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André Lewin
Ahmed Sékou Touré (1922-1984).
Président de la Guinée de 1958 à 1984.

Paris. L'Harmattan. 2010. Volume I. 236 pages


Chapitre 30
2 octobre 1958 — Premier pays du monde communiste à le faire,
la Bulgarie reconnaît la Guinée.


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Dès l'indépendance, désireux de leur faire connaître l'existence de la Guinée nouvelle et de solliciter leur reconnaissance, Sékou Touré a envoyé des messages aux chefs d'Etat de tous les pays membres de l'ONU, et même à quelques autres. C'est ainsi qu'il a adressé, via Paris, un message à Andorre (qu'il qualifie d'Andorra), mais aussi aux pays divisés par suite de la guerre ou de l'après-guerre, entre une partie gouvernée par un régime communiste et une autre partie vivant sous un régime différent, Pékin comme Taiwan 322, Séoul conne Pyong-Yang, Saigon comme Hanoï, Bonn comme Berlin-Est.
Les télégrattunes de félicitations ne tardent pas arriver ; or, ce sont les pays communistes qui sont parmi les tout premiers à réagir, parfois même plus rapidement que certains Etats africains. Ainsi, comme sur un mot d'ordre 323, les pays communistes se sont d'emblée manifesté auprès de Conakry, alors que les pays occidentaux, freinés par la France, tardent à le faire, à quelques exceptions près, dont les Etats-Unis, alimentant ainsi les soupçons de ceux qui, à Paris, voient tour à tour — ou parfois simultanément — Sékou Touré entre les mains de Washington et de la CIA, ou entre les griffes de Moscou 324.
Il est exact qu'en quatre ans, de la fin de 1958 au début de 1963, la Guinée aura signé 104 accords avec les pays de l'Est, et 33 seulement avec les pays occidentaux. Sur toute la période qui va de 1958 à 1980 (année où l'offensive diplomatique tous azimuts qui a suivi la réconciliation en 1975 avec Paris, en 1978 avec Dakar et Abidjan a déjà pris son essor), le nombre d'accords signés reste à l'avantage des pays de l'Est (il est vrai plus friands de signatures et de communiqués que les Occidentaux), avec 300 accords environ, contre 100 pour les partenaires de l'Ouest. Dès la proclamation de l'indépendance, en quelques jours, Bulgarie, Union soviétique, République populaire de Chine, Tchécoslovaquie, Pologne, Hongrie, Yougoslavie, Roumanie, Vietnarn du Nord et Corée du Nord, procèdent à la reconnaissance et annoncent l'établissement rapide de relations diplomatiques 325.
La République démocratique allemande est la première à envoyer, dès le 13 octobre, avant même la reconnaissance officielle, une délégation sur place, dirigée par un vice-ministre du commerce extérieur ; la réaction immédiate de Bonn bloque le processus diplomatique, mais n'empêche pas la conclusion d'un accord économique, le 17 novembre 1958, premier accord international signé par le nouvel État, de la main même de Sékou 326.
L'Allemagne démocratique fournira des techniciens et des cadres scientifiques en Guinée, qui de son côté enverra des stagiaires en formation en RDA. Pour le comerce, il s'agira de troc : textiles, machines-outils, produits chimiques, biens de consommation, contre bananes, café, oléagineux et autres produits agricoles. Faute d'ambassade, c'est une délégation commerciale de la RDA qui sera établie à Conakry ; l'établissement de relations diplomatiques au niveau d'ambassades n'interviendra que dix ans plus tard et le premier antbassadeur Est-allemand sera nommé une semaine après le débarquement du 22 novembre 1970 ; ce sera un élément important de la crise qui intervient alors entre Bonn et Conakry.
Quatre jours après celui conclu avec l'Allemagne de l'Est, un accord est signé avec la Tchécoslovaquie ; suivent en janvier 1959 des accords avec la Pologne en février et en juin avec l'URSS (ils sont notifiés à la France comme stipulé par les protocoles franco-guinéens du 7 janvier), en juillet avec la Hongrie, en octobre avec la Bulgarie.
Ce dernier pays n'est pourtant pas celui dont la coopération avec Conakry sera la plus active. C'est lui cependant qui, dès le 2 octobre, jour même où l'indépendance est proclamée à Conakry, reconnaît la Guinée et annonce l'établissement prochain de relations diplomatiques. Le 17 janvier 1959, Sofia nomme un ambassadeur, Georgy Taneff, là encore l'un des tout premiers à s'installer dans la capitale guinéenne. Le 1er octobre 1959, c'est la signature d'un accord de commerce et de coopération économique entre les deux pays.
Du 11 au 13 janvier 1961, Sékou Touré se rend en Bulgarie, où il visite Sofia 327, Pazardjik et Plovdiv. Quelques mois plus tard, le 27 juin 1961, intervient la signature de trois accords entre les deux pays, de coopération scientifique et technique, de commerce et de paiements. Quelques mois plus tard encore, du 24 au 29 mars 1962, le président bulgare Dimitar Ganev se rend en visite officielle en Guinée. Sékou Touré le remercie en particulier pour le “grand apport que son pays a accordé à la Guinée dans le financement de son plan triennal.” Rien n'a pourtant été officiellement rendu public, mais la presse guinéenne écrit sans donner de détails qu'il s'agit d'un prêt à long terme de deux millions de dollars, remboursable en produits guinéens. A la même époque, une centaine d'assistants techniques bulgares travaillent dans diverses disciplines (25 comme personnel médical 328, 20 au Port de Conakry, 20 à l'entreprise de distribution d'eau, 12 dans l'agriculture, 10 dans la petite hydraulique rurale, 20 à l'éducation nationale). Un nouvel accord commercial est signé le 5 décembre 1963.
Ensuite, tout en restant très amicales, les relations s'estompent quelque peu, d'autres pays du bloc socialiste ayant pris le relais et se montrant des plus actifs. Bien entendu, il y aura régulièrement des échanges culturels et techniques, des visites de délégations, des boursiers et des stagiaires 329.
C'est ainsi que les Ballets Africains de la République de Guinée y font une tournée 330. Mais il faudra attendre vingt ans pour que Sékou Touré visite de nouveau la Bulgarie, du 22 au 26 juillet 1983. Le président bulgare Todor Jivkov visite à son tour la Guinée en janvier 1984. Ce sera la dernière personnalité officielle d'un pays communiste à être reçu par Sékou Touré avant son décès en mars 1984 331.
Les autres pays de l'Europe de l'Est paraissent davantage présents en Guinée (l'Albanie fait exception, elle semble même totalement absente, après avoir reconnu la Guinée le 8 octobre 1958 332).
Le 3 octobre 1958, Sékou Touré informe par télégramme le maréchal Vorochilov, président du Soviet Suprême de l'Union soviétique, de la proclamation de la République de Guinée, et exprime l'espoir de voir s'établir entre le nouvel “Etat souverain et indépendant de Guinée” et l'URSS des relations diplomatiques “sur la base de la coopération internationale”.
Dans sa réponse expédiée le lendemain 4 octobre, le maréchal Vorochilov salue la “victoire remportée par le peuple de Guinée dans sa lutte héroïque pour la liberté et l'indépendance comme marquant une étape importante sur la voie de la libération de l'Afrique du joug colonial”, et indique que le gouvernement soviétique, “défenseur du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et respectueux des justes aspirations nationales des peuples asservis”, reconnaît solennellement la nouvelle République en tant qu'Etat indépendant et souverain, et se déclare prêt à échanger avec elle des représentants diplomatiques. En conclusion, Vorochilov exprime sa certitude que l'établissement des relations diplomatiques entre l'URSS et la Guinée “contribuerait au développement de l'atnitié et de la coopération entre les deux pays dans l'intérêt du renforcement de la paix.” 333
Lors d'une conférence prononcée le 31 octobre 1958 à Moscou devant les cadres du parti communiste de l'URSS, M. Azousmanovitch déclare fonder de grands espoirs sur la Guinée, plus grands encore que sur le Ghana, trop soumis, selon le Kremlin, à l'influence américaine. Il annonce qu'Antoine Lama 334 est arrivé dans la capitale soviétique (pratiquement une semaine après l'indépendance de la Guinée) pour demander une assistance économique à Moscou.
En octobre 1958, les Ballets Africains de Keita Fodéba sont en tournée en Tchécoslovaquie (il est vrai que cette tournée, décidée depuis plusieurs mois, est encore subventionnée par l'Association française d'action artistique — AFAA — du Quai d'Orsay ; elle se poursuivra en Amérique latine). Mais elle est présentée sur place comme un premier pas d'échanges culturels entre les deux pays ; d'ailleurs, un accord culturel guinéo-tchèque est conclu dès le 21 novembre 1958 (là encore avant la signature de l'accord avec le Ghana), qui sera complété en juillet 1959 par un accord de coopération économique et technique.
Les relations multiformes entre Conakry et les pays de l'Est prennent leur essor au cours de l'année 1959. Sans vouloir les minimiser, le régime justifie leur importance croissante en affirmant qu'elle est également due aux lenteurs et aux difficultés de l'aide demandée aux pays occidentaux, et en particulier à l'attitude de la France.
Moins de deux mois après la proclamation de l'indépendance, Sékou Touré donnait déjà cette explication à ses interlocuteurs, notamment français :

« Mais comment s'étonner dans ces conditions que la Guinée ait accepté certaines des mains très nombreuses qui se tendaient vers elle ? Le Liberia avait il y a trois jours renoncé formellement aux anciennes revendications de frontières et acceptait de garantir tout emprunt que la Guinée serait obligée d'émettre. Un groupe germano-belgo-suisse offrait trente milliards immédiatement pour développer jusqu'à dix millions de tonnes par an d'exploitation du fer, qui serait traité d'abord en Allemagne et ensuite à Ingra 325. L'Allemagne (fédérale) offrait soixante bourses d'études et l'Allemagne orientale quarante. J'ai évoqué l'accord signé avec l'Allemagne orientale. M Sékou Touré m'a dit qu'il s'agissait seulement d'un arrangement de troc, bananes contre machines. En revanche, l'Italie avait offert de prendre toute la récolte de bananes contre paiement en lires. M Sékou Touré m'a énuméré encore d'autres offres. Il m'a dit qu'il n'en avait accepté qu'une partie, espérant toujours un accord avec la France. Les allemands communistes avaient fait anti-chambre pendant un mois et il avait rejeté les offres venues des pays communistes. Mais si la France continue de le repousser, il serait contraint de céder par un entourage qui ne comprend pas pourquoi il s'obstine à attendre. » 336

