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Régime d'Autonomie (Loi-Cadre)
Premières années d'Indépendance


B. Ameillon
La Guinée : Bilan d'une Indépendance

Paris, Maspéro, Coll. Cahiers libres, 1964. 205 pages


3. De Gaulle et la Guinée.

Dans un premier temps, les rapports franco-guinéens se situèrent exclusivement au niveau des Chefs d'Etats. Le Général de Gaulle, en particulier, se réserva seul la compétence de correspondre avec la Guinée. Cette phase est dominée par les états d'âme et les jugements gaulliens. Toujours vexé, le Général essaya d'atteindre son adversaire dans son orgueil. Systématiquement, il ne lui adressa que des messages, appelés le plus souvent déclarations verbales sur papier sans en-tête, ni cachet. Interprétant les demandes rditérees d'accords comme des signes de faiblesse, comme la preuve d'une situation locale de plus en plus difficile, dégradée, les oreilles probablement rebattues des rocambolesques récits de ses agents secrets, de Gaulle adopta une double attitude: d'une part ne pas accéder rapidement aux demandes du Gouvernement guinéen dans l'attente de sa chute, d'autre part montrer, plus le temps passait, des exigences de plus en plus fermes.
Dans un communiqué transmis par le chef de la Mission Française, en date du 28 septembre 1958, la France pouvait sembler reconnaitre de facto l'Indépendance de la Guinée :

"L'article premier de la Constitution spécifie que ''la République et les peuples des Territoires d'outre-mer qui, par un acte de libre détermination, adoptent la présente Constitution, instituent une Communauté.
"Par le vote du 28 septembre, les électeurs guinéens ont refusé l'adoption de la Constitution soumise à leur approbation.
De ce fait, la Guinée se trouve séparée des autres territoires de l'A.O.F. qui ont approuvé la Constitution.
De ce fait, la Constitufion ne sera pas promulguée en Guinée.
De ce fait, la Cuinée ne dispose plus d'une représentation valable à l'intérieur de la Communauté, qu'il s'agisse des organismes métropolitains ou africains.
De ce fait, la Guinée ne peut plus recevoir normalement le concours de l'administration de l'Etat Français, ni des crédits d'équipement.
De ce fait, les responsabilités assumées par l'Etat Français en Guinée doivent être révisées.
Afin de ne pas perturber le fonctionnement administratif et financier du Territoire, les fonctionnaires de l'Etat Français en service en Guinée demeureront à leur poste dans l'immédiat, mais un plan de transfert de ces fonctiottnaires matés à des postes identiques dans d'autres territoires sera établi et réglé par le Haut-Commissaire en A.O.F. et mis en application dans un délai de deux mois par voie progressive et méthodique.
De même, la suspension des opérations d'équipement ne permettra aucune initiative nouvelle."

Insatisfait par cette déclaration, le Gouvernement guinéen réclamait en premier lieu, la reconnaissance officielle de la Guinée par la France. La conférence de presse, tenue fin septembre 1958 par M. Ristérucci, Représentant de la France à Conakry, au cours de laquelle ce dernier laissait entendre que les relations franco-guinéennes seraient désormais régies par le droit international, ne pouvait suffire.
En second lieu et dans le même ordre d'idée, Sékou Touré réclamait le parrainage de la France pour entrer à l'O.N.U.
Enfin la Guinée demandait surtout son maintien dans la Zone Franc. Elle était inquiétée par la fuite des capitaux, la réticence des banques devant toute demande de crédit, les besoins en Trésorerie de l'Etat, les besoins financiers à court et moyen termes.
Ces demandes firent l'objet de trois lettres de Sékou Touré au Général de Gaulle, en date des 15 et 29 octobre 1958 et du 14 novembre 1958. Dans leur tour et leur esprit, elles sont assez similaires. Cette permanence, compte tenu du refus d'agir du Gouvernement français traduisait à elle seule la volonté d'aboutir de la Guinée. Bien plus, tenant compte des désirs exprimés lors de conversations officieuses avec des envoyés français, la Guinée incluait dans ses revendications des mesures culturelles, économiques et techniques. A ce titre, la dernière lettre, celle du 14 novembre 1958, mérite d'être citée in extenso :

