Gouverneur du Territoire
Editions guinéennes. Conakry. 1951. 280 p. cartes, illust.
Lors de son voyage à Washington en 1949, M. Petsche, après avoir démenti la nouvelle d'un prêt que des banques américaines auraient accordé au Gouvernement français pour l'équipement de l'Afrique, a confirmé la décision du Gouvernement français de faciliter les investissements de capitaux étrangers à côté des capitaux français dans la zone franc et particulièrement en Afrique française. Bien entendu, ces investissements étrangers ne sont envisagés que dans le secteur qui n'est pas par nature réservé à l'investissement public et devraient de toute manière conserver le caractère d'une participation financière et technique à des entreprises restant sous direction française. C'est dans ce sens que plusieurs comités privés étudient déjà depuis quelque temps la possibilité de mettre en valeur nos territoires d'Afrique sur la base d'une collaboration entre capitaux français et étrangers. D'autres études sont en cours dans le cadre du Plan Marshall et du quatrième point Truman. C'est ainsi que M. Petsche, dans la même déclaration, d'après la presse française, a été amené à préciser que la constitution d'un groupe bancaire franco-américain était dès maintenant envisagée.
« Il s'agit des possibilités d'investissements de capitaux privés américains, et cela n'a rien de mystérieux, Après plusieurs mois consacrés de part et d'autre de l'Atlantique à rechercher les principes directeurs d'une telle action, des décisions concrètes viennent d'être prises. La principale de ces décisions consiste dans la création de deux « corporations » : l'une composée de représentants de sept à huit banques privées françaises dont la Banque d'Indochine, et l'autre composé des représentants de cinq à six banques américaines, dont la Chase Bank. Ces corporations, qui seront indépendantes l'une de l'autre, étudieront ensemble ou séparément les méthodes ayant trait à des investissements de capitaux privés américains dans l'Union Française avec toutes les garanties souhaitées de part et d'autre. »
« Le Monde » précise par ailleurs, à ce sujet, qu'aucune des opérations envisagées par ces groupes privés ne peut voir le jour sans l'autorisation du Gouvernement et que celui-ci reste seul juge avec le Parlement des mesures qui seront finalement décidées.
Il ne fait cependant aucun doute que la France s'est, dès maintenant, engagée dans la voie d'une vaste organisation de l'économie eurafricaine sous contrôle français. C'est là pour elle une nécessité absolue et aussi une chance inespérée de recouvrer la force matérielle d'une grande puissance qu'elle avait progressivement perdue depuis le début du siècle, non seulement à la suite des deux guerres, mais aussi parce qu'elle avait déversé à fonds perdus sur les pays étrangers, au lieu de le faire sur son propre sol, ses richesses en techniciens, machines et capitaux. C'est aussi une chance non moins inespérée pour les populations de l'Afrique française qui peuvent ainsi accéder en quelques années à un niveau de vie matérielle, que seul « l'équipement économique » et non « la politique » , même quand elle s'intitule « progressiste » , pourra leur donner. C'est enfin un devoir pour notre pays en tant que membre de la Communauté des Nations occidentales, car l'Afrique française constitue à l'heure actuelle un des principaux réservoirs de matières premières du monde civilisé. Les paroles prononcées à Washington par M. Just, chef de la division des minerais stratégiques, sont significatives à cet égard. « A l'égard de l'O.E.C.E. et du quatrième point du Président Truman de janvier 1949, nous savons que les plus grandes chances naturelles de minéralisation et les meilleures perspectives d'extraction, d'élaboration et d'exportation se trouvent dans l'ensemble africain français. »
On peut, dès maintenant, entrevoir les grandes lignes de cette organisation industrielle future du continent africain français. Un journal de la grande presse parisienne et la revue « Guinée française » ont récemment attiré l'attention de leur lecteur sur la création prochaine de quatre grandes zones d'économie stratégiques dont l'une, celle des confins algéro-marocains, est dès maintenant en voie de constitution et dont une autre, celle de la Guinée, intéresse particulièrement l'avenir de notre territoire. La première desservirait les bases d'Agadir, de Mers-El-Kébir et du Sahara du Nord, celle de Guinée pourvoirait aux besoins de l'Afrique Occidentale Française (A.O.F.), de l'Afrique Equatoriale Française (A.E.F.) et du Cameroun et particulièrement des bases de Dakar et de Pointe-Noire, la troisième, celle des confins algéro-tunisiens, appuierait les bases d'Ajaccio, de Bizerte, de la Tunisie en général et du Fezzan. Enfin, la quatrième, située dans le Sud de Madagascar sur la côte ouest, alimenterait particulièrement la base de Diego Suarez et le groupe de territoires de l'Océan Indien.
Il faut concevoir ces zones d'économie stratégique comme de grands « combinats » industriels susceptibles, sur un espace suffisamment restreint pour constituer un ensemble cohérent mais suffisamment vaste pour rassembler tous les éléments de la production, de contenir depuis les mines, les sources d'énergie, les usines métallurgiques et chimiques, jusqu'aux industries de transformation mécanique et même jusqu'aux terrains d'expériences stratégiques et aux laboratoires susceptibles également, par leur situation climatique d'abriter et de faire vivre dans des conditions normales et saines une importante population de techniciens et d'ouvriers dont une bonne partie viendra de la Métropole.
On conçoit tout de suite que de pareils ensembles constitueront des facteurs de progrès, non seulement pour les territoires où ils seront installés, mais encore pour la vaste zone d'influence qui gravitera autour de chacun d'eux.
Il n'y a d'ailleurs pas d'autres solutions aux problèmes économiques comme aux problèmes stratégiques de l'Afrique française. Cette solution n'est pas neuve ; elle s'impose sur tous les vastes continents comme le seul moyen d'y développer, et massivement, l'exploitation des ressources naturelles dans les zones encore arriérées et parfois désertiques. Les Américains nous en ont offert l'exemple dans leur grand « combinat fer-charbon des Grands Lacs » , suivi vingt ans plus tard par les Russes dans leur « combinat de l'Oural et de la Sibérie » . C'est aujourd'hui au tour de l'Afrique, continent du siècle.
Sa réalisation exige dans nos territoires africains français à la fois le concours des initiatives privées en hommes et en capitaux et l'intervention d'une autorité supérieure qui coordonne et oriente pour veiller à ce que tous les éléments de cet immense puzzle soient mis en place à leur heure et avec les moyens adéquats. On conçoit facilement qu'il est inutile d'installer de puissantes centrales hydroélectriques dans notre Guinée s'il n'y a pas, au moment où elles commencent à débiter, une non moins puissante industrie lourde capable d'en absorber la production ; de la même manière, il n'est pas possible de monter des usines d'électro-métallurgie pour l'aluminium si elles ne peuvent compter quand elles démarreront su la fourniture du courant à bon marché provenant des eaux de nos montagnes. Ainsi tout se tient. Il y a interdépendance dans le temps et l'espace des objectifs poursuivis; des activité à mettre en place, des moyens à y appliquer. Economie et stratégie, équipement et industries de transformations, initiatives privées et interventions de l'Etat doivent jouer chacun leur rôle à leur juste place. C'est une belle carte qui peu être jouée et gagnée par la clarté et l'intelligence français alliées à la volonté d'évolution de nos populations africaines
L'heure est donc venue pour tous les responsables d'y consacrer toute leur énergie, car une chance inespérée de cet ordre risque de ne pas se représenter deux fois.
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