Quelques mois plus tard, le 15 avril 1959, Nabi Youla, ambassadeur à Paris, déclare au cours d'une conférence de presse que “malgré les dons que son pays avait reçus de certains pays, le gouvernement guinéen n'avait fait aucun choix politique entre l'Est et l'Ouest … Si aucun accord n'a été négocié avec des pays du monde libre (c'est l'expression même utilisée par l'ambassadeur. NDLA), c'est parce que l'on ne nous a rien proposé. La Guinée a des besoins énormes et acceptera tout ce que l'on veut bien lui donner.” 337
Paris en revanche affecte de considérer que “M Sékou Touré paraît menacé d'être débordé par les éléments d'inspiration communiste qui l'entourent” 338 et qu'il mène “une campagne qui tend à persuader l'opinion internationale que le gouvernement guinéen a été contraint de chercher de l'aide dans les pays de l'Est par suite d'une prétendue hostilité de la France … Il s'agit là d'une thèse habilement présentée mais qui ne correspond en rien à la réalité.” Paris estime avoir “exploré… toutes les possibilités pratiques offertes par les accords” (de janvier 1959) alors que Conakry “s'est montré évasif et peu pressé d'aboutir. Par contre, le gouvernement de M Sékou Touré a manifesté un esprit de continuité et un souci de décision rapide dans le domaine des relations avec les divers pays de l'Est. Ces contacts ont déjà abouti à la signature et à la mise en oeuvre dans des délais exceptionnellement brefs d'accords commerciaux importants. Ceux-ci tendent à plus ou moins long terme à détourner les courants traditionnels d'échanges franco-guinéens vers d'autres voies …” 339
Sans que sa réponse soit totalement crédible, Sékou Touré déclare lui-même au chargé d'affaires Pierre Siraud, au mois d'août 1959, que les accords de troc passés avec les pays de l'Est l'avaient été '“pour faire face à une situation exceptionnelle” due “au boycottage des acheteurs français” et avaient “un caractère temporaire”. “Si la Guinée retrouvait en France la sécurité de ses débouchés pour ses trois principaux produits d'exportation (bananes, café, palmistes), une situation plus conforme aux protocoles de janvier 1959 pourrait être rétablie.” Tout en confirmant que la Guinée n'envisageait pas de sortir de la zone franc, il rappelle que son gouvernement reste favorable au recrutement de techniciens français de préférence à tous autres, parce que “la communauté de langage, de formation et de méthodes de travail rendait leur emploi plus efficace”.
Les liens avec les pays du bloc communiste ne sont pas seulement étatiques ; ils existent également au niveau des partis et des organisations de masse, et passent parfois par des intermédiaires. Ainsi, Abdoulaye Moumouni, professeur agrégé de physique, vice-président du Conseil mondial de la Paix, militant du PAI sénégalais 340, séjourne régulièrement en Guinée. Il aurait, en mars 1959, informé le Parti communiste (français ?) que l'Union soviétique souhaiterait former en Guinée des guérilleros africains pour participer à des luttes de libération nationale, proposition que Sékou Touré aurait refusée 341.
Du 14 au 17 septembre 1959 se tient à Congrès le Vème congrès du PDG, où François Billoux, ancien ministre, député des Bouches du Rhône, membre du Comité central, représente le Parti communiste français. Dans son rapport politique et moral, Sékou Touré confirme que son pays veut pratiquer le neutralisme positif. Mais le correspondant du journal Le Monde note que “la séance d'ouverture n'en fut pas moins un véritable festival communiste, au cours duquel les représentants des républiques populaires d'Allemagne de l'Est, de Roumanie, de Bulgarie, de Tchécoslovaquie puis d'URSS, se sont fait applaudir” 342. Le Quai d'Orsay note d'ailleurs, pour s'en émouvoir, qu'un message de voeux du Département d'Etat américain a été lu à la tribune à côté de ceux qui émanaient “des pays du rideau de fer et des partis ou organisations communistes de l'Est et de l'Ouest”, et demande à l'ambassadeur de France à Washington de témoigner de la surprise de Paris “de voir les États-Unis en pareil voisinage.” 343
Pendant l'année 1959, les délégations guinéennes se succèdent dans le monde conununiste, les missions, experts, marchandises et même armes des pays de l'Est affluent, et l'année culmine avec les visites de Sékou Touré en Union soviétique et en Tchécoslovaquie, les deux pays qui sont déjà les plus présents — et peut-être les plus influents — en Guinée 344.
Et le 22 octobre, le chargé d'affaires Pierre Siraud écrit prudernment : “Nul ne saurait déterminer avec une certitude absolue le degré d'inféodation personnelle au Kremlin de Monsieur Sékou Touré”.
A partir du 4 février 1959, une délégation menée par Keita Fodéba, ministre de l'intérieur et Alassane Diop, secrétaire d'Etat à l'information, à laquelle se joint à certaines étapes Lansana Béavogui, ministre des affaires économiques, et qui est accompagnée d'Habib Niang, un Sénégalais qui est directeur du cabinet du ministre de l'économie rurale et de la coopération, ainsi que de l'expert français (membre de la section coloniale du parti communiste français) Gérard Cauche, parcourt pendant près d'un mois plusieurs des démocraties populaires d'Europe centrale ou orientale : République Démocratique Allemande, Tchécoslovaquie, Pologne, Hongrie.
Keita Fodébasouligne à Berlin, où Willy Stoph, vice-président du conseil et ministre de la défense, offre le 9 février un déjeuner en leur honneur, que la première visite guinéenne au niveau ministériel est pour un Etat socialiste, qui est un exemple de développement. Le 3 mars, Béavogui revient signer un accord de commerce à Leipzig, où se déroule l'importante Foire annuelle. Sur le chemin du retour, à la demande insistante de la République fédérale, la mission s'arrête à Bonn le 25 février ; et un accord sera signé le 18 mars.
A Paris, on regrette que la France n'ait pas été informée, contrairement aux stipulations des protocoles franco-guinéens du 7 janvier 1959. Le 7 octobre 1959, une délégation dirigée par le magistrat Touré, le président de la Cour d'appel de Conakry, accompagné de deux députés, se rend à Berlin-Est pour les cérémonies du 10ème anniversaire de la RDA Sékou Touré s'y rendra lui aussi… mais 20 ans plus tard, en 1979.
Le 29 mars 1959, c'est une délégation yougoslave qui visite la Guinée.
Les relations entre les deux pays se développent rapidement, notamment au sein du Mouvement des non-alignés, mais aussi sur le plan bilatéral. Le 24 octobre 1960, Ilija Topalovski, premier ambassadeur de Yougoslavie, présente ses lettres de créance à Sékou Touré.
Celui-ci visitera six fois la Yougoslavie ; c'est d'ailleurs le pays socialiste où il se sera rendu le plus souvent 345. Son premier voyage l'amènera, du 7 au 10 janvier 1961, à Belgrade, à Ljubliana, à Zagreb et à Svetorazevo. Tito passe plusieurs jours en Guinée, du 19 au 25 mars 1961 (son arrivée sur son yacht Galeb est spectaculaire) 346.
A son très vif regret cependant, en raison de la crise avec les églises chrétiennes à propos de l'enseignement privé, Sékou ne pourra pas participer à cette réunion, la première placée sous le signe du non-alignement (dont la dénomination prendra de plus en plus le pas sur celle de “groupe afro-asiatique”), et devra se faire représenter par le ministre des affaires étrangères, Louis Lansana Béavogui 347 ; celui-ci sera accompagné de la délégation initialement prévue, et qui comporte Paul Faber, ministre de la justice, les arnbassadeurs guinéens à Moscou, au Caire, à Rabat, à Dakar et à Washington, les ministres-résidents au Ghana et au Mali, le chargé d'affaires en Arabie saoudite, ainsi que commandant de la région administrative de Mali (il s'agit de Diallo Daï, frère aîné de Saïfoulaye Diallo, président de l'Assemblée nationale).
Sékou visite de nouveau la Yougoslavie du 2 au 4 août 1965, et une nouvelle fois du 23 au 26 juillet 1979, quelques semaines avant le Sommet des non-alignés à La Havane.
Sékou Touré se rend encore en Yougoslavie en octobre 1980 pour participer à la conférence générale de l'UNESCO, mais Tito est mort en mai de cette même année. Les deux leaders se sont rencontrés régulièrement, lors des Sommets des non alignés, notamment ; leur dernière rencontre aura lieu au Sommet de La Havane en septembre 1979, où ils se retrouvent côte à côte pour réclamer un retour au “non alignement authentique” ; Sékou Touré fera voter à l'unanimité un hommage spécial à Tito 348. Le successeur de ce dernier, Sergej Kraigher, se rendra en Guinée du 27 au 30 mars 1982.
De multiples accords de coopération ont été signés entre Conakry et Belgrade. La Yougoslavie réalisera le barage de Banéa et une centrale hydroélectrique à Nonkéa, elle fournira un millier de tracteurs, lancera deux ateliers d'entretien à Mamou et Kankan, livrera plus 8 millions de mètres de tissu … Le 2 juin 1961 est signée entre la Yougoslavie et la Guinée une convention sur l'élaboration d'un Plan d'Urbanisme de la ville de Conakry ; en deux ans, ce plan doit faire de la ville une capitale moderne ; les frais des travaux seront partagés dans le cadre de l'assistance technique ; les experts yougoslaves élaborent et présentent officiellement, le 15 juin 1962, ce plan d'urbanisme (qui ne sera hélas guère respecté). Ce sont également les Yougoslaves qui géreront le magasin SOCOMER sorte de supermarché réservé aux étrangers, diplomates ou non, et à quelques dignitaires guinéens.
Après la Yougoslavie, c'est en Roumanie que Sékou aura effectué le plus de visites ; celles qui concernent les pays socialistes : il y a fait quatre déplacements. Il est d'ailleurs intéressant de noter que Sékou Touré privilégie les liens de la Guinée avec les deux pays socialistes de l'Europe centrale et orientale dont les leaders, Tito et Ceaucescu, ont pris le plus de distance d'avec Moscou.

[Note. Mais ce sont aussi les deux Etats policiers les plus autoritaires, à en juger par la fin violente du couple Ceaucescu et l'éclatement sanglant de la Yougoslavie. Qui se ressemble s'assemble et Sékou Touré s'était mis à bonne école auprès de ces deux dictateurs — Tierno S. Bah]

Beaucoup de dignitaires guinéens vont se faire soigner en Roumanie ; on ne peut oublier non plus que c'est dans ce pays que Sékou Touré a envoyé Nkrumah se faire soigner lorsqu'il est devenu évident qu'il avait besoin de traitements que son exil guinéen ne pouvait lui assurer ; parti en 1971, le leader ghanéen y est décédé l'année suivante ; le souhait exprimé par le gouvernement roumain de faire rapatrier le corps au Ghana a d'ailleurs provoqué une crise brève mais sérieuse entre Conakry et Bucarest, Nicolae Ivan Vancea, l'ambassadeur de Roumanie, ayant même été expulsé ; finalement, le corps fut rapatrié sur la Guinée, et ce n'est que quelques mois plus tard que Sékou Touré accepta de le rendre au Ghana. C'est également à Bucarest qu'est décédée en 1976 Hadja Mafory Bangoura, considérée par Sékou Touré comme l'une des plus grandes figures féminines de la Révolution guinéenne.

