Gouverneur du Territoire
Editions guinéennes. Conakry. 1951. 280 p. cartes, illust.
Il est aujourd'hui généralement admis que la préparation et la conduite stratégique de la guerre ne peuvent plus s'envisager dans le cadre étroit de la Métropole, et que les problèmes doivent en être traités à l'échelon du bloc » Europe occidentale-Continent africain ». C'est dans ce sens qu'à la première conférence de défense de l'A.O.F., tenue à Abidjan, le ministre de la France d'outre-Mer soulignait l'évolution des données stratégiques vers un large étalement sur l'Afrique des moyens militaires et industriels de défense nationale. Au même moment, le ministre de la Guerre, à l'inauguration de l'Institut des Hautes Etudes de la Défense nationale déclarait : » Aussi longtemps que nous ne serons pas garantis de l'invasion, nous devrons organiser notre économie de façon telle que, dans la Métropole, nous laissions à l'ennemi le minimum de moyens pouvant lui servir à prolonger la guerre. Cette condition capitale conduit à aménager le déplacement vers la» France d'outre-Mer d'une partie de nos richesses : laboratoires, usines, ateliers mécaniques, etc. »
Reprenant ces idées, le critique militaire du » Figaro » écrivait récemment :
« Ce sont les seules étendues africaines qui sont désormais à la mesure de la guerre moderne ; c'est donc en Afrique que la France se doit de se disperser et d'échelonner dès maintenant ses moyens de lutte, non seulement les éléments de son potentiel militaire, mais surtout une large partie de son potentiel industriel. De vastes étendues, aussi larges soient-elles, ne sont en effet rien si elles ne sont pas desservies par tout un réseau de bases terrestres, navales ou aériennes, d'arsenaux, d'ateliers, de dépôts, si elles ne disposent pas de tous les organismes qui constituent ce que les états-majors appellent un équipement stratégique, si elles ne sont pas soutenues par une plate-forme d'industries légères et lourdes. De même que l'Union Soviétique a refoulé derrière l'Oural et dans les solitudes de la Sibérie le plus clair de ses formidables moyens de guerre, et qu'elle a su édifier ses m
Or, si l'Union Française peut faire état de bases militaires, aériennes et navales dispersées sur tout le continent africain, elle ne dispose pas encore de moyens industriels et économiques susceptibles de les entretenir. Dans ces conditions, nos bases ne seraient que des constructions artificielles à la merci des moindres incidents intérieurs.
Cette situation semble aujourd'hui amener, d'après le critique militaire du » Figaro », à la conception de quatre zones d'organisation industrielle stratégique sur lesquelles pourraient s'appuyer nos bases africaines.
Les zones 1 et 2 viendraient en appui de nos bases méditerranéennes de l'Afrique du Nord, elles seraient situées aux confins algéro-tunisiens d'Ouenza pour les bases de Tunisie, du Fezzan et du Sahara aux confins algéro-marocains d'Oudjda pour les bases du Maroc et de l'Algérie.
La troisième de ces zones, qui viendrait en appui de nos bases d'Afrique centrale, pourrait être localisée, toujours d'après le mime critique, » en Guinée française à proximité du Château d'eau du Fouta-Djallon et des mines de Conakry qui pourraient alimenter la grande base atlantique de Dakar, Cap-Vert ».
Enfin, la zone 4 serait située dans la partie nord de Madagascar.
L'organisation de la troisième zone n'est évidemment qu'un projet, mais il paraît intéressant d'en analyser les possibilités.
La Guinée offre les conditions exceptionnelles favorables à sa réalisation, les meilleures que l'on puisse trouver dans tout l'Ouest africain. Pour l'installation des industries, la Guinée possède tout d'abord ces deux éléments de base de toute activité industrielle moderne : la matière première et l'énergie. Son massif montagneux du Fouta-Djallon qui couvre 50.000 km2 sera la source inépuisable d'une énergie hydroélectrique, grâce à ses nombreuses rivières dont le débit d'étiage et le profil permettent l'aménagement avec le minimum d'investissements. Son sous-sol renferme, non seulement des gisements extrêmement puissants et faciles à exploiter de fer, de bauxite, dont l'aménagement est d'ailleurs en cours, mais encore toutes sortes d'autres minerais dont la prospection est à peine commencée et dont les indices sont particulièrement encourageants, surtout dans la région forestière. La Guinée semble, en ce domaine, avoir un avenir magnifique si les conditions économiques mondiales lui restent favorables. Il faut ensuite assurer le ravitaillement autonome de tous ceux qui travailleront dans la zone stratégique et même pourvoir, le cas échéant, au ravitaillement des forces armées extérieures.
La Guinée satisfait, dès maintenant, à la première de ces exigences et est en mesure de satisfaire à la seconde, d'ici peu d'années, avec un effort relativement modeste de génie rural. La Guinée produit en effet aujourd'hui les céréales, la viande, les fruits nécessaires au ravitaillement de ses deux millions et demi d'habitants. Elle peut devenir demain, par l'aménagement de ses plaines littorales et des vallées de ses fleuves, le grenier à riz de l'A.O.F., de même que par la modernisation des méthodes d'élevage et la création d'une chaîne du froid, elle peut pourvoir en viande congelée à des besoins plus que doublés. Enfin, elle est autonome pour les matières grasses, exportatrice pour les fruits, et peut également demain, dans ses zones montagneuses, entreprendre de larges cultures de légumes européens.
