d'une fausse manoeuvre de Seydou Conté qu'il fallait chercher.
Mais la rumeur court tout dans Conakry que la Guinée est le premier pays africain à avoir reconnu la RDA. Le chargé d'affaires de la RFA ne participe plus à aucune manifestation et ne sort pas de son ambassade, sur laquelle le drapeau fédéral ne flotte plus. C'est de toute manière une période de tension en Guinée : le 1er mars, Sékou Touré a décidé que la Guinée sortait de la Zone Franc; le 7, la France a bloqué tous les transferts financiers avec le pays ; le paiement des factures de fournitures ou de firmes françaises est arrêté, mais des sociétés d'autres pays, notamment allemandes, en subissent le contrecoup si elles sont passées par des banques françaises ; l'atmosphère anti-française monte ; plusieurs français sont arrêtés et l'on parle de complot. Le 1er mars, Sékou a également procédé à une réorganisation du gouvernement, laissant la défense et la sécurité publique, qui jusque là dépendaient directement de lui, à Keita Fodéba.
Schroeder, avant de partir, demande à ses collègues, notamment à l'Américain Morrow, de l'aider. Morrow décrit les choses dans son livre First American Ambassador in Guinea. Les deux hommes convietment qu'avant de rompre les relations, comme Bonn y semble prêt en vertu de la doctrine Hallstein, il faut établir les faits et les vérifier, d'autant que ce bruit a commencé à courir pendant que Sékou visitait l'intérieur du pays ; jusqu'ici, la Guinée s'était comportée comme elle l'avait promis. Après le départ de Schroeder, Morrow se rend chez le ministre Abdourahmane Diallo, “l'homme à la pipe“, qui assurait l'intérim du président. Diallo affirme qu'à sa connaissance, il n'y a eu aucune reconnaissance, aucun élément nouveau, en dépit des efforts répétés du représentant commercial est-allemand pour faire élever sa mission au rang d'ambassade maintenant que la RFA en avait une. Selon lui, la visite à Berlin-Est de l'ambassadeur Seydou Conté n'avait rien à voir avec les relations diplomatiques.
Schroeder est à Bonn, où tout le monde est déchaîné. Nabi Youla, qui se trouve à Paris, est convoqué par le ministre fédéral von Brentano lui-même, qui le presse de questions. Le 16 mars, Nabi Youla remet à ses interlocuteurs une lettre de Sékou Touré au chancelier Adenauer, dans laquelle il l'assure qu'il n'y pas de relations diplomatiques entre la Guinée et la RDA. Les Allemands ne se contentent pas de ces explications, ce qui amène les Guinéens à regretter que Bonn préfère croire Walter Ulbricht que Sékou Touré. Nabi Youla se voit remettre un questionnaire précis en 7 points : l'ambassadeur Seydou Conté a-t-il remis oui ou non des lettres de créance ? Wilhelm Pieck a-t-il oui ou non prononcé le discours que l'on a publié ? Etc. Sans formuler d'ultimatum, Bonn estime que Conakry devrait y répondre en 48 heures.
Finalement, le 31 mars, pressé d'obtenir une réponse précise et irréfutable, Bonn dépêche en Guinée l'un des sous-secrétaires d'État aux affaires étrangères, von Etzdorf, qui arrive — sans être annoncé — le 1er avril à Conakry, flanqué de Nabi Youla. Sékou Touré vient de partir pour Kankan où il préside du 2 au 5 avril une conférence nationale des cadres du PDG, celle qui adopta le premier Plan triennal 21.
Nabi Youla se rappelle que la délégation arriva sur place à l'issue d'un pénible et long voyage par la route, et qu'elle entra dans la salle de séances encore entièrement poudrée de poussière de latérite rouge. Devant la conférence, Sékou Touré déclare, commentant son voyage de l'automne précédent : “Vis-à-vis de notre pays, la délégation a mis fin réellement à une certaine politique d'isolement, à une certaine politique de diversion ou de dénigrement. Certes nous ne devons pas nous attendre à des miracles dans ce domaine ; il y aura encore des notes discordantes, il y aura encore des erreurs d'appréciation, des incompréhensions, des oppositions tacites, mais pour l'essentiel, la situation est éclairée.“ 22
A l'issue de plusieurs entretiens à Kankan, puis à Conakry, il est déclaré officiellement que l'Allemagne de l'Est n'ouvre pas d'ambassade en Guinée et qu'il n'est pas question de rupture entre Bonn et Conakry. Un communiqué conjoint est même rendu public et lu à la radio guinéenne le 7 avril, 2 jours après le départ de von Etzdorf le 5, à la suite d'une dernière entrevue avec Sékou pour en finaliser le texte. Le 8 avril, le ministre fédéral von Brentano peut déclarer devant le Bundestag, sous les applaudissements de tous les partis, qu'il n'y avait pas eu de remise de lettres de créance, et qu'il n'y avait pas eu d'établissement de relations diplomatiques entre la Guinée et les autorités de Pankow.
La vérité semble être toutefois que la reconnaissance avait été effectivement décidée et même effectuée, mais que les rapides et vives réactions de Bonn ont entraîné une marche arrière de Conakry. D'ailleurs, celui qui devait être le futur ambassadeur de l'Allemagne de l'Est, Karl Nohr, était bel et bien déjà arrivé incognito à Conakry le 13 mars ; il attendra vainement, pendant plusieurs semaines, dans les locaux de la représentation commerciale, avant d'être discrètement rappelé à Berlin-Est 23. Pendant la visite de von Etzdorf, un envoyé spécial de Pankow, Kurella, a multiplié de son côté les démarches inverses. C'est un sévère camouflet pour la RDA, qui ne parvient pas à marquer un point qu'elle jugeait acquis ; elle mettra dix ans à prendre sa revanche. Nabi Youla ne manque pas de souligner à propos de la gestion de cette délicate affaire l'“intelligence“ de Sékou Touré 24.
Quelques jours après ce dénouement, Peter Florin, membre du Comité central du parti SED (Sozialistische Einheitspartei Deutschlands (Parti socialiste unifié d'Allemagne) de la RDA et président de la commission des affaires étrangères de la Chambre populaire (plus tard vice ministre des affaires étrangères) vient à Conakry pour obtenir des explications et rétablir les choses. Il en profite pour féliciter Sékou Touré pour les succès remportés sur “l'impérialisme français et ses séides“.
Au cours des mois suivants, plusieurs délégations (notamment du Conseil central de la Jeunesse Allemande Libre — Freie Deutsche Jugend FDJ) viennent en Guinée examiner des projets de coopération et d'échanges. Madame Camara Loffo, membre du Bureau Politique, effectue en juillet un “voyage d'information“ en RDA. Le 31 octobre, une exposition de produits industriels de la RDA est inaugurée à Conakry. Première personnalité guinéenne à se rendre en RFA après cette sérieuse crise, le ministre du plan, Nfamara Keita, y séjourne deux semaines à partir du 17 octobre 1960.
Arrivé à Conakry le 10 juin 1960, le Dr. Erich Boltze, haut fonctionnaire à la retraite, conduit une délégation ouest-allemande chargée d'examiner une série de projets de coopération ; des protocoles portant sur 3,5 millions de DM sont signés le 18 juin. Une autre délégation dirigée par M. Schlitter signe le 7 juillet 1960 un accord commercial. La Guinée reçoit pour 1961 un plafond de garantie Hermès (assurance-crédit) de 50 millions de DM pour des biens d'équipement, cependant qu'il est prévu 6 millions de dollars d'échanges commerciaux.

Mais on s'aperçoit rapidement que les exportations guinéennes ne couvrent plus les importations qu'à concurrence de 10 %.
Le minerai de fer est tombé de 100.000 tonnes par an à 30.000. 6 millions de crédits auront été utilisés sur l'exercice 1959, 42 millions en 1961.

En mai 1961 sera signé un accord-cadre complémentaire portant sur 25 millions de DM destinés au financement de projets, notamment dans le domaine de l'eau. Dans le cadre de ce protocole d'assurance-crédit, les projets suivants ont été financés et réalisés :

Par ailleurs, en 1961, les projets de coopération technique suivants sont en cours :

Parmi les projets encore à l'étude, il faut signaler des plans de lutte contre l'onchocercose et le trachome, la fourniture d'une clinique ophtalmologique, la modernisation de l'ancien abattoir de la capitale, l'attribution de quinze bourses supplémentaires de formation technique. Un crédit de caisse de 5 millions de DM a été consenti par la Kreditanstalt fur Wiederaufbau à la Banque centrale de Guinée, pour financer des importations de biens de consommation. La société Consafrique, qui reçoit une importante concession pour l'exploitation de nouvelles mines de fer, bénéficie d'une participation de 16% de la Deutscbe Bank.
Le 13 décembre 1961, un cotre destiné à la recherche piscicole arrive au port de Conakry; il doit être remis solennellement à Sékou Touré par le président fédéral allemand lors de sa visite en janvier 1962.
En outre, dès la publication en 1961 d'un code guinéen d'investissements, l'Allemagne fédérale est le premier pays à conclure avec la Guinée une convention de promotion et de protection des investissements.
Cet accord est signé le 19 avril 1962 et entrera en vigueur le 13 mars 1965. Le 9 mars 1961 entre également en vigueur un protocole dans le domaine de la marine marchande, signé l'année précédente. Le 19 avril 1962 sera signé aussi un protocole sur les relations aériennes.
A cette date, l'Allemagne de l'Est s'est pour l'essentiel consacrée à un projet d'imprimerie nationale (la future Imprimerie Patrice Lumumba), dont la construction est en cours en 1962. Une manifestation d'inauguration y a eu lieu le 2 octobre 1961, mais elle n'est entrée en service que bien plus tard 26.
Elle rencontre vite de sérieux problèmes de fonctionnement ; les installations de clichage, notamment, ne sont pas prévues pour le climat tropical humide. Pourtant, ironie du sort, on réussira à y imprimer … les portraits du président de la RFA Lübke lors de sa visite officielle ! Pas très satisfaits de ce projet, les Guinéens feront traîner le règlement financier.
Le 1er février 1961, Madame Hubner, directrice des émissions enfantines de Radio-Berlin (Est) accompagnée par M. Penzel, responsable du mouvement des Jeunes pionniers de Berlin-Est, arrive à Conakry ; ils représentent l'“opération Sily“, menée par plusieurs organisations de jeunesse de la RDA pour recueillir des fournitures scolaires au profit des enfants guinéens. Le premier envoi arrive à Conakry le 7 février et il est immédiatement distribué aux écoles de la capitale. Un communiqué publié le 23 février, avant le départ de la délégation allemande, annonce que quatre “pionniers“ guinéens et un moniteur seront les invités de l'organisation de jeunes Ernst Thiilmann en août prochain. Des envois de brochures et de disques ainsi qu'une exposition sont prévus à Conakry à la fin de l'année.
Ce sont également les allemands de l'Est qui aident, par l'intermédiaire de leur maison d'édition universitaire Akademie Verlag, l'édition de certaines publications de l'Institut national de recherches et de documentation de Guinée (INRDG), héritier de l'ancien IFAN colonial (Institut français d'Afrique Noire), alors dirigé par un universitaire français communiste, le professeur Jean Suret-Canale; cette coopération permet la publication de la revue Recherches Africaines, qui prend ainsi la suite des anciennes Etudes guinéennes de l'IFAN. Il en paraît un numéro en 1959, quatre en 1960, autant en 1961, deux enfin en 1962 (c'est l'Imprimerie Patrice Lumumba, alors entrée en service, qui imprime les deux derniers numéros de 1962 et les quatre de 1963).