[Note. A l'époque, en 1954, l'opinion courante impliqua personnellement Mafory Bangoura dans la mort subite et suspecte de Yacine Diallo. Le poison qui fut fatal au député Diallo aurait été servi par la jeune Mafory. — Tierno S. Bah]

En mai 1959, 13 spécialistes venus de la République démocratique allemande (RDA) étudient sur place le projet de construction d'une imprimerie à Coléah (ce sera la future imprimerie Patrice Lumumba, qui sera inaugurée le 2 octobre 1961, mais ne fonctionnera effectivement que plus tard). En juillet, Berlin offre dix places pour que de jeunes Guinéens aillent assister au Festival de la jeunesse à Vienne. Le 20 janvier 1960 est signé un accord commercial avec la RDA. En juin 1961, des techniciens de la République Démocratique Allemande installent des haut-parleurs dans les rues de Conakry ; mais il se murmure très vite à Conakry qu'ils mettent également en place des systèmes d'écoutes téléphoniques.
Le 13 février 1959, une mission soviétique dirigée par Léonid Ejov signe un premier accord corrunercial d'une durée d'un an. La première opération conclue entre la Guinée et l'Union soviétique à la suite de cet accord est… un très important achat d'allumettes (2,8 millions de francs CFA). Le 19 mars, Moscou nomme comme atnbassadeur en Guinée Pavel Guerassimov, jusque-là numéro 2 de l'ambassade soviétique au Caire, et qui était déjà venu à Conakry début décembre 1958 pour féliciter Sékou Touré de la part du Kremlin. Il arrive le 16 avril par le vol hebdomadaire d'Air France. Le 2 avril 1959, Sékou Touré fait allusion devant un journaliste américain du Christian Science Monitor à des propositions soviétiques concernant les études et la construction du barrage sur le Konkouré 349, mais dit qu'il n'y répondra que lorsqu'il connaîtra la réaction du consortium occidental consulté à ce sujet. Le projet sera relancé lors de sa visite à Moscou en 1965.
Du 14 au 25 août 1959, Saïfoulaye Diallo, président de l'Assemblée nationale, conduit une mission parlementaire guinéenne en Union Soviétique, que Sékou Touré accompagne lui-même à l'aéroport lors de son départ. Le 19, Krouchtchev reçoit Saïfoulaye Diallo à Yalta, et le 24, une grande réception est donnée au Kremlin en l'honneur de la délégation, en présence d'une bonne partie de la nomenklatura soviétique, notamment Gromyko, Brejnev, Mikoyan et Souslov. Le même jour a été signé un accord d'aide économique, que l'agence Tass rend public le 26.
Saïfoulaye Diallo revient de Moscou en annonçant une aide soviétique de 9 milliards de Francs CFA. Le 14 octobre 1959, c'est une délégation de la jeunesse soviétique, conduite par Poupintsev, qui effectue une visite de quinze jours en Guinée. Du 19 au 27 novembre 1959, au terme d'un long voyage qui l'a amené aux Etats-Unis (et à New York pour l'ONU), au Royaume-Uni et en Allemagne fédérale, Sékou Touré séjourne à son tour en URSS. Il visite Moscou, Leningrad, Tiflis, la station balnéaire de Gagra, sur la façade géorgienne de la Mer noire (où il rencontre le 23 novembre Krouchtchev, qu'il invite à se rendre à Conakry 350) et termine de nouveau par Leningrad et Moscou. Il a des entretiens avec le président Vorochilov, Kozlov (premier ministre adjoint), Kossyguine (vice-premier ministre, président du comité du plan), Gromyko (ministre des affaires étrangères). M. Moukhitdinov, seul membre du Présidium originaire d'un pays musulman, assiste à tous les entretiens (il passe pour l'un des inspirateurs de la politique soviétique dans les pays arabes et africains). Le 26 novembre, Keita Fodéba (sans doute en raison de son passé de fondateur des Ballets africains, car ses attributions en matière de sécurité intérieure n'ont rien de culturel) et le ministre soviétique de la culture Mikhailev signent un accord culturel. Le même jour, le 26 novembre l'ambassadeur de Guinée Seydou Conté présente ses lettres de créances à Vorochilov. A l'issue de la visite, un communiqué conjoint souligne les convergences des deux pays sur le désarmement, la décolonisation, la coexistence pacifique, et exprime la satisfaction devant le développement des premiers échanges commerciaux et les perspectives culturelles.
Au retour, venant de Moscou, Sékou Touré s'arrête du 27 au 30 novembre 1959 en Tchécoslovaquie, où il séjourne à Prague et visite Karlovy-Vary 351. Là encore, un communiqué conjoint souligne l'identité de vues sur les problèmes internationaux.
Le 11 décembre 1959, Madame Andrée Touré, accompagnée d'une délégation de 14 jeunes Guinéens, retourne en Tchécoslovaquie, puis va séjourner, pour raisons médicales, en Union soviétique 352.
Cependant l'ambassadeur Guerassimov, en dépit de ses qualités, ne reste pas très longtemps en poste dans ce pays que le Kremlin juge crucial. Le 2 janvier 1960, un mois à peine après la visite en Union soviétique de Sékou Touré et quelques semaines avant la tenue à Conakry de la 2ème conférence de solidarité des peuples afro-asiatiques, Daniel Semenovich Solod est nommé à sa place ambassadeur en Guinée, où il arrive le 23 février ; spécialiste du Moyen Orient, il occupait auparavant le poste prestigieux du Caire ; c'est dire l'importance que Moscou accorde à Conakry 353.
Le 3 mars 1960, un protocole guinéo-soviétique prévoit un programme de trois ans pour la mise en oeuvre de projets industriels et techniques (cimenterie, scierie, cuir et chaussures, conserverie de fruits et légumes, installations frigorifiques), de nouvelles prospections géologiques, la construction à Conakry d'un institut polytechnique pour 1.500 étudiants et d'un stade de 25.000 places, la reconstruction de l'aéroport, l'amélioration des chemins de fer, l'installation de fermes laitières 354 et d'une ferme rizicole. Un accord culturel signé à Conakry le 8 juin 1960 prévoit l'importation de films soviétiques, des visites d'artistes, des missions d'enseignants et d'experts soviétiques, des échanges de programmes radio et des stages de fomtation en URSS.
Le 20 mars 1959, une mission militaire tchèque de 18 personnes (un général, deux officiers, divers ingénieurs d'armement) arrive à Conakry en Iliouchine par un vol spécial ; elle repartira le 4 avril. Elle inaugure une exposition de marchandises tchèques, présente à la Bourse du travail un film de propagande, assiste en présence de Sékou Touré dans la matinée du 26 mars au [1er] congrès constitutif de la JRDA (Jeunesse de la Révolution Démocratique Africaine). Dès leur arrivée, les observateurs (les Français en particulier) se posent la question : pourquoi tant de militaires ? La réponse est vite obtenue : deux cargos polonais, le “Iszen”, en provenance de Szczecin, et le “Vroclav”, livrent le 21 mars et le 15 avril 1959 des armes tchèques, des munitions et des véhicules militaires :

Sékou Touré affirme qu'il s'agit là d'un cadeau, et que la généreuse Tchécoslovaquie a également livré de l'équipement agricole, des vivres, des produits médicaux et hospitaliers, du matériel de génie civil, etc. … Il conclut que ces livraisons n'ont aucune incidence politique.
A Paris, où dès le 26 mars, le Quai d'Orsay a fait part à Nabi Youla de la “fâcheuse impression” qu'ont causée les premières livraisons d'armes tchèques et où on laisse à la Guinée le “bénéfice du doute” quant à son évolution vis-à-vis des pays de l'Est, on fait mine de se rappeler que la Convention de Saint-Germain du 17 septembre 1919 destinée à empêcher l'écoulement des stocks d'armes de la guerre 1914-1918 est obsolète, et que de toute manière, ni la Pologne ni la Tchécoslovaquie ne l'ont ratifiée ; mais on proteste quand même à Varsovie, qui répond que le gouvernement polonais n'a pas de contrôle sur les équipements transportés par ces navires, car ils sont fondés sur des accords conclus directement entre Prague et Conakry.
L'armée guinéenne, alors forte de 2.000 hotmnes, dispose donc maintenant d'équipements. Mais les soldats ne sont pas formés au maniement de la plupart de ces matériels, car en général, elle ne connaît que les matériels français ; il faudra donc faire venir des instructeurs (trois d'entre eux seraient déjà arrivés). C'est sans doute parce qu'ils se sont beaucoup agités autour de ces livraisons que deux officiers attachés au bureau militaire de l'arnbassade de France, le capitaine Ducheyron et le lieutenant Philippe, doivent quitter la Guinée dans les 24 heures, sur demande personnelle de Sékou Touré transmise à Francis Huré le 1er avril 1959. Autre sujet de préoccupation : ces armes restent-elles en Guinée ou, fidèle à ses options, Sékou en a-t-il fait livrer une partie aux militants de l'UPC, qui font le coup de feu au Cameroun contre le gouvernement Ahidjo ? C'est en tous cas ce que qu'affirme à la conférence des Etats indépendants d'Afrique tenue à Addis-Abeba en juin 1960 Charles Okala, le ministre carnerounais des affaires étrangères, en réplique au ministre guinéen Abdoulaye Diallo qui demandait le retrait des troupes françaises installées au Cameroun : — Celles-ci ne sont présentes que parce que la Guinée inonde mon pays d'armes tchèques qui tuent des pauvres gens.
Prague nomme le 14 mai 1959 un ambassadeur en Guinée, Vladimir Knap. Le 23 mai, Sékou Touré décide que l'ancien bâtiment de la gendarmerie nationale, où s'étaient installés quelques collaborateurs de l'ambassade de France et du consulat, doit être évacué le 10 juin, car il est réquisitionné à l'usage des instructeurs tchèques. Aux questions insistantes de l'ambassade de France, l'ambassade de Tchécoslovaquie laisse entendre que Sékou Touré ira à Prague fin novembre (c'est exact) et qu'il s'agit d'un geste de bonne volonté avant cette visite.
Le 3 juillet est signé un accord de coopération économique et technique Tchécoslovaquie-Guinée, qui sera complété par un protocole additionnel le 24 mars 1961. Prague aurait alors accepté d'ouvrir à la Guiné un crédit de six millions de dollars (sous forme d'un prêt à 5 ans). Déjà un médecin tchèque s'est installé à l'hôpital de Conakry, précédant quinze autres médecins ; la mission médicale sera finalement forte de 50 personnes. Le 6 octobre, l'ambassadeur Knap remet à la Guinée une installation médicale mobile. Une petite usine de chaussures est installée à Kindia, avec douze techniciens tchèques pour en assurer le fonctionnement. Un certain nombre de conseillers tchèques sont répartis entre plusieurs ministères guinéens : enseignement (36), PTT (35), ministère du Plan (15), ainsi que plusieurs ethnologues pour mener des études dans diverses régions du pays.
C'est aussi un expert tchèque qui vient en 1959 réorganiser les services aéronautiques ; un an plus tard, le 14 février 1960, la Tchécoslovaquie livre à la Guinée quatre avions Ilyouchine 14 ; 35 membres d'équipage et techniciens tchèques sont également arrivés sur place, cependant que des cadres soviétiques supervisent l'allongement de la piste de l'aéroport, portée avant la fin de 1959 à 3.000 mètres 355 ; le 8 octobre 1960, c'est le premier vol de la compagnie Air-Guinée. Un accord aérien sera d'ailleurs signé entre Prague et Conakry le 16 décembre 1961, puis un accord culturelle le 11 juin 1966.

