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Guinée Française
Géopolitique — Economie — Sociologie


Maurice Houis

Ancien Directeur de l'Institut Français d'Afrique Noire (IFAN) en Guinée

La Guinée Française

Editions Maritimes et Coloniales. 1953. 95 p.


La Religion

L'animisme

Nous lisons dans le quotidien La Guinée Française du 2 avril 1949 :
« La religion seule réussit à libérer l'humanité de se erreurs ». Cette pétition de principe est énoncée à propos croyances dites superstitieuses, touchant les esprits des montagnes dans la région forestière, croyances, soi-disant d'ordre inférieur, qualifiées de fétichistes et que seules les grandes religions monothéistes —Islam ou Christianisme — pourraient dépouiller de leur état fruste.
Si nous acceptions ces vues par trop simplistes, nous n'aurions plus qu'à tirer un grand trait sur la religion des peuples guinéens. En effet, bien que l'Islam s'impose de plus en plus aux esprits et que la Guinée possède les trois grands centres, musulmans de Kankan, de Dinguiraye et de Touba, il n'en, reste pas moins que la religion du Prophète n'est pas adoptée dans sa pure pure — l'est-elle quelque part en Afrique Noire ? — que les Peuls eux-mêmes, quoiqu'à l'avant-garde de la guerre sainte conservent bon nombre de croyances d'inspiration très ancienne,
que les peuples de la côte, ceux de la forêt et ceux des marches du Fouta, de même que beaucoup de Malinké sont essentiellement animistes ou bien adoptent une religion éclectique où leur mentalité originelle est sous-jacente au décorum musulman. En parlant d'animisme, nous nous reportons à la définition de Delafosse : « croyance à la toute puissance des esprits », définition qui cadre mal avec le terme courant de fétichisme. Peut-on même dire que cette expression rende compte d'un aspect de la question ? On l'applique à tout ce qui a trait à la religion des Noirs. Un bois sacré est fétiche, un masque, une statue, une case, la moindre chose insolite sont fétiches. Les Sosso, ceux moins qui ne sont pas musulmans, se disent kuyé-batula, ce qui signifie adorateurs de kuyé. Kuyé désigne les esprits, tout ce qui est invisible et immanent, mais dont le souffle même peut être perçu par l'homme. Kuyé est ce qui vit dans un bois sacré, ce qui repose dans un masque, dans une pierre, c'est aussi l'ancêtre qui a quitté les vivants et qui réside dans la petite hutte, retirée du village, où ses parents conservent sa lance et la tasse dans laquelle il buvait son vin de palme. Sont des kuyé également divers génies dont l'identité est bien connue, comme Ninginangé et Sogoli, qui sont plus craints qu'adorés. Il y a là une réalité immensément riche qui ne mérite pas la valeur péjorative que prennent les mots fétiche et fétichisme. Nous pensons donc faut bannir ces termes qui freinent par leur équivoque et signification l'évolution des études religieuses, comme celui de « primitif », pour les mêmes raisons, a freiné l'évolution de l'ethnologie. Le terme animisme s'applique mieux à l'esprit et au fond religieux, caché mais vivant, secret mais dynamique, des peuples guinéens.

Jeune fille Sosso
Jeune fille Sosso

Les Peuls échappent, dans une certaine mesure, à ces remarques puisqu'ils sont partis en guerre contre les fétichistes. Toutefois l'Islam qu'ils ont propagé en Afrique Noire, ils l'ont reçu des Berbères. Or il est significatif que peu de temps après leur conversion, ces derniers aient saisi l'occasion du premier schisme de l'Islam pour faire cause commune avec lui. Les Berbères étaient donc et sont encore de grands individualistes qui ne peuvent pas faire table rase de leur originalité. Aussi leurs conceptions religieuses musulmanes sont-elles marquées par une « hypertrophie de la notion de baraka ». La baraka est rayonnante, elle survit à la mort de son prestataire, elle imprègne tout ce qu'il a touché, elle sanctifie ses amis et ses adorateurs. Or de la « baraka » berbère au « souffle vital » des animistes guinéens, il n'y a qu'un pas. C'est donc un Islam tronqué que les Peuls propagent en Guinée et qui va, dans une certaine mesure, au-devant de la mentalité animiste (Capt. Cardaire).
Par suite, nous devons considérer l'animisme comme encore très vivace, comme un fond spirituel toujours vigoureux malgré les termes d'infidèles, de kéfir ou de païens qui traduisent les sentiments péjoratifs qu'il inspire et que les intéressés appliquent eux-mêmes quelquefois à leur propre société. Et les esprits superficiels de conclure qu'en dehors des musulmans et des chrétiens, les indigènes ne croient à rien. Or, nous faisons nôtre cette remarque du Professeur Griaule : « ... il convient... de réviser les idées reçues concernant l'incohérence des mythes, le disparate des rites. Le manque de persévérance ou de chance des chercheurs ne leur a souvent permis que le recueil de bribes. Leur tort a été de voir dans ces foetus juxtaposés la preuve de l'impuissance des peuples sans machinisme à poursuivre de grandes constructions de l'esprit ».
La diversité ethnique de la Guinée Française nous interdit une étude systématique des religions indigènes. A cette impossibilité pratique, s'en joint une autre — aucun de ses groupes ethniques n'a été étudié suffisamment à fond pour qu'on puisse donner un aperçu cohérent de leur système religieux. Nous nous bornerons donc à choisir quelques sujets qui témoigneront de l'intérêt et de l'originalité des facteurs religieux chez ces peuples.

