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Histoire


Djibril Tamsir Niane
Recherches sur l'Empire du Mali au Moyen Age

Recherches africaines . No. 1, janvier 1959. p. 6-56


Sommaire


Première partie. La tradition historique

On dit que la parole s'envole, que les écrits restent; il n'est point besoin d'insister sur cet aphorisme, et il explique le peu de crédit que l'on accorde en général aux sources orales comme documents historiques. Si la transmission par la voix des choses anciennes est sujette aux déformations, il n'en reste pas moins vrai que pour un pays comme l'Afrique Noire où l'écriture a eu peu d'influence, l'Historien doit en tenir compte; les formules plusieurs fois séculaires que les traditionalistes se transmettent de génération en génération ne sont pas dépourvues de valeur historique surtout quand on sait que cette tradition est l'objet d'un enseignement soigneusement organisé. En Afrique Noire, il faut faire la distinction entre la tradition populaire, véhicule des légendes historiques, et ce que nous appellerons « la tradition-archives » : celle-ci pour l'Ouest Africain est détenue par ceux que l'on appelle communément « Griots ». Autrefois dans les Cours Royales, le Griot a joué le rôle du chancelier; l'homme qui possède tous les documents sur les façons et les traditions des Rois et qui les dit au Roi de vive voix ; le Griot a été le livre vivant des souverains de l'Ouest Africain.

En Afrique Noire, la parole, la voix humaine a un grand pouvoir; sa maîtrise n'est pas donnée à tout le monde et les griots sont précisément ceux qui cultivent la parole. Dans les pays manding, dans chaque village il y a un griot qui tient pour ainsi dire la chaire d'histoire du village, on l'appelle « Belen-Tigi » c'est lui qui connaît toute l'histoire du village et de la région que son prédécesseur lui a enseigné pendant de longues années ; le « Belen-Tigi » connaît l'histoire de toutes les tribus qui peuplent sa « province », il connaît la liste des chefs qui se sont succédés depuis un temps très lointain. Plus souvent on trouve par province un village de griots 1 et c'est là où se trouve le « Belen-Tigi » ; dans chaque province, il y a un village des Anciens, la fondation la plus ancienne où se conserve également la tradition historique de la province.

Le « Belen-Tigi», dès qu'il est désigné se choisit un successeur qui commence à recevoir son enseignement oral ; le « Belen-Tigi » prend la parole aux grandes occasions quand par exemple, meurt le doyen d'âge du village, c'est l'occasion de raconter l'histoire du village, de sa fondation, de l'occupation de toute la province ; cependant il n'entre dans le détail de l'histoire des Rois ou des Chefs que devant un cercle restreint de notables. Cette « tradition-archives » est ainsi le monopole des griots ; l'enseignement du « Belen Tigi » dure plusieurs années ; d'après nos enquêtes il semble que la première phase de cet enseignement porte sur la récitation par coeur des longues listes généalogiques des princes et qu'ensuite par tranches on meuble cette liste en mettant devant les grands noms les faits notables du règne. L'élève doit débiter rapidement la liste parfois sur un ton un peu chantant 2 ; les faits qui remplissent les grands règnes sont enregistrés dans des sortes de poèmes très faciles à retenir. Un « Belen-Tigi » en général fait toujours son « Tour du Manding », il passe dans les villages aux traditionalistes célèbres; Keyla près de Kangaba (cercle de Bamako) est le centre traditionaliste le, plus fameux, tout « Belen-Tigi » doit pouvoir se vanter d'avoir reçu une partie de son enseigne. ment à Keyla; outre l'histoire, on enseigne à Keyla l'art oratoire 3.

Kangaba

Cette ville a été le dernier refuge des Empereurs de Mali au XVIle siècle quand les Bambaras de Ségou se furent constitués en royaume indépendant contre Mali et eurent mis en échec l'Empereur devant la ville de Ségou. Près de Kangaba que l'on appelle plus communément Kaba, le village de Keyla habité par les Griots Diabaté ou Dioubaté est devenu le centre « traditionaliste » par excellence.

Des griots viennent du Soudan, du Sénégal, de la Guinée pour écouter l'enseignement des Diabaté. Destiné à des gens déjà formés à la parole, cet enseignement peut durer de six à douze mois ; on peut toujours rester davantage, si on le désire. Ceux qui ne peuvent payer les Maîtres en argent séjournent au moins pendant les mois d'hivernage et travaillent dans les champs de ces « doctes campagnards ». L'enseignement de l'histoire est intimement associé à l'Art oratoire ; ainsi les maîtres donnent la parole aux griots étudiants au cours de petites cérémonies pour les exercer.

L'Histoire du Manding est le monopole d'une seule famille et qui garde jalousement devers elle les « secrets du Manding » comme on dit. Toute l'histoire est centrée sur une case dite « Camambolon on Bolon » sise à Kangaba ; on en refait la toiture tous les sept ans. C'est à cette occasion qu'en cercle très restreint le « Belen-Tigi » des Diabaté raconte l'histoire du Manding depuis ses origines ; évidemment les Etrangers sont exclus, n'y sont admis que des griots venus de tous les horizons et les membres de la grande famille des Keita. Pendant une semaine, chaque jour le « Belen-Tigi » prend la parole devant une foule nombreuse et raconte l'histoire populaire telle que tout le monde la connaît plus ou moins.

La fameuse case aurait été construite par Mansa Souleymane (1336-1358) après son retour de la Mecque, en 1352; c'est là où il déposa les livres saints qu'il avait rapportés du Hedjaz 4. Devant la case se dressent trois fromagers qui, dit la tradition, symbolisent la discorde de trois frères prétendant à l'Empire ; la case blanchie au kaolin à l'extérieur est couverte de signes incompréhensibles.

Le Camambolon est très important pour la connaissance de l'histoire du Manding ; des Administrateurs ont tenté d'en pénétrer le secret, mais ont toujours rencontré une hostilité de la part des griots de Keyla.

On peut dans les régions périphériques du vieux Manding (Hamana, Kita, Dioma) recueillir les traditions des griots de ces provinces, mais notre connaissance de la vie des Empereurs, des moeurs de la Cour restera toujours incomplète tant qu'on n'aura pas arraché aux traditionalistes de Keyla leurs secrets.

Pour connaître l'histoire de Mali, il faudrait relever systématiquement les traditions des Keita du Kita, du Dioma et du Hamana ; ajoutons à cette liste la Casamance, autre province que les Keita ont conquis. On aurait tort de croire qu'avec les bouleversements actuels, les traditions des villes, il reste dans les campagnes des villages où les traditions historiques et légendaires sont enseignées selon une méthode plusieurs fois séculaires. La chose se poursuit encore sous nos yeux. Il s'agit d'aller vers ces sources, mais avec le moins de tapage possible, la campagne, de tout temps s'étant méfiée des gens de villes 5.

Le vieux Manding

Le Manding qui devait donner son nom à l'immense Empire des Keita était une modeste province du Haut-Niger. Primitivement on donnait le nom de Manding au pays qui s'étend à cheval sur le Niger et le Sankarani au sud de Bamako, il était habité par quelques tribus malinkés qui sont: les Keita sur le Sankarani dans l'actuelle province de Dioma Ouanian où se trouve Niani, l'antique capitale, les Camara sur le Niger (région de Kangaba), les Traoré et les Kondé formaient au nord la frontière avec le, Bérèdougou, pays des Bambaras. Ce territoire au total ne comptait pas plus de 20.000 km2. C'était une sorte d'enclave au milieu des terres bambara qui cernaient le Manding au nord (Bérèdougou) au sud et à l'est.

En ces temps très anciens, dit la tradition, chaque tribu avait son territoire; au début, dit-elle, la royauté était aux mains des Bambaras — on compte 6 rois Bambara —, ensuite elle échut aux Keita qui s'étaient imposés par leur valeur militaire. Il est difficile de dater tous ces faits par le manque de documents écrits; toutefois on peut affirmer que ces évènements sont antérieurs au Xle siècle, date du premier pèlerinage à la Mecque d'un Roi Manding.

Par extension aujourd'hui, on donne le nom de Manding à tous les pays malinkés et la tradition n'assigne de limite que là où finit le So (arbuste qui a la même aire d'extension que le Karité) c'est-à-dire tous les pays de Savane.

Mali est une déformation peulh du mot Manding ; Malinké (habitants du Mali) est la forme peulh de Mandinka ou Manga Maninka.

Avec l'accession des Keita au pouvoir, le Manding était unifié : toutes les tribus reconnurent les Keita comme Mansa, c'est-à-dire Empereur ou Chef supérieur suprême ; à ces débuts obscurs où les rois étaient plutôt des chefs de guerre ou de chasse, Mali était encore sous la souveraineté du puissant Empire de Ghana qui dominait alors la majeure partie de l'Ouest ; son Empereur ou Kaya Maghan était le « Maître de l'Or » 6. Le Manding était d'autant plus étroitement contrôlé que son sous-sol recelait de l'or, notamment dans le canton de Bouré (province des Djallonkés et de la tribu Kamara) 7.

Nous n'avons de renseignements écrits sur Mali qu'à partir de 1050, date de la conversion à l'Islam d'un Roi Manding 8, conversion surtout politique pour s'affranchir du joug de Ghana en lutte contre les fanatiques Almoravides.

« Auparavant dit le Tarikh El Fettach, le Chef de Mali n'était que l'un des vassaux de Kaya Maghan (Roi de Ghana), l'un de ses fonctionnaires et de ses ministres »; la chute de Ghana en 1076 allait ouvrir la voie aux compétitions entre les royaumes vassaux pour l'hégémonie — ; la fin du XIIe siècle est remplie de ces guerres entre royaumes vassaux de Ghana.

Mais pour la tradition soucieuse d'auréoler Mali du nimbe islamique, l'histoire du Manding commence avec l'Islam ; ainsi fait-elle descendre les Keita de Bilali, fidèle serviteur du Prophète ; on explique ainsi la migration des Malinkés de l'est.

La famille impériale

Les Keita ont régné sur la Manding depuis environ le VIIIe siècle jusqu'à nos jours avec seulement une interruption de 15 ans de 1285-1300 due à un serf de la famille impériale qui s'empara du pouvoir. Aujourd'hui encore les Keita sont Chefs de province à Kangaba dans le Manding primitif On peut compter cette dynastie parmi les plus vieilles du monde.
Mais que savons-nous des souverains de Mali au moyen âge, de leur façon de vivre, de l'organisation de l'Empire? Peu de choses si l'on s'en tient aux maigres documents écrits qui nous sont parvenus.

Grâce à Ibn Khaldoun, 1332-1404, nous possédons une liste exhaustive des Princes du XIIIe siècle. Avant, c'est la nuit; après cet auteur, des renseignements fragmentaires nous aident à reconstituer avec plus ou moins de bonheur, l'Histoire de Mali.