Keita Fodéba fera plusieurs autres déplacements en Tchécoslovaquie. Ce que les déclarations officielles ne disent pas, c'est que, dans le cadre de ses attributions en matière de sécurité, il a fait appel dès le début de 1960 à des “spécialistes” tchèques et qu'il leur a confié en 1962 l'aménagement de la caserne de la Garde républicaine située en pleine ville 356 dans le quartier de Donka, en face de l'hôpital principal, pour y installer des cellules et des “cabines techniques”, autrement dit des salles de tortures, où auront lieu les interrogatoires des Comités révolutionnaires et où seront recueillies les “confessions” des détenus ; ce lieu sera ultérieurement appelé “Camp Boiro” ;

[Erratum. La caserne fut rebaptisée du nom du commissaire de police Mamadou Boiro en 1969. Lire Colonel Kaba 43 CamaraT.S. Bah]

Keita Fodéba lui-même y sera emprisonné et exécuté quelques années plus tard

[Erratum. Fodéba fut extrait de sa cellule et fusillé le 26 mars de la même année 1969. Lire Kindo Touré — T.S. Bah].

Le 24 mai 1959, un cargo polonais décharge au port de Conakry 450 tonnes de farine. Il s'agit donc cette fois-ci d'une livraison pacifique. D'ailleurs, la société de navigation polonaise PZM dessert depuis novembre 1958 une ligne qui va du port de Stettin vers la côte occidentale d'Afrique. En janvier 1959, une délégation guinéenne s'est rendue à Varsovie pour signer un accord commercial. La Guinée doit livrer annuellement à la Pologne 60.000 tonnes de minerai de fer, 5.000 tonnes de palmistes, 150 tonnes de peaux brutes, des diamants, du sésame, etc.… Un ingénieur polonais, George Szwawdyn, est chargé en septembre 1959 de la réorganisation du Bureau Minier de Guinée.
En juillet 1959, c'est la signature d'un accord commercial avec la Hongrie. En mai, une délégation dirigée par Karol Havas, directeur au ministère du commerce, et composée de six autres directeurs d'entreprises publiques, se rend en Guinée. Une équipe de spécialistes hongrois entraîne les cadres de la nouvelle JRDA. En septembre 1960, Sékou Touré fait à Budapest une brève escale. En 1965, il y fait encore une visite de deux jours (31 juillet-1er août) ; son arrivée impromptue cause une grande surprise à l'ambassadeur guinéen Maurice Camara, qui n'était pas prévenu ; un accord est signé pendant le séjour sur des recherches géologiques et la construction de petites unités industrielles. Du 3 au 8 décembre 1971, c'est le président du conseil de la présidence de la République populaire de Hongrie Pal Losonczi qui séjourne en Guinée ; il se rend à Nzérékoré, Kankan, Labé, Pita et Kindia. Les deux pays signent à cette occasion plusieurs accords : échanges commerciaux, coopération scientifique et technique, accord aérien.
Dès 1959, selon une décision prise par Sékou Touré lui-même au mois d'août, sur 150 boursiers guinéens, 111 sont envoyés dans les pays communistes (Union soviétique, Pologne, Tchécoslovaquie, Hongrie et Chine), 32 en France, 7 dans d'autres pays occidentaux (dont 2 aux États-Unis).
Le 17 octobre 1960, 51 boursiers guinéens quittent Conakry pour des pays de l'Europe de l'Est (neuf en URSS (il y seraient 200 l'année suivante), treize en Tchécoslovaquie, seize en RDA, treize en Bulgarie. A la même époque, il y a en Guinée 505 techniciens des pays des pays communistes en Guinée, dont :

