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Régime d'Autonomie (Loi-Cadre)
Premières années d'Indépendance


B. Ameillon
La Guinée : Bilan d'une Indépendance

Paris, Maspéro, Coll. Cahiers libres, 1964. 205 pages


2. La "révolution" économique

Il est clair que l'Indépendance politique qui n'aurait pas pour conséquence une totale libération économique serait un leurre.
Sékou Touré
, Kankan, avril 1960
L'Afrique actuelle n'est plus colonisée par les sociétés commerciales, elle l'est par les Professeurs de Droit qui trouvent en Afrique un terrain idéal pour faire appliquer, par les responsables des gouvernements africains, des théories qui se heurteraient en France à des errements centenaires.
Marchés tropicaux, 19 mars 1960. “Une monnaie politique”

1. Modération des premières mesures économiques.

Malgré la fièvre de renouvellement qui s'empara des bureaux où, dans les quelques semaines qui suivirent le référendum furent spontanément élaborés des projets souvent révolutionnaires, la politique économique officielle de la République de Guinée fut en ses débuts fort modérée.
Les promoteurs de réformes furent priés de mettre une veilleuse à leur création. Les plus extrémistes furent menacés de sanctions, s'ils répandaient dans le public leurs idées, notamment lorsqu'elles se donnaient pour fin d'éviter le capitalisme à la Guinée
On se contenta, au bout de deux mois d'indépendance, de créer par le décret 89 du 20 novembre 1958 un "Comité Economique Interministériel", doté du seul pouvoir de conseiller le Gouvernement dans la "réorganisation de l'économie guinéenne" sans qu'il soit fait nulle mention d'une quelconque modification fondamentale. Dans le même temps, le Gouvernement s'empressait de ratifier les accords antérieurs qui garantissaient à Fria et aux Bauxites du Midi un régime fiscal privilégié.
Le Gouvernement guinéen persévéra dans cette attitude, malgré les remous que créa la dévaluation du franc du 28 décembre 1858. Cette réforme, prise unilatéralement par la France, entrainait automatiquement la modification de la valeur de la monnaie qui avait cours en Guinée, le franc C.F.A. Ce qui revenait à dire que, malgré l'indépendance nominale la vie économique était toujours dominée par l'ex-métropole, qu'en particulier les prix des importations et des exportations dépendaient d'une puissance étrangère et qu'en conséquence un pas de plus devrait être fait si l'on voulait atteindre une véritable indépendance.
Or le Gouvernement guinéen se contenta de prendre le 9 février 1959, un décret symbolique bloquant les prix au niveau pratiqué le 26 décembre 1958, c'est-à-dire deux jours avant la dévaluation française. Malgré de nombreuses visites domiciliaires, souvent plus vexatoires qu'économiques, malgré l'obligation des étiquettes, édictée le 28 mars 1959, les prix des principaux produits d'importation augmentèrent en proportion inverse de la baisse de la valeur de la monnaie ayant légalement cours en Guinée.
Cette politique qui correspondait aux vux profonds de la majorité modérée du P.D.G. fut facilitée par l'absence de soucis financiers immédiats.
L'aide ghanéenne, dont le montant assurait le fonctionnement normal d'une année budgétaire, suppléait à l'aide française, immédiatement suspendue après l'indépendance.
Les premiers versements du prêt ghanéen qui devait atteindre 10 millions de livres furent en effet rapidement effectués malgré l'opposition de la France dont l'Office des Changes ne voulut pas acheter les livres ghanéennes, ce qui obligea la Guince à faire à la discipline de la Zone Franc une première entorse.
lls alimentèrent un compte hors budget qui ne devait servir qu'à des dépenses d'investissement mais qui fut, en fait, utilisé en dépenses de fonctionnement, la campagne pour la rentrée des impôts et de leurs arriérés n'ayant pas donné les résultats escomptés par le Gouvernement.
Mais l'application de cette politique ne fut rapidement plus en harmonie avec les nouvelles conditions objectives de la vie économique guinéenne.
D'une part, les accords avec les pays de l'Est dont le plus important fut celui conclu avec l'U.R.S.S., le 13 février 1959, posèrent le problème des rapports avec des organismes de commerce étatiques.
D'autre part, le maintien des règles antérieures de la Zone Franc en matière de transfert de fonds posait celui de la fuite des capitaux. Le courant ne marchait plus qu'à sens unique, de Conakry vers Paris par rapatriement des capitaux privés, sans la contrepartie que représentait naguère le mouvement de fonds publics de Paris vers Conakry. Les grosses maisons de commerce boycottaient plus ou moins ostensiblement mais toujours efficacement le commerce extérieur et désorganisaient le ravitaillement du pays. Les banques qui continuaient à contrôler la vie économique restreignaient ou suspendaient leurs avances, menaçant le pays d'asphyxie économique, notamment en diminuant le crédit pendant les campagnes de traite, c'est-à-dire durant la période de commercialisation des produits agricoles locaux.
Dès janvier 1959, les tenants de la politique modérée et ceux d'une politique plus radicale s'opposèrent sur le plan de la doctrine économique au sujet de la localisation du siège social des Sociétés. L'origine de la controverse fut un décret en date du 30 janvier 1959 émanant de la Présidence du Conseil qui stipulait :

