Paris, Maspéro, Coll. Cahiers libres, 1964. 205 pages
Les choses semblaient donc dans une impasse. Cependant moins de trois
mois après, les discussions franco-guinéennes devaient aboutir
à des protocoles d'accords économiques, culturels et techniques.
La situation internationale avait en effet changé. L'attitude gaullienne
avait créé "un vide" dans lequel chaque groupe voulait
entrer. Redoutant selon leur optique l'implantation en Afrique Noire soit
du communisme, soit du néo-colonialisme, les principaux pays du monde
reconnurent de jure la République de Guinée. Soixante Etats,
dont les U.S.A., la Grande-Bretagne, l'Allemagne de l'Ouest, I'U.R.S.S.,
la Chine, la République Démocratique Allemande avaient fait
ce geste, au début novembre 1958. Les nations africaines indépendantes
soutenaient la Guinée. La Guinée était admise à
l'O.N.U. malgré l'opposition de la France. (Voir La
bataille de l'O.N.U.)
Les tentatives de soulèvement, les essais de désorganisation
avaient échoué.
Le Général de Gaulle, que d'autres préoccupations,
d'autres rancurs peut-être absorbaient, confia le problème
à une mission de hauts fonctionnaires.
Au même moment, la fraction guinéenne modérée au pouvoir
braquait tous ses efforts dans un sens de négociation. Par la Déclaration conjointe d'Accra du
23 novembre 1958 elle faisait affirmer que la prise de position en vue de
la réalisation des Etats-Unis d'Afrique Occidentale n'est nullement
destinée à mettre en cause les relations présentes
et à venir entre le Ghana et le Commonwealth d'une part et la République
de Guinée et l'ensemble français d'autre part". De même,
c'est d'Accra qu'elle avait écrit pour demander son parrainage à
la France pour l'entrée à l'O.N.U.
Trouvant que les négociations n'aboutissaient pas assez vite, elle
tentait de faire pression sur la France en faisant voter par l'Assemblée
guinéenne, le 19 décembre 1958 une résolution envisageant
la rupture avec la France, en cas de non reconnaissance préalable.
Or, au même moment, les négociations continuaient discrètement.
Aucune mesure légale n'était prise pouvant heurter le chauvinisme
français. La loi du 18 décembre 1958 relative à la
taxe sur les étrangers n'imposait aux Français ni visa d'entrée,
ni permis de travail. Surtout, le 7 janvier 1959, trois protocoles d'accords
franco-guinéens étaient signés. Ils étaient
rendus publics, le 15.
Il s'agissait là d'un subtil ensemble de concessions réciproques.
La reconnaissance de jure n'était pas inscrite dans les textes
mais le lendemain de leur publication, de Gaulle envoyait un message enregistrant
la reconnaissance: adresse ses meilleurs voeux pour la République
Guinéenne, reconnue par la République Française.
Les textes étaient signés non par les Chefs d'Etat mais par
les ministres compétents, soit André Malraux, Berthier et Pinsy du côté
français, Diakité Moussa, Barry Diawandou et Dramé Alioune
du côté guinéen.
Ces accords comprenaient trois parties : un préambule d'abord où
étaient affirmés le principe rigide de la cohésion
de la Zone Franc et le besoin de la Guinée d'une assistance administrative
et technique françaises :
"Le Gouvernement de la République Française et le Gouvernement de la République,
Conscients de la nécessité d'établir des liens étroits de coopération et d'amitié entre les deux pays. Considérant qu'il est de l'intérét commun, pour assurer la cohésion de la Zone Franc, d'observer certains principes fondamentaux relatifs aux conditions de l'émission, à la coordination du commerce extérieur, à la mise en commun des ressources de change et au respect de la réglementation commune des changes.
Considérant qu'il est de l'intérét commun d'établir entre eux des rapports de coordination dans les domaines techniques et administratifs,
Considérant que la Guinée, pays d'influence culturelle française, conserve le français comme langue officielle et qu'a cette fin, elle souhaite maintenir dans ses établissements d'enseignement primaire, secondaire et technique, le personnel enseignant français nécessaire,
Considérant que la République de Guinée ne dispose pas d'université, désire que ses étudiants continuent à fréquenter les Universités françaises,
Ont décidé de définir conventionnellement leurs relations dans les domaines de la monnaie, de la coopération technique et administrative et des échanges culturels."
Les protocoles culturels et techniques ne posaient guère de problèmes.
