Ancien Directeur de l'Institut Français d'Afrique Noire (IFAN) en Guinée
Editions Maritimes et Coloniales. 1953. 95 p.
Les côtes du Golfe de Guinée ont été parcourues depuis plusieurs siècles 1. La première en date des aventures qui intéressent les Rivières du Sud est celle de Nuño Tristão, connue par une chronique de 1453. La tradition a permis de sauver de l'oubli le nom de cet illustre Chevalier de l'Infant du Portugal en le donnant à une rivière, le Rio Nunez (Tinguilita), que d'ailleurs il n'a pas dû atteindre.
Le delta du Rio Nunez et son arrière-pays ont toujours suscité depuis ces temps lointains beaucoup d'intérêt et les anciennes cartes en témoignent dans leur toponymie qui mord sur l'intérieur, généralement inconnu. Au début du XIXe siècle, quelques traitants, dont plusieurs Anglais et un Français au moins, y sont déjà installés.
Après que le second traité de Paris (20 nov. 1815) eût restitué à la France l'île de Gorée et la ville de Saint-Louis, les efforts de pénétration, dirigés en vain sur l'intérieur, se tournent vers la côte. Sainte-Marie-de-Bathurst, à l'embouchure de la Gambie est le poste clef par lequel les Anglais ruinent le comptoir français d'Albreda. Aussi est-ce plus loin, vers le Sud, que nos traitants recherchent leur sécurité perdue, en installant des factoreries sur la Casamance et surtout sur le Rio Nunez qui a le double avantage d'être entouré de terres riches et d'ouvrir la route du Fouta-Dialon. De nombreuses caravanes en descendent avec des peaux de boeufs et de la cire, remontant avec des tissus, des fusils et de la poudre. Le bénéfice de ce commerce tente le gouvernement anglais qui délègue en 1816 le Major Peddie et le Capitaine Campbell à la tête d'une expédition. Mais l'un et l'autre périront avant d'arriver au Fouta; ils sont enterrés à Boké. En 1818, le voyageur français Mollien part du Kayor au Sénégal, traverse le Boundou et pénètre dans le Fouta-Dialon où il visite Timbo. En 1827, René Caillé inaugure son illustre voyage en partant de Kakandé, sur le Rio Nunez. Une stèle commémorative signale son passage à Boké.
Ainsi le Rio Nunez s'affirme comme le lieu d'élection du commerce et la meilleure porte d'accès vers l'intérieur. Il faut connaître ce précurseur discret mais influent de la pénétration française en Guinée qu'est le Capitaine de Corvette Dagorne qui, en 1839, effectue une mission d'information 2 et dresse un rapport suggestif attirant l'attention du commerce français sur ce pays prometteur. L'époque florissante des Rivières du Sud devait par la suite lui donner amplement raison.
En 1838, la goélette La Fine remontait déjà le Rio Nunez après que les comptoirs français aient été pillés par les Landouman. Ceux-ci, impressionnés, signent un traité : sécurité et prévalence du commerce français, cession de terrain pour les factoreries contre paiement, droit d'ancrage, rentes aux chefs, telles en sont les clauses que toutes les conventions à venir s'acharneront à faire respecter.
En 1842, un nouveau traité nous concilie les Nalou et, l'année suivante, les traitants français, malgré la concurrence de leurs confrères du Sénégal, obtiennent que les produits des Rivières du Sud soient exempts de droits de douane. Des avantages analogues sont acquis progressivement tant sur le Rio Pongo que sur la Mellacorée.
En dépit des efforts du Commandant de La Louise-Marie goélette de guerre belge qui passe des traités avec les autochtones du Rio Nunez, et malgré l'influence anglaise, en décroissance toutefois sur le plan commercial, la France réussit à s'implanter à Boké au début de 1849. Dès 1858, elle reste seule sur le terrain.
Mais de nouvelles conventions proposées par les Français et acceptées par les autochtones l'une d'entre elles crée un conseil de traitants qui fait en quelque sorte office de tribunal n'ont pas ramené la sécurité sans cesse menacée par les luttes intestines des Landouman et des Nalou ; les comptoirs sont toujours pillés et les caravanes rançonnées par les Foula. Une seule solution : traiter avec l'almami de Timbo, car couper la route du Fouta serait paralyser le commerce, et occuper un point militairement déclencherait des conflits.
Sur l'ordre du gouvernement du Sénégal qui reprend l'idée émise par Dagorne onze ans auparavant, le Lieutenant Hecquart part en 1850 au Fouta-Dialon pour prendre contact avec l'almami. Non seulement il est bien reçu, mais il joue un rôle conciliateur entre les deux rivaux soria et alfaya. Néanmoins, ce voyage n'apporte aucun avantage précis, sinon celui de nouer des relations, qui seront reprises dix ans plus tard par le Lieutenant Lambert. Ce dernier obtient que soit ratifiée la cession du plateau de Boké et reçoit la promesse que les caravanes seront dirigées de préférence sur le Rio Nunez.