Et 200 étudiants guinéens [sont admis] en URSS.
Le quotidien suisse Neue Zürcher Zeitung du 7 juillet 1960, faisant écho à des propos recueillis sur place par son correspondant, signale qu'aucun des projets promis par les pays de l'Est n'a encore dépassé le stade de la planche à dessin, alors que la Guinée commence à payer cher — et en devises — les frais de séjour et de travail des experts soviétiques et tchèques, alors qu'il est expressément prévu, pour les techniciens chinois qui commencent à arriver, qu'ils auront un mode de vie qui n'excédera pas celui de travailleurs de même niveau en Guinée. Au fil des années, les critiques se font plus précises. Les faits cités sont connus, et on en parle parfois encore aujourd'hui comme exemples de l'inadaptation des matériels envoyés par les pays communistes aux conditions locales 357.
En 1961, la Guinée a acheté à la Tchécoslovaquie huit autorails et cent wagons pour la ligne de chemin de fer Conakry-Kankan ; mal adaptées aux parcours sinueux et aux courbes très raides, ces voitures provoquent tant d'accidents qu'elles doivent être retirées du service. Au début de cette même année, 5.000 bidets tchèques encombrent le port, et 3,5 tonnes de trombones commandés par on ne sait quel organisme ne trouvent pas preneur 358. Les 60 autocars tchèques Tatra et Praga peints en jaune et en rouge font l'admiration de tous, jusqu'à ce que l'on constate que seuls les pneus Michelin résistent bien aux routes guinéennes et que les pièces de rechange conseillées viennent de la firme française Chausson ! Le sucre venu de la RDA ne fond pas ! Les voitures fournies par l'URSS ou la Roumanie sont équipées avec de l'antigel (mais elles avaient sans doute été manufacturées en hiver dans ces derniers pays) 359.
Tout le monde parle encore des chasse-neige livrés par l'Union soviétique pour les chantiers guinéens de travaux publics ! Cette dernière anecdote, qui a fait le tour du monde, est réfutée en ces termes par Youri Roubinski, ancien diplomate, directeur du centre d'études françaises de l'Institut de l'Europe auprès de l'Académie des sciences de Russie: “Il s'agissait simplement de petits bulldozers servant au nettoyage des rues de Moscou et qui furent utilisés en Afrique pour débroussailler les terrains à usage industriel ou agricole gagnés par la végétation tropicale. Cette technique sy révéla parfaitement efficace.” 360
Bien d'autres éléments négatifs sont répandus sur les pays communistes au cours de cette année 1961, qui débute avec une visite officielle de Léonid Brejnev mais se terminera en décembre avec l'expulsion de l'ambassadeur soviétique dans le cadre du “Complot des enseignants” 361. En juillet 1961, les dirigeants guinéens se plaignent de ce que de faux billets de banque imitant les vignettes de qualité médiocre imprimées en Tchécoslovaquie circulent à Conakry. Les Guinéens ne sont pas non plus satisfaits des camions polonais et hongrois. En juillet également, c'est la révélation d'un trafic de diamants, auquel se livreraient des experts soviétiques de la région de Kankan 362. Le 10 novembre, près de 200 experts rizicoles soviétiques sont remerciés et renvoyés dans leur pays, après un échec qui aurait coûté 3,7 milliards de francs guinéens. En décembre 1961, l'entourage présidentiel se plaint de l'équipage soviétique de l'hélicoptère présidentiel, qui est souvent absent, notamment lors d'une visite officielle du président du Nigeria à Fria prévue pour le 14 décembre, et Sékou Touré lui-même fait état de son mécontentement (comme nous le verrons plus loin). Lors d'une visite de Sékou Touré à Nzérékoré, l'hélicoptère soulève un tel nuage de poussière que la panique fait deux morts et une centaine de blessés. D'autant qu'à Beyla, le gouverneur de région vient de se plaindre contre l'équipage soviétique. On invente parfois des formules qui sont carrément racistes, comme “Les Russes sont les Guerzés des Blancs!” (c'est-à-dire des “sauvages”, les Guerzés étant l'une des ethnies de la Guinée forestière, souvent stigmatisée par les autres).
Le 15 novembre, l'étude du projet de barrage sur le Konkouré est achevée par des experts soviétiques. Désireux de minimiser les critiques, Sékou Touré donne le 3 octobre une interview à l'agence de presse Novosti, où il se félicite de la coopération entre les deux pays et stigmatise la campagne qu'il attribue à la presse occidentale selon laquelle des techniciens soviétiques se comporteraient mal. Ceux-ci restent d'ailleurs fort nombreux : au cours des trois premiers mois de 1961, l'antbassade de Guinée à Moscou délivre 750 visas.
Leonid Brejnev, à l'époque Président du Soviet Suprême de l'Union soviétique, se rend en visite officielle en Guinée du 11 au 16 février 1961. Il est accompagné d'une suite de 23 personnes, comprenant notamment Alexandre Kouznetzov, premier vice ministre de la culture, Yokov Malik, vice-ministre des affaires étrangères, et Ivan Semitchajnov, vice ministre du commerce extérieur. Le 12, après un grand défilé de l'armée et des organisations populaires, Sékou rappelle à son hôte que “les populations guinéennes ne sont pas communistes et le PDG n'est pas un parti communiste ; mais il lutte sans merci contre tous les phénomènes se réclamant de l'impérialisme et du colonialisme.”
Dans l'ensemble, il se déclare quand même favorable aux thèses défendues par l'Union soviétique dans l'ordre international. A l'issue de la cérémonie, Leonid Brejnev est fait Compagnon de l'Indépendance.
L'après-midi, Brejnev quitte la capitale pour Labé, d'où il se rendra à Kankan et à Kissidougou. La réception prévue en son honneur le 14 est annulée en raison de la mort de Lumumba, mais le leader soviétique donne une réception le 15. Les thèmes habituels cotnme l'amplification de la coopération bilatérale, le développement des échanges commerciaux, l'examen de la situation internationale, les perspectives africaines, figurent dans le communiqué conjoint publié le 17. Sékou et son interlocuteur peuvent également, mais pour des raisons différentes, mettre en cause la France : le 9 février, alors qu'il se dirigeait vers Rabat, l'avion de Brejnev a été intercepté au dessus de la Méditerranée par des avions de chasse français, qui ont tiré des coups de semonce. Sékou convainc également son hôte de répondre positivement à l'invitation impromptu que lui a adressée Nkrumah, et Brejnev se rend à Accra en quittant Conakry le 16 février 363.
Pour cette nouvelle étape des rapports soviéto-guinéens, Sékou souhaite nommer un nouvel ambassadeur à Moscou. Il choisit Tibou Tounkara, mais celui-ci refuse obstinément de s'y rendre, puis Nabi Youla, qui en fait de même, en se levant devant Brejnev, en s'inclinant devant lui et en disant d'un ton très ferme et très net :
— Il n'en est pas question !
Stupeur des participants, soviétiques comme guinéens ; les uns découvrent avec surprise conmment Sékou Touré choisit les ambassadeurs 364, et les autres assistent pour la première fois à un refus aussi catégorique face au président. C'est donc finalement Kaba Sory, ancien ambassadeur au Caire, qui venait d'être désigné pour Paris, qui partira pour l'Union soviétique 365. Il aura la difficile tâche de gérer la grave crise qui éclatera entre les deux pays quelques mois plus tard, avec le “Complot des enseignants et des marxistes”.
En octobre 1961, le PDG est l'un des rares partis non communistes invités au 22ème Congrès du parti cotmnuniste de l'Union soviétique. C'est Saïfoulaye Diallo qui dirige la délégation guinéenne et qui intervient le 24 octobre. Après un violent réquisitoire de Sékou Touré le 11 décembre mettant en cause le rôle d'une atnbassade d'un pays de l'Est, tout le monde en ville comprend vite qu'il s'agit de l'Union soviétique 366.
Le 14 décembre 1961, Sékou Touré réunit les représentants de la Bulgarie, de Chine populaire, de la Corée du Nord, de la RDA, de la Hongrie, de la Mongolie, de la Pologne, de la Roumanie, de la Tchécoslovaquie, de l'URSS et du Vietnam du Nord. Il leur reproche leur manque de coopération et leurs ingérences et explique pourquoi il a décidé de faire partir l'ambassadeur soviétique Daniel Solod (qui quittera le pays le 16) :
— Nous comprenons que les ambassadeurs des pays impérialistes mettent tous leurs moyens en oeuvre pour nous faire échouer, nous comprenons les raisons qui les poussent à compromettre nos cadres et nos jeunes. Le centre culturel américain était un centre d'espionnage et de propagande ; nous avons interdit son fonctionnement et avons refusé aux pays occidentaux de créer des centres culturels en Guinée. Mais nous vous avons priés de nous donner toutes vos publications, vos brochures, vos livres, pour que nous puissions en faire la répartition ; certains d'entre vous ont refusé nos conseils et continuent de faire une large diffusion de leur matériel de propagande. En ce qui concerne les bourses d'études, nous avons constaté avec regret que certains ambassadeurs des pays de l'Est prennent contact avec la jeunesse directement et donnent des billets à l'insu du gouvernement. Des publications sont envoyées dans nos collèges et lycées. Des professeurs critiquent notre pays et en cela, ils aident les professeurs des pays impérialistes, et collaborent à leur travail malsain. A la suite du complot que nous venons de découvrir, nous avons mis la main sur beaucoup de papiers compromettants ; c'est pour ne pas desservir la révolution que nous n'avons fait état jusqu'ici que du complot des pays impérialistes ; pour ce qui est des documents concernant les pays de l'est, nous n'en ferons pas état. Sur le plan économique, nous avons des inquiétudes ; il semble que tout soit mis en oeuvre pour que notre plan ne se réalise pas par ceux là même sur lesquels nous comptions ; ils font volontairement traîner en longueur les travaux. Lorsque j'en ai parlé à l'ambassadeur Solod, il m'a répondu :
— Si nous tolérons cela, qu'allons nous faire ensuite ?
Dans les mines de diamant, la production est inférieure à ce qu'elle était du temps des capitalistes et des exploitants clandestins. La principale entreprise agricole de Guinée a été sabotée, j'emploie ce terme à dessein parce que je n'ai pas le droit de vous mentir. Quant à nos amis aviateurs, nous comprenons bien que la vie est dure dans le pays, très rude, ils ne sont pas accoutumés à notre climat ou à nos conditions, mais cela ne justifie pas qu'aujourd'hui, alors que le programme du premier ministre du Nigeria était prévu depuis trois jours, ils nous préviennent à la dernière minute que l'appareil ne pourra pas partir en temps utile ; nous aurions pu modifier notre programme. Dans les mêmes conditions, nous avons dû renoncer aux services de certains aviateurs tchèques. A la station radio, ce sont les mêmes difficultés. En 1959, on avait annoncé que la Tchécoslovaquie donnait à l'Afrique un puissant émetteur en offrant un poste à la Guinée ; les puissances impérialistes ont alors décidé de doter de la même manière les autres pays africains ; cela a été fait en six mois, nous attendons toujours. Les équipements agricoles vous ont été commandés par moi-même en insistant sur le caractère d'urgence, et tous les jours, on nous dit de patienter, les engins vont arriver, et rien ne vient. En 1959, à Moscou, il a été question de bateaux qui devaient arriver dans un délai de quatre mois ; nous avons diffusé cette bonne nouvelle inutilement. Nous éprouvons des difficultés dans les carburants ; vous savez que nous avons pris la décision de liquider toutes les sociétés américaines de produits pétroliers et vous savez que nous ne comptons que sur vous ; or nous sommes en rupture de stocks. Je laisse de côté tous les petits faits qui nous sont signalés journellement par nos cadres du commerce. Nous sommes obligés de vous faire part de nos inquiétudes. Pour ce qui est de votre collègue Solod, nous l'avons invité à rejoindre Moscou pour attitude provocatrice. Et le ministre Alpha A. Diallo se rend sur l'heure à Moscou afin de fournir les éléments de notre décision aux autorités. Nous avons sollicité l'envoi à Conakry d'une délégation qui s'entretiendra avec notre BPN, et aussi qu'un autre ambassadeur soit nommé immédiatement. »
Très ennuyés par ce développement inhabituel et désireux de maintenir au mieux leurs relations avec la Guinée, qui constitue pour eux un idéal poste d'observation en Afrique et un point stratégique admirablement placé sur l'Atlantique sud, les Soviétiques font contre mauvaise fortune bon coeur. Le 28 décembre, sans la moindre allusion à ce qui vient de se produire, un bref communiqué publié à Moscou annonce qu'Anastase Mikoyan, vice-premier ministre soviétique, répondra bientôt à l'amicale invitation reçue du chef du gouvernement guinéen et qu'il discutera à Conakry tous les sujets concernant le renforcement de la coopération entre les deux pays. Moins d'un mois après le départ forcé de Solod, Anastase Mikoyan séjourne à Conakry, du 5 au 10 janvier 1962 367.
Il est logé à la villa présidentielle de Coléah, que vient juste de quitter le ministre fédéral allemand des affaires étrangères Schroeder, accompagnant le président de la République fédérale allemande, Lübke. La soirée offerte en l'honneur de Mikoyan est glaciale. Avant la présentation des Ballets Guinéens, le présentateur lit un texte de Sékou Touré précisant que “les révolutions ne s'importent pas”. Et Mikoyan s'entend déclarer publiquement par Sékou :
— Les révolutions ne sauraient s'importer ni s'exporter ; nous entendons emprunter les voies qui répondent le mieux à nos conditions spécifiques. 368
Le 10 janvier, au moment du départ de Mikoyan pour le Ghana, après des discussions qui ont sans nul doute été difficiles, on apprend que Dimitry Degtyar, vice-président du comité d'État pour les relations économiques internationales, remplacera comme ambassadeur de l'Union soviétique à Conakry, M. Solod, “qui a été libéré de ses fonctions pour permettre son transfert à un autre poste.” Le nouvel ambassadeur attendra 49 jours avant de pouvoir présenter ses lettres de créance à Sékou Touré, geste tout à fait inusité du point de vue du protocole diplomatique, surtout pour le représentant d'un pays aussi important. Ce retard est d'autant plus étonnant que fin janvier-début février 1962, dans le cadre d'une tournée africaine qui les mène également en Égypte et au Liberia, les cosmonautes Youri Gagarine et Pavel Popovitch font un séjour très populaire à Conakry.
Le 6 août 1964, à la toute dernière minute, Sékou Touré annule un déplacement qu'il devait faire à Moscou et laisse Béavogui diriger la délégation à sa place 369. La prochaine visite présidentielle aura lieu en juillet/août 1965. Forte de vingt personnes, la délégation visite notamment Moscou, Volgograd, Kiev ; de son côté, Madame Andrée restera jusqu'à la fin d'août. On procède à la signature d'un accord économique, qui prévoit de multiples projets, dont certains très importants : barrage de Konkouré 370, usine d'aluminium, fourniture immédiate de deux bateaux de pêche et de huit chalutiers moyens (25 tonnes/jour), chantier naval de construction de petites embarcations à partir du bois de la scierie de Nzérékoré, poursuite des recherches et de l'exploitation géologiques (diamant), installation d'une verrerie, barrage et centrale hydroélectrique de Kérouané, aménagement de plaines en Haute Guinée pour les cultures industrielles (coton, canne à sucre, tomates), hôtel de 100 chambres dont 30 suites pour hôtes de marque (ce sera l'hôtel Camayenne 371), fourniture de 15 millions de mètres de tissus divers de consommation courante, comme kaki, cretonne, percale, imprimés, soie naturelle, etc.), ainsi que de 20.000 tonnes de ciment et de cent camions.

[Erratum. Ce n'était pas un nouvel immeuble mais plutôt la modernisation/expansion d'un établissement du même nom, et qui, avant sa confiscation, appartenait — Tierno S. Bah]

Bien que Conakry ne soutienne pas l'Union soviétique lors de la crise des missiles de Cuba en 1962 et que la Guinée ne prenne pas position dans la querelle sino-soviétique qui s'amplifie (les sympathies de Sékou Touré vont d'ailleurs plutôt à Pékin 372), la coopération guinéo-soviétique se poursuit néanmoins régulièrement. Une délégation conduite par le ministre de l'enseignement supérieur Nedelev séjourne en Guinée du 19 mars au 10 avril 1968. Le ministre est fait commandeur de l'Ordre national. A la suite de discussions sur la formation des cadres et le renforcement de la coopération culturelle intervient la signature d'un accord sur l'équivalence des diplômes. Le 5 avril a lieu, en présence de la délégation, le baptême de la 1ère promotion “Vladimir Lenine” d'étudiants sortis de l'Institut Polytechnique de Conakry ; sur les 58 [élèves] diplômés, il y a :

Le 10 avril de la même année, c'est le départ pour Moscou de 85 gendarmes et militaires pour un stage de deux ans dans le domaine des transmissions. Le 29 avril, Nfamara Keita, ministre du commerce, des transports et des télécommunications, signe un accord portant sur le développement des échanges cormnerciaux. La délégation se rend ensuite à Bucarest, puis à Belgrade, où elle est reçue par Tito. Fin avril, une délégation d'Air Guinée dirigée par Mara Djomba, sous-directeur commercial d'Air-Guinée, arrive à Moscou pour prendre livraison auprès de l'Aeroflot d'un quatrième appareil Antonov 24 destiné à Air-Guinée 373.
En juin, une délégation de sept spécialistes soviétiques se rend à Labé pour diriger des stages au centre de préparation militaire parachutiste. Le 8 août, le ministre de la défense Lansana Diané est à Moscou, où il est reçu par les maréchaux Gretchko et Zakharov.

Le ministre d'Etat chargé des finances, Saïfoulaye Diallo, dirige une délégation parlementaire qui séjourne à Moscou du 14 au 26 août. C'est au cours de ce voyage que le bruit court à Conakry que Saïfoulaye Diallo serait mort ; la communauté Peule s'émeut, et il faut que Sékou lui-même l'accueille en grande pompe à l'aéroport à son retour.