Il était entendu que certains services d'assistance tels que l'I.F.A.C.
et la M.A.R.G, continueraient, que des missions, des fonctionnaires et des
techniciens pourraient être mis à la disposition de la Guinée
avec laquelle ils signeraient des accords directs, enfin que les fonctionnaires
guineens pourraient se perfectionner en France.
Le protocole d'accord sur la Zone Franc était plus délicat.
Les principes français étaient acceptés malgré
quelques concessions de pure façade :
"En considération de la situation particulière de la République de Guinée:
Article 1 - Il sera créé une monnaie guinéenne : cette monnaie sera définie par rapport au franc français.
Toute modification éventuelle de parité entre les deux monnaies ne s'effectuera que d'accord parties.
Article 2 - Il sera créé an Trésor guinéen. Les operations réciproques des Trésors français et guinéen donneront lieu à des règlements périodiques effectués dans la monnaie de l'Etat créancier.
Article 3 - Il sera créé un Institut d'Emission guinéen. Dans le cadre d'une politique monétaire commune à tous les Instituts d'émission, les avoirs en francs français détenus par l'Institut d'Emission guinsen seront déposés à la Banque de France. En cas d'épuisement de ces avoirs et dans la limite d'un plafond à déterminer la Banque de France pourra consentir des facilités de crédit à l'Institut d'Emission guinéen dont les statuts devront nécessairement prévoir une limitation des concours qu'il pourrait apporter au Trésor guinéen.
Article 4 - L'Institut d'Emission guinéen assurera l'application en Guinée des directives générales du Comité Monétaire de la Zone Franc concernant la réglementation du crédit.
Article 5 - Le Gouvernement Français et le Gouvernement Guinéen s'engagent à respecter le principe de la liberté des transferts et des échanges avec les pays de la Zone Franc. Le principe des préférences et franchises réciproques en matière commerciale est maintenu.
Article 6 - Afin d'assurer une coordination indispensable en matière de commerce extérieur, les prévisions d'exportation et d' importation feront l'objet d'examens périodiques en commun.
Des programmes généraux, arrétés en commun, fixeront des plafonds globaux d'importation de marchandises en provenance de pays tiers, établis par catégories de produits et par zone monétaire, compte tenu des besoins de la Guinée et d'une judicieuse utilisation des ressources de la Zone Franc. Dans le cadre de ces programmes, et dans les limites qu'ils déterminent, le Gouvernement Guinéen pourra conclure des accords commerciaux. Le Gouvernement Guinéen informera préalablement le Gouvernement Français de l'ouverture de ces négociations. Le Gouvernement Français informera préalablement le Gouvernement Guinéen de toute negociation commerciale pouvant intéresser la Guinée.
Les modalités de coopération entre les services français et guinéens, pour la négociation des accords commerciaux feront l'objet d'une convention spéciale.
Article 7 - Les recettes en devises de la Guinée seront versées au Fonds de Stabilisation des Changes de la Zone Franc. Celui-ci assurera les besoins en devises de la Guinée au titre des opérations commerciales effectuées dans le cadre des programmes généraux d'importation définis ci-dessus et au titre des opérations invisibles accomplies dans le cadre de la réglementation des changes de la Zone Franc.
Au cas où la Guinée obtiendrait des prêts en devises étrangères, celles-ci pourraient être remises à sa disposition selon les rnodalités à déterminer dans chaque cas particulier.
Article 8 - Le Gouvernement Guinéen s'engage à prendre les dispositions nécessaires à l'application, en Guinée, de la réglementation des changes de la Zone Franc. Le service des changes pourra étre un département de l'lnstitut d'Emission guinéen. Il accomplira ses attributions dans les conditions fixées par le Comité Monétaire de la Zone Franc, à qui il appartient de veiller à l'application de la réglementation des changes de la Zone Franc.
Article 9 - Le Gouvernement Français et le Gouvernement Guinéen s'engagent à se communiquer reciproquement l'ensemble des documents utiles à l'établissement de leur balance génerale des paiements, et notammenf les statistiques relatives aux échanges commerciaux et aux règlements financiers avec les autres pays de la Zone Franc et avec les pays tiers.
Article 10 - Le Gouvernement Guineen sera représenté aux organismes de coordination de la politique monétaire de la Zone Franc, et en particulier au Comité Monétaire de la Zone Franc.
Article 11 - Un accord particulier fixera les modalités d'intervention de la France en faveur de l'association de la République de Guinée au benéfice des dispositions du traité organisant la Communaute Economique Européenne.