[Erratum. Recherches Africaines parut jusqu'en 1964 voire 1965. — T.S. Bah]

C'est aussi l'Akadernie Verlag qui publia en 1964 pour le compte de l'INRDG un inventaire des Archives nationales de Guinée ; le second volume parut en 1969, mais à Stuttgart, “petite revanche de la RFA dans sa ‘concurrence’ avec la RDA”, comme le note Jean Suret-Canale 27.
A Conakry, à Kankan et dans quelques autres villes, les Allemands de l'Est mettent en place des réseaux de haut-parleurs qui diffusent des informations et les mots d'ordre du Parti ; ils construisent dans la capitale un théâtre en plein air ; ces installations ne fonctionneront que quelques mois.
Un accord de coopération scientifique et technique est signé le 7 juillet 1961. Quelques jours plus tard, Gerald Gôtting, vice-président du conseil d'État et secrétaire général du parti chrétien-démocrate (qui existe toujours en RDA) séjoume en Guinée; il est reçu par Sékou Touré le 27 juillet. En 1961, la RDA est le deuxième importateur de produits guinéens. Mais il n'y a plus eu de visites ministérielles guinéennes en RDA depuis 1960. Une délégation de niveau non ministériel est envoyée à Berlin-Est pour le 12ème anniversaire de la RDA, mais les Ballets africains s'y produisent le 13 octobre 1961, ce qui n'est guère moins symbolique qu'une visite ministérielle.
Le 17 août 1961, l'ambassade de la RFA à Conakry reçoit, de même que son homologue à Lomé au Togo, une lettre du ministère à Bonn lui faisant part de l'intention du président fédéral se rendre au printemps 1962 en Guinée et au Togo, suite aux visites d'État effectuées en novembre 1959 par Sékou Touré et en mai 1961 par le président togolais Sylvanus Olympio ; le président Lübke a également l'intention de visiter le Liberia. Compte tenu de la crise de Berlin qui sévit alors (elle débouchera sur la construction du fameux mur), on demande à l'ambassadeur de ne pas encore faire état de ce projet, mais de faire connaître à Bonn les conditions climatiques ainsi que la durée idéale d'un tel séjour dans chacun des pays envisagés.
Toutefois, les services de Bonn ont dû prendre contact avec l'ambassade de Guinée 28, car lorsque l'ambassadeur Schroeder répond, il s'aperçoit qu'un projet de programme a déjà été proposé à Bonn. Schroeder se borne donc à commenter, par dépêche du 30 octobre, ce qui a été déjà été élaboré : une visite d'une durée de quatre jours, un déplacement à Kindia et un autre à Fria, Il donne le conseil d'amener d'Allemagne de quoi offrir une réception pour 300 personnes, de se munir de costumes légers et d'un smoking blanc, d'apporter pour la voiture officielle un fanion présidentiel, etc. Il donnera plus tard des conseils vestimentaires pour Madame Lübke, des idées de cadeaux pour les personnalités et les responsables du protocole et de l'accueil. Rapidement, la date est fixée, quelques jours plus tôt que prévu à l'origine.
La visite du couple présidentiel commence le 15 janvier 1962, premier anniversaire de l'élection de Sékou Touré comme chef d'État, et dure jusqu'au 17. Accompagné par le nouveau ministre fédéral des affaires étrangères Gerhard Schroeder (homonyme de l'ambassadeur et du futur chancelier allemand) et son épouse 29, ainsi que par un très nombreuse délégation, le président de la RFA est accueilli avec faste et avec une grande mobilisation populaire. Il est logé dans la villa présidentielle de Coleah (les cases de Belle-Vue, qui serviront ultérieurement pour loger les hôtes de marque, seront construites quelques années plus tard par la RFA, peut-être parce que la villa de Coleah a été jugée un peu sommaire).
Au cours de la visite, la délégation allemande exprime avec une certaine insistance le souhait que la Guinée nomme à Bonn un ambassadeur qui soit différent de celui qui représente Conakry à Paris, car on sent bien que les relations de la Guinée avec la France continuent à être acrimonieuses, et l'on ne veut pas qu'elles pèsent sur les rapports entre Bonn et Conakry, que l'on souhaite développer dans l'esprit le plus positif. Sékou Touré donne son accord, et accepte même que Na bi Y ou la, dont le nom a été avancé par les Allemands, soit désigné à ce poste, où il présentera ses lettres de créance dès le 23 mars 1962 30.
Le seul moment difficile de la visite est la rédaction du communiqué conjoint ; les Allemands ne parviennent pas à introduire les mots “autodétermination“ ou “volonté de l'ensemble du peuple allemand“, et doivent se contenter d'une vague “solution pacifique et juste de la question allemande“. Mais il est indiscutable que le courant est passé entre les deux hommes. Un ministre guinéen dit que “l'heure de l'Allemagne a sonné en Guinée“. Ceci d'autant plus que le président de la RFA est arrivé en Guinée quelques jours après la difficile visite d'Anastase Mikoyan, vice-Premier ministre de l'URSS, venu pour tenter de rétablir la qualité des relations guinéo-soviétiques après l'expulsion, en décembre 1961, de l'ambassadeur d'Union soviétique à la suite du Complot des enseignants dans lequel son pays est accusé d'avoir joué un rôle.
A cette date, il y a 35 ambassades installées à Conakry, dont 11 communistes, 8 occidentales (Israël inclus), 16 afro-asiatiques. L'ambassade mentionne que le climat s'est sensiblement amélioré en faveur de la RFA ; des ministres qui ne passaient pas pour favorables se sont empressés de faire des voyages en RFA ; ainsi Madame Camara Loffo, la secrétaire d'État aux affaires sociales. En avril/mai 1962, quatre ministres, parmi lesquels Keita Fodéba, ministre de la défense et de la sécurité, séjournent en RFA. Certes, à Berlin-Ouest, ils refusent de se laisser photographier devant le fameux “Mur de la honte”, mais ils n'hésitent pas à critiquer ouvertement l'attitude des pays de l'Est, en particulier de la RDA.
Keita Fodéba affirme que la Guinée a dû rappeler ses 48 boursiers en Allemagne de l'Est, en raison de mauvaises conditions d'accueil et de formation insuffisante (quarante avaient obéi, cinq n'étaient rentrés au pays qu'après de fortes pressions, trois s'étaient refusés à rentrer et avaient été déchus de la nationalité guinéenne). La délégation guinéenne prend contact avec les dirigeants de la firme aluminière allemande Vereinigte Aluminium Werke (VAW), pour les intéresser à l'exploitation du gisement de bauxite de Sangarédi : une décennie plus tard, la V A W entrera effectivement comme partenaire dans la Compagnie des Bauxites de Guinée (CBG).
Avec son homologue Franz-Josef Strauss, Keita Fodéba, qui a visité en Bavière des unités du Génie, évoque une aide militaire de la RFA, pour ne pas dépendre des seules sources tchèques ; la réponse est négative quant à des armements, des équipements ou des munitions, mais positive pour une assistance technique ou économique. On en verra les premiers signes en février 1963, lorsqu'arrive à Conakry un détachement de six militaires de la Bundeswehr en grand uniforme (le port de l'uniforme a été expressément demandé par Fodéba) ; suivis de quelques autres, ils s'occuperont d'assistance à la construction de routes.
Quant à l'inspecteur général de l'éducation nationale Senaïnon Béhanzin, qui vantait naguère les mérites des professeurs chinois comme bien meilleurs que n'importe quel enseignant occidental, il vient en juin 1962 à l'ambassade de Bonn demander l'envoi de 29 professeurs ou moniteurs allemands (12 de mathématiques, 8 de physique et de chimie, 2 de biologie et de géologie, 3 d'électricité et 4 de maçonnerie). L'ambassadeur Schroeder juge très positive cette évolution, et il conseille vivement de répondre positivement aux demandes guinéennes, car, rappelle-t-il, la Guinée demandait jusqu'ici de l'aide économique et matérielle aux Occidentaux, mais des concours idéologiques et intellectuels aux pays socialistes.
Les années 62 et 63 voient ainsi se développer une coopération exemplaire et de plus en plus intense. L'ambassadeur Schroeder 31 est remplacé par Karl-Heinz Wever, qui présente ses lettres de créance le 9 avril 1962, et restera jusqu'en 1964.
Les 50 millions de DM de crédits octroyés en 1962 seront consacrés pour 30 millions à l'installation de 77 kilomètres de canalisations d'eau dans la capitale (firme Phoenix-Rheinrohr), pour 15 millions à du matériel de chemin de fer, et pour 5 millions à l'amélioration du réseau téléphonique. A ces chiffres s'ajoutent dès 1963 30 millions d'aide militaire.
En novembre 1962, Sékou Touré songe à aller prendre pour quelques jours de repos en Forêt-Noire, où son épouse s'est déjà rendue ; il y renonce au dernier moment. En 1963, Sékou Touré reçoit une nouvelle invitation à se rendre en Allemagne pour s'y reposer, mais il ne donne pas suite à cette proposition. En revanche, Madame Andrée arrive le 8 janvier 1964 à Bonn et se rend dans une clinique réputée du complexe hospitalo-universitaire de l'université de Bonn, sur le Venusberg, où elle se soumet à un contrôle médical approfondi dans le service du professeur Dr. Adolf Heymer 32.
Ensuite, elle part se reposer trois semaines en Forêt-Noire, à Buhl près de Baden-Baden, dans le majestueux et luxueux Bühlerhôhe-Schlosshotel où le chancelier Adenauer a par sa part coutume de séjourner ; c'est d'ailleurs le chancelier qui a lui-même conseillé cet établissement. Les frais sont pris en charge par le gouvernement allemand.
Ismaël Touré, le demi-frère de Sékou Touré, ministre de l'économie, séjourne en Allemagne fin février 1964 33, et annonce que le président guinéen envisage de venir à son tour dans la deuxième moitié de mars, à l'issue d'une visite officielle en Algérie, et avant de repartir pour la Tunisie. Il passerait ainsi quelques jours avec sa femme qui suivait un traitement médical en Allemagne ; au terme de quelques jours passés à se reposer, il pourrait venir à Bonn pour quelques contacts politiques. Viendraient avec lui les ministres des affaires étrangères et de la défense — ce dernier devait signer un accord avec son homologue. Il souhaiterait se faire examiner aussi — malheureusement la date proposée tombait le samedi de Pâques — par le médecin qui traite également Madame Andrée, le professeur Adolf Heymer.
Les dates du séjour envisagé — 26 au 30 mars — sont incommodes pour tout le monde, car ce sont justement les vacances de Pâques. Le professeur Heymer accepte cependant d'examiner Sékou, mais seulement le jeudi ; le président fédéral veut bien offrir un petit déjeuner et proposer un entretien le 26 mars ; le séjour climatique pourrait avoir lieu dans un bel hôtel d'une région boisée près de Francfort, d'où le couple pourrait repartir le 30 à destination de la Tunisie et du Maroc. Mais peu après, le président guinéen fait savoir qu'au lieu d'un séjour de détente, il préférait une visite non officielle pour laquelle il serait accompagné de trois ministres (Diakité Moussa, ministre de la justice, venait s'ajouter aux deux ministres déjà prévus). A moins d'une semaine de l'arrivée prévue, l'ambassade de Guinée à Bonn fait savoir que finalement, le président arriverait non pas le 26, mais le 24, et repartirait dès le 27 34.
Au cours de cette visite, le président Lübke parle surtout à “son ami Sékou Touré” du problème allemand, et expose les thèses de l'Allemagne fédérale pour lesquelles le leader guinéen semble manifester de la compréhension. Sur le plan économique, les guinéens ne demandent pas grand chose : on évoque la livraison d'un deuxième chalutier, des installations pour le fumage du poisson, la construction de la route Mamou-Faranah, la participation d'entreprises allemandes à l'exploitation de la bauxite de Boké.
Le 25 mars, Keita Fodéba signe avec le nouveau ministre fédéral de la défense, Kai Uwe von Hassel (qui a remplacé à ce poste Franz-Josef Strauss en novembre 1962) un accord prévoyant un concours important de l'Allemagne pour des activités de défense et de développement menées par l'armée guinéenne. Alors que l'aide économique s'élève pour 1965 à 85 millions de DM (dont 50 millions pour la conduite d'eau du barrage des Grandes Chutes jusqu'à Conakry), 30 millions supplémentaires sont consacrés à des fournitures et équipements militaires (Ausrüstungs und Ausbildungshilfe). La RFA s'occupe de la formation de parachutistes, soit en Guinée même (notamment à Labé), soit par des stages en Allemagne.
Deux compagnies de jeunes pionniers payés sur ces crédits et encadrés par une dizaine de militaires allemands ont également réalisé des centaines de kilomètres de pistes et de routes (opération Génie-Routes). La coopération militaire se développe vite et bien, au point que des avions militaires ouest-allemands viennent régulièrement apporter équipements, matériels et approvisionnements, ou assurer les mouvements du personnel 35.
N'oublions pas qu'en cette époque, deux décennies à peine après la fin du deuxième conflit mondial, il est encore exceptionnel pour des militaires allemands de se rendre “professionnellement” à l'étranger afin d'y faire oeuvre positive ; aussi les responsables militaires de la Bundeswehr sont-ils très favorables à ces projets et s'y engagent-ils avec un réel enthousiasme. On est convaincu à Bonn que ces instructeurs remplaceront progressivement ceux fournis par les pays de l'Est. A la fin des années 60, c'est le major Franz-Josef Clauditz qui commande ces unités.
Souvent réalisés par la firme Fritz Werner, qui construit et installe aussi les usines militaires, d'autres projets sont entrepris au cours des années : goudronnage des rues de Conakry et de l'axe qui va du Kilomètre 36 à Dubréka, reconstruction de l'abattoir de Conakry 36, modernisation des réseaux téléphoniques de Conakry et de Kankan et du centre de réception de Wonkifong, activités de formation à l'école nationale pratique des télécommunications de Kaporo (établissement lui-même construit largement sur des financements de la RFA), réalisation d'ateliers de réparation de matériel agricole, aménagement des studios de radiodiffusion de La Voix de la Révolution dans le quartier de Boulbinet, coopération avec Sily-Films dans le domaine cinématographique et construction à Boulbinet d'un laboratoire cinématographique (accord de 1964) 37.
D'autres dossiers économiques importants sont mis à l'étude, notamment dans le domaine des chemins de fer. En dehors de Fritz Werner, les firmes allemandes Siemens et Philipp Holzmann (longtemps dirigée par Manfred Weise) ouvrent dans la décennie 60 de nombreux chantiers en Guinée. De même, la Poste allemande (Deutsche Bundespost) mène d'importants travaux de modernisation dans un secteur qu'affectionne Sékou Touré, qui n'oublie jamais qu'il a commencé sa carrière (et la lutte syndicale) dans l'administration des postes. En septembre 1964, un nouvel ambassadeur de RFA, le Dr. Walter Haas, s'installe à Conakry. Quelques jours après son arrivée, une délégation de six députés du Bundestag vient passer quelques jours en Guinée.
Contrairement à la pratique des délégations occidentales, elle dépose une gerbe au monument “aux martyrs du colonialisme” , ce qui entraîne une protestation française. Le 6 novembre, c'est le directeur général de la Deutsche Bank qui se rend à Conakry pour y discuter de la dette guinéenne.
Début octobre 1964, Scholtz, vice-président du conseil de la RDA préside une délégation venue pour le 6ème anniversaire de l'indépendance. A cette date, 96 étudiants guinéens se trouvent en RDA, ainsi qu'une centaine d'ouvriers stagiaires en formation.