Les traditions-archives du Manding prétendent donner la liste complète des souverains depuis le début de l'Histoire de Mali jusqu'a nos jours, les traditions des Keita du Dioma (Sud de Siguiri) du Manding (Siguiri à Bamako) et du Kita soigneusement étudiées sont susceptibles grâce à des recoupements d'aider l'historien dans sa reconstitution.

Pourtant une première difficulté surgit quand on confronte la liste d'Ibn Khaldoun avec celle des « traditions-archives » ; on ne retrouve pas toujours les mêmes noms d'une liste à l'autre; cela vient en partie du fait que Ibn Khaldoun n'a le plus souvent connu que les noms de pèlerinage des princes, c'est à dire des noms musulmans ; cela tient surtout du fait que la tradition, elle, fait prévaloir les surnoms des princes sur leur nom, encore que les noms vraiment Malinkés ne perdent jamais leur droit. Mais les identifications ne sont pas impossibles; la plupart du temps on arrive à accorder les deux listes.

La grandeur de Mali commence avec Soundjata le Grand, Conquérant mort en 1250 et, à partir de lui le problème des descendants se pose. Selon Ibn Khaldoun, Soundjata eut cinq fils qui régnèrent successivement après le Conquérant, mais les traditions du Dioma, du Hamana sont d'accord pour dire que Soundjata n'eut qu'un fils tandis qu'à Kangaba on laisse entendre qu'il n'eut pas d'enfant du tout, qu'il adopta les fils de ses généraux, tout cela n'est pas clair et les traditionalistes en général n'aiment pas entrer dans le détail des problèmes de descendances pour la bonne raison que la plupart des branches Keita veulent se rattacher directement à Soundjata et que des querelles sont susceptibles d'éclater si on pose trop ouvertement le problème de la descendance de Soundjata ; il semble que dans la famille impériale, adoption et bâtardise étaient choses courantes.

On tient encore trop aux questions de noblesse, de légitimité en Afrique et les griots garants de la tradition savent garder les secrets et entretenir des récits populaires à la grande satisfaction de tous 9.

Genealogies des empereurs du Mali (selon Ibn Khaldoun)

Transmission du pouvoir

Mais comment se transmettait le pouvoir dans l'Empire de Mali ? La plupart des auteurs arabes y compris Ibn Khaldoun ont confondu le mode de transmission du pouvoir à Ghana avec celui de Mali : ainsi affirment-ils que le pouvoir se transmet par branche maternelle, d'oncle à neveu. Si cet usage est vrai pour Ghana, il ne l'est plus pour Mali où le pouvoir se transmet par la branche masculine : le fils succède au père, mais s'il est en bas âge, le Conseil désignera un frère ou un cousin ou un proche parent du défunt (en ligne masculine) qui régnera ; les droits de l'enfant étant réservés, et il n'est pas rare avec ce mode de transmission de voir des luttes éclater entre les fils de deux frères — comme en 1359, la lutte qui oppose Mari Djata II, fils de Mansa Maghan (1332-1336) et Kumba, fils de Mansa Souleymane (1336-1358). Ainsi Mansa Souleymane fut porté au pouvoir en 1336, l'héritier direct étant en bas âge.

Selon la tradition le pouvoir n'est jamais allé à la descendance féminine. C'est pourquoi nous croyons devoir corriger la liste de Ibn Khaldoun, à partir de Aboubakary Ier, et de Aboubakary II. A propos de ces deux homonymes, il convient de dire que selon la tradition Aboubakary Ier est non le fils d'une fille de Soundjata mais le propre frère à celui-ci. Aboubakary II est effectivement le fils d'une soeur du Conquérant. Aboubakary I chez les traditionalistes porte le nom de Mandé Bory (Manding Boukary) et Aboubakary II (Bata Mandé Bory: Bata indique son appartenance à la descendance féminine), il aurait été adopté par Soundjata.

En faisant descendre Kankou Moussa de Aboubakar Ier, le frère de Soundjata, la tradition montre bien que la transmission du pouvoir se fait en ligne masculine. Il faut donc écarter l'idée que le pouvoir se soit transmis en ligne maternelle. La liste d'Ibn Khaldoun même prouve qu'il n'y eut que le cas de Aboubakary II, or ce prince avait été élevé et adopté par Soundiata selon la tradition ; on ne trouve plus par la suite de cas identique. Aboubakary I eut un fils que la tradition appelle Son Faga Laye qui eut pour fils le fameux Kankou Moussa ; dans une chanson dédiée à ce prince, on trouve ce vers :

Laye Kamissa den Djigui, Hidji -Mansa Moussa Moussa, Djigui, Roi du Pèlerinage, fils de Laye

Ainsi donc le fameux Kankou Moussa est bien le petit neveu de Soundjata mais par la branche masculine 10. Voici donc corrigé grâce aux traditions, l'arbre généalogique de Mali aux XIIIe et XIVe siècles (voir tableau)

Du nom des empereurs

La connaissance des « traditions-archives » nous amène à poser le problème du nom des Empereurs. Ainsi qu'on l'a dit plus haut les noms des Souverains ne se retrouvent pas exactement les mêmes dans la liste d'Ibn Khaldoun et dans celles enseignées par la tradition historique. Pour les siècles antérieurs au XIIIe siècle, la tradition affuble les princes de noms sonores et pompeux qui bien souvent ont une profonde consonance islamique.
« La tradition-archives » soucieuse d'auréoler les origines bien modestes de la dynastie fait descendre les Keita de Bilali, serviteur de Mahomet. Ce serait le petit fils de Bilali, du même nom, qui serait venu au Manding. Il y fit souche et régna. Voici la liste dressée d'après les traditionalistes du Dioma et du Hamana (provinces des Keita descendant de Soundjata).

Bilali Bounama
Lawalo
Bilali
Lawalo
Latal Kalabi
Damal Kalabi
Lahilatoul Kalabi
Kalabi Bomba Kalabi Domani
Mamadi Kani
Kani Simbon, Kaninyo Simbon, Simbomba, Simbon Bamarin alias
  Bamaritanyaki
M'Bali Nénè
Bélo
Déléba Kon
Maghan Kon Fatta (père de Soundjata)

Cette liste appelle une double remarque:
Certains princes ont un nom purement musulman, tandis que d'autres en ont de purement païens :

Viennent ensuite des noms païens, des noms de chasseurs :

Cette liste des traditionalistes a le double souci, on le voit :

  1. de donner une originalité illustre à la dynastie
  2. de conserver tout de même quelque chose de l'ancienne activité des Rois : la chasse.

Mais on sait que l'Islam n'est entré au Manding qu'au XIe siècle; certes le souci de vouloir toujours lier la naissance de l'Empire à l'apparition de l'Islam persistera et dans la conduite des princes, et dans les récits des traditionalistes.

Pour le XIIe siècle, nous avons les noms de princes cités par Delafosse. Ce sont :

L'identification n'est pas certaine, cependant on peut se risquer à dire que Moussa Allakoï n'est autre que Béléba Kon puisqu'en malinké Bala et Moussa sont synonymes quant à Djigui et Hamana, ils correspondraient avec M'Bali Nénè et Bélo, mais ici rien n'est moins sûr ; Delafosse n'indique pas à quelle tradition il a puisé ces renseignements.

A partir du XIIIe siècle, le tableau d'Ibn Khaldoun est complet jusqu'à la fin du XIVe siècle ; l'auteur arabe a puisé aux meilleures sources étant renseigné par un interprète des Empereurs au Caire 12, Ibn Younoussa, ainsi que par des lettrés noirs allant en pèlerinage.

Comme nous l'avons déjà dit, Ibn Khaldoun n'a connu que les noms de pèlerinage des princes, et il a un souci constant de faire des correspondances entre les noms malinkés et les noms musulmans. C'est ainsi qu'il propose que Maghan = Mohammed 13 ; Ouéli (Oulen) = Ali ; ce qui évidemment est une pure interprétation des informateurs de notre auteur, désireux toujours de donner un cachet musulman à leur pays. Par ailleurs chez les traditionalistes très souvent les surnoms (de guerre, de chasse, de piété) l'emportent sur les noms officiels des princes : ainsi le père de Soundjata est plus généralement connu sous le nom Maghan kon Fatta kon Ken, tandis que son vrai nom Nare Fa Maghan apparaît rarement. Il est de même du fils aîné de Soundjata, Mansa Oulen connu plutôt sous le nom de Yérélen Kon ou Dourouninkön.
Quant à Soundjata, la tradition lui donne une multitude de surnoms et le nom Soundjata est l'objet de nombreuses interprétations. Ibn Khaldoun bien renseigné s'en tient au vrai nom du Prince Mari Djata. Mari qui veut dire Seigneur et Diata qui veut dire Lion, explication plausible et satisfaisante que la tradition aussi enseigne ; mais on propose une multitude d'explications pour Soundjata ; selon Delafosse ce serait un mot composé de Soun qui veut dire en arabe Jeûn et Diata Lion ce qu'il traduit par Lion affamé. Cette interprétation est peu satisfaisante, je ne l'ai pour ma part, entendue de la bouche d'aucun traditionaliste. Je pencherai volontiers à croire que Soundjata est le résultat du jumelage du nom Djata et du nom de la mère du prince, Sogolon ; en effet on trouve dans une poésie à Soundjata ces vers :

Sogo Sogo simbon Salaba
Sogolon Djata Béworo
Nare Maghan Djata Béworo 14

Dans le second vers, le nom Djata est précédé du nom de la mère, dans le troisième celui du père. Prononcé rapidement le deuxième vers donne:

Solon Djata — So'on Djata

de là à Soundjata, il n'y a qu'un pas. On sait que c'est une habitude courante en pays malinké de faire précéder le nom d'un fils de sa mère pour éviter les homonymies trop courantes. Il est donc vraisemblable que Soundjata vienne de la contraction du nom de la mère et du père, d'ailleurs la prononciation exacte serait Soundjata. Pour prendre un exemple assez proche de Soundjata citons le cas de Kankou Moussa que Ibn Khaldoun appelle Mansa Moussa (1307-1332). La mère de ce roi s'appelait Kankou Moussa (Kankan, Congo sont des mauvaises lectures). Jeune on l'appelait Kankou Moussa et Ibn Khaldoun donne le nom d'intronisation du Prince : Mansa Moussa ou l'Empereur Moussa.

Dans la liste d'Ibn Khaldoun le nom de Maghan revient assez souvent ; selon la tradition, Maghan à l'origine a été chez les princes du Mali aussi un titre tout comme à Ghana ; de sorte que la plupart des princes le portent. On appelle souvent Soundjata, Maghan Soundjata, il semble que vers la fin du XIVe siècle Maghan était devenu un simple prénom comme aujourd'hui, mais il ne se substitua jamais au vrai nom des princes.

