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Régime d'Autonomie (Loi-Cadre)
Premières années d'Indépendance


B. Ameillon
La Guinée : Bilan d'une Indépendance

Paris, Maspéro, Coll. Cahiers libres, 1964. 205 pages


2. Premier épisode de la lutte contre la chefferie :
les élus politiques guinéens contre les notables.

En 1946, c'est-à-dire aux lendemains de la deuxième guerre mondiale, la France eut à repenser l'organisation de son empire : une majorité de gauche, en métropole, voulait assouplir les règles antérieures. Une minorité de droite dut se plier à des réformes qui étaient nécessaires pour replacer sous la férule métropolitaine des pays que l'occupation de la France par les troupes allemandes et italiennes avait arrachés au centralisme colonial.
La principale disposition de cette législation ambivalente fut l'institution dans les “colonies” d'Assemblés locales, appelées Conseils Généraux. La réforme était modeste dans la mesure où ces assemblées étaient élues au double collège—collège métropolitain et collège indigène— qui donnait automatiquement la majorité aux Européens, dans la mesure où également leur pouvoir était surtout consultatif, dans la mesure enfin où était conservée l'administration antérieure, dirigée par un gouverneur français. Cependant les répercussions furent relativement importantes dans certaines “colonies”. Ce fut le cas de la Guinée où elle fut appliquée en pleine réaction nobiliaire. Elle marqua les débuts de l'accession au pouvoir de nouvelles couches sociales qui purent ainsi entrer en lutte ouverte contre la chefferie.
Le premier épisode, essentiellement politique, dura dix années, de 1946 à 1956, et fut marqué par deux défaites importantes pour les chefs.
Ce fut d'abord l'effacement des Comités des Notables devant les Assemblées élues.
Jusqu'alors seuls avaient été reconnus pour représenter la masse africaine, les Comités ou Conseils de Notables, dominés par les chefs. Or les textes de 1946 qui instituaient de nouvelles assemblées plus démocratiques ne supprimaient pas pour autant les anciens conseils.
Dès le début les deux autorités s'opposèrent.

En 1947, lors de la session budgétaire du Conseil Général de Conakry, M. Elie Bleu exprimait les craintes des conseillers :

“Je crois qu'il faut obtenir toutes précisions sur l'opposition éventuelle entre les Conseillers Généraux et le Conseil des Notables.”

“L'administration”, remarquait le conseiller Framoi Bérété, lors de la même session, “a essayé de trouver des forrnules pour justitfier des empiètements sur nos pouvoirs ; elle a trouvé celui des Conseils de Notables».

Par lettre n° 2792 A.P.A du 14 octobre 1947, adressée au Président du Conseil Général, le Gouverneur de la Guinée éludait le problème :

“Il n'a jamais été question d'opposer l'avis éventuel du Conseil Général. Le Conseil Général n'a pas à donner d'avis éventuel ; ses attributions sont beaucoup plus larges... Par ailleurs, si nous nous en tenons sur le terrain de la législation en vigueur, aucun texte, à ma connaissance, n'a abrogé le décret du 21 mai 1919, créant les Conseils de Notables…”

Cependant et malgré son désir, l'administration dut y faire de moins en moins appel.
C'est que deux légitimités incompatibles se trouvaient en présence : une légitimité démocratique d'essence africaine, représentée par les élus locaux du deuxième collège et une légitimité, la chefferie, qui s'était laissée couper de la masse guinéenne et n'avait plus qu'une légitimité administrative d'essence européenne, quoiqu'elle se proclamêt encore authentiquement traditionnelle et coutumière.

C'est contre cette prétention d'une classe qui, en réalité, n'était plus qu'en survie juridique, que s'acharnèrent les nouvelles couches guinéennes. Contre l'arme de la chefferie, la coutume, elles se servirent d'une arme moderne, le parti politique.
Sa création marqua le second échec de la chefferie. Contrairement à beaucoup d'autres partis africains, ce parti guinéen ne constitua jamais la clientèle tribale d'un homme mais fut dès l'origine une organisation nationale, même si le poids du tribalisme passé se fit sentir un certain temps.
Jusqu'alors en effet, la Guinée n'avait connu que des groupements régionaux à base ethnique :

