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Régime d'Autonomie (Loi-Cadre)
Premières années d'Indépendance


B. Ameillon
La Guinée : Bilan d'une Indépendance

Paris, Maspéro, Coll. Cahiers libres, 1964. 205 pages


3. Deuxième épisode de la lutte contre la chefferie :
sa suppression juridique par le gouvernement guinéen.

A cet épisode politique, succéda une bataille juridique.
Durant sa marche vers la prise de pouvoir, le P.D.G. n'avait pas mené de lutte juridique contre la chefferie. Son unique représentant à l'Assemblée avait même un temps feint d'être le défenseur de l'institution, en distinguant les chefs authentiques, des autres.
A la session budgétaire de 1954, lors de la discussion sur le statut des chefs autochtones, Sékou Touré s'était en effet exprimé en ces termes devant l'Assemblée Territoriale :

Nous connaissons les caractéristiques actuelles des collectivités africaines d'une part, et si les traditions de certaines correspondent aux besoins actuels de l'harmonie de cette collectivité, d'autres se trouvent être dépassées par le cercle évolutif déjà enregistré; d'autre part, par l'existence, dans la même société, d'éléments ayant pris connaissance, ayant bénéficié d'apport extérieur et qui, également tendent vers plus de progrès, plus de démocratie... Elles (les populations) sont exprimées... par des chefs dont les uns représentent effectivement les traditions d'une manière incontestable, et à côté de cela, par une grande majorité d'éléments imposés à la population contre son gré, contre ses traditions, contre ses moeurs et ses aspirations.

Toute différente fut l'attitude du P.D.G. après la Loi-Cadre de 1956 qui donna aux élus africains des pouvoirs politiques relativement étendus, dans la mesure où étaient créés des gouvernements locaux élus par les Assemblées à l'exception toutefois du Premier Ministre qui était nommé par la métropole, dans la mesure où était supprimé le double collège, dans la mesure également où ces gouvernements jouissaient de compétences non négligeables, limitées seulement par les dépenses obligatoires, et les services d'Etat —entendons Etat Français— qui ressortisssaient à l'autorité exclusive des instances métropolitaines.
Ainsi en même temps que le parti guinéen avait des raisons de s'attaquer à l'organisation sociale traditionnelle, l'administration française avait perdu les moyens de la défendre.
La facilité de la victoire s'explique par l'optimisme qui s'était emparé de la Guinée à la suite de la coincidence entre la montée du parti P.D.G. et les projets qui devaient faire du pays un des plus gros
producteurs d'aluminium du monde.
Or la chefferie contrecarrait l'un et l'autre courant. Elle constituait la seule restriction à la toute-puissance du Parti. Elle freinait la mise en place de la nouvelle industrie et la planification qui devait l'accompagner.
On voit souvent remarquait Sékou Touré, des paysans abandonner les travaux champêtres pour s'atteler aux travaux de la chefferie. Or

Un autre souci qui est le nôtre est que nous voulons organiser économiquement le pays. Nous venons de voir, lors d'une réunion importante du Comité d'Aménagement Régional, qui a étudié le problème de l'industrialisation de la Guinée, justement placé dans le cadre de l'économie guinéenne -car nous ne voulons pas considérer l'industrialisation comme un problème isolé de la vie des collectivités guinéennes- que cette base nous oblige à promouvoir une politique de planification dans le domaine économique en vue d'organiser l'évolution des différentes régions, l'évolution des différents secteurs économiques.
Nous nous sommes également posé la question de savoir, si à l'heure actuelle, cette organisation est possible en se servant de l'instruction de la chefferie. Nous avons répondu négativement, la chefferie ne joue plus ce rôle économique parce qu'elle n'a plus la confiance des populations, elle ne peut plus sans la contrainte, sans la force administrative qui constitue sa seule signification, elle ne peut plus, dis-je, entraîner les masses paysannes.
Nous, en Guinée, nous entrons dans une nouvelle phase, la phase industrielle, phase dynamique, qui nous impose dès maintenant de recherchér les solutions qui permettent son accomplissement en harmonie complète avec les masses paysannes.
Si l'on maintient les cantons et les chefs tels qu'ils sont, nous aboutirons demain à ceci : lorsque nous dirons que la coopérative de production de bananes, de riz ou d'élevage s'étendra à tel canton, tel village, vous verrez alors le chef de canton réagir, dire ce champs est à moi, c'est moi qui dois me prononcer... Mieux vaut déblayer le terrain pour nous permettre de faire ces différentes organisations d'une manière méthodique, mesure dont tout le poids heureux serait ressenti dans la vie des paysans.