L'au-delà chez les Guerzé.

Il est une croyance presque universelle en Afrique Noire selon laquelle la mort provient du départ de la force vitale (nyoma en guerzé) de l'individu qui s'échappe de l'enveloppe charnelle, victime en quelque sorte d'une force supérieure libérée qui devient suzeraine. C'est pourquoi la mort est l'occasion de rites divinatoires qui ont pour but d'identifier cette force supérieure et de reprendre celle du défunt qu'elle a annihilée. On la stabilise alors par des sacrifices appropriés, sur un objet personnel du mort ou appartenant à la famille et qui constitue l'autel des ancêtres. Tant que cette stabilisation n'est pas opérée, les parents « souillés » par cette mort intervenue dans leur famille sont soumis à de nombreuses interdictions. Les cérémonies funèbres sont d'autant plus importantes que le défunt occupait une situation élevée dans l'échelle sociale, en d'autres termes, que sa force vitale est plus puissante. La même remarque vaut pour les chasseurs, les guerriers, les femmes enceintes, les sorciers : l'âme libérée représente une puissance telle que des rites spéciaux sont nécessaires pour la capter, pour la reprendre au profit de la famille.
On retrouve nettement les mêmes principes dans les croyances des Guerzé concernant l'au-delà. La vie après la mort n'est pas fonction des qualités morales du défunt, mais de l'accomplissement par ses descendants des sacrifices et des offrandes qui lui sont dûs. Ainsi un poulet blanc doit toujours être égorgé sur la tombe d'un chef. En cas d'oubli, il faut alors consulter le devin qui conseille généralement de planter un colatier sur la tombe, mais l'âme des ancêtres préfère toujours l'offrande du sang.

Chez les Toma, la force vitale du mort est concentrée sur un paquet de ghinzé (tiges de fer servant de monnaie) déposé sur la tombe et que les descendants ne manquent pas d'emporter s'ils émigrent.

Lorsqu'un chef Guerzé meurt, sa mort n'est jamais publiée immédiatement. Quand le décès est survenu, on se contente d'annoncer que le chef est très malade. Seuls les principaux notables de la famille connaissent la vérité; ils lavent le corps et l'habillent de ses plus beaux vêtements, puis l'enterrent dans la case ou dans la forêt aux environs du village : « Dans l'excavation on dispose des nattes et des peaux de bœuf, à une extrémité on place une marmite et sur celle-ci une petite chaise. Le corps est couché, la tête appuyée sur la chaise en question. On place à côté du corps sa lance, son sabre ou son poignard de commandement et les assistants jettent dessus de l'argent et des colas. Dans la main on lui met une enclume et on lui referme les doigts dessus. Au moment de couvrir, on reprend l'enclume où désormais réside l'âme du chef » (Germain). L'enclume est ensuite portée dans une case du village, où se trouvent les enclumes des autres chefs décédés et qui de ce fait est un lieu de sacrifice. La mort du chef ne peut être annoncée publiquement qu'à la suite d'une cérémonie au cours de laquelle des guerriers feignent d'attaquer la case des sacrifices. Autrefois des captifs étaient immolés.
La mort d'un sorcier (zogomou) exige également des rites précis et complexes, car un homme doté de tels pouvoirs risque d'être dangereux après sa mort. Le fils ou le neveu du défunt doit racheter le corps soit par un bœuf si le zogomou a dirigé sept tatouages, sinon par trois pièces de cotonnade. Si personne ne rachète le corps, tous les membres de la famille risquent d'être victimes de la colère du mort; aussi le cas est-il rare. Si le fils ou le neveu est trop pauvre, le rachat est fait par le chef de canton, car on ne peut laisser ainsi seule l'âme d'un zogomou. Toutefois, si ce dernier a trop mal usé de sa force, on l'enterre nu dans la terre et on se protège de lui en lui donnant pour linceul des feuilles qui ont le pouvoir, d'annihiler sa puissance maléfique.
Les funérailles d'une femme enceinte n'offrent pas moins de traits particuliers ; elles sont le signe d'un grand malheur et les hommes du village sont tous soupçonnés d'en être responsables. Aussi faut-il vite chasser ce mauvais sort, sinon toutes les femmes enceintes risquent d'en être victimes. « La nuit après le décès, les femmes initiées (et celles-là seulement) se réunissent devant la case de la défunte et sortent en procession en chantant des injures à l'égard des hommes qui doivent tous rentrer dans leurs cases ». Au milieu d'elles se trouve entièrement nu le mari de femme décédée en couches. Dans certaines régions, si la femme, avant de mourir a donné naissance à un enfant vivant, on le noie puis on le brûle dans la fosse à côté de sa mère. Une impureté générale règne donc sur le village. Hommes et femmes doivent se terrer dans leurs cases en évitant tous contacts sexuels, car l'homme est considéré comme impur jusqu'à la fin de la cérémonie. Toutes les femmes enceintes sont attachées avec des lianes ; leurs maris ou leurs frères doivent faire bouillir de l'eau pour les purifier. A la fin de la cérémonie, les maris font des cadeaux aux vieilles femmes pour que leurs épouses soient délivrées. Si la force maléfique a été chassée du village, elle n'en est pas moins encore très vivace ; aussi la même cérémonie a lieu dans les villages voisins où elle est censée s'être réfugiée et où elle exercera des maléfices.