Quelques mois plus tard, le ministre fédéral de la défense Kai Uwe von Hassel se rend en visite officielle en Guinée du 28 décembre 1964 au 5 janvier 1965. Il dépose lui aussi une gerbe au monument des martyrs du colonialisme.

Mais le but essentiel de son séjour est de poser les premières pierres d'une usine textile, d'une usine de chaussures avec tannerie et d'un atelier de réparation de véhicules militaires, les trois installations étant construites avec des crédits du budget allemand de la défense et devant être gérées par l'armée guinéenne, dont Sékou Touré avait ordonné qu'elle intervienne désormais dans la production et le développement. Il était également prévu que ces usines militaires seraient équipées de matériel allemand, recevraient au moins au début des matières premières venues d'Allemagne et démarreraient avec le concours d'experts allemands. Elles travailleraient pour les besoins de l'armée guinéenne (uniformes, chemises, chaussures, etc.) mais au-delà, pour les besoins civils. En effet, ces installations, familièrement dénommées UMC — Usines Militaires de Conakry —, installées au Kilomètre 18, ont une capacité annuelle de 60.000 chemises, 60.000 pantalons, 45.000 vestes, 60.000 paires de chaussures.
L'atelier de chaussures emploie 163 ouvriers, la tannerie 85, le centre de réparation de véhicules 145.

Pendant la visite du ministre, le navire-hôpital américain Hope se trouve à quai à Conakry, où il devait rester plusieurs mois. Un incident caractéristique intervient pendant ce séjour : une quantité très importante de lait en poudre qui se trouve à bord et dont la Guinée a un besoin urgent pour l'alimentation des nouveau-nés et des jeunes enfants, ne peut être débarquée parce que Sékou Touré refuse qu'un médecin américain soit présent pour aider à superviser l'opération.
Kai Uwe von Hassel passe une partie notable de son séjour à visiter l'intérieur de la Guinée : Kindia, Kankan, Nzérékoré … Keita Fodéba est fier de lui donner au Camp Samory une représentation de ses fameux Ballets guinéens, fondés sous le nom de Ballets Africains dans les années 1950, alors qu'il se trouvait encore en France, et qui viennent de rentrer d'une longue tournée triomphale à l'étranger.
Lors de ses allocutions, le ministre allemand ne manque pas une occasion de dire, paraphrasant le fameux Ich bin ein Berliner … de John Kennedy lors de sa visite à Berlin : “Je suis un véritable africain”. En effet, Kai Uwe von Hassel était né à Gare, au Tanganyika, en 1913, c'est-à-dire à une époque où ce territoire était encore une colonie allemande. Jeune garçon, il était retourné en Allemagne à la fin de la guerre, mais était revenu bien plus tard, de 1935 à 1939, au Tanganyika devenu anglais, comme commerçant et exploitant agricole. De plus, le ministre parle un excellent français et n'a pas besoin d'interprète, même lors des allocutions qu'il prononce pendant ses déplacements dans les régions, où il est accueilli comme un véritable chef d'État.
A Conakry même, le ministre participe à deux réceptions données par l'ambassadeur pour réunir, à l'occasion des fêtes de fin d'année, les résidents, experts et soldats allemands présents dans le pays. Parmi eux, arrivé depuis environ un an, un certain Adolf Marx, directeur technique de la brasserie Sobragui, dont nous aurons l'occasion de reparler. Von Hassel offre lui-même une réception pour 400 personnes. Le 30 au soir, Sékou Touré donne un dîner restreint.

La pose de la première pierre des usines militaires a lieu le 31 décembre. Le soir même, le ministre Keita Fodéba et son épouse Marie Fodéba Diakité donnent chez eux une soirée de réveillon où toutes les personnalités guinéennes qui comptent à Conakry sont conviées et sont le plus souvent effectivement présentes, y compris Madame Sékou Touré 38.
De son côté, le chef de l'État fait une allusion directe au problème allemand dans le discours qu'il prononce devant le corps diplomatique : “Pour chacune des nations que vous représentez, nous souhaitons les mêmes victoires, pour que partout où il y a division, l'unité triomphe, et que les nations divisées arbitrairement soient réunies au cours de l'année 1965.”
Nabi Youla est devenu entre-temps secrétaire d'État à l'information et au tourisme, et a donc quitté Bonn, du moins pour un temps. Il continue néanmoins à s'intéresser à l'Allemagne ; le 12 mars 1965, il revient signer à Bonn avec le secrétaire d'État Lahr un accord concernant l'un des secteurs qui relèvent de ses attributions, la radiodiffusion (construction de quatre studios y compris le bâtiment pour les abriter, fourniture de deux cars Volkswagen de reportage et de sonorisation, ainsi qu'un groupe électrogène, assistance technique et formation de personnel pendant trois ans avec deux conseillers pour les programmes et deux formateurs, le tout pour un montant de 3,5 millions de DM), et conclut le 3 juin 1965, avec le même partenaire, un accord de prêt de 30 millions de DM.
Quelques mois plus tard, du 11 au 21 septembre, un ancien secrétaire d'État à la retraite, von Scherpenberg, vient, en tant qu'envoyé spécial du président Lübke, remettre un message personnel de celui-ci à Sékou Touré.

En 1965, la RDA se montre particulièrement active en Guinée. Wilhelm Kirschey, malade, a quitté le pays le 18 décembre 1962 ; après un intérim de Gerhard Krause, son successeur est Siegfried Kempf. Une délégation conduite par les ministres Fofana Karim et Toumani Sangaré participe à Berlin-Est aux cérémonies commémoratives du 8 mai 1945. Un nouvel accord culturel est signé le 15 juin 1965. Plusieurs cadres de la région de Fria vont en visite en RDA, cependant que le vice-ministre du commerce est-allemand Erich Wiichter est présent en Guinée du 31 juillet au 9 août ; le 6, il signe un protocole d'aide économique dont le montant n'est pas rendu public. A la même époque, cinq secrétaires généraux de régions administratives de Guinée se rendent à Weimar pour y participer pendant sept semaines à un séminaire des conseillers municipaux. Le 10 décembre, Erich Wächter et El Hadj Fofana, vice-ministre guinéen du commerce extérieur et des banques, signent à Berlin un accord de commerce et de paiement pour les années 66-70, qui table sur un doublement des échanges 39.

Du 2 au 11 décembre, une délégation de l'Assemblée populaire de la RDA dirigée par le vice-président Gôtting séjourne en Guinée, en même temps d'ailleurs qu'une équipe de basketball. Götting est reçu par Sékou Touré lui-même, ce qui n'était pas forcément la règle les années précédentes. Le président réagit avec vivacité aux observations que lui fait l'ambassadeur de la RFA, en disant qu'il n'avait pas de comptes à rendre et qu'il ne s'abaisserait pas à réfuter les affirmations mensongères de la presse (il sous-entend, semble-t-il, est-allemande) ; la visite de cette délégation n'avait guère eu de résonance en Guinée. D'ailleurs, Nabi Youla, qui vient d'être à nouveau nommé ambassadeur à Bonn, serait autorisé à confirmer ces déclarations.