L' administration se trouvait ainsi dans l'impossibilité de soutenir la chefferie qui en Guinée présentait un caractère nettement anti-démocratique, puisqu'elle avait été battue sur le plan électoral et que son mode de recrutement n'était pas le suffrage, et ce, au moment même où la Loi-Cadre prétendait introduire la démocratie en Afrique :

On ne saurait efficacement superposer le régime d'administration indirecte qu'implique la chefferie coutumière à celui de semi-autonomie qu'introduit la Loi-Cadre. Ainsi, la chefferie, en tant qu'institution est-elle désormais dans son interprétation et son expression actuelles non seulement incompatible avec l'évolution économique et sociale du pays, mais avec l'esprit même de la Loi-Cadre. (Keita Fodéba.)

Seules des raisons négatives, insuffisantes pour faire obstacle à la détermination des dirigeants guinéens purent être invoquées par les adversaires de la suppression de la chefferie : crainte de troubles, crainte d'un hiatus administratif, d'un vide politique, crainte d'un choc psychologique sérieux, du réveil d'antagonismes raciaux latents, crainte enfin de la rébellion des jeunes.
Aussi est-ce quand et comme le Bureau Politique le décida que fut supprimée la chefferie guinéenne.
Dans un premier temps, en juillet 1957, les mauvais chefs inaptes ou inadaptables furent destitués. Cette épuration était présentée comme une garantie pour ceux des chefs qui représentaient encore authentiquement leur population.
Il s'agissait là en fait d'une mesure transitoire, destinée bien évidemment à affaiblir le front de la chefferie et à mesurer les répercussions d'une éventuelle suppression totale.
Quelques jours plus tard, le gouvernement guinéen réunissait à Conakry une conférence groupant les Commandants de Cercles, les membres du Conseil du Gouvernement, les Directeurs des Cabinets ministériels, les Inspecteurs des Affaires Administratives et le Président de l'Assemblée Territoriale, Diallo Saifoulaye. Il s'agissait officiellement d'une conférence d'information, destinée à éclairer le gouvernement sur les réactions susceptibles de suivre l'application de son projet de suppression de la chefferie. En fait et quelle qu'ait pu être l'attitude des administrateurs, Commandants de Cercles, le gouvernement guinéen était décidé à l'abolir. Il le fit d'autant plus facilement qu'il présenta la réforme comme une simple réforme administrative et que, sur ce plan, il était facile de démontrer que la chefferie ne correspondait plus à rien de traditionnel, puisqu'en particulier elle réunit sur des circonscriptions en tout point artificielles, les cantons. A partir de 1895, en effet, la règle en Guinée avait été l'administration directe, articulée à partir de 1921 autour du canton. Le gouverneur Poiret avait à cette date posé le principe que la cellule appelée à constituer la base de l'organisation administrative pourrait être soit le village, soit le canton. Constatant toutefois que le village ne peut d'ici longtemps, constituer une cellule active, c'est-à-dire, ayant des activités propres à gérer et disposant de moyens matériets, financiers d'exécution, il avait préconisé l'adoption du canton, tout en marquant que ce n'était là qu'une solution éminemment temporaire.
Malgré ces prévisions selon lesquelles d'ici quelques années, les villages devront servir de base à une réorganisation l'administration guinéenne fut, de cette date à 1957, organisée autour de 247 cantons, formant un territoire d'un seul tenant, c'est-à-dire ayant des limites faciles à reconnaitre et ayant une popalation de moins de 10.000 habitants.
Le Gouvernement guinéen ne pouvait donc avoir aucune difficulté à démontrer le caractère arbitraire de subdivisions administratives groupant sous une même autorité des économies différentes ou des ethnies parfois hostiles et à prôner leur remplacement par le village ensemble de gens de même origine, qui traditionnellement, forment une unité communautaire, que nous voudrions désormais considérer comme la base de la vie sociale. économique et administrative (Keita Fodeba, Rapport de présentation de l'arrêté 57.231 en date du 31 décembre 1957 portant organisation de l'administration guinéenne).
Ainsi furent distinguées, la chefferie dite de canton, présentée comme une constitution artificielle et qui fut supprimée , et la véritable chefferie traditionnelle au niveau de la cellule de base qui fut démocratisée.
En fait et quel que fut l'aspect donné pour des raisons d'opportunité, il s'agissait bien d'une véritable révolution sociale contre laquelle certains chefs tentèrent de réagir par la force.


Voir La Guinée et les trusts mondiaux.
Par l'arrêté no. 57.238/INT/CAB en date du 31 décembre 1957, ne visant apparemment qu'une réorganisation administrative et qui, pour cela, passa généralement inaperçu du grand public européen, tant outre-mer qu'en métropole :

Conakry, le 31 décembre 1957.


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