Au cours de ce même mois d'août 1968, Sékou Touré ne prend pas position en faveur de l'intervention des chars soviétiques à Prague, en dépit d'une démarche pressante de l'ambassadeur soviétique. Début septembre, c'est le départ pour l'URSS de deux délégations de femmes guinéennes, l'une conduite par Hadja Mafory Bangoura, présidente du comité national des femmes, l'autre par Hadja Touré Sylla, la vice-présidente. Le 24 septembre, Madame Andrée et diverses personnalités qui ont effectué une cure en Union soviétique rentrent à Conakry. Le 19 octobre, Alpha [Mamadou] Amadou Diallo, secrétaire d'Etat à l'information et au tourisme se rend en mission à Moscou.
Le 31 janvier 1969, Yoro Diara, gouverneur de la région de Mali, est nommé ambassadeur en Union soviétique ; il rejoint Moscou en avril seulement, quelques jours après l'arrestation de Keita Fodéba.
En novembre 1969 est conclu un accord sur l'exploitation par les Soviétiques d'une mine de bauxite de Debelé près de Kindia (ce sera l'OBK, Office des Bauxites de Kindia), qui nécessite aussi la construction d'une voie de chemin de fer longue de 152 kilomètres jusqu'au port minéralier de Conakry. L'exploitation a commencé en 1974, la bauxite étant transformée en alumine à Nikolaïev en Ukraine, puis en aluminium en Russie. L'investissement (un prêt de 92 millions de dollars à 2,5% l'an d'intérêts) et les équipements, ainsi que l'assistance technique, ont été fournis par l'Union soviétique, qui se réserve pour trente ans 90% de la production, une partie (55%) servant à rembourser les prêts. Le prix de vente fixé par accord avec l'Union soviétique reste inférieur au cours mondial (en 1979, il est passé de 18 à 20,4 dollars la tonne, alors que le cours mondial est de 28), mais la bauxite de Debelé a une teneur moindre. Quelques années après son démarrage, l'OBK employait 1700 travailleurs, dont 70 Russes, et son chiffre d'affaires annuel atteignait 85 millions de dollars.
En août 1970, le Comité central du PCUS invite un certain nombre de personnalités guinéennes, parmi lesquelles le ministre Alassane Diop, à venir suivre des traitements médicaux en Union soviétique. Les échanges de délégations ne cessent pas, qu'elles soient politiques, techniques, syndicales, ou parlementaires : ainsi, le 27 novembre 1973, Sékou Touré reçoit une délégation du Comité exécutif des députés de Moscou, conduite par Polina Voronina, vice-présidente du Comité, qui termine une visite de plusieurs jours en Guinée Le 3 août 1973 est conclu avec l'Union soviétique un accord sur la construction d'un centre de recherches océanographiques et hélio-physiques. De nombreux chalutiers soviétiques croisent au large des côtes guinéennes, les uns pour pêcher, d'autres pour effectuer des recherches scientifiques. Mais leur équipement électronique très sophistiqué fait penser à certains qu'il y a également des applications militaires 374.
Le bruit court d'ailleurs depuis longtemps dans les milieux occidentaux qu'une base de sous-marins soviétiques était aménagée dans les îles de Los, en face de Conakry 375. De plus, l'attaché naval de l'ambassade soviétique est d'ailleurs un amiral 376. Alors qu'en 1975, Sékou avait mis le port et l'aéroport de Conakry à la disposition de Cuba et de l'Union soviétique pour leurs opérations en Angola, il interdit l'aéroport en 1976 aux Tupolev et Ilioutchine à long rayon d'action qui pouvaient à partir de Conakry survoler et contrôler l'ensemble de l'Atlantique Sud ; l'ambassadeur des États-Unis William Harrop prétend avoir fait pression sur Sékou Touré à propos de ces vols en le menaçant de suspendre l'aide alimentaire américaine, à cette époque encore indispensable à la Guinée, ou tout au moins à la population de la capitale. A la même époque, Sékou Touré ne laisse pas non plus les avions cubains faire escale à Conakry pour acheminer des troupes et des équipements destinés à aider l'Ethiopie de Mengistu à tenter de maîtriser la rébellion érythréenne 377.
A la conférence islamique qui se tient à Islamabad du 27 au 29 janvier 1980, Sékou Touré dirige lui-même la délégation guinéenne. L'unanimité des 36 pays présents (sur 40 membres), y compris la Guinée, condamne la récente invasion de l'Afghanistan par l'armée soviétique, suspend l'Afghanistan de l'Organisation de la Conférence Islamique OCI, et appelle à un boycott des Jeux Olympiques de Moscou. A cette date, quelle est la place de l'Union soviétique en Guinée ?
Les échanges commerciaux, selon les sources du FMI, représentent 21 millions de droits de tirage spéciaux (DTS) à l'importation (9,6% des importations du pays) et 45 millions de DTS à l'exportation (17% des exportations du pays). Ces dernières consistent presque exclusivement en bauxite. Les importations concernent principalement des équipements pour l'exploitation minière, du matériel militaire (véhicules et avions), des produits pétroliers, et quelques biens de consommation 378.
Les échanges s'effectuent toujours sur la base de l'accord de 1960, qui prévoit la clause de la nation la plus favorisée, une liste contingentée de produits négociés annuellement, un système de paiement basé sur le clearing (surtout la bauxite). La dette de la Guinée vis-à-vis de l'URSS est estimée à près de 400 millions de dollars 379.
La mine de bauxite de l'OBK est l'investissement soviétique le plus important. La Guinée reçoit par an 100.000 tonnes de poissons en échange de la liberté de pêche accordée aux chalutiers soviétiques, en permanence au nombre de 7 à 10. La Guinée reçoit environ 40.000 tonnes de produits pétroliers soviétiques, mais Moscou a conunencé à limiter les livraisons et à exiger un règlement au comptant et en devises. L'aide militaire soviétique, longtemps sinon exclusive, du moins très majoritaire, est évaluée à 40 millions de dollars pour l'ensemble de la période 1960-1975. Elle est beaucoup plus réduite depuis lors. Le matériel assurée par des techniciens soviétiques, en particulier dans la marine et dans l'aviation, ainsi que dans certaines unités de l'arntée de terre (blindés, notamment). L'encadrement et l'instruction de la troupe (à l'exception, des milices populaires, entraînées par des Cubains) est supervisé sur place par des Soviétiques (et des Tchèques). Mais une grande partie des nouveaux cadres, notamment de la marine et de l'aviation, est formée en Union soviétique, qui reçoit plusieurs dizaines de stagiaires chaque année ; les cadres encore formés sous l'armée coloniale sont de moins en moins nombreux, mais occupent des grades élevés.
En dehors des militaires, un grand nombre d'étudiants et de stagiaires guinéens sont formés dans les pays de l'Est, en particulier en Union soviétique (notamment à l'Université Patrice Lumumba de Moscou). En 1980, plus de mille Guinéens sont en formation universitaire ou technique en URSS. Un certain nombre d'entre eux y épousent des jeunes filles soviétiques, qu'ils ramènent ensuite avec eux en Guinée, où ces épouses font souvent face à de réels problèmes d'adaptation. A la même époque, 1.400 conseillers soviétiques sont encore présents en Guinée (dont 300 conseillers militaires, 800 travaillant dans les projets de développement, notamment à l'Office des Bauxites de Kindia). Ils sont payés l'équivalent de 350 dollars en monnaie convertible par mois.
L'impression générale des observateurs est que les liens avec les pays communistes se distendent progressivement, en particulier depuis la normalisation avec la France et la réconciliation avec le Sénégal et la Côte d'Ivoire. Bien entendu, Sékou Touré, tout en en convenant en privé, cherche à réaffirmer l'excellence des liens avec l'Union soviétique.
Ainsi, après son voyage en France en septembre 1982, il est interrogé à ce sujet par un journaliste d'une revue égyptienne.
— Excellence, après votre visite en France, n'envisagez-vous pas une visite à Moscou ? Et quelle est la situation actuelle des relations entre la Guinée et l'Union Soviétique ?
— Nous dirons que les relations sont bonnes. Même le jour de mon départ de Conakry, nous recevions un message très amical du président Brejnev avec une invitation ; et nous dirons même que peut-être c'est la 6ème qui nous arrive depuis 3 ou 4 années. C'est nous qui sommes en retard, et nous tâcherons de répondre à l'invitation au moment convenu 381.
En fait, Sékou Touré reviendra une deuxième fois en France, en 1983, mais ne retournera plus en Union soviétique.

Notes
322. C'est la Chine nationaliste — c'est-à-dire Taiwan-Formose — qui représente alors seule la Chine à l'ONU, et qui par conséquent occupe le siège de membre permanent au Conseil de sécurité. Il est probable que Sékou Touré connaissait cette situation, ce qui fait qu'en dépit de sa sympathie pour la République populaire de Chine (qu'il visitera d'ailleurs deux ans plus tard), il a jugé indispensable d'envoyer un message tant à Taiwan qu'à Pékin. La République populaire de Chine remplacera Taiwan à l'ONU en 1971 seulement. Taiwan reconnaît la Guinée le 6 novembre 1958.
323. Selon une phrase attribuée à Lénine: “qui tient l'Afrique tient l'Europe (ou même le monde)”.
324. Et le général de Gaulle n'est pas le dernier d'entre eux : il s'émeut régulièrement des attentions que Washington manifeste vis à vis de Conakry, mais s'irrite tout autant des relations que Sékou entretient avec Moscou et ses alliés. Il dira un jour à l'ambassadeur Roger Seydoux :
— Sékou ? C'est un communiste ; je le sais, je l'ai vu à la télévision avec Fidel Castro. On peut aussi rappeler ici ce que le général de Gaulle déclarait le 8 mars 1953 à Bamako, inaugurant, trois jours après la mort de Staline, une statue de Félix Éboué :

« L'impérialisme écrasant des Soviets pousse, ici comme partout, à la subversion en vue d'étendre un jour leur terrible dictature sur des pays bouleversés. D'autre part, une certain surenchère américaine, trop souvent subie plutôt que repoussée, ne laisse pas d'y battre en brèche la position et l'action de la France. »