"Toutes les Sociétés, entreprises ou organismes commerciaux et industriels existant dans la République de Guinée, n'ayant pas leur siège dans la dite République, devront procéder avant le 1er juillet 1959 au transfert de leur siège social en Guinée."

A peine publié, ce décret souleva un tollé général. Radio-Dakar le diffusa trois jours de suite, en le présentant comme un prélude aux nationalisations. Fria s'en inquiéta, notamment du fait de la compétence qu'il conférait aux tribunaux guinéens. Sékou Touré demanda des explications. Le Ministre des Finances, Dramé Alioune, défenseur des thèses modérées, lui écrivit le 17 mars 1959 une lettre où il exposait que l'inquiétude des capitaux étrangers n'apportait en contre-partie aucun avantage à la Guinée, que bien plus, sur le plan strictement fiscal, le Trésor guinéen ne pouvait qu'y perdre du fait de la possibilité pour la société mère de vendre à sa filiale guinéenne à des prix fictifs élevés. Le débat fut serré. Cette première manche se solda par un succès de la gauche puisque le décret subsista, succès tempéré toutefois, car le délai d'application fut reporté au mois de novembre 1959.

Dans la méme période était créé, le 24 janvier 1959, le Comptoir Guinéen du Commerce Extérieur dont l'ambivalence traduit bien celle de la classe dirigeante.

On a, à son propos, parlé de décision révolutionnaire, de socialisme. C'était juger bien vite. Certes, retrospectivemerit, il fut présenté sous cet angle. Le Ministre de l'Economie Générale, Béavogui Louis Lansana, lors de la conférence de Kankan tenue en juillet 1960, exposait que le C.G.C.E. était un organisme d'Etat chargé d'assurer dans la pratique le contrôle progressif des pouvoirs publics sur les échanges de la Guinée avec l'extérieur. Lui était confié le monopole absolu des échanges avec les pays socialistes, ainsi que celui des importations des denrées de première nécessité telles le riz, le sucre, la farine, le ciment, la bière, les allumettes en provenance de tous autres pays quels qu'ils soient. Il devait également contrôler à l'exportation une part importante de l'écoulement des principaux produits : 50 % des bananes, 75 % des palmistes, 30 % du café, la totalité des arachides.