Conakry, le 14 novembre 1958,

Monsieur le Président,

J'ai l'honneur de porter d votre haute connaissance que j'ai pris acte avec un vif intérêt du message que vous avez eu l'obligeance de confier à mon envoyé personnel et mandataire spécial à Paris, Monsieur Nabi Youla, ainsi que des informations complémentaires que ce dernier devait m'apporter.
Je suis heureux de vous faire savoir que le Gouvernement de la République de Guince a été extrêmement sensible à la délicate attention dont notre envoyé a été l'objet de votre part et au contenu, à notre avis très positif, du message que vous avez bien voulu lui remettre.
Mon gouvernement se réjouit sincèrement de l'esprit constructif et essentiellement conforme aux intérêts de nos deux pays qui a présidé à ce contact direct.
Il est persuadé que ce climat de confiance que vous seul pouviez permettre se développera rapidement pour le plus grand bien des relations franco-guinéennes.
Dans notre dernière lettre, nous avions appelé votre très haute attention sur le désir de la Guinée de demeurer dans la Zone Franc, avec l'espoir que les conditions qui nous seront faites tiendront le plus grand compte de notre nouveau statut.
La République de Guinée a d'autres besoins :
Ceux-ci sont de tous ordres : culturel, économique, technique, diplomatique.
Nous entendons en rechercher les solutions d'abord avec la France.
Et, dans ce sens, nous sommes disposés a engager des négociations, dès que nous pourrons, en tant qu'Etat souverain juridiquement reconnu par la France, désigner des interlocuteurs valables.
Il vous appartient, Monsieur le Président, de nous mettre dans les conditions ainsi souhaitées, pour qu'une étroite collaboration s'instaure rapidement entre la Guinée et la France.
Dans cette attente faite d'un immense espoir, nous vous prions d'agréer, Monsieur le Président, avec les assurances de notre très haute et très déférente considération, les vux sincères que nous formons pour vous personnellement et pour votre Gouvernement.

A ces demandes, de Gaulle répondit par l'opposition de préalables sur les garanties de vie du Gouvernement guinéen et sur l'accord de la Communauté. Il y ajouta une définition périmée des zones monétaires en général, de la Zone Franc en particulier, pourtant déjà modifiée dans la pratique par l'indépendance du Cambodge, de la Tunisie et du Maroc.
Dans le premier télégramme non signé qu'il lui adressa, de Gaulle faisait savoir à la Guinée ses conditions :

Paris...

A la suite du télégramme que Monsieur Sélou Touré lui avait fait parvenir en date du 9 octobre, le Général de Gaulle a adressé au Chef du Gouvernement de la Guinée, la réponse suivante :
Le Gouvernement a pris connaissance de votre nouveau télégramme du 9 octobre et vous donne acte à la fois de votre demande tendant à obtenir la reconnaissance de l'actuel Gouvernement de la Cuinée et de votre désir de conclure éventuellement un accord d'association entre la Guinée et la République Française. Pour que le Gouvernement puisse entrer dans la voie que vous souhaitez vous comprendrez certainement que diverses conditions doivent étre remplies au préalable. Il s'agit en premier lieu pour le Gouvernement de connaitre vos intentions notamment en ce qui concerne les demandes que vous croiriez devoir formuler quant à ce que pourrait être un accord d'association. Il s'agit pour lui de recueillir les preuves que l'actuel Gouvernement de la Cuinée pourrait donner quant à ses possibilités d'assurer effectivement les charges et les obligations de l'lndépendance et de la souveraineté.
Il s'agit pour lui, enfin, de consulter les organes de la Communauté quand ils seront en place, sur le sujet des rapports à établir avec l'actuel Couvernement de la Guinée.

Par une deuxième correspondance, intitulée déclaration verbale, en date du 21 octobre 1958, de Gaulle brossait un tableau optimiste et dépassé de la Zone Franc, qu'il présentait comme un grand avantage exigeant des devoirs proportionnés. Cinq jours plus tard, Sékou Touré répondait publiquement à cette note, lors d'un meeting qui se tint au Cinéma Vox, le 26 octobre 1958 :

"Nous avons parlé de dignité, nous resterons jusqu'au bout parce que nous savons ce que nous engageons dans nos actes. S'il s'agissait de l'intérêt exclusif de la Guinée, en tant que pays souverain, aujourd'hui même le gouvernement ferait l'émission d'une nouvelle monnaie, d'un nouveau billet. Le billet guinéen naitrait aujourd'hui même, en dehors de la Zone Franc, en dehors de toute autre zone, ce serait la zone monétaire de la Guinée et nous paierions les fonctionnaires avec notre monanie, les fonctionnaires paieraient les loyers, le riz, tout ce dont ils ont besoin avec cette monnaie, les paysans paieraient leurs impôts, leurs taxes avec cette monnaie, mais aussi tous ceux qui sont établis en Guinée seraient obligés de passer à l'Office des Changes guinéen monnayer le Franc C.F.A., monnayer la livre sterling, monnayer le dollar contre cette monnaie, afin de payer leurs ouvriers, leurs travailleurs, afin d'acheter les produits de la Guinée et nous aurions en un an plus de devises que ce dont nous pouvons disposer actuellement.
Nous nous sommes refusés de voir exclusivement l'intérêt de la population africaine, pour ne pas décevoir ceux qui ont fait confiance à la Guinée, qui ont leurs capitaux investis ici, et c'est pourquoi, tranquillement nous attendrons, mais nous n'irons jamais au gouffre, qu'on se le dise."


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