Rites de chasse.

L'observance des rites est impérieux dans les milieux de chasseurs car ces derniers versent le sang. Dans la logique animiste, un animal n'est pas seulement une entité zoologique ; en lui réside une âme que la mort libère. Le chasseur lui-même est responsable de cette libération. Aussi doit-il accaparer la force de l'animal à son profit. Cette force n'est pas dangereuse en soi mais sa puissance met en péril la vie même du chasseur s'il n'est pas prémuni. C'est pourquoi les grands chasseurs sont des hommes puissants et respectés. Chacun d'eux reçoit à son initiation la corne de la première antilope qu'il tue ; elle est désormais le dépôt précieux de ses chances, au sens matériel où l'entend le vulgaire.
Il existe encore dans le Labaya (Cercle de Dubréka) des croyances vivaces propres à la chasse et que mentionnent certains chants sosso, les sanrhé. Il y est question des chasseurs qui s'enduisent le corps de médicaments. Le charognard, se doutant quelque chose, survole l'animal qui s'effraye et s'épuise dans fuite, servant ainsi les buts de l'homme. L'oiseau qui accompagne tous les gros animaux, comme le pique-bœuf, mérite une pensée particulière du dõso 1, qui en value la famille, sinon il avertirait l'animal qui prendrait alors la fuite. Salut à la brousse aussi, que le chasseur fait taire en tuant tous les animaux qu'elle nourrit. Il appelle l'animal visé en des termes élogieux : « vénérable », « grand-père », tandis que sa femme reste elle, délaissant le marché, car son mari reviendra sûrement chargé de gibier. Mais avant de partir, il salue son père, s'il a oublié, il doit revenir.
Quand un chasseur ne rentre pas au village, c'est qu'il a été appelé à un autre destin, en compagnie des grands animaux qu'il a tant aimés.
De nombreux individus possèdent des autels personnels ; en général ce sont ceux dont les fonctions sociales exigent une initiation particulière. Les chasseurs répondent à cette condition, comme les forgerons qui manient les puissances telluriques. Ces autels résident dans un endroit obscur de la case ou de la véranda. Tous les objets qu'ils contiennent ont donc pour but de capter les forces de l'animal et des esprits de la brousse. La chasse devient ainsi une technique basée sur une sympathie étroite entre l'âme du chasseur et le domaine spirituel avec lequel il entre en contact.