La troisième condition, c'est d'être en mesure de trouver dans sa population autochtone, ou d'accueillir de l'extérieur dans des conditions convenables, le personnel qui assurera le fonctionnement de multiples organes d'une économie industrielle. Là encore, la nature a particulièrement favorisé la Guinée. En dehors même de la zone côtière, qui n'est d'ailleurs pas malsaine, mais où le séjour reste pénible pour les Européens, en dehors également de sa bordure soudanaise, tout le reste du territoire, grâce à son climat tempéré, lui-même fonction de son altitude, grâce à sa salubrité marquée par le peu d'importance des grandes maladies endémiques, est particulièrement favorable à la vie des Européens. Les techniciens européens qui viendraient travailler dans les futures industries pourraient donc travailler dans des conditions normales. Par ailleurs, la population africaine de Guinée est elle-même une population intelligente, fine, qui ne demande qu'à évoluer et à se mettre rapidement au courant des tâches de la technique moderne; on peut donc compter sur son concours par lequel d'ailleurs elle assurera l'avenir civilisé de ses enfants.
Enfin, la dernière condition à remplir est que le territoire dispose d'un réseau de voies de communications intérieures et extérieures capable d'assurer un important trafic à l'abri de l'ennemi. Or, au point de vue des relations extérieures, la Guinée est véritablement un carrefour. Elle dispose de communications routières à travers le Fouta-Djallon vers le Sénégal et Dakar, de communications routières et fluviales par Kankan et sa bordure soudanaise vers le Soudan la Haute-Volta, la Côte d'Ivoire l'histoire de la conquête de ces territoires en a déjà illustré l'importance); enfin, elle dispose de deux exutoires maritimes : l'un en territoire français (le port de Conakry avec ses futures extensions minières), l'autre en territoire libérien (le port de Monrovia par la route de N'Zérékoré). Pour les communications intérieures, elle ne dispose pour le moment que d'un chemin de fer à voie métrique et d'un réseau routier assez dense mais tout à fait primitif. Celui-ci n'est évidemment pas en mesure d'assurer les liaisons intérieures d'une zone industrielle. Le programme d'équipement actuel prévoit d'ailleurs sa transformation. Mais il faut surtout considérer qu'en dépit de la nature accidentée du pays il est possible d'y parvenir sans avoir à construire de grands ouvrages (viaducs ou tunnels), mais plutôt une multiplicité de petits ponts ou ponceaux, dont la réalisation peut être rapide, que la nature du sol permet de réduire l'aménagement de la plate-forme à un mince revêtement, qu'enfin la présence de nuages et de brumes, très fréquentes sur le pays, donne un couvert stratégique sûr à ses futures voies de communication.
L'énoncé des conditions précédentes suffit pour démontrer que la Guinée est susceptible de s'y conformer rapidement sans de trop grand 1 es difficultés. Il y a cependant certains facteurs défavorables. D'abord la Guinée manque de certaines matières premières cependant nécessaires au bon fonctionnement d'une industrie lourde, en particulier les silicates et les carbonates de chaux, le charbon, qui sont indispensables à la métallurgie et aux cimenteries. Mais, en revanche, elle peut les recevoir facilement des territoires voisins par voie maritime ou terrestre : le ciment de Dakar, le charbon de Nigéria, les hydrocarbures de l'Amérique à travers les zones de l'Atlantique qui seront les plus sûres.
Un autre obstacle proviendra des conditions mêmes dans lesquelles s'amorce naturellement son équipement. La Guinée doit passer par la phase de l'exploitation minière, puis par celle de l'industrie mécanique et des industries de précision qui sont cependant les plus indispensables à assurer l'existence des forces armées modernes. La transformation en zone d'économie stratégique exigerait donc que le processus de l'évolution naturelle soit complète et devancée par une intervention dirigée.
Il peut être sérieusement hâté par l'armée elle-même qui, par une judicieuse répartition de ses effectifs et de ses unités, entretiendrait dans le pays un courant de jeunes spécialistes métropolitains tentés de s'établir sur place après leur libération. Elle devrait se charger en même temps, avec une arme de génie rénovée et équipée d'un matériel mécanique, d'une partie des travaux d'aménagement général. Parallèlement, une politique hardie menée sur le plan social viserait à promouvoir dans le pays des industries des biens de consommation les plus nécessaires au bien-être des Africains (outillage et ustensiles domestiques, équipement technique de l'habitation, habillement, etc.). Elle développerait également l'instruction et particulièrement la formation technique dont les jeunes Africains sont totalement dépourvus. Enfin, elle multiplierait les institutions de culture scientifique ou de charité sociale, laboratoires, instituts de recherches, équipement hospitalier, indispensables à la vie des populations évoluées européennes et africaines qui vivraient dans cette zone. Mais par-dessus tout, il faudra réaliser et maintenir les conditions d'une fusion totale sur le plan moral et sentimental entre les Français de la Métropole et les Français autochtones qui seront ainsi amenés à vivre ensemble. Les premiers devront venir en Guinée avec un esprit de collaboration fraternelle et les seconds se sentir de plus en plus solidaires de cette civilisation occidentale dont ils sont appelés à partager les avantages et aussi les responsabilités.
Telles sont les vues qu'il paraît nécessaire d'envisager quand on pense à l'avenir de la Guinée à l'échelle du monde moderne et particulièrement à celui de la sauvegarde de notre civilisation. Quelle que soit la valeur qu'il faille attribuer aux perspectives invoquées par le critique du » Figaro », elles apparaissent bien être dans l'axe des vues générales exposées par nos ministres.
Le public guinéen doit dès maintenant se familiariser avec les notions dont l'énoncé marque bien que l'Afrique franchit actuellement une étape capitale pour son évolution.
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