Article 12 - Sur la demande du Gouvernement Guinéen, le Gouvernement Français s'engage à mettre à la disposition de la Guinée les techniciens et experts nécessaires à la création, à l'organisation et, éventuellement au fonctionnement des organismes guinéens visés au présént protocole."
A la suite de la signature de ces accords, M. Huré jusque-là Chef de mission était nommé Chargé d'affaires, nomination dont le principe avait été annoncé par un communiqué de l'Hôtel Matignon :
"Le Gouvernement Français a conclu le 7 janvier 1959 avec la Cuinée trois accords qui sont relatifs à la monnaie, à la coopération technique et administrative et aux échanges culturels. Ces accords signés, le Gouvernement Français ayant reconnu pleinement la République de Guinée, va envoyer très prochainement à Conairy un chargé d'affaires."
Ces textes tant par leur contenu que par les circonstances de leur signature
semblaient traduire une victoire française, un succès de la
fermeté gaulliste.
De fait, lors de la cérémonie de publication des protocoles,
Sékou Touré faisait une déclaration fort modérée:
"Par son vote du 28 septembre dernier, la Guinée a choisi l'Indépendance. Alors que d'autres possibilités lui étaient offertes par le projet de constitution soumis à cette date aux populations d'outre-mer, le choix du peuple guinéen ne pouvait manquer d'être commenté... Pour certains il s'agissait là d'un acte qui concrétisait enfin une volonté de séparatisme qu'ils préteraient tant au programme qu'aux méthodes du Parti Démocratique de Gainée. Ainsi, la Guinée, en disant Non au projet de constitution, etait accusée de volonté d'isolement ou d'inféodation au bloc communiste contre les intéréts de l'Occident en Afrique Noire. . . Pour les autres, le vote guinéen était le fait d'un simple coup de tête que les dirigeants de ce pays regrettaient déjà. La vérité est plus simple. L'indépendance acquise le 28 septembre est le résultat d'une politique qui n'a cessé d'affirrner en toutes circonstances sa ferme volonté d'ecarter le système colonial pour que les relations entre Guinéens et Français se situent désormais dans ce pays, sur le plan de la stricte égalité. Cette condition fondamentale acquise grâce au Réferendum Constitutionnel, le Gouvernement de la République de Guinée devait proclamer solennellement dès le 30 septembre, l'ardent désir de notre pays de collaborer fraternellement avec tous les peuples épris de justice, de liberté et de progrès, et en particulier avec le peuple de France. C'est dans cet esprit que des conversations ont été engagées à Conakry, entre représentants du Gouvernement Français, en vue de définir les grandes lignes et la forme nouvelle des rapports entre les deux pays, dans les domaines de la monnaie, de l'assistance technique et des relations culturelles. Ces travaux ont abouti à des protocoles d'accord qui ont été signés le 8 janvier 1959 à Paris, par les représenlants des deux Gouvernements."
L'origine de ces accords est autre en réalité. Ils ne sont
pas dus à la fermeté gaulliste, mais à la peur des
Guinéens nantis. La fraction guinéenne modérée
s'était empressée de signer car la pression de la fraction
guinéenne extrémiste devenait de plus en plus forte. Le climat
populaire était dressé contre la France. Au même moment,
les accords de troc signés avec la République Démocratique
Allemande le 17 novembre 1958 et avec la Tchécoslovaquie le 22 novembre
1958 prouvèrent qu'il existait d'autres solutions que celle de la
Zone Franc.
N'ayant pas compris, le Gouvernement Français maintint en fin de
compte sa position primitive. Aussi les protocoles ne furent-ils suivis
d'aucun accord pratique. La mission présidée par Mr Seydoux
en juin 1959 n'aboutit qu'à une suspension. Le communiqué
final annonçait :
"Les délégations françaises et guinéennes se sont réunies à Conakry du 15 au 21 juin. Elles ont procédé dans l'atmosphère la plus cordiale, à un large échange de vues sur les questions intéressant les deux pays. Certains aspects techniques de ces questions nécessitant un examen approfondi, il a été décidé d'un commun accord de reprendre ces conversations le 27 juillet à Conakry."
La mission du 27 juillet 1959 n'aboutit pas plus malgré la pression exercée par Fria. De Gaulle en fut, dit-on, ravi.
Aussi peut-on juger de l'objectivité et du bien-fondé des justifications que de Gaulle donnait à sa politique. Confondant les causes et les effets, il affirmait n'avoir pas traité parce que la Guinée aurait été, dès le départ, communiste. Or c'était son entêtement qui avait assez artificiellement transformé une république modérée en une république en apparence au moins, plus avancée.
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