A la suite de luttes entre frères ou cousins pour le trône, généralement le vainqueur en s'emparant du pouvoir, prenait le nom de Maghan. Ainsi Maghan II (1387-1388) que la tradition du Hamana appelle Kita Tenen Mansa Maghan qui prit le pouvoir en 1390, prit en même temps le nom de Maghan III. Maghan Ier, le fils de Mansa Moussa, est appelé par la tradition Soma Bouréma Mansa Ken ; son fils Mari-Diata II, toujours selon la tradition du Hamana s'appelait Konkodougou Kamissa (Moussa de Konkodougou) 15.
Si on arrive à raccorder en bien des points la liste d'Ibn Khaldoun avec celle de la tradition, la nuit est complète sur les premiers rois du Manding, nous ne disposons de presque rien d'écrit pour contrôler la tradition et surtout donner une date à la prise de pouvoir des Keita dans le Manding. On peut appuyer cependant l'estimation de Delafosse qui situe les débuts des Keita au VIIIe siècle (ce qui d'ailleurs cadre bien avec l'arrivée hypothétique de Bilali au Manding, d'après la tradition). Pour le XVe siècle nous recevrons davantage de renseignements par l'Ouest grâce aux-premiers navigateurs portugais.

Le problème de Soundiata

Jusqu'au XIIIe siècle, Mali ne fut qu'un modeste royaume, vassal d'abord du Ghana, ensuite, du Sosso dont le Roi Soumaoro Kanté a laissé un souvenir de cruauté et de tyrannie. C'est avec Soundjata 1230-1250 16 que commence la grandeur de Mali. Grâce aux conquêtes de ce prince, le pouvoir des Mandingues allait s'étendre sur presque toute l'Afrique Occidentale, de la forêt au désert, de l'océan jusqu'à l'est du Niger.

Mais la vie de ce grand conquérant par ses exploits inouïs appartient davantage à la légende qu'à l'Histoire ; son règne est d'une importance capitale telle que pour la tradition, c'est véritablement Soundjata l'ancêtre des Keita ; bien à tort on attribue à son règne beaucoup de faits qui lui sont antérieurs ou postérieurs. Mais ceci doit nous montrer surtout la place exceptionnelle qu'occupe Soundjata dans les traditions historiques. La légende a entouré sa naissance et sa mort de mystère ; certes, il existe une tradition historique plus dépouillée, cependant il semble que les traditionalistes se plaisent à entourer le Grand Conquérant de mystère et entretiennent volontiers des récits légendaires qui, s'ils sont intéressants pour les amateurs d'épopée, laissent l'historien sur sa soif. Toute légende cache un fond de vérité, aussi ne doit-on pas négliger les légendes, quand (comme c'est le cas souvent en Afrique) elles sont parfois les seuls documents dont on dispose.

Pour Soundjata, il est nécessaire de faire le départ toutefois entre légendes et récits des traditionalistes ; à les comparer on voit la part d'exagération d'un côté et de l'autre par moment, un souci de vérité qui est tout à l'honneur de la caste des griots.

Sur l'enfance et les débuts de Soundjata, Delafosse s'est fait l'écho d'une légende populaire qui dit que Soundjata est le 12e et dernier fils de Nare Fa Maghan.

Soumaoro Kanté, le roi du Sosso, aurait tué les 11 frères ne laissant la vie qu'au 12e enfant, de santé précaire. Par la vertu du bâton royal, Soundjata aurait recouvré l'usage de ses jambes ; il prit alors le pouvoir et vainquit Soumaoro à la bataille de Kirina. Cette victoire faisait de lui le maître de tout le Soudan Occidental.

Les « traditions-archives » du Hamana, du Dioma et du Manding sont d'accord sur l'enfance et les guerres de Soundjata 17. Voici fidèlement transcrite cette tradition :

Maghan Kon Fatta alias Nare Maghan Keita resta longtemps sans avoir d'enfants ; il avait trois femmes :

Nare Maghan eut selon cette tradition non pas 12 fils, mais 3 fils et 3 filles, Soundjata était le 2e fils.

Naré Maghan
1ère femme
Sassouma Bérété
2e femme
Sogolon Kédjou
3e femme
Namandjé
Dankaran Touman Nana Triban (fille) Soundjata Djamarou (fille) Kolonkan (fille) Mande Bory

Soundjata, jusqu'à l'âge de sept ans, ne put se servir de ses jambes. Il fit le désespoir de ses parents car les devins lui avaient prédit un destin exceptionnel. A sept ans Mari Djata était encore un enfant malingre quand mourut son père. L'aîné, Mansa Dankaran Touman, monta sur le trône; mais à mesure que les années passaient, ayant recouvré l'usage de ses jambes, Soundjata devenait vigoureux, il se fit bientôt remarquer par ses prouesses à la chasse et à la guerre; il devint très populaire à Niani et dans le Manding ; son aîné, le roi, prit ombrage de cette popularité; poussé par sa mère il persécuta Soundjata qui finit par s'enfuir; il partit de Niani avec sa mère Sogolon et sa soeur Sogolon-Kolonkan; Djamarou étant déjà mariée, il avait avec lui son demi-frère Mandé-Bory, fils de la 31 femme de Nare Maghan. Une grande amitié liait les deux frères, dit la tradition. Poursuivis par la haine du Mansa, aucun village de Manding ne donna asile aux fugitifs. Ils visitèrent plusieurs cours princières : à Tabo, capitale des Camara du Fouta, ils furent expulsés sur l'ordre de Soumaoro, le suzerain du Manding; à Djéliba, près de Kirina dit la tradition, après avoir reçu un bon accueil, ils furent chassés, la reine-mère du Manding ayant corrompu le roi de cette ville par son or. La tradition dit également que les fugitifs s'arrêtèrent à la cour des Cissé où ils furent bien reçus ; finalement ils s'installèrent dans le Méma près du lac Faguibine à la cour d'un roi Tounkara 19. C'est là, dit-on, où le jeune homme fit réellement ses premières armes. Dans ce pays lointain Soundjata devint bientôt un grand chef de guerre. Il vivait en étroite amitié avec son demi-frère Mandé-Bory (Aboubakary I).
Soundjata était un jeune homme vigoureux quand éclata la révolte du Manding. A la suite de nombreuses exactions de Soumaoro, les grands du Manding se soulèvent. Soumaoro, dit la tradition, était cruel et enlevait toutes les belles filles du pays, il n'épargna pas même la femme de son neveu Fakoli Doumbouya ou Fakoli Koroma. Mansa Dankaran Touman devait diriger le soulèvement, mais effrayé par les forces de Soumaoro qui était par ailleurs réputé grand sorcier, Dankaran Touman s'enfuit avec une partie des troupes et ne s'arrêta qu'à la lisière de la forêt dans le pays de Kissidougou 20. Les insurgés pensèrent alors à rappeler les princes exilés dont on savait seulement qu'ils vivaient à l'est sur le Grand Fleuve. Une ambassade fut constituée, la tradition a même conservé les noms de ceux qui la composèrent ; on trouve entre autres : Mandjan Bérété (frère de la première femme du père de Soundjata), Sirimanka Touré et Mara Cissé, deux marabouts (sans doute du pays de Ghana). Le roi de Méma se résolut difficilement à laisser partir ses hôtes, on dit même qu'il pensa à instituer Soundjata comme son héritier. Néanmoins il donna un corps d'armée à Soundjata qui partit après avoir inhumé sa mère qui était morte la veille du jour de départ.

Le retour de Soundjata et de Mandé Bory fut triomphal, l'armée grossissait de tous les peuples opprimés par le tyrannique Soumaoro. Un roi Cissé 21 lui fournit des hommes et des armes, le roi de Tabo (Labé) se mit sous ses ordres, toutes les tribus malinké se joignirent à lui. Voici la liste des chefs qui se mirent sous ses ordres :

Tous ces rois ou chefs apportèrent une armée à Soundjata.
Soumaoro avait dévasté le Manding, mis à sac Niani, la ville natale de Soundjata, et enlevé le traditionaliste des rois, Balla Fassékè Kouyaté. Il alla au devant des alliés 23. Ceux-ci essuyèrent une première défaite devant Tabo dans le Labé ; ils ne furent pas plus heureux à Néguéboria; à Kankignè, Soumaoro battit complètement les alliés.
C'est dans une formule ésotérique que la tradition parle de cette bataille:

Kanginyù Tabé bara juguya La bataille de Kankignè fut terrible
Jon nya bara bonya mayadi. On y fut moins digne que des esclaves.

Ces paroles en disent long, mais Soundjata ne perdit pas courage, on commençait à croire Soumaoro invincible. Soundiata, dit la tradition du Dioma, s'allia alors avec le roi des Bobos (Haute-Volta) qui lui fournit 1500 archers.
A la bataille de Kirina 24 entre Bamako et Kangaba, la défaite de Soumaoro fut complète, mais Soundjata ne put mettre la main sur son ennemi dont on n'entendit plus parler 25.

Neveu de Soumaoro, pour se venger de son oncle, Wana Fakoli souleva une partie de la tribu des forgerons contre Soumaoro qui appartenait aussi à la caste des forgerons.

La victoire de Soundjata ne fut pas aussi facile que le laissent entendre les traditions légendaires ; pour ma part, je crois que la version précitée se rapproche davantage de ce qu'on peut appeler vérité historique, elle nous permet de mesurer d'une part la puissance de Soumaoro, d'autre part le courage et l'opiniâtreté de Soundjata. Que Soundjata ait été le libérateur du Manding, cela est clair et peut expliquer en partie que la faveur populaire l'ait tant grandi. Et après Kirina, C'est une ère nouvelle qui commence pour l'Afrique Occidentale.
Sans tarder, Soundjata se porta sur la ville de Sosso, capitale de Soumaoro. Elle renfermait, au dire de la tradition, 188 places fortes. Soundiata l'emporta après un siège de plusieurs mois. La victoire de Kirina et la prise de Sosso eurent un tel retentissement que personne n'osa se mesurer avec Soundjata. Néanmoins le vainqueur de Kirina parcourut plusieurs pays pour recevoir la soumission de ses vassaux. Il ne semble pas avoir dépassé de loin Sosso ; la tradition dit que Soundjata arrêta ses conquêtes où finit le So, arbuste de la savane qui voisine avec le Karité. Actuellement encore la limite du Karité est pour le malinké la fin du pays Manding ; Soundjata guerroya dans tous les pays de la savane et vint tenir une Assemblée Générale à Kurukanfuga près de Kangaba, dit la tradition du Dioma ; on accorde dans les traditions une grande importance à cette réunion des alliés autour de Soundjata. C'est à Kurukanfuga que Soundjata jeta les bases de l'organisation administrative du Manding et des pays conquis en assignant à chaque tribu alliée un territoire. Soundjata fut salué et reconnu Mansa par tous les alliés et par les délégués des pays conquis; la tradition date de l'Assemblée de Kurukanfuga le début de la grandeur de Mali (on peut placer la bataille de Kirina en 1235 comme le fait M. Delafosse, c'est une approximation).