Type d'Homme Manon
Type Manon (Cercle de Nzérékoré)

Rites de passage et d'initiation 2

Pour un animiste, la vie n'est possible que dans la mesure où l'homme parvient par des stades successifs à une fréquentation de plus en plus intime avec le monde spirituel. Un individu non circoncis, une femme stérile, sont des êtres privés d'une substance essentielle, de même qu'un individu non tatoué est un poltron dans les sociétés forestières.
Mais ce serait une erreur que d'imaginer cette ascension au sens chrétien comme une ascèse où le corps matériel s'anéantit devant l'esprit. Il n'y a pas un monde naturel et un monde surnaturel, mais un seul monde imprégné d'un vitalisme intense et sui generis, où la matière n'est qu'une apparence, une enveloppe charnelle dépositaire de forces spirituelles. Ainsi la vie comporte trois grands échelons :

A chacun de ces échelons, la force vitale augmente en puissance et, parallèlement, cette puissance exige des sacrifices et des offrandes de plus en plus importantes comme des interdictions de plus en plus impérieuses, de la part de ceux qui veulent en bénéficier.
L'initiation est une cérémonie qui a lieu à des âges variables selon les populations. Chez les Guerzé elle durait autrefois de 6 à 7 ans ; maintenant elle est réduite à 2 ou 3 ans. Elle a lieu dans une partie de la forêt proche du village, et dont l'entrée est interdite aux femmes et aux non-initiés. La circoncision consiste en l'ablation du prépuce tandis que son parallèle chez les filles, l'excision, est une opération sur les organes sexuels consistant tantôt dans l'ablation partielle ou totale du clitoris, tantôt dans l'enlèvement partiel des grandes lèvres. Le morceau de chair est considéré comme le siège d'une force nocive, redoutée, donc sacrée. L'opération lève l'interdit qui s'attachait antérieurement à l'acte sexuel, mais le prépuce conserve sa force nuisible, aussi est-il brûlé ou enterré ; ailleurs il est consacré par un prêtre compétent et devient une relique protectrice. La plupart du temps, la cérémonie de l'excision est plus ou moins calquée sur celle de la circoncision, mais son cérémonial est plus pauvre et la durée d'isolement dans le bois sacré — dont l'emplacement est oppose à celui des hommes — moindre. Les deux cérémonies n'ont jamais lieu ensemble.
L'opération est toujours exécutée par un individu déterminé, le zogombu chez les Guerzé. Cet homme occupe dans la société une place prépondérante. C'est lui qui décide en accord avec le chef de la date et du lieu de l'initiation. Ses qualités sont transmises de père en fils.
Mais la circoncision n'est qu' un rite préliminaire par lequel l'individu peut désormais entrer dans la vie sexuelle ; seule l'initiation crée un homme nouveau, « ... l'initiation, elle, écrit M. Holas, accomplit le plus important des rites de passage en faisant naître le sujet social parfait ». Des instructions sont données aux nouveaux circoncis : conseils généraux et encouragements portant sur la vie sexuelle. Par contre, l'initiation introduit à la vie sociale :
imposition d'un nouveau nom, épreuves d'endurance, révélations de secrets tribaux et de notions médicinales.
L'idée maîtresse qui domine tous les rites est celle de passage d'un état antérieur à un nouvel état, par la succession mort-renaissance. Les jeunes Guerzé, en entrant dans le bois, sont mangés puis recréés par le Nyamou femelle, et les tatouages sont les traces de l'accouchement.

L'Islam

L'histoire de l'Islam en Guinée Française se trouve liée pour une grande part à celle des Peuls, puisque la guerre de conquête qu'ils ont menée contre les peuples autochtones est aussi une guerre d'indépendance religieuse. Nous ne reviendrons pas sur son promoteur, Karamoko Alfa, ni sur les almami, dont les ardentes rivalités ont plus ou moins cédé le pas devant l'impérieux devoir de propager l'Islam parmi les vaincus. Ce sont toujours les Peuls qu'on retrouve autour de l'empire d'El Hadj Omar Tall. Ce dernier, d'origine toucouleur, après un long pèlerinage à la Mecque, s'installe sur le plateau désertique de Dinguiraye (1848) et fonde un état théocratique en réduisant les communautés dialonké voisines que commande un certain Guimba Sako. Il attire autour de lui de nombreux Foula, surtout des diiwe de Koïn et de Timbo, et part à la conquête de Nioro et de Ségou. Son action guerrière ne se fait pas sentir en Guinée, mais son influence philosophique, nous le verrons, est énorme.
Les Berbères de Mauritanie, en contact permanent avec le Maroc, ont adopté les ordres et les confréries qui, au Moyen Age, se partagent l'Afrique du Nord sous l'influence du soufisme oriental.
On retrouve ces confréries en Guinée, au Fouta-Dialon ; chronologiquement elles adoptent l'ordre qadriste, évincé un moment par le Chadélisme, pour se réclamer finalement du Tidjanisme.