Le 20 décembre 1965, Nabi Youla présente une nouvelle fois ses lettres de créance. On note qu'en juillet de cette année, Sékou Touré s'est rendu en Union soviétique et qu'en novembre, les relations diplomatiques ont été rompues avec la France, puis peu après avec la Grande-Bretagne, dans ce dernier cas en raison de la Rhodésie du Sud et du régime lan Smith. En 1965, Bonn observe encore scrupuleusement les activités de la RDA et réagit avec vigueur. L'ambassade constate que si Sékou Touré a bien tenu ses engagements de ne pas élever le statut de la représentation commerciale est-allemande, les contacts de substance se multiplient, et la population guinéenne s'accoutume progressivement à l'idée qu'il existe deux Allemagne. En septembre, deux personnalités guinéennes, Moussa Diakité, ministre du commerce extérieur, et Mamouna Touré, vice-président de l'Assemblée, se rendent à la Foire de Leipzig.

L'année 1966, qui voit les tensions s'accroître en Guinée à la suite du coup d'État qui renverse Nkrumah au Ghana, ne paraît pas très positive pour la RFA. Du 28 au 31 avril, le ministre des affaires étrangères de la RDA, Otto Winzer, séjourne à Conakry. C'est le plus haut dignitaire de la RDA à s'être jusqu'ici rendu en Guinée. Il remet à Sékou Touré des lettres de Walter Ulbricht, président de la RDA, et de Willi Stoph, président du Conseil des ministres. A certains de ses interlocuteurs guinéens ou diplomates, Winzer déclare qu'il est surtout venu chercher l'appui de la Guinée à l'admission des deux Allemagne à l'ONU. Mais aucun communiqué conjoint n'est rendu public à la fin de la visite.
En juillet, une erreur du service du courrier du ministère guinéen des affaires étrangères met l'ambassade de RFA en possession d'une lettre adressée au représentant commercial de la RDA par Magassouba Moriba, secrétaire d'Etat à l'Intérieur et à la sécurité. Cette correspondance sollicite de Berlin-Est la fourniture rapide de 60.000 passeports (30.000 ordinaires, 28.000 passeports spéciaux pour le pèlerinage à La Mecque, 1.000 passeports de service, et 1.000 passeports diplomatiques). Personne ne savait rien jusque là d'une coopération entre les services de sécurité guinéens et est-allemands 40.
Peu de personnes étaient informées de l'affaire identique lancée en 1959 par Keita Fodéba, et dont il a été question plus haut.
Peter Florin, importante personnalité déjà mentionnée, séjourne en Guinée du 25 août au 6 septembre. On évoque la construction par l'Allemagne de l'Est d'une usine de fabrication de motocyclettes et de scooters à Kankan. Lorsque Florin repart pour Berlin-Est, quatre parlementaires guinéens dirigés par Mamouna Touré, membre du Bureau politique national et vice-président de l'Assemblée, l'accompagnent ; au cours de leur séjour de deux semaines, ils visiteront notamment la Foire de Leipzig. A la même époque, Toumani Sangaré, secrétaire d'État à la justice, fait un séjour en RDA, de même qu'Alassane Diop, ministre des postes et télécommunications.
Dans l'autre sens, les archives ne font mention que de la visite en RFA, à peu près à la même époque, en septembre 1966, d'Ismaël Touré, ministre du développement économique et des travaux publics, et de Lansana Diané, ministre de l'armée populaire et du service civique. Mais celui-ci conseille aux Allemands de parler avec l'autre Allemagne sur un pied d'égalité. A Conakry, de plus en plus de gens sont persuadés de l'existence de deux Allemagne, l'Allemagne de l'Ouest et l'Allemagne démocratique. L'ambassade se demande si Conakry ne s'apprête pas à modifier sa position à ce sujet et constate que “le temps ne travaille pas pour nous”. Tout repose sur les sentiments personnels que Sékou Touré nourrit pour la RFA et pour le président Lübke, conclut le chargé d'affaires, le Dr. Sulimma 41.
D'ailleurs, le 26 septembre, Sékou remercie ce dernier pour l'accueil réservé en RFA à Ismaël Touré et à Lansana Diané, et précise qu'il attend les prochaines fêtes (celles de l'indépendance début octobre) pour décider de la date à laquelle il se rendra en Allemagne.
Entre-temps, en effet, Bonn avait de nouveau invité Madame Andrée à venir en RFA en villégiature pour deux ou trois semaines. Comme elle peut elle-même choisir le lieu de son séjour, elle décide de revenir à Bühlerhöhe. Le Dr. Sulimma transmet le 20 juin l'invitation à Diallo Alpha Abdoulaye, dit 'Porthos', secrétaire général du ministère des affaires étrangères, chargé de l'intérim de Béavogui, devenu ministre des affaires étrangères, absent. Quelques jours plus tard, le 27, Sékou Touré fait savoir qu'il serait heureux d'aller lui-même passer une semaine en Allemagne, de s'y faire soigner, en particulier pour des troubles circulatoires, et d'avoir des entretiens avec le président fédéral, le chancelier et le ministre des affaires étrangères ; il l'avait d'ailleurs déjà laissé entendre à un journaliste de la Deutsche Welle, Teuscher, venu le voir à deux reprises pour une interview qu'il avait accordée début juin.
A la surprise générale, le 21 juillet, Radio Conakry diffuse le communiqué suivant : “Le gouvernement et le peuple de Guinée sont très sensibles à l'invitation du président Lübke qui s'insère dans le cadre des bonnes relations et de l'amitié que le président Heinrich Lübke et le peuple de la république fédérale d'Allemagne ont toujours nourrie envers la république de Guinée.” Cette annonce, déjà inhabituelle pour une visite officielle, est proprement étonnante dans le cas d'une visite privée encore non organisée et dont la date n'est pas fixée. Il est question qu'Alassane Diop, ministre des PTT, se rende en RFA pour choisir la maison où Sékou pourrait se reposer en famille ; on parle même d'un séjour de quatre semaines.
La question de ce voyage prend un tour encore plus inattendu lorsque l'ambassade ouest-allemande à Abidjan laisse entendre début août que l'annonce faite le mois précédent par Radio-Conakry est fausse, et que la RFA n'avait nullement l'intention d'inviter Sékou, mais que c'est celui-ci qui aurait cherché à forcer la main à Bonn. Le 24 septembre, l'hebdomadaire économique français Marchés Tropicaux écrit à propos de la visite d'État du président de la Côte-d'Ivoire Houphouët-Boigny en République fédérale :

“Cette visite avait semble-t-il été un moment remise en question à la suite de manoeuvres guinéennes tendant à faire croire à une invitation en Allemagne fédérale de M. Sékou Touré, à peu près dans le même temps que le voyage officiel du chef de l'État ivoirien.”

Cette affaire s'inscrit évidemment dans le contexte de la forte dégradation des relations entre la Guinée et la Côte-d'Ivoire suite à la chute de Nkrumah (dont on sait que, renversé pendant un voyage en Chine, il a été accueilli en Guinée et qu'il a même été nommé par Sékou Touré co-président de la République).
Ce même mois d'août, le journal Horoya rapporte que selon Amilcar Cabral, leader du PAIGC (Parti de l'Indépendance de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert), quatre avions militaires ouest-allemands ont bombardé et mitraillé des positions des maquis du PAIGC près d'un village de Guinée-Bissau. Le chargé d'affaires Sulimma rencontre Béavogui, lui explique qu'il s'agit certainement d'avions portugais et que les témoins ont confondu sur la carlingue des appareils la croix du Christ portugaise et la large croix noire allemande ; dans son compte-rendu à Bonn, il demande l'autorisation pour l'ambassade de Conakry de prendre contact avec l'état-major du PAIGC, comme le fait déjà l'ambassade des Etats-Unis. Je mentionne en passant que l'état-major d'Amilcar Cabral était installé à La Minière non loin de l'emplacement de Belle-Vue où l'Allemagne fédérale avait construit pour le president guinéen une belle villa, qui servira occasionnellement de résidence à Sékou Touré ou aux hôtes de marque (le président Valéry Giscard d'Estaing y sera installé lors de sa visite en 1978, mais ces villas avaient entre-temps été fortement endommagées au moment du débarquement du 22 novembre 1970, et reconstruites par la suite.)
Le 7 septembre, le ministre des affaires étrangères Lansana Béavogui convoque le chargé d'affaires et lui montre une correspondance émanant d'un certain Bureau des affaires africaines au Ghana et envoyée à des correspondants au Nigeria, leur donnant le conseil de s'adresser à l'ambassade de RFA à Lagos afin d'y obtenir une aide financière pour renverser le dictateur Sékou Touré et ses amis communistes, dans le cadre d'un accord qui aurait été conclu récemment avec le Front de Libération Nationale de la Guinée en Côte-d'Ivoire et au Liberia. L'examen de ce document, au surplus bourré de fautes d'orthographe, convainc l'ambassade qu'il s'agit d'un faux. De qui émane-t-il ? Les partisans de Nkrumah, qui vit maintenant à Conakry, reprochent véhémentement à Bonn d'avoir immédiatement reconnu le nouveau régime d'Accra et de lui accorder une aide financière qu'ils avaient refusée à Nkrumah. Mais le chargé d'affaires allemand et son collègue américain, parallèlement mis en cause, pensent plutôt à une manoeuvre des services secrets des pays de l'Est, et plus précisément de la RDA.
Conakry reproche aussi à Bonn d'avoir laissé diffuser en Allemagne une interview télévisée d'un important membre de l'opposition guinéenne. Sékou Touré se déclare également déçu que le président fédéral Lübke, qui faisait un nouveau voyage en Afrique, ne se soit pas arrêté à Conakry, ne serait-ce que quelques heures, pour s'entretenir avec lui. Sulimma profite de la présence en Guinée, début octobre, de l'ambassadeur Nabi Youla pour évoquer ces difficultés. L'entretien a lieu le 5 octobre. Nabi Youla répond qu'en effet, il craint la convergence d'un climat de suspicion du côté guinéen avec un climat de déception du côté allemand. Il trouve que ses interlocuteurs concentrent trop leur attention sur le problème allemand, pas assez sur leur rôle positif en Guinée même. De leur côté, les pays de l'Est insistent toujours pour que la représentation commerciale est-allemande soit élevée au rang d'ambassade, et ne comprennent pas les objections de Bonn, puisque la RFA vient d'ouvrir des ambassades à Sofia et à Bucarest, où la RDA est officiellement représentée (cette double présence n'existait, jusque là, qu'à Moscou et à Belgrade). Certes, les diplomates ouest-allemands expliquent qu'il s'agit là de satellites de l'Union soviétique, ce qui n'est pas le cas de la Guinée ; les Guinéens répliquent qu'en réalité, Bonn ne se permet ces pressions que parce la Guinée n'est après tout qu'un pauvre pays africain.

Nabi Youla suggère aussi la venue d'un haut représentant de la RFA pour l'inauguration prochaine des usines militaires. Le 2 novembre 1966 en effet est prévue l'inauguration de ces projets, dont la première pierre avait été posée près de deux ans plus tôt, lors de la visite du ministre von Hassel.
Finalement, c'est simplement un haut fonctionnaire, Dr. Knieper, directeur au ministère fédéral de la défense, qui y participe, avec deux parlementaires allemands, une délégation de dix personnalités civiles et militaires, ainsi que deux journalistes 42.
Sékou Touré ne lui propose pas de couper le ruban mais attribue cet honneur à une personnalité égyptienne de passage ! La délégation s'était auparavant rendue à Nzérékoré et à Kankan, où elle a visité le Centre de formation professionnelle de Bordo, qui deviendra au fil des années l'un des fleurons de la coopération germano-guinéenne.