Si la tradition fait de Soundjata un héros, elle reconnaît que le vainqueur de Kirina a été puissamment secondé par des généraux de valeur, entre autres Fran Kamara Tabo Wana mais surtout Fakoli Koroma, le neveu même de Soumaoro, chef des forgerons, dont les troupes, dit la tradition, étaient considérables.

Siriman Kéita, général valeureux, était un parent même de Soundjata. Tous les généraux reçurent des commandements militaires dans l'Empire et furent les grands vassaux de la couronne.

A propos des guerres de Soundjata une question reste pendante : le vainqueur de Kirina détruisit-il la ville de Ghana en 1240 ainsi que l'affirme Delafosse sans citer sa source ? La tradition au contraire affirme que Soundjata, allié des Cissé, ne détruisit pas la ville. Cela me paraît plus vraisemblable, car Soundjata reçut l'hospitalité à la cour des Cissé et des Tounkara. (Cissé, Tounkara étaient la dynastie régnante à Ghana.)

La tradition attribue la ruine de Ghana à une sécheresse qui dépeupla le Wagadou, Delafosse connaît cependant la légende de la destruction de Ghana 26.

On peut accepter pour le règne de Soundjata les dates de 1230-1255 ainsi que celles de ses successeurs; elles sont établies à partir d'Ibn Khaldoun.

La mort de Soundjata reste entourée de mystère : Mourut-il d'une flèche au cours d'une manifestation publique ou bien se noya-t-il dans le Sankarani près de Niani ? Les traditionalistes s'ingénient à obscurcir la fin du Grand Conquérant. De nos jours, on continue à faire des sacrifices à la mémoire de Soundjata au bord du Sankarani, un peu en amont de Niani. On n'a retrouvé ni à Kangaba ni ailleurs des tombes royales, les Malinkés inhumaient leurs souverains à l'intérieur des cases, l'art funéraire monumental malgré le contact avec le Maghreb et les pays arabes, ne s'est pas implanté dans le Mali 27.

Je suis cependant persuadé que les traditions de Niani et celle de Kangaba détiennent le secret de la mort de Soundjata. Arrivera-t-on un jour à lever le voile qui cache la physionomie de ce Grand Empereur ?

Un autre point reste obscur à propos de la descendance de Soundjata. Ibn Khaldoun lui attribue cinq fils qui régnèrent tous.
Ce sont :

Les traditions du Vieux Manding (Kangaba-Niani) semblent ne lui en reconnaître qu'un seul, le premier: Mansa Oulen, alias Yérélinkon. Il aurait, dit-on, adopté des fils de ses généraux ; je n'ai pas pu obtenir des renseignements précis à ce sujet. Cependant dans le Hamana et dans le Dioma bien qu'on donne une liste des fils de Soundjata certains traditionalistes affirment qu'il n'eut qu'un fils, Yérélinkon.
Voici la liste des fils de Soundjata selon les traditions du Dioma: Liste d'Ibn Khaldoun (cf. ci-dessus).
Liste des traditionalistes du Dioma :

Dans la liste des traditionalistes on peut identifier Ko Mamadi avec celui qu'Ibn Khaldoun appelle Gao ; Yérélinkon est un surnom de Mansa Oulen. Niani Mamadou peut être identifié à Mamadou de la liste de l'auteur arabe. Je me demande si Ouati n'est pas une mauvaise lecture, dans tous les cas je n'ai pu avoir aucune indication sur ce nom. Quant à Bata Mandé Bory alias Mandé Bakary, il semble qu'il soit le fils d'une soeur de Soundjata, le mot Bata indique son apparence à une branche féminine, il aurait été adopté par Soundjata. On peut l'identifier avec Aboubakary II (Ibn Khaldoun). Je n'ai entendu le nom de Khalifa de la bouche d'aucun traditionaliste ; il me semble que les traditionalistes très souvent ne conservent que les noms des princes qui ont fait souche. Ainsi Niani Mamadou est l'ancêtre des Kéita du Dioma; Aboubakary I (Mandé Bory, frère de Soundjata), ancêtre des Kéita du Hamana. C'est ainsi que les différentes régions peuplées de Kéita se rattachent à Soundjata par un des fils ou parents de ce prince. Ces prétentions à vouloir se rattacher à Soundjata faussent souvent les listes des traditionalistes, mais ceux-ci savent la vérité sur les différentes branches des Kéita et popularisent des généalogies flatteuses pour les dynasties.

On n'aura la vérité sur la famille royale de Mali qu'en entrant dans la confiance des traditionalistes ce qui certes n'est pas facile car bien souvent ils sont assermentés sur certains « secrets » des familles royales.

Le temps de Soundjata

Le règne de ce conquérant est d'une importance exceptionnelle aux yeux des traditionalistes; on lui attribue les conquêtes de ses successeurs ainsi que plusieurs autres faits. Le XIIIe siècle fut le « Temps de Soundjata » pour traduire une expression malinké « Soundjata-Tele ».
L'Assemblée tenue à Kurukanfuga donna une constitution et une organisation administrative aux pays conquis; ces conquêtes eurent une très grande importance mais surtout Soundjata répartit les peuples en castes d'une manière définitive.

La première conséquence de Kirina fut l'asservissement de tribus de Soumaoro, en particulier celle des forgerons Kanté et de toutes les tribus du Moyen-Niger qui donnèrent main forte à Soumaoro (nous verrons plus loin l'organisation du travail pour ces serfs de la couronne).

Une autre conséquence est sans doute la fuite d'une partie des Kéita restés fidèles à Mansa Dankaran Touman, vers le Kissi, indiquant la voie du Sud aux prochaines vagues de migrations malinké 28.

La tradition affirme également qu'une partie des habitants du Sosso s'enfuit vers l'Ouest, ces fuyards auraient pour descendants les actuels Soussous qui peuplent la Côte de Guinée.

Ibn Khaldoun est le premier auteur qui parle des Sosso ou Soussou ; selon Delafosse, les Soussou n'auraient aucun rapport avec les sujets de Soumaoro ; je crois pour ma part que les actuels Soussou ne sont autres que les descendants des tribus de Soumaoro. En effet par la langue et la civilisation, les Soussou sont un peuple soudanais, la langue soussou n'est qu'un sous-groupe mandingue. On donne généralement le nom de Soussou à tous les habitants de la Basse-Guinée, mais les Soussou constituent une minorité très agissante et ont imposé leur langue et leur civilisation aux autochtones de la Côte : Baga, Nalou et Landouma. Après la défaite de Kirina les Sosso s'enfuirent dans les montagnes du Fouta-Djalon alors peuplés de Djallonkés. Au XVIe siècle, au moment où les navigateurs portugais commençaient à fréquenter les côtes de l'Afrique Occidentale, les « Sosso » n'avaient pas encore atteint la Côte.

Les Kéita de la forêt guinéenne (Kissidougou) descendent de Mansa Dankaran Touman, frère aîné de Soundjata.

Voici ce qu'écrit Duarte Pacheco, navigateur portugais :

« A 12 ou 15 lieues de la mer, existe une peuplade de gens appelés Souzo qui ont beaucoup de fer qu'ils apportent à la Sierra et d'autres régions et dont ils tirent assez de bénéfice».

Or le travail et le commerce du fer est l'apanage des forgerons ; voilà qui nous éclaire sur l'activité des descendants du Grand Forgeron-Sorcier, Soumaoro.

C'est aux XVIle et XVIIIe siècles, lors de la grande invasion peulh, que les Soussou furent repoussés jusqu'à la mer 29. Les Soussou, par les langues et les coutumes, sont plus près des Soudanais que des peuples de la Côte, leurs voisins.

Pour en revenir au « Temps de Soundjata » la conséquence la plus importante est à coup sûr, l'extension de la langue malinké dans tout l'Ouest Africain. Les Malinkés longtemps resserrés dans le Manding se répandent dans tous les pays conquis, modifient parfois la carte ethnique de tout l'Ouest Africain. Cette extension des Malinkés coïncide en gros avec la dispersion des Sarakollés de Ghana du fait du dessèchement progressif de ce pays.

Les dernières conquêtes se firent sous Sakoura (1285-1300) et Mansa Moussa (1307-1332). Gao et le Tekrour entrent alors dans l'Empire.

Les traditions placent la disparition de Ghana dans le « Temps de Soundjata », mais la ville a dû être abandonnée progressivement puisqu'en 1390 Ibn Khaldoun conversa au Caire avec un lettré de la ville.

C'est également à partir de Soundjata que commence la grande activité commerciale des Malinkés qui, désormais, traitèrent directement avec les Maghrébins et les Arabes, mais c'est surtout sous Sakoura que les marchands arabes commencent vraiment à affluer dans l'Empire 30.
C'est une erreur de Delafosse de croire qu'il existe un peuple Dioula 31. Commerçant se dit en malinké Dioula et ce sont les peuples de la forêt qui ont donné le nom de Dioula aux Malinkés, commerçants qui vinrent s'installer dans leur pays. La langue de ces Malinkés a été quelque peu altérée après un si long contact avec les peuples de la forêt. De même les Songhay et les peuples du Niger Moyen donnent le nom de Wangara aux Malinkés commerçants et réservent le mot malinké aux guerriers 32.

Selon la tradition c'est sous le règne de Soundjata que s'établit le système des alliances et des correspondances de noms des différents peuples de l'Ouest Africain. Il ne serait pas vain de donner ici un tableau de ces correspondances entre noms de tribus, pour quelques peuples :

Bambara Malinké Ouolof Peulh Soussou
Kouloubali Keita Barry Soumah
Kone-Diarra Kondé N'Diaye (Sangaré) Konté
Sissoko Koroma Sissoko
Traore Traore Diop
(Dembele) (Kale) (Diallo) (Kale)

Pour chacune de ces correspondances il y a une légende explicative. Toutes ne datent pas de Soundjata, on s'en rend compte à l'étude des légendes explicatives des différentes alliances.

Pour la tradition, Soundjata est le père du Manding, mais il serait un peu naïf de suivre de trop près la tradition qui veut tout attribuer au Grand Conquérant. Mali a eu d'autres Empereurs non moins illustres.

Après Soundjata régnèrent, l'un après l'autre, tous ses fils, Mansa Oulen, Ouati, Kalifa, Mamadou (liste d'Ibn Khaldoun). J'ai identifié Mansa Oulin avec celui que la tradition appelle Yérélinkon, Mamadou avec Niani Mamadou, l'ancêtre des Kéita du Dioma. Quant à Kalifa et Ouati, je n'ai pu avoir de renseignements sur ces souverains. J'ai également identifié Gao de Ibn Khaldoun avec Ko Mamadi de la tradition.

