Time Magazine — Lundi, 6 juin 1960
(Article écrit ou inspiré très certainement par un Américain bien informé
qui a résidé quelque temps à Conakry. Traduction de l'auteur).
Il y a un an et demi, la France s'est abruptement extraite de la Guinée, et l'a laissée se débrouiller elle-même, première nation à déclarer son indépendance hors de la nouvelle Communauté française. Un pauvre et petit pays de la taille de l'Orégon, situé sur la façade de l'Afrique occidentale, la Guinée n'avait aucun administrateur pour remplacer ceux que la France avait rapatriés, et le président Sékou Touré, un organisateur politique coriace et de belle prestance, avait plus d'expérience pour susciter des troubles qu'à gouverner. La semaine dernière, il y a eu des signes alarmants selon lesquels, par suite d'un mélange de bêtise et d'ignorance, la Guinée était en train de rapidement devenir un État policier sous la froide direction d'instructeurs communistes importés.
Dans la chaleur étouffante de Conakry, naguère petite ville joyeuse où les Africains mangeaient dehors à la lueur de lampes et dansaient jusque tard dans la nuit sous les manguiers, les rues sont désertes à partir de dix heures du soir et les maisons ont leurs lumières éteintes et leurs portes verrouillées. Dans la journée, les 80.000 habitants de la capitale s'affairent nerveusement. La police secrète, menée par des instructeurs communistes importés de Tchécoslovaquie, a été équipée de discrets enregistreurs tchèques à fils, à l'affût pour détecter des remarques fortuites qui trahiraient un “Gaulliste ennemi de l'État.”
Le mois dernier, des centaines de malheureux Guinéens furent arrêtés sur le soupçon de tramer le renversement du gouvernement au nom “du colonialisme français et de ses laquais noirs.” C'était une bande improbable de comploteurs : de petits escrocs attrapés au marché noir des fonctionnaires du gouvernement avec de pleins camions de contrebande passant la nouvelle devise nationale aux frontières, et de jeunes intellectuels conduits par Ibrahim Diallo, un brillant ancien fonctionnaire éduqué en France qui avait demandé à Touré la permission de former un parti d'opposition.
Quelques détails sur les arrestations et leurs suites ont échappé à la censure rigoureuse de Touré. Selon des étrangers qui ont séjourné récemment à Conakry, cinq des prisonniers ont été battus et torturés à mort au cours de leur interrogatoire dans le camp militaire Alpha Yaya. Leurs restes ont été envoyés à leur domicile dans des cercueils scelés, et la police a attendu que les cercueils soient enterrés avant de quitter les lieux. Quelqu'un qui travaille à Alpha Yaya a affirmé que les policiers avaient arraché les dents et les ongles de Diallo. Les parents d'un autre prisonnier ont été priés de venir le chercher. Ils l'ont trouvé rampant sur les mains et les genoux, son dos brisé. Il est mort trois heures plus tard.
Il n'y avait aucun avocat défenseur présent lorsque 40 des suspects furent transférés il y a trois semaines devant un “tribunal du peuple” secret pour Diallo comme pour l'Imam musulman de Coronthie, un quartier de Conakry (qui avait qualifié le régime de Touré d'“irreligieux” ) et pour 17 autres, le verdict fut la mort ; les autres, y compris trois Français et un jeune Suisse, ont écopé de lourdes peines de prison. La semaine dernière, le gouvernement a révélé que l'un des Français était déjà mort. “Crise cardiaque”, selon le bref communiqué.
Les quelque 1.000 Français qui vivent toujours en Guinée sont sans cesse harcelés. Certains ont été emprisonnés pour ne pas s'être levés dans les cinémas quand on jouait l'hymne national guinéen. Un autre a été condamné à trois mois pour s'être entraîné à tirer avec un revolver sur le tronc d'un manguier; motif : “détérioration volontaire du patrimoine national guinéen.”
Les responsables des lignes aériennes ont mis en place 25 vols supplémentaires dans les semaines à venir pour permettre aux Français et à leurs familles de regagner la métropole.
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Fulbright Scholar. Rockefeller Foundation Fellow. Internet Society Pioneer. Smithsonian Research Associate.