Le 7 octobre, le gouvernement guinéen envoie un message de félicitations à la délégation commerciale à l'occasion de la commémoration de la création de la RDA, et plusieurs ministres participent à la réception. Le 29 octobre 1966, la compagnie aérienne est-allemande Interflug inaugure ses vols Conakry-Berlin, avec escales à Bamako, Alger et Belgrade. Une délégation de quinze personnes venue de Berlin-Est y participe, dont le président de la compagnie et deux vice-ministres. A la même époque, le représentant de la Guinée à l'ONU se prononce pour l'admission simultanée ou un traitement parallèle (statut d'observateur) des deux parties des pays divisés, ce qui signifie également l'Allemagne.
Bonn ne partage pas totalement l'analyse de l'ambassade. Les services du ministère se demandent si Sékou Touré, somme toute très satisfait de l'ampleur et de la qualité de l'aide allemande, ne laisse pas faire tous ces gestes en direction de la RDA afin de faire monter les enchères et d'obtenir davantage encore de son partenaire ouest-allemand. Et Bonn s'interroge : ne serait-il pas approprié d'allouer une aide plus importante aux pays africains modérés qui montrent de la compréhension pour les intérêts allemands, plutôt que de payer très cher un pays progressiste pour qu'il n'évolue pas davantage dans une mauvaise direction ?
Finalement, on pense à Bonn qu'un entretien du secrétaire d'Etat fédéral Rolf Lahr avec Nabi Youla, quand celui-ci sera de retour, permettra d'y voir plus clair sur cette problématique. Cette rencontre a finalement lieu le 15 décembre 1966. L'ambassadeur de Guinée donne des explications sur les différents points évoqués, conseille à l'Allemagne fédérale de se montrer globalement plus active dans les pays du Tiers-monde afin de ne pas laisser les pays de l'Est y acquérir des positions dominantes, et suggère enfin d'envoyer un représentant personnel de haut niveau auprès du président Sékou Touré. Quelques semaines plus tard, le 1er février 1967, Nabi Youla informe les Allemands que Sékou Touré serait heureux de recevoir Lahr à Conakry. Si cette visite avait lieu à la mi-février, le secrétaire d'État pourrait inaugurer le bâtiment de la radio et un studio d'enregistrement construits et équipés avec l'aide allemande, et signer un accord de coopération entre la Deutsche Welle et Radio Conakry. Hélas, Lahr part justement en vacances à cette époque. Il visite finalement la Guinée en mars ; le ministre des affaires étrangères Béavogui n'est pas là, mais Lahr a des entretiens avec Sékou Touré. Les inaugurations envisagées sont reportées à plus tard.
Le 31 mars 1967, on apprend la démission de Nabi Youla, qui quitte ses fonctions et rompt avec Sékou Touré pour s'installer dans l'exil et dans l'opposition.
Peu après surgit le problème de la création à Berlin-Est d'une représentation commerciale et culturelle de la Guinée. Un décret de Sékou Touré en date du 6 avril, publié le lendemain par Horoya, nomme à la tête de cette mission Cheikh Keita, ancien attaché commercial à Bonn.
L'ambassadeur de la RFA, Haas, pose la question à Béavogui le 17 avril. La conversation est difficile. Béavogui s'énerve, affirme que tout a toujours été fait du côté guinéen pour tenir compte des thèses de la RFA, que ce qui avait été promis dès 1959 était toujours valable près de dix ans plus tard. Il ne s'agissait pas de changer le statut de la représentation commerciale en Guinée, mais simplement d'ouvrir en RDA une mission commerciale qui traiterait les dossiers toujours plus complexes des échanges commerciaux devenus très importants entre la Guinée et la RDA 43.
De plus, l'ambassadeur Nabi Youla avait été instruit dès fin janvier d'informer le gouvernement fédéral de cette intention — qui aurait été formulée dès décembre 1966 ; apparemment il ne l'avait pas fait ; ou peut-être n'avait-il pas reçu les instructions en question. Finalement, Cheikh Keita ouvre la mission le 3 mai et rend visite au vice-ministre des affaires étrangères Kiesewetter et au ministre des affaires étrangères Winzer; il fera ultérieurement, le 3 juillet, une “visite d'investiture” au président Walter Ulbricht.
Le 2 mai, le nouvel ambassadeur de Guinée à Bonn, Sikhé Camara, présente ses lettres de créance au président fédéral Lübke. En revanche, le Dr. Werner Haas a été rappelé à Bonn ; tout le monde à Conakry est convaincu que c'est en raison de la crise actuelle, et certains affirment même qu'il ne reviendra jamais en Guinée 44. Quelques jours plus tard, le 12 mai, Horoya publie l'allocution de Sikhé Camara lors de la présentation de ses lettres, mais le texte imprimé diffère sensiblement de celui qui a été effectivement prononcé à Bonn. Même la réponse du président fédéral Lübke est tronquée.
Prévue pour le 1er mai 1967, l'inauguration de la radio doit de nouveau être différée, l'Allemagne fédérale ne voulant pas envoyer de délégation. Le secrétaire d'État à l'information, Tibou Tounkara, est furieux. En revanche, l'Allemagne “démocratique”, en la personne du nouveau délégué commercial, Helmut Gürke, remet au ministère de l'information, en mars 1967 (mais la cérémonie officielle n'aura lieu qu'en octobre) du matériel destiné à la section du film. Une délégation de nageurs est-allemands vient le 27 octobre participer à des épreuves à Conakry. Un peu plus tard, fin novembre, c'est l'équipe de football de la firme optique Karl Zeiss qui vient disputer des matchs à Conakry contre des équipes guinéennes ; le sport et la diplomatie aidant, l'équipe est-allemande perd toutes les rencontres. Dans le domaine de l'éducation, une délégation du ministère est-allemand de la formation populaire dirigée par G. Richter séjourne en Guinée en octobre 1967. A la même époque, trente postes transistors sont donnés au ministère de l'armée populaire à l'intention des officiers. Le nombre d'enseignants est-allemands (surtout dans les disciplines de mathématiques, biologie, physique) et de pédagogues (comme conseillers pédagogiques ou formateurs 45), déjà passé de sept à vingt, va augmenter encore, jusqu'à atteindre la soixantaine; ils sont en service à Conakry, Kindia, Mamou, Labé et Kankan. Madame Dr. FriedHinder, de l'université de Leipzig, travaille à l'élaboration d'un manuel de grammaire de la langue soussou 46. Le 23 novembre, la RDA remet solennellement des équipements pour un millier d'élèves d'une école à Ratoma, dans la banlieue de la capitale. De nombreux universitaires est-allemands viennent dispenser des cours à l'Institut Polytechnique Gamal Abd El Nasser de Conakry, notamment dans le domaine de la médecine, où le Professeur Dr. Wolfgang Rose jouit d'une grande notoriété 47.
Des experts agronomes et des chimistes sont envoyés auprès de la station de recherches de Sérédou, essentiellement vouée dès l'époque coloniale à la quinine et ses dérivés ; ils travaillent sur d'autres plantes, notamment la Rauwolfia, efficace comme hypotenseur 48. Le secrétaire d'État à la jeunesse et aux sports, Mamouna Touré, se rend en RDA en octobre 1967 et signe le 19 octobre une convention de coopération dans le domaine de la culture physique et du sport. Un centre de médecine sportive sera effectivement installé à Conakry avec l'aide de la RDA. Dans un domaine connexe, des spécialistes de la RDA mettent en place et font fonctionner un impressionnant centre d'orthopédie fonctionnelle, destiné à la fourniture ou à la confection sur place de prothèses et à la formation d'experts guinéens en ce domaine : de très nombreux mutilés, y compris d'anciens combattants de l'armée française, ont bénéficié des prestations de ce centre installé dans la capitale 49.
Ce même automne, des inondations catastrophiques frappent le nord de la Guinée. En octobre, la RDA envoie des médicaments et 400 couvertures, que réceptionne Madame Camara Loffo, secrétaire d'État à la santé et aux affaires sociales. La RFA se borne à exprimer sa sympathie.
Sans doute, un nouvel accord de coopération culturelle est-il signé avec Bonn le 23 novembre 1967 ; mais la Guinée ne le ratifie que … le 6 octobre 1986, et il entre en vigueur le 13 juin 1987, vingt ans après sa signature ! L'année 1968 voit démarrer les activités de formation des brigades de jeunes pionniers de la FDJ (Freie Deutsche Jugend = Jeunesse Allemande Libre), en particulier avec le centre de formation de Ratoma, pour les spécialités de maçons, électriciens, serruriers et mécaniciens automobiles.
En 1971, la FDJ prendra également en charge la formation au centre de Kankan-Bordo, jusque là assurée par l'Allemagne fédérale, en y ajoutant les spécialités de menuisier-ébéniste et des métiers du bois.
Le 27 mai 1968 est signé un nouvel accord de coopération culturelle et scientifique entre la RDA et la Guinée. En août 1968, Magassouba Moriba, secrétaire d'État au travail et à la fonction publique, se rend en mission en RDA. Le 10 novembre 1968, Georg Stibi, maintenant ministre adjoint des affaires étrangères, se rend en mission en Guinée, accompagné par une délégation de mouvements de jeunesse de la RDA.
En 1968 également, Sékou Touré s'entremet personnellement pour permettre à un ménage de ressortissants est-allemands de se réfugier en RFA. Cette même année 1968, Sikhé Camara est remplacé comme ambassadeur de Guinée à Bonn par Koma Béavogui, qui présente ses lettres de créance le 17 mai 1968; lui même est remplacé deux ans plus tard par Seydou Keita, qui présente ses lettres le 13 janvier 1970, mais qui est également ambassadeur de Guinée dans les pays de l'Europe occidentale (sauf en France, bien entendu, où il n'y a aucune représentation). Le siège de son ambassade sera ultérieurement transféré à Rome, où il restera jusqu'à la normalisation avec la France. De son côté, le Dr. Haas quitte son poste en 1969 (il devient directeur des affaires africaines au ministère à Bonn) et il est remplacé à Conakry par le Dr. Johann Christian Lankes.
L'année 1968 voit se succéder une série de missions. Le ministre de la coopération économique Hans-Juergen Wischnewski séjourne à Conakry du 28 au 30 avril à la tête d'une importante délégation d'experts chargés d'examiner les modalités de l'aide allemande ; il s'agit en particulier du prêt important (30 millions de DM), accordé en principe dès 1965 et que Bonn souhaiterait voir affecter à la construction d'un chemin de fer, alors que Conakry voudrait que cette somme soit consacrée à des projets de développement agricole. Le 14 mai arrive une autre délégation économique, dirigée par le directeur de la Banque allemande pour la reconstruction, M. Hopfen. A partir du 22 juin une équipe d'experts agricoles allemands séjourne en Guinée, reçue par Sékou Touré lui-même au Centre de recherches agricoles de Foulayah. En août, Alpha Amadou Diallo, secrétaire d'Etat à l'information et au tourisme, visite Bonn, où, le 31 du même mois, le général Lansana Diané, ministre de la défense, est reçu avec de grands égards par son homologue 50. Pour sa part, Ismaël Touré participe à Bonn, les 23 et 24 octobre, à un conseil d'administration de la Compagnie des bauxites de Guinée (CBG, projet Boké-Sangarédi, auquel participe la VAW ouest-allemande).