325. Selon les sources, la date de reconnaissance formelle varie quelque peu. Les dates retenues par le Quai d'Orsay feraient de l'Union soviétique le premier pays communiste à avoir reconnu la Guinée (le 5 octobre), suivie de la Chine communiste, de la Tchécoslovaquie, de l'Albanie et de la Corée du Nord (le 8 octobre), du Vietnam du Nord et de la Hongrie (le 9), de la Bulgarie (le 10), de la Yougoslavie (le 11), de la Roumanie (le 21 ), de l'Allemagne de l'Est et de la Pologne (le 27).
326. Le premier accord conclu avec un pays africain, le Ghana, ne sera signé que six jours plus tard, le 23 novembre. Sur les relations complexes de la Guinée avec les deux Allemagne, voir les trois chapitres qui leur sont consacrés.
327. Sékou Touré avec sa délégation a été logé dans un hôtel de la capitale, et le protocole bulgare a fait évacuer les chambres occupées par des visiteurs étrangers, pour le reloger dans les mansardes. Parmi eux, Gérard Bosio, qui sera quelques années plus tard conseiller culturel du président Senghor, et son père, conseiller général du département des Alpes-Maritimes. Dans le hall de l'hôtel, Sékou Touré les entend se plaindre de l'inconfort de l'installation et du procédé cavalier du protocole, les fait parler, présente ses excuses, fait venir le chef du protocole bulgare, exige d'être logé la nuit suivante dans un bâtiment officiel et demande que les Bosio père et fils soient installés dans sa propre chambre à l'hôtel, ce qui sera fait … sans que les draps eussent été changés ! (entretien de Gérard Bosio avec l'auteur, Paris, 20 septembre 2007)
328. L'auteur n'oublie pas — avec reconnaissance — que c'est une équipe de traumatologues bulgares qui lui donnera les premiers soins à l'hôpital de Conakry après son accident de voiture en septembre 1977 (relaté dans le chapitre 79 ; on y apprendra que cet accident fut manigancé par le KGB soviétique !)
329. C'est ainsi qu'en septembre 1973, le gouvernement guinéen décore de la Médaille du travail et organise une cérémonie d'adieu au Palais du Peuple lors du départ d'un couple de médecins qui ont passé six ans en Guinée, M. et Mme Dimov, interniste et pédiatre, qui ont servi à Labé, à Dubréka et à Conakry ; le ministre de la Santé, Kekoura Camara, a évoqué avec émotion leurs visites “en Opel bleue” dans toutes les banlieues de la capitale. En 1973, 50 autres médecins bulgares sont présents en Guinée. En septembre 1977, l'auteur a été accueilli à l'hôpital par une équipe de traumatologues bulgares à la suite de son accident d'automobile.
330. Qui donne lieu aussi à une amusante anecdote. Au cours des répétitions, le maître de ballet bulgare constate que dans l'une des pièces du répertoire, les jeunes Guinéennes dansent les seins nus ; il exige immédiatement qu'elles cachent leur poitrine, par exemple en mettant des soutiens-gorge ; le maître de ballet guinéen refuse ; son interlocuteur, au terme d'une longue discussion, affirme que les étrangers doivent se conformer à la pratique locale. Bien, réplique alors le Guinéen, ce qui signifie que lorsque les ballets bulgares viendront en Guinée, vos danseuses se produiront les seins nus. Il paraît que le maître de ballet bulgare n'insista plus.
331. Qui recevra du 5 au 7 février 1984 comme “invité personnel” un éminent membre du parti communiste français, Charles Fiterman, ancien directeur de l'école du parti communiste à Choisy-le-Roi et ancien ministre des transports (en 1981 dans le gouvernement Mauroy).
332. On a pourtant cru pouvoir comparer les deux pays; ainsi, l'ouvrage d'Alpha Condé, Guinée, Albanie d'Afrique ou néo-colonie américaine, Paris, Éditions Gît-le-coeur, 1972, 270 pages.

[Note. Curieusement, dans cet ouvrage Alpha Condé ne tente même pas d'expliquer et/ou justifier ce titre. En somme, il s'agit plus d'un slogan pamphlétaire que d'une prémisse logiquement valable et historiquement admissible. — Tierno S. Bah]

333. Comme partout ailleurs dans le monde, l'ambassade de France avait auparavant fait une démarche au sujet de la reconnaissance éventuelle comme États indépendants de territoires d'outre-mer qui refuseraient d'entrer dans la Communauté prévue par la nouvelle constitution française. La réponse soviétique, en date du 7 octobre, déclare que “la norme directrice devait être le principe d'autodétermination des peuples, principe de droit international consacré par la charte de l'ONU.” Le 9 octobre, le Quai d'Orsay répond que le ton du message du 4 octobre par lequel l'URSS avait reconnu la République guinéenne ne convenait pas à la situation : le choix de la Guinée, fait en toute liberté et indépendance, ne justifiait nullement l'allusion soviétique à la “libération de l'Afrique du joug colonial”.
334. Le docteur Antoine Lama (1927-1983) entra au petit séminaire, mais en fut exclu pour ses idées progressistes. Il poursuit en France des études de médecine commencées à Dakar, et devient président des étudiants guinéens en France. A ce titre, il effectue un certain nombre de missions internationales pour le compte du PDG Il revient en Guinée en 1961 et y exercera les fonctions de professeur de médecine et de médecin-chef du laboratoire de l'Hôpital de Donka.
335. Lieu que l'auteur n'a pas pu d'identifier peut-être une ville sidérurgique en Croatie (ex-Yougoslavie) ?
336. Télégramme diplomatique d'Accra “Réservé Secret”, “Priorité absolue”, n° 603 et 604-605 du 23 novembre 1958 à 20 h. et 20 h. 20, signés Louis de Guiringaud.
337. Cité par le journal L'Économie n° 679, du 23 avril1959, sous le titre : “La Guinée entre l'Est et l'Ouest”. Le 3 mai, le New York Times écrit sous la signature de son correspondant Thomas F. Brady que “Sékou Touré mentionne la réticence distanciée (aloofness) de l'Occident” pour expliquer l'acceptation de l'aide soviétique.
338. Il est vrai qu'il y a de réelles divergences entre Ismael Touré, partisan d'une coopération accrue avec les États-Unis et les pays occidentaux, et Keita Fodéba, acquis davantage à l'intensification des relations en tous domaines avec les pays communistes. Sékou Touré est sans nul doute soucieux de préserver une certaine cohérence (et son autorité) en équilibrant les deux tendances et en privilégiant neutralisme et non alignement.

[Note. Il est regrettable qu'André Lewin ne fournisse aucune référence pour tenter d'étayer cette sommaire et légère affirmation. — Tierno S. Bah]

339. Télégramme diplomatique “Réservé—Très urgent—Diffusion restreinte” no 3808/14 du 17 avril 1959, adressé sous la signature de Jean Daridan, directeur général des affaires politiques et économiques au Quai d'Orsay, à l'ambassadeur de France à Washington. C'est peu après, nous le verrons par ailleurs, que se tient à Paris le 22 avril un Conseil restreint “Très secret” présidé par le Premier Michel Debré, qui décide “de poursuivre sur tous les plans la politique de collaboration avec la Guinée” (sic !).
340. Parti Africain de l'Indépendance, créé en septembre 1957 à Dakar, et longtemps banni au Sénégal. Plusieurs de ses dirigeants seront accueillis en Guinée après 1958.

[Erratum. Ils furent tous expulsés à la suite du “Complot des Enseignants” et leurs sympathisants ou membres guinéens emprisonnés. — Tierno S. Bah]

341. Note du SDECE en date du 7 avril 1959 (archives privées Foccart, dossier 204).
342. Le Monde, 17 septembre 1959
343. Télégramme diplomatique n° 10510 du 26 septembre 1959 adressé à Washington et signé de Sébilleau, chargé des affaires d'Afrique-Levant au ministère des affaires étrangères (Archives du Quai d'Orsay, dossier GU-7-4 USA).
344. Et déjà, les informations fantaisistes commencent à courir, alimentant les rancoeurs de Paris, mais aussi les rumeurs d'affaiblissement du régime et les espoirs d'y mettre un terme. Ainsi, le 13 avril 1959, une note n° 680 du SDECE affiarne que Sékou Touré serait très fatigué et qu'il aurait fait venir d'URSS un médecin soviétique spécialiste du coeur. Une semaine plus tard, le chargé d'affaires Francis Huré rapporte que Sékou Touré lui avait dit qu'il se sentait fatigué et qu'il prendrait “plusieurs semaines de repos” après la longue visite en Guinée de Nkrumah, fin avril-début mai. Il n'en fera rien, mais espacera ses déplacements.
345. Voir en annexe 3 la liste des voyages de Sékou Touré dans les pays socialistes. Il aura effectué après l'indépendance 27 visites à des pays socialistes, sur un total de ses déplacements supérieur à 210.
346. Tito entreprend une longue tournée africaine, qui dure du 13 février au 13 février au 19 avril 1961 ; il visite le Ghana, le Togo, le Liberia, la Guinée, le Mali, le Maroc et la Tunisie. Cette visite pose aux responsables guinéens un délicat problème psychologique et protocolaire ; en effet, les couleurs du drapeau yougoslave — bleu blanc, rouge — sont placées dans le même ordre que sur le drapeau français. Pour ne pas donner l'impression d'un retour au drapeau colonial, les couleurs seront dissociées et placées chacune sur un mât différent !
347. Sékou est retenu à Conakry par la grave crise qui vient d'éclater entre son gouvernement et les clergés catholique, protestant et islamique à la suite de l'interdiction courant août de toutes les écoles religieuses du pays.
348. L'effigie de Tito figurera dès 1981 sur un billet de banque guinéen : il s'agit du billet de 500 sylis.
349. La totalité des dossiers et des études concernant ce barrage ont été emmenés par la France de Conakry dès l'indépendance, et confiée à EDF. Ils seront restitués au gouvernement guinéen après la normalisation franco-guinéenne de 1975.
350. Sékou Touré a affirmé au professeur Jean Suret-Canale, qui le rencontre pour la dernière fois un an environ avant sa disparition en 1984, que lors de ce premier voyage en Union soviétique en 1959, il aurait eu une violente discussion avec Khrouchtchev, qui lui aurait dit que la Guinée aurait mieux fait d'entrer dans la Communauté pour lutter avec les autres colonies en faveur de l'indépendance. Suret-Canale ajoute qu'il n'a “aucun moyen de vérifier cette allégation”, mais que “les relations avec l'URSS resteront toujours froides.” (Courrier du professeur Jean Suret-Canale à l'auteur, en date du 2 janvier 2004 ). Voir en annexe à ce chapître le texte des entretiens (à propos de la Guinée entre le général de Gaulle et Nikita Krouchtchev, tenus le 2 avril 1960 (un mois après la sortie de la Guinée de la zone Franc et quatre mois après la visite de Sékou Touré en Union soviétique).
351. Il y a, semble-t-il, effectué un bref séjour au printemps 1946, probablement dans la foulée du Congrès de la CGT auquel il a participé en avril, puis fin 1950, après un Congrès de la Paix à Vienne. Mais il faut aussi redire ici qu'il n'a pas suivi dans ce pays de formation syndicale, idéologique ou politique, comme maints rapports l'affirment. D'ailleurs la Tchécoslovaquie (on était à l'époque encore avant le “coup de Prague” de février 1948) nétait pas encore une démocratie populaire dominée par les communistes.
352. Elle y effectuera d'ailleurs des séjours réguliers pour raisons médicales, selon le témoignage à l'auteur de Nadia Putzikin-Nalbandiants, secrétaire personnelle des ambassadeurs soviétiques en Guinée vers la fin des années 1970.
353. Pourtant, Daniel Solod n'est pas un diplomate de carrière, mais un cadre communiste militant, ukrainien d'origine, parlant un excellent français. Il avait jusque-là fait toute sa carrière en Syrie et au Liban, et au département Moyen-Orient du MID à Moscou. Après son départ forcé de Guinée en décembre 1961, il sera affecté à Moscou, au Comité afro-asiatique (entretien de l'auteur avec Seyni Niang, représentant — de nationalité sénégalaise — du Parti Africain de l'Indépendance (PAI) à Conakry et ami personnel de Solod, Dakar, 30 mai 1998).
354. Dans les années 1970, l'auteur a visité l'abattoir de Mamou, construit et équipé par l'URSS et a dû assister à l'abattage, spécialement organisé pour lui, d'une malheureuse vachette qui n'avait visiblement pas envie de servir pour cette démonstration très sanglante. Par ailleurs, il a visité à Ditinn, près de Dalaba, au Fouta Djalon, des élevages où les Soviétiques avaient tenté de croiser la race locale Ndama, parfaitement adaptée au climat et aux conditions rustiques, mais donnant seulement un à deux litres de lait par jour, avec des laitières de race Krasnaya Stepnaia, amenées par avion de Sibérie, où elles produisaient près de 30 litres de lait par jour. Non seulement le croisement ne semble pas avoir répondu aux attentes, mais les malheureuses vaches sibériennes, une fois placées dans le climat tropical et faute de soins et d'alimentation adaptés, ne donnaient guère plus de lait que leurs soeurs guinéennes. Le projet, commencé dans les années 60, a été finalement abandonné dans les années 80.
355. Une dizaine d'année plus tard, on affirmera que ces travaux ont été effectués pour permtettre à l'Union soviétique d'utiliser l'aéroport de la capitale guinéenne pour y baser des Iliouchine 95, dont l'équipement électronique et le long rayon d'action permettaient de surveiller l'ensemble de l'Atlantique Sud.
356. Bien que cette partie de Conakry garde parfois son ancienne appellation de “banlieue”, par opposition à l'île — devenue presqu'île — de Kaloum, qualifiée de “ville”, et où se situent les principaux bâtiments officiels, la cathédrale, le port, la gare, etc. …

