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Bohumil Holas

Assistant d'Ethnologie à l'Institut Français d'Afrique Noire (IFAN)

Les Masques Kono (Haute-Guinée Française):
leur rôle dans la vie religieuse et politique

Paris. Librairie Orientaliste Paul Geuthner S.A. 1952. 200 p.


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Chapitre XII
Zagbwè Hinè

Généralités, comparaisons

Zâgbè sinè (ou zagbwè hinè, zagbwè le mot étant d'origine yacouba).
A en croire nos informateurs, ce masque et son usage sont empruntés aux Yacouba de la Côte d'Ivoire, et nous ne répétons que ce que nous avons déjà dit ; il n'existe d'ailleurs que dans les cantons adjacents à la frontière ouest-éburnéenne, c'est-à-dire dans le Vépo et le Saouro Nous n'en avons pas trouvé la moindre trace à l'ouest du Zié.
Cependant P. J. L. Vandenhoute dit, au sujet du « sagbwé » 1 (classé par lui parmi les masques « à cornes ») de la région de Bafing: « Les masques à bec d'oiseau et à cornes dont le centre de diffusion se situe dans la région traversée par le Bafing, jouent exclusivement le rôle de « sagbwé », ou de « gardien du feu (ou du village) »... D'après l'opinion locale, l'idée de garnir le visage humain de bec d'oiseaux et de cornes serait inspirée par les Kono ( = Konianko), les Kpelle et autres tribus de famille Mandé des régions libérienne et guinéenne avoisinantes 2. Nul doute ne pourrait d'ailleurs subsister quant à l'origine étrangère de ce masque hybride dont les fonctions ne sont convenables qu'en pays ouvert, en savane ou en forêt claire, et qui, en effet, n'est pas parvenu à pénétrer dans la forêt proprement dite... Notons encore la préférence nettement accusée dont témoignent les masques de la région du Bafing :

  1. Pour une garniture en métal blanc ou en aluminium.
  2. Pour un revêtement complet du faciès avec une étoffe en coton ou en laine importée, de couleur rouge vermillon.

Ces appliques en matériaux plus stables remplacent la peinture à la terre blanche et l'ancienne couche feutrée de couleur orangée ou rougeâtre de noix de kola mâchées et crachées sur le masque 3 ».
Le zâbgwè, il faut le dire dès le début, offre plusieurs points commune avec le mamoungonyo: il se présente également le plus souvent en célibataire; il est également entièrement muet, mais il frappe parfois fort avec son fouet, toujours prêt. Il fonctionne (en principe) durant la même saison de l'année et, comme le premier, il assume également un service d'utilité publique.

Son aspect

Le zâgbwè mâle porte sur la face un masque en bois toujours grossièrement taillé, peint sommairement en rouge 4, pourvu de deux cornes, droites ou recourbées, et aux grosses orbites rondes où l'aluminium n'intervient presque jamais, contrairement à l'usage des Yacouba voisins dont le zâgbwè aura toujours un fini plus soigné). Cependant, d'après de bonnes sources, nous admettons l'existence d'un type aberrant sans cornes qui prendrait alors l'aspect « dégradé » de notre figure 13.
En guise de coiffure, il porte une sorte de turban informe, confectionné en étoffe rouge, rehaussé de quelques plumes, franges ou bandelettes de tissus multicolores.
De même, tout son costume — d'ailleurs assez négligemment taillé — a, de préférence, la même couleur rouge vive, ou un dessin vif.
Dans ses mains, il porte un fouet et une clochette ordinaire d'importation.
Cependant, à la différence de la plupart des masques kono purs, il porte une jupe courte en fibres de raphia qui ne descend pas au-dessous des genoux; les mollets et les pieds sont entièrement enveloppés dans une sorte de pantalon étroit, et les chevilles, de deux anneaux faits de fibres végétales.
Ses mouvements sont rapides, et il est un coureur extraordinaire.
Absolument muet, il n'a pas, lui non plus, besoin d'un interprète.

zagbwe hine
Example d'un zagbwè sans cornes manifestant
des caractères étrangers (yacouba ?)

Sa fonction

A notre connaissance, on n'offre jamais de sacrifices au zâgbwè, non plus qu'au mamoungonyo ; leur fonction à tous les deux, bien que née de conceptions spirituelles, relève, sur le plan pratique, du domaine purement social.
Dans les cantons Vépo et Saouro, dés le début de la saison sèche, le couple des zâgbwè sortira chaque jour, et restera au service, depuis l'aube jusqu'au soir. La responsabilité morale, ici encore, incombe à la société des jeunes gens du village, qui agissent bien entendu, sous la surveillance du dzogo-mou.
Le mécanisme serait alors à peu près le suivant: à la première heure du jour, lourougbô-mou, le crieur public (qui d'ailleurs manifeste bien des ressemblances avec l'institution des « griots » sans être soumis pour autant à la condition de caste) avertit les femmes du village de se dépêcher pour finir leur cuisine et d'éteindre leurs feux à l'intérieur des cases au plus tard au lever du soleil, afin d'éviter l'incendie. Là où existe une zâgbwè néa (voir plus loin), c'est elle qui se chargera de cette besogne.
Une heure après, avec les premiers rayons du soleil, survient le zâgbwè mâle qui parcourt en toute vitesse le village, pénètre dans les cases et, s'il y trouve encore un feu allumé, il frappe sans pitié la femme de tel ménage, et casse le canari qui se trouve sur le feu. Il prend ensuite un objet quelconque (une caisse, un panier, une marmite, etc ) et l'emporte chez le dzogo-mou, en gage. Le soir, le mari de la coupable devra se présenter chez le dzogo-mou pour récupérer sa propriété séquestrée, moyennant l'amende coutumière: un poulet et une calebasse de riz. Les amendes ainsi recueillies seront alors partagées comme suit : une bonne part appartiendra au dzogo-mou, une autre au chef du village, et une troisième aux jeunes gens (langa) assumant ce service. Toutefois, le dzogo-mou fera préparer, par les femmes de son foyer, un repas commun auquel il invitera le chef du village, les notables et le « comité directoire » des jeunes gens du village. Un festin plus copieux sera offert aux langa par l'ensemble des villageois, pour marquer la « clôture de la saison », à titre de récompense.
C'est avec la première pluie, en effet, que se termine le rôle du zâgbwè, qui ne reprendra ses fonctions que l'année suivante.

Notes
1. Nous ne pouvons pas vérifier ce fait, de façon générale; chez les Kono, le bec et les cornes peuvent très souvent manquer quand il s'agit de leur zâgbwè.
2. En réalité, les masques anthropo-zoomorphes, caractérisés par des cornes et un bec d'oiseau ne sont pas du tout rares en Afrique Occidentale Française (A.O.F.), p. ex. chez les Bambara soudanais, chez les Bobo de Haute-Volta, chez les Baoulé de la Côte d'Ivoire, etc...
D'autre part, il nous paraît inutile d'ajouter qu'il s'agit ici certainement d'une confusion des deux termes Kono et Konianké, ces derniers formant actuellement un groupe bien distinct, installé dans le cercle de Beyla.
3. P. J. L. Vandenhoute, Clarification stylistique du masque dan et guéré de la Côte d'lvoire Occidentale (A.O.F.), pp. 16-17, Leiden, 1948.
4. Le plus souvent au moyen de l'encre synthétique de fabrication européenne, achetée au marché.


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