En juillet 1969, lors d'un meeting populaire, Sékou Touré donne lecture d'un “Rapport d'un ambassadeur accrédité à Conakry à son gouvernement”, qui prédit le renversement du regime guinéen et donne le conseil de coopérer davantage avec l'opposition guinéenne en exil. Tout en indiquant que ce document lui avait été envoyé par des “amis en République fédérale d'Allemagne”, Sékou Touré indique un numéro de dossier qui correspond, mais à un détail près, à un véritable numéro de dossier de l'ambassade de la RFA à Conakry. Ce “détail près” amena par la suite les représentants de Bonn à qualifier de faux le document. Sékou Touré lui-même n'en fit plus jamais état. Mais quelques mois plus tard, le 29 octobre 1969, Saïfoulaye Diallo, ministre des affaires étrangères, déclare au cours d'un entretien avec l'ambassadeur d'Allemagne fédérale qu'il “n'ignorait pas la façon souvent curieuse par laquelle Berlin-Est essayait d'atteindre ses buts politiques” 51.
Les relations bilatérales n'étaient d'ailleurs en rien affectées par ces coups d'épingle dans lesquels on pouvait soupçonner la main des Allemands de l'Est. A la fin du mois d'août de cette même année, par exemple, Conakry avait prié le gouvernement fédéral d'intervenir à Lisbonne pour obtenir des portugais la libération d'un voilier guinéen, le Patrice Lumumba, arraisonné et saisi par la Marine portugaise au large des îles de la Guinée-Bissau.
De la mi-janvier jusqu'à fin juin 1970, Madame Andrée Touré séjourna en Allemagne pour être une fois de plus examinée et soignée à la Clinique universitaire de Bonn. Elle reviendra en Allemagne quelques mois plus tard, en septembre/octobre 1970, comme nous le verrons. En juin-juillet 1970, une importante délégation officielle de l'Union Révolutionnaire des Femmes de Guinée se rend en Allemagne fédérale ; c'est la première mission de ce type; elle est conduite par Hadja Mafory Bangoura, l'une des plus anciennes et des plus proches compagnes de lutte de Sékou Touré.
Il faut souligner ici que l'action en Guinée de la RFA n'est pas uniquement publique, c'est-à-dire étatique, mais qu'elle utilise aussi la voie de la Fondation social-démocrate Friedrich-Ebert 52 et qu'elle emprunte aussi des canaux privés, comme certaines Organisations non gouvernementales chrétiennes ou laïques, ou même des actions largement individuelles ; ainsi, la contribution des coopérants et des militaires ouest-allemands résidant à Conakry permet-elle d'offrir à la chorale de la cathédrale de la capitale un orgue dont Mgr. Raymond-Marie Tchidimbo, l'archevêque, prend solennellement possession lors d'une fête paroissiale où guinéens et ouest-allemands sont présents côte à côte. L'aide allemande est demandée dans beaucoup de secteurs ; ainsi, dans la région de Labé, Emile Cissé et les autorités locales lancent le projet de cité nouvelle de Kalédou, où les Allemands promettent de construire des usines de pâtes alimentaires, de biscuiterie et de confiserie.
Dans le cadre de la coopération entre la RFA et la Guinée, Marcel Bama Mato, alors secrétaire d'État à l'intérieur et à la sécurité, se rend en février 1970 en Allemagne fédérale afin d'y négocier un accord de coopération entre les services de sécurité guinéens et le BND (Service de renseignements de la RFA), prévoyant l'envoi de stagiaires guinéens à Munich, siège de la BND, l'acquisition de matériel spécialisé, etc. Même s'il semble que le président Sékou Touré ait ensuite bloqué l'envoi des stagiaires en question, il n'en demeure pas moins qu'une telle coopération fut envisagée et autorisée, par les deux côtés, quelques mois à peine avant le débarquement du 22 novembre 1970, la rupture des relations diplomatiques et les graves accusations d'espionnage lancées par Conakry contre Bonn.
Il a déjà été question d'un prêt de 30 millions de DM pour la modernisation du chemin de fer Conakry-Kankan. Mais la République Populaire de Chine s'était de son côté engagée à réaliser ce projet, et même à continuer cette ligne jusqu'à Bamako via Siguiri. Aussi Sékou Touré refuse-t-il la proposition allemande, qui lui paraît concurrencer abusivement l'offre chinoise. Bonn propose alors la même somme sous forme de don, à condition qu'elle soit affectée au chemin de fer. Sékou maintient son refus et demande à la RFA de modifier son offre, au besoin en la réduisant, mais en l'affectant à des projets dans le domaine agricole. Le ministre allemand de la coopération économique Hans-Juergen Wischnewski se rend à Conakry et ses interlocuteurs lui demandent qu'un crédit de dix millions de DM soit utilisé pour l'achat de tracteurs, concasseurs, décortiqueuses et camions pour le secteur collectif de l'agriculture. Bonn refuse, mais propose douze millions de DM pour la création d'une vaste ferme agricole à Koba, sur laquelle travailleraient trois cents experts allemands, et qui relèverait exclusivement de l'autorité allemande. Le gouvernement guinéen refuse ce nouveau projet, pour des raisons de souveraineté nationale. Cependant, pour répondre aux cadres guinéens (et en particulier Mamadi Sagno, secrétaire d'Etat à l'éducation nationale, ancien secrétaire d'État à l'armée populaire et au service civique) qui regrettent de voir ainsi refusés d'importants crédits de développement, Sékou Touré fait préparer un contre-projet agricole situé à Banfelé, près de Kankan, et dont la responsabilité serait confiée à l'armée guinéenne, avec l'appui des experts allemands. Mais Bonn tarde à donner une réponse définitive, en dépit d'un voyage de Mamadi Sagno en RFA fin 1969 ou début 1970.
Bonn continue à comptabiliser les activités de la RDA en Guinée, activités qui augmentent régulièrement, alors même que les contacts officiels entre les deux Allemagne se multiplient et aboutissent en 1970 à la signature de plusieurs traités qui normalisent les relations inter-allemandes et facilitent la vie et la circulation des citoyens des deux pays. Pourtant, paradoxalement, c'est dans ce contexte d'apaisement que surviennent en quelques mois deux événements imprévus qui modifient profondément la problématique des relations germano-guinéennes : la reconnaissance par la Guinée de la RDA et la rupture des relations diplomatiques avec la RFA.
Le 13 mars 1969, Abel Camara est nommé consul général à la tête de l'ancienne représentation commerciale et culturelle de Guinée en RDA, cependant que la représentation commerciale de la RDA en Guinée prend elle aussi l'appellation de consulat général 53.
C'est le premier signe d'un glissement vers un changement de l'appréciation de l'Allemagne de l'Est par le gouvernement guinéen. L'année 1970 voit cependant plusieurs inaugurations de projets de coopération Guinée-RFA ; ainsi, le 14 mai, Nfamara Keita, ministre du domaine du commerce, inaugure le Centre professionnel artisanal de Kankan-Bordo, où de jeunes guinéens apprennent les techniques les plus modernes dans diverses spécialités (mécanique, électricité, menuiserie, construction, technique industrielles, etc.). Ce centre, intégré à l'enseignement guinéen, dépend depuis 1968 de l'Institut Polytechnique de Kankan (à l'époque dirigé par Sékou Kaba, administrateur général) et il est subordonné à un directeur administratif guinéen ; les premières bases de ce projet ont été jetées alors que Nabi Youla était encore en poste à Bonn. Le Centre est confié à la coopération de l'Oeuvre chrétienne des villages de jeunesse en Allemagne, dont le siège est à Faumdau près de Göppingen. D'autres projets sont discutés, qui ne seront finalement pas concrétisés : ainsi, la fourniture de 10.000 presses manuelles pour la production d'huile de palme 54.
El Hadj Saïfoulaye Diallo, qui est depuis mai 1969 ministre d'État chargé des affaires extérieures à la place de Béavogui, déclare en été 1970 qu'à côté de la Chine populaire et de Yougoslavie, la RFA compte parmi les trois pays avec lesquels la coopération s'était le mieux développé ; et il qualifie d'exemplaire le comportement des experts allemands. Certains officiels allemands à Bonn parlent de véritable “lune de miel” entre les deux pays 55.
Pourtant, Sékou Touré semble tenir rigueur aux autorités fédérales de leur refus d'expulser vers la Guinée, comme il l'a sollicité à plusieurs reprises avec insistance, l'ancien Premier secrétaire de l'ambassade guinéenne en RFA, Lelouma Diallo, considéré comme un proche de Nabi Youla, et qui demande le 16 juin 1970 l'asile politique aux autorités de la RFA parce qu'il était rappelé d'urgence à Conakry. Nabi Youla est par ailleurs soupçonné de pousser à l'installation en Allemagne fédérale d'opposants au régime guinéen ; c'est du “formalisme juridique”, lance Sékou Touré à M. Mueller, l'envoyé spécial du ministère fédéral venu lui expliquer le refus de Bonn d'extrader Diallo 56.
Et puis, sans que rien ne le laisse prévoir, un communiqué publié simultanément à Conakry et à Berlin-Est le 9 septembre 1970 annonce qu'il a été décidé d'élever le statut des consulats généraux des deux pays à celui d'ambassades et de nommer des ambassadeurs. Ce texte est signé par Sékou Touré et par Paul Verner, membre du Politburo du SED, qui est arrivé quelques jours plus tôt à Conakry à la tête d'une délégation du gouvernement et du parti est-allemands 57. Le lendemain, un porte-parole du ministère fédéral des affaires étrangères à Bonn déclare que ce geste est préjudiciable aux traditionnelles relations amicales entre les deux pays, que le gouvernement fédéral examinera en détail les conséquences et les effets découlant de l'attitude de la Guinée, et enfin que cette décision complique la politique du gouvernement fédéral qui vise à aboutir à un règlement satisfaisant des relations inter-allemandes 58.
Pourtant, à cette époque, Madame Andrée Touré séjourne de nouveau en République fédérale ; elle est présente le jour de la fête nationale guinéenne, le 2 octobre 1970, aux côtés de l'ambassadeur Seydou Keita, qui lui est d'ailleurs apparenté. L'ambassade de Guinée accueille ce jour-là de nombreux Guinéens, notamment des étudiants et des stagiaires dont certains militent activement dans le Regroupement des Guinéens à l'Étranger (RGE) qui vient d'être organisé et dont il existe une section en Allemagne fédérale 59. Peut-être la Première Dame de Guinée a-t-elle rapporté à son époux, lors de son retour à Conakry, qu'une fraction importante des boursiers guinéens présents en RFA militaient dans l'opposition, et cette circonstance a pu indisposer encore davantage le leader guinéen 60.
Le 28 novembre, soit quelques jours à peine après le débarquement-agression du 22 novembre 1970, Pankow nomme son ambassadeur en Guinée, Günther Fritsch. Le 10 décembre, Cheikh Mohamed Chérif présente ses lettres de créance au président de la RDA Walter Ulbricht. Les compétences de l'ambassade de Guinée en RDA sont ensuite étendues à la Pologne et à la Tchécoslovaquie.
L'événement qui conduit directement à la rupture des relations diplomatiques entre la Guinée et la RFA fut le débarquement du 22 novembre 1970. Nous y reviendrons donc à cette occasion.