[Erratum. En réalité l'ancienne île, devenue presqu'île s'appelle Tombo. C'est la banlieue, qui s'étend jusqu'à la préfecture de Dubréka, qui s'appelle Kaloum, en langue locale Baga. Tout ce territoire relevait de l'ancien royaume baga de Dubréka. — Tierno S. Bah]

357. A la même époque, l'hebdomadaire américain Time du 6 juin 1960 publie sous le titre “Guinea: coffins and broken backs” (Guinée : des cercueils et des dos brisés) un article qui voit dans le pays des signes “d'un Etat policier sous la froide direction d'instructeurs communistes importés.” (voir en annexe 2).
358. Il s'agit évidemment de trombones pour la papeterie, et non d'instruments de musique ! Dans les années 70, l'auteur a encore vu des amoncellements de bidets dans un entrepôt à ciel ouvert le long de l'autoroute urbaine conduisant à l'aéroport.
359. L'auteur en a vu circuler en Guinée à la fin des années 70. Il a également vu sur les routes guinéennes de nombreux tracteurs roumains immobilisés à une centaine de kilomètres de Conakry ; contrairement aux affirmations de certains Guinéens, ce n'était pas un problème technique ; on avait tout simplement omis au port de faire le plein d'essence suffisant pour leur permettre d'arriver jusqu'aux fermes collectives auxquelles ils étaient destinés.
360. Géopolitique Africaine, n° 9, Janvier 2003.
361. Voir le chapitre 49 qui y est consacré.
362. Plusieurs Russes sont impliqués et incarcérés (le chiffre varie de 4 à 28 selon les sources). Ils expédiaient par la poste à des correspondants à Marseille et à Bordeaux des diamants cachés dans des paquets de café guinéen. Interpol est saisi, mais l'enquête s'avère finalement inconclusive (lettre du ministère de l'Intérieur au nunistère des Affaires étrangères SN/PJ/AEF.7/F/n° 17.277 du 18 octobre 1961, signée de M. Hacq, directeur du service de la Police judiciaire. Archives Quai d'Orsay GU-9-6).
363. Nkrumah lui-même se rendra en Union soviétique quelques mois plus tard, et s'engag alors plus résolument dans la voie du socialisme et de la coopération avec les pays communistes. Il abandonne également peu à peu les pratiques démocratiques empruntées à la Grande Bretagne et adopte les techniques communistes de mobilisation des masses et de gouvernement (Parti unique, sociétés d'État, collectivisme, etc. …). On peut se demander pourquoi Sékou a ainsi facilité la voie au rapprochement soviéto-ghanéen, alors qu'il venait lui-même d'être échaudé dans ses relations avec Moscou. L'Union soviétique estimait jusque-là que le Ghana était trop proche des Anglo-saxons, et Nkrumah lui-même cherchait à freiner Sékou Touré dans ses relations avec les pays de l'Est (comme le faisait de son côté Houphouët-Boigny).
364. L'auteur a assisté une fois à une désignation d'ambassadeur de Guinée par Sékou Touré. A l'aéroport, alors qu'il se rendait en visite à Tripoli en avril 1978, Sékou se vit rappeler par Fily Cissoko, ministre des affaires étrangères, que la Guinée n'avait pour le moment plus d'ambassadeur en Libye. Parcourant alors des yeux la rangée de cadres du PDG venus l'accompagner à l'aéroport, Sékou interpella l'un d'entre eux et lui intima l'ordre de monter en avion avec lui, car il venait de le désigner comme ambassadeur à Tripoli et voulait le présenter au colonel Khadafi. Il est vrai que l'aventure inverse est arrivée à Hamed Ahmed Elhoudery, qui accompagnait Khadafi en Guinée en novembre 197 4, et qui fut laissé sur place à Conakry comme ambassadeur (conversation de l'auteur avec Hamed Ahmed Elhoudery, Tripoli, 13 avril 2002).
365. Nabi Youla sera finalement nommé à Bonn, et Tibou Tounkara à Paris. L'hebdomadaire Marchés Tropicaux et Méditerranéens du 4 février 1961 (donc avant même l'arrivée de Brejnev en Guinée) annonçait pourtant déjà un vaste mouvement dtplomatique qui incluait la nomination de Nabi Youla à Moscou et celle de Tibou Tounkara à Paris.
366. Déjà le 30 octobre 1960, dans une circulaire adressée aux ministres et aux commandants de région, Sékou Touré avait donné l'ordre de mettre fin à la distrtbution de documents de propagande communiste fournis par les représentants de ces pays, mais aussi de l'Allemagne fédérale, car il s'agit d'“agissements incompatibles avec la souveraineté du pays.”
367. Il est accompagné par MM. Alikhanov, vice-président de la commission d'Etat aux relations économiques avec les pays étrangers, Alexandre Leondovitchorlov, vice-ministre des affaires étrangères, Mordvinov, directeur des pays africains au ministère du commerce extérieur, Alexei Shvedov direction du 1er Département d'Afrique au ministère des affaires étrangère, Malyshev, directeur du 2ème Département d'Afrique au ministère des affaires étrangères.
368. En avril 1960 il avait déclaré à un journal danois : “Je refuse de laisser le PDG suivre la ligne idéologique du communisme. Si certains le désirent, qu'ils fondent un parti communiste guinéen, mais qu'ils sachent bien que le PDG leur barrera le chemin sous na propre conduite. Le communisme n'est pas la voie de l'Afrique.”
369. L'année précédente, le 2 février 1963, une jeune Soviétique, que l'ambassade tentait de faire partir de force, a demandé l'asile politique en Guinée ; Sékou Touré le lui accorde.
370. Sur la note du 11 août 1965 de l'un de ses collaborateurs qui lui rapporte cette information Jacques Foccart écrit : “Cela m'étonne que les Russes fassent le Konkouré, compte tenu de son prix et tout cela pendant que les Américains mettent main sur la bauxite !” (Archives privées Foccart, dossier 205)
371. L'inauguration de celui-ci, quelques années plus tard, donne lieu à un incident. Ayant su que des micros avaient été installés dans toutes les chambres par les ouvriers soviétiques, Sékou Touré déclare dans son allocution que l'hôtel sera réservé au logement des experts soviétiques. Cela restera vrai jusqu'aux années 80. Toutefois, l'établissement est ouvert aux Guinéens comme restaurant ; ainsi, Horoya du 28 décembre 1971 publie un encart publicitaire pour le dîner-réveillon de fin d'année, avec le National Horoya Band ; au menu, crème d'andalouse (sic), filet de sole à la Colbert, poulet à la broche, boeuf à la flamande, salade panachée, pomme Anna, corbeille de fruits.
372. En octobre 1967, lors de l'inauguration du Palais du Peuple, construit par les Chinois et où Pékin est mis en vedette, la délégation soviétique qui assiste au 8ème Congrès du PDG fait publiquement état de son mécontentement.
373. La coopération aéronautique, tant sur le plan militaire que sur le plan civil, se poursuivra pendant toutes ces années, mais souffrira de la désaffection progressive des relations entre les deux pays. L'auteur a été témoin, un jour qu'il déjeunait à la présidence, du retour d'un groupe de pilotes d'Air-Guinée, qui ont dit au président qu'on avait refusé à Moscou de les loger et qu'ils avaient du passer plusieurs nuits dans la salle d'attente de l'aéroport. Sékou s'est violemment entporté, a dit que les Soviétiques étaient des racistes invétérés, qu'ils ne changeraient pas, et que les habitants de Conakry avaient raison de jeter de temps en temps des pierres sur les véhicules conduits par des Russes, ils ne faisaient que refléter le sentiment profond de la population guinéenne. Ces réflexions rendent peu crédible l'affirmation du professeur Kapet de Bana, qui fait allusion à “l'acharnement des États-Unis à vouloir que Sékou Touré achève de mourir aux États-Unis malgré la préférence de ce dernier pour avoir les derniers soins à Moscou.” (dans La Guinée, toujours la Guinée, encore la Guinée, et pourquoi la Guinée ? 50 ans Après 1958, ouvrage de témoignages en cours de préparation en 2008).
374. Après la normalisation intervenue avec la France en 1975, des chalutiers français fréquentent eux aussi les eaux guinéennes. A l'ambassadeur soviétique qui l'interrogeait sur leurs activités, l'auter répondit : Mais ils font la même chose que les vôtres, mon cher collègue”, ce qui n'eut visiblement pas l'air de le rassurer !
375. En fait, il n'en est rien, comme l'auteur a pu le constater, en visitant les îles à plusieurs reprises, parfois en compagnie de l'attaché militaire de l'ambassade de France. En revanche, les Soviétiques auraient fait une démarche pour obtenir une base, mais à la fin des années 1979, ce qui leur aurait été refusé.
376. Qui sera opportunément “en congé pour raisons de service” lorsque des bâtiments de la marine nationale française relâcheront pour la première fois au port de Conakry depuis 1958, et que de grandes festivités seront organisées à cette occasion.
377. Carlos Antonio Carrasco, Los Cubanos en Angola : 1975-1990, publication du Centro de Altos Estudios Internacionales Universidad Andina, 1996, La Paz, ouvrage traduit de la thèse de l'auteur sur L'intervention étrangère dans la guerre angolaise : l'expérience cubaine (soutenue à l'Institut national des langues orientales, INALCO, de Paris).
378. Une partie de ceux-ci en principe distribués par l'intermédiaire exclusif des structures du Parti, se retrouvent sur les marchés. L'auteur se souvient notamment de boîtes de lait condensé, avec une étiquette (en français) représentant un blond bébé joufflu avec l'inscription : “recommandé aux nourrissons et aux touristes” !
379. Celle vis-à-vis d'autres pays de l'Est est la suivante :

380. Dans les années 80, quelques hélicoptères et une vedette ont été fournis par la France.
381. Déclaration au journal Okaze du Caire, le 19 octobre 1982.

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