L'usurpation de Sakoura se place de 1285-1300. Il est à remarquer que je n'ai rien obtenu sur ce serf devenu Empereur, je pense que c'est là une omission volontaire des traditions, car elles retiennent des noms de princes plus insignifiants. Ibn Khaldoun dit que Sakoura agrandit les conquêtes de Mali, notamment vers l'Ouest; il soumit le Tékrour. Gao fut conquis seulement en 1324 par Sagha Mandjan, un général de Mansa Moussa ; c'est à tort qu'Ibn Khaldoun l'attribue à Sakoura. D'ailleurs, l'auteur arabe l'attribue également à Mansa Moussa. Le Tarikh El Fettach parle assez en détail de la conquête de Gao. Sakoura fut tué en 1300 à Tadjora en revenant de la Mecque.

Delafosse place Tadjora en Somalie et l'identifie à Tadjoura près de Djibouti, pays des Danakils; il est plus vraisemblable que l'Empereur ait été tué à Tadjora, petite localité du Sahara au nord-est de Gao ; c'est ce qu'a établi M. Raymond Mauny de l'I.F.A.N. de Dakar. On comprendrait alors que le roi du Bornou soit intervenu pour rendre le corps du souverain aux gens de Mali. Delafosse ne cite pas la source où il a puisé un renseignement si intéressant sur les relations entre souverains africains à cette époque 33.

De 1300 à 1307 régnèrent Aboubakary II que j'ai identifié avec Bata Mandé Bory, neveu et fils adoptif de Soundjata ; Gao que j'ai identifié avec Ko Mamadi, Mamadou, identifié avec Nioni Mamadou.

Le roi du pèlerinage

De 1307 à 1332 se place le règne du fameux Kankou Moussa dont le pèlerinage à la Mecque en 1324 défraya la chronique arabe. Ibn Khaldoun fait descendre Kankou Moussa d'une soeur de Soundjata. Plus haut, nous avons montré comment la tradition du Dioma et du Hamana établit la généalogie du prince. Kankou Moussa descendait plutôt de Aboubakary I alias Mandé Bory, frère de Soundjata.

« Congo Moussa », « Kankou Moussa » sont des mauvaises lectures des manuscrits arabes. Il faut lire Kankou Moussa; la tradition dit plus couramment Hidji Mansa Moussa, en souvenir du grand pèlerinage (Hadj) de l'Empereur, expression que je traduis « Roi du Pèlerinage ».

Outre Ibn Khaldoun, la plupart des auteurs maghrébins et égyptiens du XIVe siècle ont consacré une page au Grand Pèlerin; les traditions du Manding ne sont pas non plus restées en défaut.

Mansa Moussa est peut-être l'Empereur le mieux connu; avec lui, Mali atteint son apogée.

Je ne parlerai pas de son pèlerinage trop connu, cependant je dois faire remarquer que pour le cortège du souverain, le Tarikh el Fettach cite le chiffre de 80.000 hommes, la tradition historique avance un chiffre voisin de 77.700 hommes plus 400 femmes; on rappelle encore au Manding que Hidji Mansa Moussa a acheté à la Mecque des maisons et des terrains qu'il destina aux pèlerins noirs.

Ainsi que pour Soundjata, c'est par des poésies chantées qu'on a conservé la liste des principaux personnages de la suite du souverain.
Voici quelques noms :

Le Tarikh el Fettach décrit la scène du bain de la femme de Mansa Moussa en plein désert. La princesse avait la nostalgie des rives du Niger et voulait prendre un bain. Pour accéder au désir de sa femme, l'Empereur fit creuser un grand bassin, qu'on remplit d'eau et la princesse put prendre son bain. La tradition a conservé le souvenir de ce bain ; elle présente même la femme de Mansa Moussa, Niériba Kondé, comme une nymphe qui passait son temps au bord de l'eau, dans les traditions légendaires on dit que c'est pour répondre aux prières du prince que Dieu fit surgir en plein désert un lac afin que la femme du souverain puisse se baigner. C'est là un exemple de déformation des faits par les traditions, mais le recoupement avec un document écrit permet de retrouver le fonds de vérité que l'affabulation a recouvert.
Dans une poésie chantée, la tradition parle de villes fondées par Mansa Moussa après son pèlerinage, ce sont Karanina, Djédjélè, Kéyalè, et Burunkuna; elle dit également que Karanina et Burunkuna étaient les résidences favorites de l'Empereur. Toutes ces villes étaient dans le Vieux Manding, elles ont disparu aujourd'hui.

Islam et religion traditionnelle

Par un paradoxe qui n'est qu'apparent, la tradition du Dioma et du Hamana affirme que Mansa Moussa revint de la Mecque avec 1444 fétiches, par ailleurs elle affirme que l'Empereur en se rendant aux lieux saints, construisit une mosquée dans toutes les villes qu'il traversa un vendredi 34.

Je crois que cette histoire de fétiches s'explique du fait de la régression de l'Islam à partir du XVe siècle par la perte des provinces orientales, routes du pèlerinage, ce qui a pu fausser la tradition. Par ailleurs, la même tradition dit que le fils de Mansa Moussa renonça à l'héritage de son père et pourtant, la tradition lui donne le nom de Maghan Soma Bouréma Mansa Ken. Or, le nom de Soma s'applique plutôt à un féticheur. Je suis porté à croire que la tradition fait ici une extrapolation ; ce serait plutôt Maghan qui a renoncé à l'héritage musulman de son père pour retourner au paganisme.

Tout ceci montre que le Vieux Manding n'a jamais perdu ses pratiques païennes. Toutefois on peut admettre que les 1444 fétiches sont plutôt des livres saints que Mansa Moussa a rapporté de la Mecque; en effet nous savons par Al Omari que l'Empereur acheta un grand nombre d'ouvrages Malékites à la Mecque et au Caire …

La grande phase d'islamisation de l'Ouest Africain se place sous le règne de Mansa Moussa 35 ; à en croire Al Omari, l'Empereur parlait l'arabe et l'écrivait.
Cet empereur pieux fut entouré de juristes maghrébins, Ibn Batouta trouvera tout un quartier de blancs (Arabes) dans la capitale quand il la visitera en 1352. Mansa Moussa était en relation épistolaire avec les souverains maghrébins et égyptiens, notamment avec le mameluk El Nasr El Malik Ben Galawin à qui il fit parvenir un livre « en écriture maghrébine qui, sur des feuilles dont les larges lignes rejoignaient les bords, contenait un traité qu'il avait composé sur les règles de la bienséance ; il l'avait fait écrire de la main de l'un de ceux qui l'avaient accompagné au pèlerinage. Il contenait en outre des salutations et une recommandation pour le porteur. » (Al Omari).

Les auteurs arabes ne tarissent point en éloge sur Mansa Moussa, l'Empereur dévot ; c'est sans doute lui qui institua l'école coranique obligatoire pour les enfants de la capitale : Ibn Batouta put voir, en 1352, un enfant mis au fer parce qu'il n'apprenait pas ses versets du Coran.

Nous savons par le Tarikh el Fettach que Mansa Moussa à son retour de pèlerinage fut un grand bâtisseur ; il revint au Soudan avec le poète-architecte Es Saheli, qui construisit une mosquée et un palais royal ou Madougou à Tombouctou. Le Tarikh el Fettach avec moins de certitude cite les mosquées de Djéné, Diré … etc.
Mais surtout il se fit construire une salle d'audience en briques cuites dans sa capitale même. Ibn Batouta fait la description de cette maison à « coupole » et je pense que si l'on arrive à identifier avec certitude la capitale de Mali on doit pouvoir retrouver les traces des constructions de Mansa Moussa 36.

Le pèlerinage de cet Empereur revêt ainsi une importance sans égal car on peut dater de 1325 la naissance du style dit soudanais en architecture; c'est alors qu'on prend connaissance avec les maisons à plan carré ou rectangulaire. Ce style s'adaptait bien au pays sahélien du Moyen Niger, mais dans le Vieux Manding de climat plus humide, les constructions en terrasse ne pouvaient s'épanouir qu'autant qu'on pouvait utiliser des matériaux durs, ce qui fit défaut.

Les briques cuites n'étant pas à la portée de tous, on tenta de soutenir le banco par une armature de bois, ce qui donne cet aspect hérissé aux constructions du Manding dont on a voulu trouver l'origine en Egypte ou même en Inde.

Hidji Mansa Moussa, pour employer le nom populaire de l'Empereur, imita beaucoup les institutions musulmanes surtout à travers les Mameluks d'Egypte.

De bonnes relations s'étaient établies entre lui et El Nasr, cependant qu'il continuait à avoir de constants échanges de cadeaux avec Aboul Hacen le Mérinide de Fez, et Ibn Khaldoun pouvait écrire de sultan mérinide Abou Hacen entretenait des relations amicales avec le Sultan de Mali et les deux monarques s'envoyaient des présents par l'entremise de leurs grands officiers. Le sultan maghrébin fit même apprêter un choix des plus beaux produits de son royaume et confia à Ali Ibn Ghanem, Emir des Makils, le soin de porter ce cadeau vraiment royal au sultan des Noirs. (Hist. berbère p. 144. Traduction de Slane. Alger, 1852-1856).

Toutes les formes extérieures d'une cour musulmane du XIVe siècle semblent avoir été représentées à la cour de Mansa Moussa ; des officiers de ce roi, ses soldats, ses gardes, reçoivent des dotations foncières et des gratifications, ce n'est ni plus, ni moins que I'Iqta musulman qui consiste pour le prince, à distribuer à ses courtisans des terres parfois avec tout l'impôt de la région ; à côté de chaque gouverneur, le prince, à la manière musulmane, plaça un juge ; les juges de Tombouctou étaient célèbres.

Mais si l'Empire se voulait musulman, l'Islam semble avoir été surtout affaire de gouvernement ; il ne semble pas qu'on ait eu une conversion systématique de tous les peuples de l'Empire, bien souvent le peuple est resté à l'écart de toute cette organisation orientale.

D'ailleurs, dit Al Omari, la magie (sorcellerie) est très répandue dans tout le pays, ils sont à ce sujet constamment en procès devant leur Roi, on vient dire « un tel a tué par magie mon frère ou mon fils », on condamne le meurtrier à la peine du talion et l'on met à mort le sorcier 37.
On croirait ces lignes écrites d'hier seulement, tant elles sonnent vrai pour qui connaît les moeurs du pays Manding ; le fond païen est toujours resté vivace au coeur de Mali ; l'Islam ici n'a pas été belliqueux du moins à cette époque. Avec des forces considérables — 100.000 fantassins et 10.000 cavaliers d'après Al Omari et bien d'autres —, Mansa Moussa n'entreprit jamais de partir en guerre sainte contre les païens du Sud. Par calcul, il épargna les Djallonké et forgerons fétichistes du Bouré. « Le sultan me raconta qu'il avait dans son Empire des populations païennes auxquelles il ne faisait point payer la taxe des infidèles (le kharadj), mais qu'il employait à extraire l'or dans les mines » 38, il s'agit sans doute des Djallonké du Bouré, province aurifère du Mali ; les Djallonké sont restés longtemps des païens.