A la fin du XVIIIe siècle, le Fouta est à peu près islamisé. Il est inféodé alors au Qadrisme. Le grand centre en est Touba 3, ville qui comptait autrefois 7.000 habitants, sur les rives de la Koumba (vallée supérieure du Rio Grande), à mi-chemin entre Labé, et Kadé. Touba en fait n'est pas habitée par des Peuls mais par des Diakanké qui la fondèrent en 1815 sous l'autorité de leur saint vénéré Karam Ba, originaire du Boundou et appartenant au clan des Gassama. La renommée intellectuelle de cette ville s'étend sur tout le Fouta et nombreux sont les élèves qui viennent suivre les cours des maîtres. Aujourd'hui, Touba est déchue. La libération des captifs a entraîné sa ruine ; en effet maîtres et talibé, obligés de cultiver pour se nourrir — ce qui autrefois était réservé aux captifs — ont dû cesser leurs longues méditations quotidiennes. Enfin l'arrestation de Karamoko Sankoun en 1911 lui a porté le dernier coup. Il subsiste aujourd'hui en amont de Boké des villages dont les populations se disent Toubakaye ; les Diakanké en général sont tous devenus des dioula et les sédentaires d'habiles cultivateurs.

Le Chadélisme est à la mode au Fouta au début du XIXe siècle, propagé par un marabout mystique, ancien moqaddem de la mosquée de Fez. Les « Sadialianké », comme disent les Foula, ont été nombreux surtout dans le Ndama à Koumbia, dans le Goumba près de Kindia et dans le Labé. Le seul centre qui a conservé une certaine vitalité est le village de Diawia dans le Labé. Les autres ont disparu car, foyers d'agitation, ils ont été interdits par l'autorité française après avoir fortement inquiété le pouvoir de Timbo lui-même. Les pratiques des Chadélia donnent l'accent sur le jeûne, la prière publique. Les partisans de l'ordre (ouerd) se livrent à des réunions pieuses (diaroré plur. diarooje) où ils psalmodient et répètent indéfiniment les mêmes invocations, ce qui les jette dans des convulsions religieuses collectives.

Le Tidjanisme balaye les deux ordres mystiques précédents.

Les conditions économiques, le développement du commerce, des échanges et des transports s'accordent mal avec les mystiques puritaines et méditatives dés Qadria et des Chadélia. Aussi la mystique des Tidjania, empreinte de libéralisme, connaît-elle rapidement un essor fulgurant qui, le plus souvent, ne rencontre aucune résistance. C'est le cas pour la Guinée où elle s'installe sans coup férir, propagée par El Hadj Omar et ses disciples. De plus Toucouleurs et Foula ont des affinités — liens sang, de la langue, liens historiques — qui jouent en faveur du pèlerin de Dinguiraye. L'ouerd d'El Hadj Omar va donc se répandre comme une traînée de poudre. Pour le recevoir, l'initié, les mains dans celles du maître, doit écouter la lecture dos oraisons en usage chez les Tidjania..
Aujourd'hui le Tidjanisme est l'ordre de tous les Guinéens musulmans, dont ils n'ont d'ailleurs qu'une vague conscience. Il est devenu plus ou moins la victime de son libéralisme, puisqu'il permet beaucoup tout en laissant l'étiquette de musulman.
En Guinée Française, comme partout ailleurs en Afrique Noire, l'extension de l'Islam est liée au développement des échanges commerciaux et à la création des centres urbains. Cette religion, au lieu de représenter un élément conservateurcomme dans les pays sémitiques, reçoit donc l'adhésion des milieux lesmoins sédentaires, surtout dans les villes où les individus sont sans défense sur le plan culturel et économique.

Nousne pouvons mieux conclure qu'en disant avec le Professeur Griaule 4 qui définit bien la situation psychologique de 'Islam en Afrique Noire et notamment en Guinée que « si est censé musulman tout homme qui accomplit tout ou partie des cinq prières, qui jeûne apparemment ou qui porte un nom à consonance arabe, si l'on trouve normal que l'almami (imam) du chef-lieu de tel Cercle soudanais ne comprenne aucune des formules qu'il prononce, on arriverait à compter un tiers environ de la population vivant dans la religion que le Berbère Abdallah ben Yassine répandit par la guerre dès le XIe siècle. »

Notes
1. Terme très répandu dans le domaine mandé pour désigner le chasseur.
2. Cf. bibliographie: B. Holas
3.Ce nom est d'origine koranique et désigne un arbre immense ; un cheval met 500 ans pour sortir de son ombre. C'est donc un séjour de
béatitude pour les vertueux. Ce nom est familier depuis qu'il a été employé par Victor Hugo dans Les Orientales.
4. “L'Islam,” in Encyclopédie maritime et coloniale, Paris, 19149.


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Fulbright Scholar. Rockefeller Foundation Fellow. Internet Society Pioneer. Smithsonian Research Associate.