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Bohumil Holas

Assistant d'Ethnologie à l'Institut Français d'Afrique Noire (IFAN)

Les Masques Kono (Haute-Guinée Française) :
leur rôle dans la vie religieuse et politique

Paris. Librairie Orientaliste Paul Geuthner S.A. 1952. 200 p.


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Les informations suivantes ont été recueillies dans plusieurs endroits des 4 cantons kono, au cours de nos nombreux déplacements depuis plusieurs années, et particulièremenl aux villages Bakoré et Lola du canton de Lola, Gama et Pinè; dans le Saouro, Kooulenta et Nzo dans le Vépo, Guélémata et Fanha dans le Mossorodougou.
Pour certaines raisons, nous ne donnons ici qu'exceptionnellement les noms de nos nombreux informateurs, ceux-ci étant pour la plupart des chefs et de vieux notables du pays.

Chapitre Premier
Généralités

But et évolution du masque

La première apparition du masque dans l'histoire de l'Humanité remonte à des époques certainement très reculées, où elle se confond avec les manifestations mêmes du sentiment religieux primitif. Autant que l'on puisse se fier aux témoignages dont on dispose, on suit sans difficultés ses traces à partir de la période récente du Quaternaire. Il nous paraît hors de doute que l'apparition du masque ne saurait être expliquée par le simple goût du travesti. Sa signification est infiniment plus profonde, son usage étant strictement réglementé dès le début, et réservé à un nombre très limité de personnes qualifiées. Et c'est à juste titre que, pour en fournir des explications plausibles, la majorité des auteurs cherchent à y faire intervenir des phénomènes d'ordres magico-religieux 1, le besoin du symbolisme rituel, etc.
La paléoethnologie nous enseigne, en effet, que l'Homme de Cro-Magnon vivait, sur le plan matériel, de la chasse et pratiquait en contre-partie spirituelle la thériolâtrie : avant de partir à la chasse, le chargé du sacerdoce de la horde, déguisé en bête convoitée, mimait ses mouvements caractéristiques, et exerçait ainsi le premier rite propitiatoire.
Ne laissons cependant pas la fantaisie aller trop loin. Il n'y a pas lieu non plus de parler ici de toutes ces théories fragiles sur les pratiques rudimentaires à caractère zoolâtrique, de l'intervention de la magie sympathique, de la naissance des idées totémistes (voire à l'état proto-totémique hypothétique), de la première formulation de la croyance en des puissances occultes, de la crainte des revenants... etc...
Mais revenons à notre sujet. Gordon 2, se fondant sur des spéculations comparatives, estime que le masque, en tant que substitut d'une vraie tête animale sacralisante, fut, à l'origine, un des principaux objets d'un rite propre à l'investiture clérico-royale. Celui-ci subsisterait surtout, d'après le même savant, dans le cycle culturel dit du matriarcat, et sur ce point, nous sommes tout à fait du même avis. Il ne se trouve d'ailleurs nullement isolé : car en Afrique noire aussi, ce sont surtout les sociétés matriarcales (ou celles où le patriarcat, plus moderne, n'a supplanté le caractère matriarcal supposé primordial que d'une couche peu épaisse) qui ont créé le masque, et c'est par là que l'usage du masque a conservé une grande virulence.
Cependant le masque, selon la théorie et les traditions populaires, aurait primitivement été la propriété théogonique des femmes-prêtresses 3, avant d'être remis en possession exclusive aux hommes des temps plus récents de l'histoire de l'Humanité, par suite du processus de la théocratisation (Gordon).
En général, la grande majorité des légendes connues, relatives à la création ou à la découverte du masque, témoignent de cette évolution, aussi bien chez les Bantou matriarcaux que chez la plupart des populations paléo-africaines de l'Ouest (cf. chapitre XXI)
Bornons-nous maintenant en ce qui nous concerne, à souligner l'identité primitive du fonctionnaire sacerdotal avec le porteur du masque.
C'est certainement un point à retenir. Car — et nous en possédons force preuves — dans le cours de l'évolution ultérieure, les deux fonctions se sont progressivement dissociées, conformément à la règle générale de séparation des pouvoirs, ou, plutôt, de spécialisation fonctionnelle.
De la sorte, chez beaucoup de naturels modernes, nous avons affaire à un Maître des masques auquel se trouvent subordonnés un ou plusieurs porteurs de masque, figurants spécialisés mais parfaitement anonymes ; et il n'est pas souvent facile de discerner la limite qui sépare les deux. Dans de nombreux cas même, cette division une fois parachevée n'affecte guère le principe de l'institution archaïque. L'accumulation des deux rôles en une seule personne sera toujours d'autant moins favorisée que l'anonymat des aides-figurants sera plus parfait et, il est hors de doute que dans les deux éventualités la structure idéologique restera intacte. Seul se compliquera le mécanisme du rite.
Dans les contrées libério-guinéennes, cette organisation théocratique prend une forme nettement définie: en tête de la hiérarchie sacerdotale se trouve-le prêtre ou le chef religieux 4 : dzogo-mou (au pluriel: dzogo-bla) pour les Kono, tandis que chez les Kpèlè (appelés plus souvent les Guerzé) et chez les Manon voisins, le même personnage portera respectivement les noms zo (Schwab) ou zoo- (Westermann). Et ce serait, pour le dernier de ces deux auteurs (op. cit., p. 238) « un homme ou une femme qui, après avoir subi une initiation spéciale dans les secrets magico-religieux, pratiquaient ces coutumes. On appellera aussi zo les dirigeants des ordalies, les géomanciens, les exorcistes, mais aussi les femmes dirigeantes de la collectivité du sandè. Plus particulièrement, ce mot désigne le chef d'une collectivité religieuse, d'une société secrète ».
Mais si la fraction manon de Guinée (canton de Bossou) manifeste une nette tendance évolutive et dissociatrice, par contre, chez les Manon de l'hinterland libérien, d'après les résultats des missionnaires américains G. W. Harley et G. Schwab, la spécialisation des fonctionnaires du poro ne semble pas encore être rigoureusement respectée, un zo assumant parfois le rôle du porteur du masque (cf. Tribes of the Liberian Hinterland, p. 274).
Une telle éventualité ne se présente jamais chez les Kono.

Notes
1. Rappelons, à titre d'exemple, les déductions affirmatives de Th. Mainage, dans son intéressant ouvrage Religion de la Préhisloire, Paris, 1921.
2. Gordon (Pierre), Le sacerdoce à travers les âges, Paris, 1950, p. 269.
3. Ce qui se traduirait aujourd'hui parfois par le terme bien plus modeste : potières, à savoir celles, qui bénéficient du droit de remanier impunément les entrailles de la Terre-Mère.
4 Que la littérature courante parfois indique sous le nom féticheur ou magicien, etc. Cependant nous préférons, autant que possible, éviter ces appellations proscrites par le langage ethnographique moderne, sans rien ajouter aux nombreuses discussions qui se sont produites à ce sujet.
D'ailleurs nous tenons à souligner que la fonction du prêtre aura toujours un caractère social (il agira comme intermédiaire de l'univers physique et le monde d'au-delà dans l'intérêt du groupe social) tandis que, dans le cas d'un « féticheur », « magicien », il pourra s'agir plutôt d'individus.


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