Notes
1. Le gouvernement fédéral avait un moment songé à confier cette mission de premier contact à l'ambassadeur allemand au Ghana ou à celui accrédité au Liberia, mais y avait renoncé pour des raisons de commodité de liaisons aériennes et pour des motifs de connaissance de la langue française ; Bonn avait également choisi le consul général à Dakar, en dépit de ses congés annuels, parce que cette ville constituait un terrain de connaissances communes avec Sékou Touré.
2. Le Dr Walter Reichhold, qui est décédé, presque centenaire, en 2001, a quitté Dakar en été 1963 pour devenir ambassadeur d'Allemagne fédérale au Ghana, puis jusqu'à sa retraite en 1967 ministre-conseiller à l'ambassade de la RFA au Canada (lettre de son épouse, madame Mila Reichhold, à l'auteur, en date du 21 février 2001). Il était membre associé de l'Académie des Sciences d'Outre-mer de Paris.
3. En fait, ils auraient pu l'apprendre également par la lecture du Monde, qui titrait le 16 octobre 1958 : “La Guinée entame des négociations avec le Ghana, le Liberia et l'Allemagne de l'Est”.
4. Nom souvent donné par les Allemands de l'Ouest à la RDA Pankow est le quartier de Berlin où siègent les organism officiels de la capitale de la RDA.
5. Il renouvellera ses déclarations à l'ambassadeur d'Allemagne fédérale à Monrovia lorsqu'il visitera le Liberia du 17 au 20 novembre 1958.
6. Dans les archives allemandes, le nom cité est bien celui de Roger Chambard, en poste à Dakar a cette époque. Quelques mois après, le nouveau conseiller diplomatique du haut-commissaire à Dakar sera Albert Chambon. Dans un livre de souvenirs écrit bien plus tard par Albert Chambon, devenu entre-temps ambassadeur au Panama puis au Sri Lanka, Mais que font donc les diplomates entre deux cocktails ? (paru à Paris aux éditions Pedone en 1983), il raconte comment il avait alerté le Quai d'Orsay sur une tentative d'opération montée contre Sékou Touré avec le concours de militaires français basés à Dakar et dont il avait eu fortuitement connaissance ; le Quai d'Orsay était intervenu auprès de certains services français pour faire stopper le coup, mais mit fin prématurément à la mission de Chambon à Dakar.
7. Extrait des entretiens en tête-à-tête — et donc pas en plénière — entre le général de Gaulle et le chancelier allemand Konrad Adenauer à Bad Kreuznach, dans l'après-midi du 26 novembre 1958, publié dans les Documents diplomatiques français, 2ème semestre 1958.
8. Diallo Telli. le destin tragique d'un grand Africain. Paris Éditions Jeune Afrique Livres Collection Destins, 1990, 226 pages, préface de Siradiou Diallo. Voir aussi le chapitre 34.
9. Des representations de même nature ont déjà été ouvertes par l'Allemagne de l'Est en Argentine, en Birmanie, en Colombie, en Inde (plusieurs bureaux : Bombay, Calcutta, Madras, New Delhi), au Liban, en République arabe unie, au Soudan et en Uruguay, et le seront ultérieurement en Syrie, alors que des délégations de la chambre de commerce est-allemande fonctionnent en Autriche, en Belgique, en Grèce, en Indonésie, en Islande, en Italie, aux Pays-Bas et en Turquie.
10. Archives Foccart, Fonds Privé, dossier n° 205.
11. De tous les responsables guinéens, le Sénégalais d'origine Alassane Diop était l'un des rares, sinon le seul, à bien connaître l'Allemagne, puisqu'il y avait été prisonnier de guerre pendant le deuxième conflit mondial.
12. Selon un courriel du 11 juillet 2004 à l'auteur d'Eleonora Schmid, ancienne ambassadrice de la RDA en Guinée : “Au cours de ce voyage, Keita Fodéba demanda à la RDA de réaliser la fourniture et l'impression de passeports diplomatiques et de cartes d'identité. La demande fut acceptée et réalisée dans des délais très courts. Le Consul général de la RDA à Conakry fut avisé de l'expédition de cette commande par bateau. Assez rapidement, Keita Fodéba lui téléphona en s'impatientant assez vivement : que devenaient ces documents ? Après enquête, le consulat général s'aperçut que le chargement était déjà arrivé au port, et que les caisses contenant ces documents d'identité avaient été distribuées dans différents ministères, qui les avaient stockées. Quelques jours plus tard, Keita Fodéba convoqua le consul général et se plaignit de ce que la facture était honteusement élevée (unverschämt teuer;) ; selon lui, le gouvernement voulait utiliser le prix de vente de ses documents à la population pour construire des hôpitaux. Le consul général demanda une copie de cette facture, probablement falsifiée et qui affichait un montant fantaisiste effectivement astronomique. Le conseiller commercial fut obligé de vérifier la réalité des faits avec les autorités de la RDA, qui finirent généreusement par renoncer à tout paiement.
D'une manière générale, Keita Fodéba a laissé une impression négative en RDA. Il se comportait de manière méprisante et arrogante, il s'exprimait de façon très incisive et inamicale, et professait des opinions très défavorables sur les pays d'Europe orientale, y compris la RDA.”
13. Wilhelm Kirschey, militant communiste d'avant 1933, emprisonné en camp de concentration pendant treize ans sous le régime hitlérien, est un homme à la santé fragile. Il mourra d'ailleurs quelque temps après son départ de Guinée (témoignage téléphonique du professeur Jean Suret-Canale, 17 octobre 1999). Ce dernier, qui connaissait très bien Kirschey, affirme qu'il parlait “tout à fait couramment” le français, contrairement à ce que disent les archives ouest-allemandes (lettre à l'auteur en date du 11 octobre 1999).
14. On ne peut exclure non plus que la chancellerie fédérale ne soit influencée par les réticences françaises : le 4 mars, le général de Gaulle a reçu à Marly-le-Roi le chancelier Adenauer, pour des entretiens privés (prélude aux Sommets franco-allemands qui seront institutionnalisés en janvier 1963 par le Traité de l'Élysée. Le général de Gaulle a brièvement évoqué sa position sur l'évolution de la Guinée de Sékou Touré. Von Brentano assistait à ces entretiens.
15. Francis Huré a été prié de partir le plus rapidement possible de manière à arriver sur place avant le chargé d'affaires britannique (ce fait m'a été confirmé par Francis Huré lors d'une conversation à Paris le 16 janvier 2009). La nomination officielle de Francis Huré à Conakry n'est donnée par l'Annuaire diplomatique français qu'à la date du 11 février 1959.
16. Fodé Cissé aurait un jour affirmé à une délégation allemande, très gênée, que la ville de Berlin se trouvait située géographiquement à la limite entre les deux Allemagne (témoignage à l'auteur du professeur Jean Suret-Canale, 17 octobre 1999).
17. Sékou Touré finira par se rendre à Berlin-Est pour ces mêmes manifestations, mais … vingt ans plus tard, lors du 30ème anniversaire, en octobre 1979, bien des péripéties guinéo-allemandes plus tard !
18. Anecdote rapportée à l'auteur lors d'une conversation avec Nabi Youla, tenue à Paris le 15 mai 2009.
19. Ce sera chose faite assez rapidement : la chancellerie s'installe dans un bel immeuble avec terrasse Rochusweg 50 à Bonn, et la résidence dans le quartier résidentiel de Bad Godesberg.
20. En particulier la construction à Conakry d'un centre de formation pour les cadres syndicalistes africains ; ce centre, édifié sur un terrain près de l'aéroport, est destiné à remplacer celui qui a commencé à fonctionner à la même époque dans le Fouta à Dalaba ; les premiers cours y ont été donnés du 6 au 22 février 1960 sur la sécurité sociale, devant une trentaine de stagiaires d'Afrique francophone, mais aussi des originaires d'Angola et de Guinée-Bissau, encore possessions portugaises ; il est plus que probable que Wamke, ou l'un des membres de sa délégation, y a pris part (entretien avec l'auteur de Maurice Gastaud, cadre de la C.G.T. française et de la Fédération Syndicale Mondiale, qui a séjourné en Guinée de 1960 à 1965, et qui a notamment dirigé ce centre, Paris, 22 juin 2004 ). Les souvenirs, pourtant précis, de Maurice Gastaud, sont contredits par ceux d'anciens responsables politiques et syndicaux de la RDA, recueillis en Allemagne par l'ancienne ambassadrice de Eleonora Schmid. “La RDA n'a construit en Guinée aucune école de formation syndicale, et aucun de ses syndicalistes n'a donné de cours en Guinée. La visite en 1960 de Warnke avait comme objectif l'établissement de relations diplomatiques ; il fit cadeau à la Confédération Nationale des Travailleurs Guinéens (CNTG) d'un véhicule spécialement équipé pour la projection de films, qui devait servir à la CNTG dans des régions éloignées ; deux Guinéens qui avaient étudié à l'école supérieure de la FDGB à Bemau près de Berlin étaient chargés de le faire fonctionner. Plus tard, deux véhicules de lutte contre l'incendie furent encore remis à la CNTG. Ultérieurement, la coopération syndicale entre les deux pays se limita surtout à la formation de cadres guinéens à Bernau, à la formation d'ouvriers spécialisés, ainsi qu'aux soins médicaux dispensés gratuitement en RDA aux cadres de la CNTG.” (courriel de madame Eleonora Schmid à l'auteur, Il juillet 2004).
21. Selon l'économiste français Bettelheim, inspirateur de ce plan, toute cette crise aurait été provoquée par Sékou Touré afin d'obliger la RFA à augmenter ses crédits à la Guinée pour financer le plan triennal ! C'est ce qu'il a laissé entendre lors d'une conversation avec l'ambassadeur de France Pons.
22. Rapport à la Conférence nationale des cadres de Kankan avril 1960 in L'Action du Parti démocratique de Guinée tome V, p 38.
23. Ce dernier point est confirmé par le Professeur Jean Suret-Canale (conversation telephonique du 17 octobre 1999). Selon ce même témoignage, l'ambassadeur Seydou Conté, après qu'il eut quité la Guinée dans les années 1970 pour ouvrir une clinique chirurgicale en Côte-d'Ivoire,, confirmera qu'il avait bien présenté ses lettres de créance au président de la République democratique allemande.
24. Notamment dans son intervention au Centre culturel franco-guinéen de Conakry le 29 septembre 1999.
25. Le personnel français qui faisait fonctionner la station a quitté la Guinée en 1958 en emportant toute la documentation technique, rendant son fonctionnement impossible. En 1971, la RDA installera à Sérédou un laboratoire phytopharmaceutique où travaillent plusieurs experts est-allemands des plantes médicinales.
26. Cette imprimerie disposera pendant longtemps d'experts est-allemands, cependant que de nombreux guinéens seront formés aux techniques de l'imprimerie en RDA. “Malheureusement, beaucoup d'entre eux ne revinrent pas en Guinée à l'issue de leur formation, mais se rendirent en Côte-d'Ivoire, au Sénégal, ailleurs en Afrique, de même qu'en France ou même en Suisse” (lettre de Mme Eleonora Schmid, 12 février 2000).
27. Lettre du 21 novembre 2000 à l'auteur.