Les peuples de la forêt (sud de Mali) ne furent pas plus inquiétés par cet Empereur dévot car celui-ci tirait de la forêt des produits appréciés dans les pays de la savane, entre autres la cola, l'huile de palme 39. Les échanges avec la forêt étaient très fructueux.

On échangeait le cuivre de Tiggida contre l'or aux pays païens : 100 mithqals pour 60 barres de cuivre (Al Omari).

Pour dévot que fût Mansa Moussa, son Islam resta bien souvent politique, le fanatisme ne le porta point à faire la guerre Sainte. Sans doute était-il conscient des difficultés qu'une telle guerre soulèverait. L'empereur savait que malgré l'étendue de son Empire, celui-ci n'était « que comme une petite tâche blanche sur la robe d'une vache noire » (Al Omari op. citation page 70). Certains royaumes païens étaient aussi bien structurés que l'Empire de Mali, tels les royaumes de Mossi de la Boucle du Niger 40.

Cependant malgré son caractère superficiel dans l'Empire, l'Islam, religion des villes, s'épanouit dans les centres urbains ; Tombouctou, Djéné, Gao, Oualata et la capitale Niani étaient de grandes villes commerçantes, grouillantes et bigarrées comme les villes d'Orient ; Ibn Batouta qui a assisté à une fête musulmane à la cour du successeur de Moussa admira beaucoup les façons cultuelles des habitants.

Mansa Moussa envoyait des imams poursuivre leurs études dans les villes d'Afrique du Nord ; il y eut une véritable promotion de juristes, il faut citer le juriste de Tombouctou Kateb Moussa qui fit ses études à Fez. Il faut croire que pendant le quart de siècle que dura le règne Hidji Mansa Moussa, Tombouctou, Djéné furent de véritables villes de lettrés ; Es Saadi dans le Tarik es Soudan fait une biographie des grands imams et des grands juristes de ces villes et c'est bien dommage qu'aucun écrit de ces personnages ne nous soit parvenu.

Des maghrébins ne dédaignèrent point de venir s'instruire dans les villes des rives du Niger; même si elle n'est pas authentique, cette anecdote du Tarikh es Soudan est significative: Abderhamann El Temini venu de Hedjaz avec Mansa Moussa se rendit compte à Tombouctou qu'il avait affaire à d'éminents juristes, il quitta Tombouctou, se rendit à Fez pour compléter sa culture, revint ensuite et put tenir tête aux savants tombouctains.

Une des grandes préoccupations des dynasties musulmanes du Moyen Âge était de se rattacher plus ou moins directement à la famille ou aux proches du Prophète Mahomet, soit par le biais du mariage soit en créant une fausse généalogie 41. Les souverains de Mali trouvèrent un autre moyen de s'attirer les bonnes grâces de Mahomet ; on sait déjà comment la tradition a tenté de rattacher les Kéita au serviteur noir du prophète ; Mansa Moussa voulut faire mieux : revenir dans son Empire avec des membres de la tribu des Coreichites, tribu du prophète. Aussi fit-il crier à la Mecque qu'il donnerait 1.000 mithqal d'or aux Coreichites qui voudraient le suivre dans son pays. Il se trouva quatre Arabes, dit le Tarikh et Fettach, pour le suivre. Plusieurs princes par la suite imitèrent ce geste de Kankou Moussa et les descendants de ces Arabes qui bien souvent n'ont plus rien d'arabe portent aujourd'hui le nom général de Chérif (descendant du Prophète) ; on les appelle également Haydara. On en rencontre beaucoup dans le Vieux Manding, surtout dans le village traditionaliste de Keyla 42. Aujourd'hui encore ces Chérifs sont l'objet d'une grande vénération ; ils sont surtout marabouts, au besoin commerçants.

Ainsi Hidji Mansa Moussa a voulu rehausser le prestige de la dynastie en lui attirant la grâce de la Maison du Prophète, « Dar en Nabi ». L'Islam semblait promis à un beau destin dans l'Empire de Mali, mais il fallait pour que ce destin se réalisât que l'Empire conservât ses provinces orientales le long du Niger, route des Lieux Saints. Elles seront cependant les premières à échapper à Mali.

C'est également sous le règne de ce fastueux pèlerin que les échanges entre le Soudan et les pays méditerranéens semblent avoir atteint leur apogée ; la paix qui régnait alors, favorisa beaucoup le commerce; les tribus berbères ou maures du Sahara étaient mâtées, payaient tributs et fournissaient des contingents au Mansa 43 ; les routes caravanières du Sahara étaient alors très sûres. Il nous est toutefois difficile d'évaluer ce commerce. On peut du moins affirmer que « l'Or du Soudan » a alimenté le marché méditerranéen dans une forte proportion sous le règne de Mansa Moussa. Au Caire, au dire de plusieurs auteurs, l'afflux d'or des pèlerins noirs fit tomber le cours du métal précieux dans la capitale égyptienne. A cette époque, Mali tenait les principales sources d'or de l'Afrique Occidentale; Falémé, Gambie, vallée du Niger, Bouré. L'or déversé sur les marchés européens entrait dans le cycle d'échange entre le Proche Orient et l'Europe. Lacour Gayet dans son « Histoire du Commerce » a mis en relief l'apport des Empires Soudanais (Ghana et Mali) dans le trafic de l'or. Plusieurs articles traitant de « l'or musulman au Moyen Age », en particulier celui de Lombard, ont mis en relief la part du Soudan. Nous reproduisons la carte de Lacour Gayet pour les routes caravanières de l'or à travers le Sahara.

Le règne de Hidji Mansa Moussa ainsi par plusieurs aspects eut des conséquences importantes, ce règne fastueux comme le fait remarquer Delafosse a contribué à propager le mythe d'un Soudan fabuleux où l'on récolte l'or» comme des « carottes », selon certains auteurs arabes. Le résultat sera la conquête de la boucle du Niger par les Marocains au XVIe siècle en même temps que les Européens longtemps coupés des pays de l'or commenceront une exploration plus méthodique 44. Ce quart de siècle constitue le moment du plus grand équilibre de Mali ; la tradition ne mentionne aucune guerre sous le règne de ce prince connu surtout pour sa sainteté et sa grande justice. Je n'ai pas cru devoir relater ici toutes les anecdotes qu'on raconte sur lui, bien souvent l'éloge l'emporte sur les faits.

La fin du XIVe Siècle

Après Mansa Moussa, l'Empire se maintint longtemps encore, mais les souverains, s'ils furent consciencieux, ne furent pas cependant de grands monarques à cause des nombreuses difficultés qui vont surgir à partir du XVe siècle.

A Mansa Moussa succéda son fils que Ibn Khaldoun appelle Maghan (Ier) et que la tradition appelle d'un nom imagé Maghan Soma Bouréma Ken [Maghan le sorcier, Bouréma (Ibrahim) le beau]. Il ne régna que quatre ans de 1332 à 1336 ; son règne court est marqué par le raid du Moro Naba Nasségué en 1335 qui pilla Tombouctou. A sa mort, Maghan (Ier) laissait un fils en bas âge ; le pouvoir fut confié à Souleymane, frère de Mansa Moussa. Mansa Souleymane régna de 1336-1359. C'est sous son règne qu'Ibn Batouta visita la capitale de Mali en 1352. Aussi dévôt que son frère, Mansa Souleymane s'entoura aussi de juristes, il entretint des relations suivies avec les souverains du Nord à l'instar de son frère.

Selon la tradition, à son retour de la Mecque en 1351, Mansa Souleymane construisit un pied à terre à Kangaba, où il était gouverneur de province avant de monter sur le trône; c'est lui qui construisit la fameuse case « Camanbolon » où il déposa les livres saints qu'il avait rapportés du Hedjaz. Mansa Souleymane fut ainsi le premier souverain à s'intéresser à Kangaba qui jusque-là n'avait été qu'un chef-lieu de province réservé aux cadets de la famille impériale.

Contrairement à ce qu'affirme Delafosse, Kangaba n'a pas été la première capitale de Mali, cette ville était située sur le territoire des Camara; j'ai recueilli une tradition de Kangaba qui dit que les Camara furent les fondateurs de Kangaba ; c'est seulement avec Soundjata que les Kéita commencèrent à s'installer à, Kangaba; ces Kéita, dit la tradition, venaient de Figuera Kure, sur la rive droite du Niger.

Le règne de Mansa Souleymane n'a par ailleurs rien de marquant.

Après lui commencent les compétitions entre les princes héritiers. Le fils de Maghan (Ier), que la tradition du Hamana appelle Konkodougou Kamissa et qui prit le nom de Mari-Djata II, revendiqua le trône et s'opposa à Kamba, le fils de Mansa Souleymane. Mari-Djata II l'emporta au bout de neuf mois ; il ne fut pas un prince exemplaire ; Ibn Khaldoun est très sévère pour lui ; il voulut, dit la tradition, égaler son grand père Mansa Moussa en faste ; cruel et autoritaire, il ne fut pas aimé. Ibn Khaldoun dit qu'il mourut de la maladie du sommeil. Son règne dura de 1360 à 1374 (date d'Ibn Khaldoun). Son fils Mansa Moussa II alias Fadima Moussa (selon la tradition du Hamana) fut terne ; le pouvoir était aux mains de son premier ministre du nom de Mari-Djata qui alla raffermir l'autorité du Mali jusqu'à l'est de Gao. Mansa Moussa II régna de 1374-1387 (date d'Ibn Khaldoun).

Son frère Maghan II (que la tradition du Hamana appelle Kita Tenin Maghan ne régna qu'un an. Il dut s'enfuir dans le Kita où il devint Chef de province. Il devait partir de là vers le Sud avec une bonne fraction de Keita; avec eux, il fondera la colonie Kéita du Hamana sur le Haut-Niger 45.

Maghan III qui lui succéda en 1390 est le dernier prince de la liste d'Ibn Khaldoun. Notre autour mourut en 1404. Maghan III selon lui s'appelait Mahmoud et se disait descendre de Mansa Gao, fils de Soundjata. Je n'ai pas eu de renseignements sur ce prince au cours de mon voyage d'études.

Pour le XVe siècle, les renseignements écrits sont maigres et épars. Il nous faudra ici essayer de contrôler la tradition avec les récits de voyages des premiers navigateurs portugais.