En janvier 1866, Boké est occupé militairement, non sans précautions vis-à-vis des puissances européennes et des autochtones.
Ainsi l'occupation de ce poste, puis l'installation de comptoirs à Taboria et à Boffa sur le Rio Pongo, à Dubréka, et à Benti sur la Mellacorée forment une chaîne de points d'appui d'où prendront corps à titre d'ébauches les Cercles du Rio Nunez, du Rio Pongo, de Dubréka et de la Mellacorée.
Les régions côtières sont vassales des Peuls qui dirigent vers elles leurs caravanes. Or les comptoirs français ne peuvent dorénavant suspendre leur sort aux mouvements caravaniers que l'insécurité du Fouta rend irréguliers. Il se crée ainsi une nécessité de fait qui amène la politique française à se tourner de plus en plus vers le territoire des almami. Olivier de Sanderval en prend l'initiative à titre privé 3, fonde un comptoir à Kadé et parlemente à Timbo, où il passe deux mois, avec l'almami en vue de la cession d'un territoire sur lequel serait construit un chemin de fer. Le 2 juin 1880, il en obtient l'autorisation écrite. De retour en France, ayant laissé sur place ses deux agents Gaboriaud et Ansaldy, il défend devant le ministre de la Marine les intérêts des Rivières du Sud et présente son projet de chemin de fer 4. Le ministre est ébranlé mais il n'est pas convaincu et finalement se range à l'idée qu'il faut auparavant établir officiellement les droits de la France sur le Fouta ; à cet effet il envoie en mission auprès des almami le Dr. Bayol, accompagné du. dessinateur-photographe Noirot.
Les négociations sont difficiles l'Almami Ibrahima Sori III se reposant sur son collègue Ahmadou, tandis que chacun d'eux s'en remet aux notables. Un traité d'amitié est tout de même signé le 5 juillet 1881, selon lequel désormais les commerçants français seraient respectés et les caravanes dirigées sur la côte ; toutefois il ne met pas fin aux visées des Anglais dont l'influence bénéficie d'ailleurs en ce moment de circonstances favorables. L'avance de nos troupes au Nord-Est harcèle Samori et les fugitifs, qui vont chercher asile au Fouta, présentent les tirailleurs comme des recrues fétichistes. De plus, tant que les Français se sont attaqués à l'empire toucouleur de Dinguiraye, les almami n'ont pu que se réjouir de la disparition d'un rival, mais Samori, lui, est considéré comme un allié et un promoteur de l'Islam : il s'est attaqué auparavant à l'empire d'El Hadj Omar et a décimé les Houbbou, ennemis des Sédianké de Timbo. Enfin les Français reçoivent une aide de plus en plus efficace des vassaux, dialonké et malinké, et même de Moussa Molo révolté contre les Peuls dans le Kébou.
Le grand chef malinké et ses sofa sont chassés en partie de la rive gauche du Niger dès 1883 et, conséquence directe de cette élimination, le Fouta-Dialon entre dans le rayon d'action de la France. Galliéni a déjà passé un traité avec Dinguiraye et le Niokolo (février 1887) pour relier ainsi les deux voies naturelles de pénétration vers le Niger : la Gambie et le Bakoy. C'est aller un peu vite, au gré des autorités civiles. En effet, bien que les Almami aient accepté de signer le traité de protectorat (mars 1888) présenté par le Lieutenant Plat au nom de Gallieni, le Dr Bayol, lieutenant-gouverneur des Rivières du Sud, le juge impolitique, le précédent traité n'ayant pas été dénoncé, et il ordonne de continuer à payer les rentes versées jusqu'ici à l'almami, que le Lieutenant Plat avait supprimées.
Cependant l'étoile de Samori baisse de jour en jour. Il est battu par Tiéba, roi de Sikasso et de plus, contraint d'accepter l'abandon aux Français de toute la rive gauche du Niger. Un revirement, heureusement passager, de la politique parlementaire française lui laisse quelque répit. Obligés désormais de traiter avec lui comme avec un Etat régulier, nous nous trouvons un moment en difficulté, mais l'irréductible hostilité de Samori éclaire l'opinion métropolitaine et l'assaut définitif est donné en 1898. Bien qu'isolé, il continue à agir par ses lieutenants, entre autres Kémoko Bilali qui ravage le Sankaran et descend vers la Mellacorée, soutenu en secret par une fraction des Touré. Il est arrêté miraculeusement par le sang-froid de l'Administrateur Lamadon.