En fait, la création du Comptoir répondit moins à une prise de position doctrinale qu'à un besoin pratique. Il s'agissait de créer l'indispensable organisme guinéen d'Etat, habilité à traiter avec les organismes d'Etat des pays de l'Est avec lesquels la Guinée avait signé des accords. Il permettrait les règlements de troc prévus par ces accords. Durant ses premiers mois d'existence, le Comptoir se contenta exclusivement d'assurer avec les pays socialistes la totalité des importations et des exportations qui portèrent en 1958-1959 sur 5.000 tonnes de café, 15.000 tonnes de palmistes, la totalité des arachides et 35.000 tonnes de bananes. Pour juger du rôle de ce Comptoir, il faut rapprocher ces chiffres du total des exportations qui portèrent cette année-là sur environ 15.000 tonnes de café, 20.000 tonnes de palmistes, 2.500 tonnes d'arachides et 50.000 tonnes de bananes.
De même on institua un contrôle des importations afin de faciliter la mise en oeuvre de programmes rationnels d'importation. Deux distinctions furent établies, l'une entre les produits du cru, et les produits non africains, l'autre entre la zone franc et les autres zones monétaires.
Pour les marchandises originaires ou en provenance d'Etats ou de territoires autres que ceux appartenant à la zone franc, la procédure resta celle de l'attribution de licences d'importation, telle qu'elle était antérieurement en vigueur. L'introduction des produits du cru d'Etats ou de territoires limitrophes appartenant à la zone franc resta libre. Par contre, l'introduction de marchandises non fabriquées en Afrique, en provenance d'Etats ou de territoires appartenant à la zone franc, fut désormais soumise à la production de certificats d'importation délivrés par le service du Commerce Extérieur, sur présentation d'une facture et d'une pièce authentifiant l'existence de la transaction commerciale.
Toutefois, l'exposé des motits du décret stipulait bien que ces mesures ne devraient en aucune manière être envisagees comme des mesures de contingentement des importations en provenance des pays de la zone franc, les certificats d'importation étant, jusqu'à plus ample informé, délivrés automatiquement sur présentation des documents requis.
Et de fait, c'est ce qui se passa, quoique Sékou Touré dans un discours radiodiffusé en mars 1959, à l'attention des militants du P.D.G. ait fermement déclaré:

"Le Parti organise, au niveau de son Gouvernement, le contrôle direct du commerce extérieur... ce qui permettra de modifier les vieux circuits parasitaires et de leur substituer des circuits plus profitables au peuple de Guinée."

C'est dire que l'organisation guinéenne ne se distinguait pas, en pratique ni en droit, des organismes similaires créés dans la plupart des autres pays de l'ex-Afrique Occidentale Française. Elle se rapprochait de l'Office de Commercialisation Agricole du Sénégal (O.C.A.), établissement public créé en janvier 1960 pour intervenir dans les circuits de commercialisation des produits agricoles soit en les contrôlant, soit en les prenant en charge en cas de nécessité pour améliorer les conditions d'importation et de distribution des produits et équipements nécessaires à l'agriculture, et, d'une manière générale, pour exécuter les prescriptions des décrets relatifs à l'organisation des marchés sans que cette création puisse signifier la disparition des commerçants sérieux qui voudront travailler dans le sens de l'intérêt général. Elle ne semblait pas devoir dépasser la S.O.M.I.E.X., la Société Malienne pour l'importation et l'exportation qui avait pour rôle de favoriser l'écoulement des produits de la République et d'approvisionner au meilleur compte en marchandises diverses et matériel les services administratifs, les sociétés pro-administratives de ramassage et de distribution, ainsi que les organismes coopératifs et mutualistes, de respecter les marchés d'approvisionnement et les débouchés, de collaborer à l'élaboration de programmes d'importation et d'exportation ainsi qu'à la préparation des accords commerciaux. Cette société bénéficiait en outre de l'exclusivité en matière d'exportation des arachides et d'importation de quelques denrées essentielles : sucre, lait, ciment, farine, sel, allumettes, cigarettes, huiles, savons, thé, sacs.

Mais, en Guinée apparut très rapidement une contradiction fondamentale entre les impératifs du commerce d'Etat et ceux du commerce privé français, installé sur place, décidé à abattre l'expérience en cours.

Par l'opposition systématique du système bancaire qui refusait au C.G.C.E. les moyens financiers nécessaires et avait abouti à une diminution de moitié de la circulation monétaire, et du réseau commercial qui refusait de fournir les produits agricoles de traite ou de distribuer à l'intérieur les produits importés, le C.G.C.E. fut vite asphyxié.


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