La fin du XIVe siècle, ainsi que les compétitions au trône nous le laissent supposer, fut une période de crise pour Mali ; les provinces orientales du Moyen Niger commencent à secouer l'autorité des Empereurs ; l'expédition de Mari-Djata, le wizir, de Moussa II, à l'est de Gao est significative.

Je crois que c'est à la fin du XIVe siècle et au début du XVe siècle. Voici comment la tradition établit le tableau généalogique des Kéita du Dioma depuis Soundjata (voir feuille annexe).
Après la fondation de Dioma, Sérébandjougou et Mansa Gbèré, selon la tradition, partirent à Niani pour délivrer la ville qui avait été investie par les Peulhs Wassoulounkés 46. Ces princes délivrèrent la ville et s'y installèrent, régnèrent l'un après l'autre. J'ai tendance quant à moi à les identifier à Moussa III et Mansa Oulé II, qui régnèrent sur Mali au début du XVe siècle. En malinké les termes Mansa Oulé et Mansa Gberé sont synonymes (Oulen et Gberé voulant dire tous deux « rouge », Mansa Oulen ou Mansa Gberé veut dire « l'Empereur Rouge », sans doute allusion au teint bronzé du personnage).

On trouve encore ce genre de qualification accolée au nom des personnes, ainsi Kè Oulen (l'homme rouge»). L'identification de Sérébandjougou avec Moussa III est moins certaine, toutefois il est possible qu'après son intronisation, le prince ait abandonné son nom païen pour celui de Moussa, combien glorieux.

Donc à partir du XVe siècle c'est une branche cadette qui règne sur le Mali. Et il est remarquable de noter que les traditions de Dioma le vieux (Dioma Nounkou) ne se sont intéressées qu'à la descendance de Sirébory, le fils de Bakary-Koro, dont les descendants ont fondé les autres villages du Dioma. Quant à Séré Bandjougou et Mansa Gbèré (que nous avons identifié avec Moussa III et Mansa Oulen) ils appartiennent à la tradition de Niani.

La fin du XIVe siècle et le début du XVe siècle se caractérisent par les mouvements de Peulhs ; Raymond Mauny a établi que les raids du chef Peulh Tenguella se placent non pas en 1535 comme l'a fait Delafosse, mais plutôt entre 1481-1495 (cf. Esméraldo de situ orbis de Duarte Pacheco Pereira, traduction Teixeira et Mauny 1953).

Il faut donc mettre en corrélation les invasions peulhs dans le Vieux Manding avec les raids du chef Peulh Tenguella dans le Fouta-Djallon et en Gambie.

La cour de Mali

La cour de Mali était peu différente de la cour de Koumbi-Ghana, dont elle a hérité; mais on trouve à la cour de Mali un certain air musulman qui faisait défaut à Koumbi.

Ibn Batouta qui visita la capitale malinké en 1352 nous a laissé un tableau vivant de l'Empereur et de sa cour. Une étiquette très minutieuse réglait la vie de la cour, le Mansa vivait retiré dans ses palais à la manière orientale.

Il faut dire cependant que les premiers souverains ont dû mener la vie obscure des roitelets d'alors, même la cour d'un Soundjata n'a dû être qu'un camp militaire aux moeurs assez frustes. C'est avec le règne de Mansa Moussa que la cour deviendra une véritable cour orientale, toutefois les coutumes locales ne perdirent jamais leur droit.

Selon Ibn Batouta, le Mansa tenait deux sortes d'audiences, l'une sous la fameuse coupole construite par le poète-architecte Es Sahéli sous Hidji Mansa Moussa, l'autre à ciel ouvert sur une place où une estrade (Bembé) aménagée était réservée à l'Empereur.

  1. La séance sous la coupole
    C'est au cours de cette séance que le Mansa reçoit les plaintes et les doléances, il y reçoit les gouverneurs de provinces ou Fama ainsi que les chefs militaires ou Fari. Les gouverneurs, les juristes et les courtisans forment une double haie devant la salle d'audience, le griot ou traditionaliste annonce les gens, un homme (sans doute le Kan Farin ou lieutenant) se tient près du Souverain et répète le nom du personnage à l'Empereur.
  2. La séance du « Bembé » ou estrade
    Le Mansa est assis sur une estrade (Bembé), « on la recouvre de tissus de soie, on l'a garnie de coussins, au dessus on élève un parasol qui ressemble à un dôme de soie et au sommet duquel se voit un oiseau d'or grand comme un épervier» (Ibn Batouta). C'est à cette séance que l'Empereur reçoit les ambassades lointaines; notre auteur a assisté à l'arrivée d'une ambassade de peuples frustes. Sans doute cette séance se tenait en saison sèche après les grandes pluies quand affluaient vers la capitale les produits des impôts.
    Elle est également l'occasion de grandes fêtes, chaque délégation venant avec un échantillon du folklore de son pays pour amuser le souverain, coutume restée vivace qu'on retrouve encore ; l'Administration Française a su l'exploiter pour les fêtes du 14 Juillet et du 11 Novembre 46.

Si la présence de juristes et l'habillement à oriental donnaient une couleur musulmane à ces séances, mais par plus d'un côté, la cour a conservé des coutumes païennes et Ibn Batouta ne manqua point de les relever.
Comme devant les Souverains de Koumbi, à Mali tout le monde se prosterne devant l'Empereur.
Pour ce salut, dit le Tarik el Fettach, la coutume était d'enlever sa tunique, de s'en draper, puis s'incliner profondément en se frappant la poitrine et enfin se traîner sur les genoux. Seul dans tout le pays le cadi avait droit de donner la main au Souverain (pages 59-60.) Plus couramment on se frappait la poitrine en se couvrant la tête et les épaules de poussière ; la plupart des auteurs arabes ont décrit des scènes de salutations à l'Empereur.
Ce genre de salutations se retrouve aujourd'hui à la Cour des Moro Naba de Haute-Volta.
Pour spectaculaires que fussent ces manifestations du paganisme et des coutumes ancestrales, Mali avant tout voulait paraître musulman; les Mansa de Niani trouvaient leur modèle dans les monarques du Maghreb et de l'Egypte.
Dans sa préface à la traduction d'Ibn Fadl Al Omari, Godefroy Demombynes donne un aperçu sur les cours maghrébines et égyptiennes du XIVe siècle :

« La grandeur souveraine des souverains musulmans apparaît dans leur audience publique et surtout dans les cortèges solennels quand ils se déplacent.»

La formule est aussi vraie pour les Mansa de Mali :

« Le privilège essentiel d'un souverain maghrébin consiste à faire battre les tambours et à laisser flotter autour de lui les étendards ; l'ensemble des gens qui accomplissent ces rites, composent la Saga du Sultan ou escorte officielle » (Introduction XLVI Al Omari).

Il en est de même de Empereurs de Mali 47. Demombynes ajoute que le parasol est particulier aux Mameluks; on peut croire que c'est à ceux-là que Mali l'a emprunté.
Mansa Moussa quand il arriva en Egypte faisait flotter au-dessus de sa tête des étendards jaunes et rouges, couleurs de Mali. «Les couleurs de ce Sultan, dit Ibn Hadjib, informateur d'Ibn Fal Al Omari, sont jaunes sur fond rouge. Quand il est à cheval, on fait flotter sur sa tête les étendards royaux qui sont de grands drapeaux » (Al Omari, page 72). Parmi les cadeaux que le Mameluk en Nacer fit à Hidji Mansa Moussa on pouvait remarquer « des chevaux, un vêtement d'honneur, un mouchoir brodé d'or pur, des étendards ». Le Malinké, pour dire drapeau, étendard, a adapté deux mots arabes : bandari (du mot band) et radja (de raya).

Le caractère musulman de la cour se manifeste jusque dans le système de gratification ; des plus vaillants cavaliers portent des bracelets d'or, ceux qui montrent de nouvelles preuves de leur vaillance, portent en outre des colliers ». Nous avons déjà parlé de l'Iqta, institué par Mansa Moussa. Les gratifications rappellent en tous points les institutions de la Cour des Abbassides perpétuées par les dynasties d'Egypte et du Maghreb.

Comme les rois musulmans et les khalifs, les Mansa vivaient enfermés. Al Omari dit que le Mansa mangeait en présence d'une de ses femmes seulement (son épouse favorite).

Les grands dignitaires

La cour était peuplée de courtisans, fonctionnaires et grands dignitaires. On peut l'imaginer grouillante de parasites comme l'ont toujours été les cours africaines.
A l'époque des grands Empereurs: Sakoura, Mansa Moussa, Mansa Souleymane, il devait se dégager de la cour un certain air oriental.
Une hiérarchie rigoureuse donnait un cachet bien malinké à la cour ; après l'Empereur, le Kan Farin, Vice-Empereur, avait le pas sur tous les dignitaires. Viennent ensuite les Farin et Fama et les juristes, surtout arabes.
D'après le Tarikh, le Cadi suprême à Mali s'appelait Anfaro Kouma ; mais l'auteur qui n'est pas malinké donne, me semble-t-il, une fausse explication à ce mot. Je propose qu'on lise « An Faran Kuma », ce qui signifie « départage-nous par la parole»; « kuma » veut dire parole, je ne pense pas qu'il s'agisse du nom d'une tribu comme le laisse entendre l'auteur (Tarikh el Fettach page 59).
On peut tenter de reconstituer d'après le Tarikh certaines grandes charges de la cour (Gao qui hérité des provinces orientales de Mali, les avait toutes conservées).

A Gao, les souverains confiaient ces importantes fonctions à leurs proches parents (Askia Mohamed, 1493-1529, les répartit entre ses fils). Il devait en être de même à Mali et je crois aussi que ces fonctions n'intéressaient que les provinces orientales, terres serviles dont l'exploitation était minutieusement réglée.
Tels sont les grands dignitaires de la cour, la cour a dû être surtout peuplée de Malinké. La tradition aime citer les noms des porteurs de siège des Empereurs, il me semble que ce soit là une fonction très honorifique ; tenir la bride du cheval d'un Mansa semble avoir été aussi une fonction très importante 48.
On devine en tout cas une cour mouvementée et vivante, un Empereur lointain et distant qu'on ne voyait de près qu'aux séances du Bembé, sur l'estrade construite devant les Palais.

Deuxième partie
L'organisation de l'Empire

L'administration

Nous n'avons presque pas de renseignements écrits sur la manière dont ce vaste Empire était gouverné. Le Mali n'a pas laissé d'archives, les actes officiels étaient proclamés à vive voix. Lors du pèlerinage de Mansa Moussa en 1324, les informateurs d'Al Omari lui apprirent que les gens de Mali n'employaient presque jamais l'écriture dans l'administration ; les ordres du Roi, les proclamations étaient transmises par voix humaine selon une habitude plusieurs fois séculaire. Les hérauts, ici les griots, à cette époque, constituaient une véritable chancellerie.