28. Nabi Youla a quitté en mars 1961 le poste d'ambassadeur à Paris, où il a été remplacé par Tibou Tounkara, qui a donc également compétence pour l'Allemagne fédérale (les archives que l'auteur a pu consulter ne le confirment cependant pas). Moussa Sanguiana Camara est chargé d'affaires à Bonn. Nabi Youla sera nommé ambassadeur en RFA exclusivementaprès le voyage en Guinée du président fédéral Lübke, et prendra ses fonctions en mars 1962.
29. Von Brentano a démissionné de ses fonctions de ministre fédéral des affaires étrangères en octobre 1961. Il est désormais président du groupe parlementaire CDU-CSU (parti chrétien démocrate).
30. Depuis qu'il a quitté Paris au début de 1961, Nabi Youla est resté ambassadeur à Bonn, remplacé pendant ses absences par Moussa Sanguiana Camara, chargé d'affaires. Nabi Youla est confirmé comme ambassadeur à Bonn en mars 1962, mais quand il est nommé l'année suivante secrétaire général de l'Assemblée nationale guinéenne, dont le président était Saïfoulaye Diallo, avec lequel il s'entendait bien, puis secrétaire d'Etat à l'information, il est remplacé comme chargé d'affaires par Alphadio Dabo. A Conakry, il se tenait cependant un peu à l'écart et évitait de se montrer dans les réceptions officielles. Il refusa catégoriquement l'ambassade de Guinée en Union soviétique, où Sékou Touré voulait l'envoyer à la suite de la crise due à l'implication de l'URSS dans le Complot des enseignants. Invité à la réception donnée en l'honneur du président Lübke, Nabi Youla n'y vint pas. Les Allemands ayant exprimé leur déception, Sékou Touré envoya chez lui le chef du protocole, Ben Daouda, avec ordre impératif de le ramener. Supplié à genoux par Daouda, Nabi Youla finit pas accepter de s'y rendre. C'est en sa présence que la délégation allemande exprima le souhait qu'il vienne à Bonn comme ambassadeur. Sékou Touré accéda à cette demande, et lorsqu'il reçut ensuite Nabi Youla dans son bureau ; il lui présenta même des excuses et lui demanda pardon — chose rarissime chez Sékou Touré — pour ne pas lui avoir fait confiance et l'avoir marginalisé (conversation de Nabi Youla avec l'auteur en son domicile de Conakry, 26 avril 2005).
31. Il est nommé ambassadeur au Tanganyika (future Tanzanie), ancienne colonie allemande. Lors de son passage à Dar es-Salam le 30 mai 1963, Sékou Touré demandera expressément à le voir et à s'entretenir brièvement avec lui, alors qu'il ne recevra aucun autre membre du corps diplomatique.
32. Le professeur et docteur en médecine Adolf Heymer, né en 1902, était depuis 1959 professeur à la Faculté de médecine et Directeur de la clinique médicale de l'Université de Bonn, ville où il a fait l'essentiel de sa carrière de médecin et d'universitaire. Il était un spécialiste reconnu des maladies internes, en particulier des maladies infectieuses et de la tuberculose.
33. C'est semble-t-il au cours de ce voyage qu'Ismaël Touré assisté en la circonstance de Karim Bangoura, aurait exprimé le souhait que Nabi Youla se joigne à eux pour constituer une équipe qui evincerait Sékou Touré du pouvoir. Nabi Youla refuse cette proposition. (conversation de Nabi Youla avec l'auteur, Paris, 18 mai 2009).
34. Une note de novembre 1965 par l'ambassade de la RFA à Conakry mentionne que Staatspresident Sékou Touré besuchte bereits 1959 die Bundesrepublik. Er hat sich seitdem mehrmals (zuletzt 1964) in der Bundesrepublik aufgehalten… Il ne m'a malheureusement pas été possible de déterminer la signification de ce mehrmals (à plusieurs reprises), en dehors des deux visites mentionnées.
35. Ces vols réguliers d'avions militaires de la Luftwaffe cesseront à la fin des années 60 (témoignage de l'ambassadeur Karl Lewalter à l'auteur, courriel du 24 juin 2003).
36. Ce nouvel abattoir sera inauguré par Sékou Touré le 28 septembre 1964, en même temps que l'usine de tabac et allumettes construite par les Chinois, l'usine de meubles de Sonfonia édifiée par les Yougoslaves et la chaîne de montage de camions Mack installée par cette firme automobile américaine.
37. De nombreux films ont été réalisés en collaboration avec la RFA, par exemple, le film sur le Festival culturel d'Alger, en 1970. D'autres cinéastes ont bénéficié d'une coopération avec la RDA : ainsi, Diakhité Moussa Kémoko, dont Hirde Dyama, co-réalisé avec Gerhard Jeutz, obtient en 1972 le Prix spécial de l'authenticité africaine au Festival Panafricain du Cinéma de Ouagadougou (FESPACO).
38. Confirmé par Madame Keita Fodéba à l'auteur (conversation à Paris le 17 septembre 2004). Keita Fodeba lui-même, entre-temps devenu ministre de l'agriculture, a été arrêté en février 1969 dans le cadre du Complot des militaires et exécuté quelques mois plus tard.
39. Parmi les fournitures de la RDA, un ensemble d'équipement de brasserie permettant la pasteurisation de la bière et l'embouteillage en bouteilles avec capsules métalliques. Par ailleurs, les diplomates et experts est-allemands font venir chaque année pour leur consommation personnelle plus de mille cartons de 20 bouteilles d'une excellente bière produite en RDA, la Radeberger, qui fut autrefois la bière de la famille royale de Saxe ; ces envois, comme ceux d'autres produits qui ne se trouvent pas en Guinée, passent par une entreprise d'État est-allemande, la Versina (pour Versand Ins Ausland — Envoi vers l'étranger), qui se rémunère par une taxe de 20% sur le prix des produits, à quoi l'État est-allemand ajoute une subvention globale). Les autorités guinéennes en commandent également une certaine quantité. Les bouteilles une fois vides sont récupérées par la brigade de la jeunesse allemande (FDJ) qui s'occupe de formation professionnelle à Ratoma, et revendues ensuite aux limonaderies locales (Fruitaguinée, appartenant à un franco-guinéen, Sékou Touré Sadibou, et l'Atlantide, appartenant à des Français, monsieur et madame Zittel), ainsi qu'à la seule brasserie, la SOBRAGUI, appartenant à la société française BGI — Brasseries et Glacières de l'Indochine, mais équipée et gérée par des experts ouest-allemands, notamment Adolf Marx, que nous retrouverons ; celle-ci ayant été fermée quelque temps après le débarquement du 22 novembre 1970, les bouteilles vides furent utilisées par Fruitaguinée. La SOBRAGUI sera remise en marche vers la fin de 1971 avec le concours momentané de spécialistes est-allemands (informations fournies à l'auteur par l'ambassadeur Eleonora Schmid, dans un courriel du 20 août 2004, ainsi que par Adolf Marx, par courriel du 17 septembre 2004).
40. Lorsque une dizaine d'années plus tard, je fus moi-même ambassadeur en Guinée l'Allemagne de l'Est installait les nouvelles lignes téléphoniques de la capitale, et disait-on, équipait les services techniques d'écoute.
41. Le Dr. Sulimma poursuivra sa carrière notamment comme collaborateur du Ministre fédéral des affaires étrangères Hans-Dietrich Genscher, puis comme ambassadeur au Sénégal et finalement au Canada.
42. Il est vrai que depuis plus d'un mois, on est à Bonn en pleine crise gouvernementale, et que dans le nouveau gouvernement Kiesinger formé le 1er décembre, von Hassel allait céder le portefeuille de la défense à l'ancien ministre des affaires étrangères Gerhard Schroeder.
43. En 1965, la Guinée a importé d'Allemagne de l'Est pour 7,98 millions de DM, d'Allemagne de l'Ouest 2,4 millions seulement. Elle a exporté pour 13 millions de DM vers l'Allemagne de l'Est, contre 11 millions seulement vers l'Allemagne fédérale.
44. En fait, le Dr Werner Haas reviendra en Guinée début juin. Il est porteur d'une lettre personnelle du président Lübke au président Sékou Touré, qui lui sera remise le 19 juin.
45. La RDA fournit un conseiller pédagogique au ministre de l'éducation et de la culture Mamadi Keita, ainsi qu'au ministre de l'enseignement pré-universitaire Galema Guilavogui. Des experts est-allemands aident à la mise en place de l'Institut pédagogique national de Conakry.
46. Ma collègue ambassadeur de la RDA, Eleonora Schmid, me donne d'ailleurs l'un de ces manuels de langue soussou quelques semaines après mon arrivée en Guinée.
47. Certains d'entre eux sont également praticiens, comme par exemple un gynécologue à l'Hôpital Donka.
48. Parmi eux, un spécialiste des papillons de la Guinée forestière, qui à ses moments perdus fabrique des boites sous verre dans lesquelles sont artistiquement épinglés des papillons. Sékou Touré ayant reçu l'une de ces boites en hommage, ce chercheur fut régulièrement invité par lui lors de ses séjours dans la capitale.
49. Parallèlement, plusieurs centaines de. guinéens ont bénéficié de soins gratuits en RDA. Parmi eux, de hautes personnalités comme le Docteur Kekoura Camara (ministre de l'élevage et de la pêche, puis de la santé) Lansana Diané (qui fut responsable de l'intérieur, de l'armée populaire, et de la justice) ou les épouses de nombreux ministres.
50. Il s'agit encore de Gerhard Schroeder, mais celui-ci sera remplacé en octobre 1969 par le futur chancelier Helmut Schmidt.
51. Extrait d'un rapport confidentiel établi par l'ambassadeur Lankes après la rupture des relations diplomatiques, fort obligeamment mis à la disposition du conférencier par M. Tolo Béavogui, qui fut le dernier ambassadeur de Guinée en RDA, puis ambassadeur à Bonn après la réunification de l'Allemagne.
52. Joachim Voss, le représentant de cette Fondation en Guinée à la fin des années 60, est l'auteur de deux ouvrages en allemand sur la Guinée, parus en 1968 et en 1971 (voir plus loin la note à propos de la rupture de 1970).
53. La couverture des activités de la RDA en Guinée s'est sensiblement améliorée après 1969, depuis qu'un correspondant de l'agence de presse officielle est-allemande ADN, Franz Schmahl, s'est installé à Alger, d'où il vient plusieurs fois par an “couvrir” la Guinée.
54. Témoignage de l'ambassadeur Karl Lewalter, conservation téléphonique avec l'auteur, mai 2003.
55. Selon une dépêche de l'ambassade de France à Bonn en date du 3 février 1971 .
56. La demande d'asile politique déposée par ce dernier fut rejetée le 22 octobre 1970 par les autorités ouest-allemandes; mais l'intéressé avait alors déjà quitté le territoire de la RFA.
57. Selon Madame Eleonora Schmid, future ambassadeur de la RDA en Guinée, et qui était déjà en poste à l'époque au Consulat général à Conakry, les agents consulaires est-allemands, qui avaient évidemment suivi les discussions, exprimèrent leur joie lorsqu'ils apprirent la nouvelle … en écoutant La Voix de la Révolution (lettres à l'auteur du 17 juin et du 21 juillet 2003).
58. Le texte de cette mise au point paraît dans le Bulletin d'information du ministère fédéral le 23 septembre 1970.
59. Témoignage, lors d'une conférence donnée par l'auteur le 29 septembre 1999 au Centre culturel franco-européen de Conakry, de Bakary Goyo Zoumanigui, ancien boursier en Allemagne, conseiller de l'ancien Premier ministre guinéen Sidya Touré.
60. C'est en tous cas l'hypothèse avancée par l'ambassade de France à Bonn dans la dépêche précitée.

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