L'almami soria meurt en 1889. Le Fouta est alors de nouveau plongé dans la guerre civile par la rivalité de deux fils d'Oumarou, aussi dénués de scrupules Mamadou Paté et Bokar Biro l'un que l'autre. Le second sort vainqueur de la lutte, après avoir fait assassiner son frère aîné. Son collègue alfaya Ahmadou, vieux et malade, se laisse annihiler par son jeune rival, mais la politique tyrannique de ce dernier lui attire des haines, même dans son propre parti.
Le Gouverneur Ballay décide d'en finir : les colonnes françaises occupent Timbo, en novembre 1896. Bokar Biro, le terrible almami, est battu sans rémission à Porédaka et tué quelques jours après. Un poste militaire est installé à Timbo.
Oumarou Bademba et Sori Yilili sont nommés almami. Mais, plutôt que de pacifier, ils s'acharnent aussitôt à poursuivre les partisans et parents de Bokar Biro, à les piller et à confisquer leurs biens. Toutefois le calme est ramené et, en février 1897, un traité de protectorat définitif est passé avec le Fouta, qui permet à l'administration de réprimer tous les désordres. Désormais, l'ordre public au Fouta s'inscrit dans celui de la Guinée Française qui, lui, ne peut dépendre de ces basses rivalités de familles, trouble permanent de la paix et de la sécurité des Peuls. Un dernier soubresaut : l'almami Sori Elili est assassiné par un frère de Bokar Biro. Désormais le nouvel almami Baba Alimou n'exerce son autorité que sur Timbo, Bouria et Kolen.
Virtuellement la Guinée Française est constituée et pacifiée. Elle ne sera troublée que par de rares incidents locaux, notamment l'agitation d'Alfa Yaya à Labé en 1905 et le mouvement xénophobe du wali de Goumba en 1911.
Rappelons rapidement les diverses étapes administratives qui ont abouti à la constitution du Territoire.
Un décret du 20 février 1859 avait institué à Gorée un commandement particulier pour les Rivières du Sud dénomination de la région comprise entre le Rio Componi et les Scarcies et pour tous les Etablissements français de la Côte de l'Or et du Golfe du Bénin.
Ce n'est qu'en 1882, par un décret du 12 octobre, que les Rivières du Sud, tout en demeurant sous la dépendance du Sénégal, furent érigées en une colonie dont le premier lieutenant-gouverneur fut le Dr Bayol. Mais son autorité, trop vaste, s'étend sur tout le littoral jusqu'au Gabon.
Le 1er août 1889, les Rivières du Sud comme les Etablissements français de la Côte de l'Or et du Golfe du Bénin sont affranchies du contrôle du Sénégal. Le Dr Ballay, gouverneur en mission il sera titularisé on 1891 débarque à Konakry en juillet 1890. Sans tarder il propose et fait aboutir un décret (17 décembre 1891) assurant la création de la Guinée Française.
Ce n'est qu'on 1899 que ses limites sont fixées par rapport aux colonies voisines. Le Soudan, trop vaste, partage ses régions méridionales avec les quatre colonies côtières : la Guinée Française reçoit le Dinguiraye et tout le bassin inférieur du Niger jusqu'en aval de Siguiri.
Au point de vue international, différents textes ont reconnu nos droits sur le Territoire et délimité ses frontières avec les puissances étrangères voisines 5.
Comprise depuis 1904 dans la Fédération d'Afrique Occidentale Française la colonie de la Guinée Française est devenue de par la Constitution du 7 octobre 1946 un « Territoire d'Outre-mer.». Son évolution, qui avait brusquement démarré par la construction du port de Konakry sous l'égide du Gouverneur Ballay, s'est par la suite poursuivie avec ténacité pour avancer à pas de géant depuis la dernière guerre grâce à l'exploitation minière et à l'industrialisation 6.
Notes
1. Il est toutefois erroné de prétendre que le navigateur carthaginois Hannon les ait visitées. Ce fait, en soi très pittoresque n'a jamais été démontré. Sont également du domaine de la légende les voyages des marins dieppois dans le Golfe de Guinée au XIVe siècle (cf. Guide de Gorée par R. Mauny, I. F. A.N. Dakar, 1954).
2. A bord de La Malouine.
3. Rappelons que le Fouta-Dialon avait déjà eu la visite de Mollien en 1818, René Caillé en 1827, Hecquart en 1850, Lambert en 1860, Zweifel et Moustier en 1879.
4. De Sanderval, qui fut successivement explorateur et colon, s'était concilié au cours de ses nombreux voyages en Guinée l'amitié des Peuls qui lui avaient concédé de vastes domaines où il vivait en grand seigneur.
5. Citons dans l'ordre chronologique
6. A cette évolution 22 gouverneurs, titulaires ou intérimaires, ont présidé:
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