Sept mois après le Congrès R.D.A. (Rassemblement Démocratique Africain) qui se tint à Bamako en octobre 1946, fut officiellement créée sa section guinéenne, le Parti Démocratique de Guinée (PDG) en mai 1947.
C'est en reprenant cette organisation, en luttant contre ses tendances ethniques (le Comité directeur était surtout malinke), sa nature électorale, son caractère trop exclusivement intellectuel, ses préjugés sociaux et anti-féminins que Diallo Saifoulaye, Diallo Abdouramane, qui quitta à cette occasion l'Union du Mandingue et Sékou Touré organisèrent le Parti, en parti de masse fortement structuré. Le rôle principal dans cette réforme revint à Diallo Saifoulaye, grand Foula dégingandé, supérieurement intelligent, esprit froid et systématique. C'est lui qui avait le mieux assimilé l'enseignement politique, qu'ils avaient tous trois reçu dans la cellule, créée à Conakry dans les années 1945-1946, par quelques instituteurs européens communistes.
La structure du P.D.G. fut dès le départ verticale et son étendue, géographiquement définie : le quartier, le village, la circonscription administrative, le territoire. Mais dans un premier temps pour tenir compte de la situation objective, furent maintenus parallèlement à la structure verticale, des Comités horizontaux groupant dans les grandes villes l'ensemble des ressortissants d'une même région.
Il s'agissait là d'un premier stade, essentiellement passager. Dès que le P.D.G. eut obtenu une force prépondérante dans le pays, le Comité Directeur tenta d'effacer définitivement les frontières ethniques. Les comités dits raciaux furent supprimés. Leurs militants et dirigeants durent désormais se retrouver dans le comité du quartier ou du village qu'ils habitaient avec tous les militants, sans distinction de zone d'origine.
En raison de leur êge et du caractère particulier de la vie militante qu'ils avaient menée, on conserva dans chaque ville un Conseil de Notables. La mobilisation s'en fit chaque fois qu'il s'avéra nécessaire d'informer cette catégorie de la population, et chaque fois que ses suggestions pouvaient servir le Parti. Ainsi furent peu à peu organisés 40 sections et sous-sections, 4.500 comités, des sections féminines, des sections de jeunesse qui finirent par couvrir la totalité des villages.

Dès l'origine, le P.D.G. fut conçu à l'instar des partis communistes comme un centralisme démocratique : le Comité Directeur devenu Bureau Politique donnait aux sections des mots d'ordre, qu'il n'adoptait qu'après avoir eu connaissance du point de vue de la base. Au début le Bureau Politique ne fut en fait qu'un triumvirat avec Diallo Saifoulaye, Diallo Abdouramane et Sékou Touré. Il s'étoffa ensuite par cooptation.
Cet appel constant au militant de base, l'encadrement parfait de toutes les activités sociales des membres emportèrent le succès. Dès la fin de la période qui nous intéresse, c'est-à-dire presque dix ans après sa création, le P.D.G. avait, par son action tenace et continue, modifié profondément la vie politique guinéenne et atteint le but poursuivi, la fin de l'autorité morale de la chefferie. Les paysans étaient désormais groupés sur la base du Parti qui avait remplacé l'ancienne organisation sociale.
Contre cette action insidieuse, la chefferie guinéenne aidée par l'administration coloniale avait essayé de se défendre en descendant elle-même dans l'arène politique, successivement sous les étiquettes de la S.F.I.O. 2, du M.S.A. 3, lequel reprenait les hommes et les idées de la S.F.I.O, du B.A.G. 4 et du P.R.A. 5 enfin. Contrairement au P.D.G., le M.S.A., le B.A.G. et le P.R.A. n'étaient pas des partis de masse mais des “syndicats de candidats”. Ils n'avaient de prise sur les électeurs, hormis l'influence hypothétique de la chefferie , que par l'intervention constante de l'administration coloniale en leur faveur. Les programmes présentés n'avaient d'ailleurs pas les mêmes attraits.
Pour le P.D G., il s'agissait dans un premier temps d'un programme de destruction de l'organisation coloniale comportant en particulier la grève des impêts. Pour les partis soutenus par l'administration il ne pouvait s'agir, bien entendu, de faire les mêmes offres, d'autant plus que les chefs guinéens tiraient, bon an mal an, dix millions C.F.A. de la remise qui leur était versée au titre du recouvrement des impêts. Le taux du maximum fiscal qui est payé par chaque adulte, quel que soit son revenu, et la masse des ristournes versées aux chefs variaient parallèlement d'où l'intérêt des chefs à voir augmenter le taux de l'impêt qui était le plus impopulaire. Dans la période allant de 1951 à 1957, l'impêt était passé de 250 à 625 Fr C.F.A. et le traitement des chefs, de 35 à 98 Fr C.F.A. par personne taxée.
L'assimilation faite par l'électeur entre P.D.G. et suppression des impêts n'est certainement pas restée étrangère au succès de ce parti.
Quoi qu'il en soit, à partir de l'élection de Sékou Touré à Beyla en 1953 en qualité de Conseiller Territorial, le succès du P.D.G. alla sans cesse grandissant jusqu'au succès complet de janvier 1956 où il remporta 46 sièges contre deux au B.A.G.-P.R.A.
A cette date, le chefferie guinéenne était politiquement battue et elle l'était en tant que telle, même dans les régions traditionnellement attachées à l'institution. Elle avait cherché à lutter, mais sa situation obiective d'alliée de l'administration coloniale avait donné à son action politique un caractère tel que son état de dépérissement en avait été accéléré


Notes
1. Du nom d'un des si rares administrateurs qui se soient intéressés au Fouta. Consulter aussi Trade Unionists and Chiefs in Guinea.
2. Section Française de l'Internationale Ouvrière.
3. Mouvement Social Africain.
4. Bloc Africain de Guinée,
5. Parti du Rassemblement Africain.


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