Voici la raison principale de la carence de documents écrits sur le Mali. Toutefois, il ne faut pas désespérer de trouver un jour un Tarikhs pour le Mali puisque les lettrés étaient nombreux et les auteurs des Tarikh soudanais connus se réfèrent souvent à des auteurs antérieurs à eux ont écrit sans doute sous l'Empire de Mali 49.

Par ailleurs, les auteurs arabes si prolixes sur les fastes d'un Mansa Moussa nous donnent peu d'indications sur l'administration de l'Empire. On trouve dans le Tarikh el Fettach des renseignements relatifs à l'Administration des provinces orientales du Mali; ces provinces constituaient ce qu'on peut appeler les domaines de la couronne 50.

C'est donc à partir du Fettach qu'on va tâcher de donner une idée de l'exploitation des terres de l'Empire.

Les divisions administratives

Nous savons que le Mali était divisé en provinces avec à la tête de chacune, un Gouverneur. Il y avait aussi des royaumes vassaux, pays qui avaient conservé leur souverain.
D'une manière générale, les royaumes vassaux se trouvaient à la périphérie de l'Empire. Ce sont :

Les fils des Rois grandissaient à la Cour de l'Empereur. Voici ce que dit le Tarikh-es Soudan des jeunes princes de Gao.

« Quand les deux enfants atteignirent l'âge d'entrer en service, le sultan du Mali les prit avec lui. A cette époque en effet, ces princes étaient ses vassaux et il était d'usage que les fils des Rois fussent astreints au service de leur suzerain … Parmi ces jeunes gens, les uns rentraient dans leur pays après avoir servi un certain temps, d'autres continuaient jusqu'à leur mort. » (p. 10-11).

C'était là un moyen efficace d'avoir des otages et de tenir ces provinces excentriques toujours tentées de secouer l'autorité du pouvoir central.
Quant aux provinces, elles avaient à leur tête des gouverneurs appelés Farin. Les Gouverneurs se recrutaient surtout parmi les nombreux cadets de la famille impériale. Cependant les souverains du Mali surent élever d'autres gens à la dignité de Farin (citons le cas des gouverneurs du Diara qui de Farin devinrent rois avec droits de transmettre le pouvoir à leurs descendants (Tarikh el Fettach, p. 70). Un lieutenant-général ou Kanfari, Chef-du-dessus, sorte de Vice-Empereur, contrôlait les gouverneurs.
L'antique province du Manding était directement administrée par le Mansa et dans les provinces limitrophes tels que le Konkodougou, le Kita, des cadets étaient héréditairement gouverneurs. Les provinces extrême-occidentales du Mali qui touchaient à l'Océan Atlantique étaient comme le prolongement du Vieux Manding et étaient peuplées de Malinké (Kéita, Kondé, Sissoko).
Grâce aux récits des premiers navigateurs, nous connaissons assez bien les divisions administratives de ces provinces occidentales. Nous y reviendrons dans un autre chapitre.
Les provinces orientales, pays du Moyen-Niger constituaient le domaine du Mansa.
Ces provinces formaient autrefois le royaume de Sosso que les Empereurs du Mali détruisirent, et depuis Soundiata un régime particulier y fut instauré. La population avait été asservie et divisée en castes. Au XVe siècle les Rois de Gao enlevèrent ces provinces au Mali. Le Tarikh-el-Fettach nous a laissé un tableau des principales tribus et des prestations auxquelles elles étaient astreintes ; quant au Tarikh-es-Soudan il nous donne les divisions administratives (p. 19).
On retrouve encore la plupart des noms de province. Les habitants de ces provinces étaient répartis en 24 tribus qui comprenaient des serfs, domestiques, des artisans et des paysans 52.

Les artisans

On distinguait une caste de forgerons:

  1. Les gens de cette caste fournissaient par an et par famille 100 flèches, 100 lances. On est tenté de croire qu'il s'agit ici de la tribu de Soumaoro, lui-même forgeron.
  2. Une caste de cordonniers (Kouroankoi en songhay ou Garanké en malinké).
    Le Tarikh el Fettach n'indique pas le nombre de chaussures imposé aux membres de cette caste.
  3. Une caste de pêcheurs et de navigateurs (les bozos et les somonos riverains du Niger) qui payaient en tribut « au moment de la baisse des eaux dix paquets de poissons séchés par famille ». Cette caste était sous les ordres d'une sorte de « Ministre des Eaux » (Dyi Tigi ou Dyi Fama en malinké) que le Tarikh traduit Hari Farma.
  4. Une caste de maçons dans la province de Kala entre Mopti et Dia.
Les paysans — les serfs

Ces serfs étaient pour ainsi dire attachés à la glèbe. Ils appartenaient en propre à l'Empereur. « Du temps de Mali Koï (Roi de Mali en songhay), ces tribus étaient astreintes à une prestation annuelle de quarante coudées de terre à mettre en valeur par couple ». Le Mansa, ajoute le Tarikh, peut affecter ces serfs à n'importe quel service, il recrutait parmi eux des domestiques 53.

Les serfs- domestiques

Ils « fournissaient de serviteurs le prince et ses familiers. Leurs filles étaient employées au service des femmes de la cour. Les jeunes gens de la tribu escortaient le prince en armes, marchant devant et derrière lui en temps de guerre comme en temps ordinaire. » Ils étaient également employés comme messagers (courrier des Empereurs). Le Tarikh dit que ces gens n'étaient astreints à aucune redevance en nature. L'une des castes, les « Tyindiketa » ou coupeurs de chaume, était chargée des écuries de l'Empereur ; on la rencontrait surtout dans le Kala entre le Niger et le Bani.

Ainsi étaient exploités les « domaines » de la couronne dans les provinces orientales. On a fait remarquer que ces pays constituaient le royaume Sosso qui a tenu jadis le Manding en tutelle. Mahmoud Koti (Kanté), l'auteur du Tarikh el Fettach, dit: « elles (ces tribus) étaient devenues vassales du Mali Koï (Roi de Mali) à l'époque où les ancêtres de ce dernier avaient accru leur puissance et après avoir tenu elles-mêmes le Mali Koï sous leur autorité ». Il ne peut s'agir ici que du royaume Sosso et de Soundjata, vainqueur de Soumaoro. Je suis porté à croire que c'est Soundjata qui édicta cette législation sur le royaume de son adversaire.

Les tribus qui formaient les castes de serfs domestiques étaient ce qu'on appelle « les captifs de case » héréditairement attachés aux princes. « Depuis qu'elles appartenaient au Mali Koï la coutume était qu'aucun des hommes de ces tribus ne pouvait se marier qu'après que le roi avait donné 40.000 cauris aux beaux-parents du futur afin d'empêcher la femme ou ses enfants de revendiquer la liberté et afin de bien établir que ceux-ci et leurs propres enfants demeuraient la propriété du Mali Koï » (p. 107-108).
Après les Empereurs de Mali, les rois continueront à maintenir les castes rigoureusement séparées et même à en créer, tel l'exemple de Biton Kouloubali, roi de Ségou, qui au XVIIIe siècle par suite de la fuite des Peuls, créa une caste de pasteurs parmi les Bambaras. Les descendants de ces Pseudo-Peuls portent encore le nom de « Foulani » et vivent comme les pasteurs peuls.

Il n'est pas exagéré de dire que les Empereurs de Mali marquèrent pour longtemps l'Afrique Occidentale par cette organisation rigoureuse de la société en castes 54.

Le Mali comme les autres royaumes du Moyen Age avait une économie essentiellement agricole reposant sur le travail des serfs, mais les hommes libres étaient nombreux. Il semble que cet asservissement général n'était vrai que pour ces provinces orientales du Mali. On trouvait des serfs cependant un peu partout où les gens avaient résisté aux Malinké. Les hommes libres se consacraient davantage à la guerre et au commerce (surtout les Malinké). La majeure partie des hommes libres hormis les Malinké étaient paysans et payaient l'impôt en nature aux gouverneurs pour le ravitaillement des troupes.

L'organisation de ces provinces montre que Mali était une monarchie de type féodal : une forte hiérarchisation commande à la répartition des hommes en classes. L'économie essentiellement agricole repose sur l'exploitation des serfs qui ici comme ailleurs sont « attachés à la glèbe ». Nous ne possédons pas d'actes, ni d'édits comme en Europe Occidentale, mais il est à peu près certain que la hiérarchie dans le Mali avait les mêmes règles que dans toute société féodale.

Ici on peut dire que l'élément mandingue a constitué une véritable noblesse mais noblesse qui n'a jamais dédaigné de pratiquer le commerce ou même de labourer la terre.

Les castes d'artisans peuvent être comparées aux corporations du Moyen-Age en Occident; dans les deux cas, l'hérédité joue; à Mali on naissait « maçon » ou « forgeron » comme dans l'Europe féodale on naissait « vilain ou noble ».

En Europe la féodalité a pu s'épanouir tandis que dans le Mali la chute de l'Empire et le manque d'autorité ont favorisé l'émiettement. L'insécurité et les guerres à partir du XVIe siècle coupèrent court au développement normal des formes sociales.

L'organisation militaire

Ce vaste Empire qui couvrait presque tout l'Ouest africain fut bien défendu et l'organisation militaire du Mali resta un modèle pour les royaumes qui naquirent de ses lambeaux.
Le Tarikh es Soudan dit à ce sujet :

« Les habitants de ce pays disposaient de forces nombreuses et leur audace ne connut ni bornes ni limites. Le Prince avait sous ses ordres deux généraux : l'un pour la partie méridionale, l'autre pour la partie septentrionale ; le premier s'appelait le Sankar Zouma, le 2e Faran Soura. Chacun d'eux avait sous ses ordres un certain nombre de caïds et de nombreuses troupes. » (p. 20).

Ailleurs, l'auteur dit que Souma est une ville du Mali. Il faudrait peut-être lire Sama. Ce nom est porté par beaucoup de villages aujourd'hui et on ne peut avec certitude faire une identification.

Quant au Faran Soura, je n'ai pu localiser sa résidence. (Faran rappelle le mot Farin) A moins qu'il ne s'agisse du nom traditionnel que portaient les généraux des forces du Nord (Souca-Ka = maure; Farin-Soura = Farin du Nord).

Il semble que les Malinké étaient tous mobilisables ; chaque royaume ou province avait son contingent ; les hommes étaient répartis en unités ethniques ou tribales. Au siècle dernier encore les troupes de Samory étaient ainsi réparties.
Les esclaves n'allaient pas à la guerre.

Le commandement

Il a dû être aux mains des Malinké dont la vocation guerrière était très forte à cette époque ainsi que le laisse entendre le Tarikh el Fettach. Les tribus Kondé, Kourouma et Kéita comptent beaucoup de noms célèbres dans les traditions locales.

Les effectifs

Chaque province fournissait son contingent ou plutôt chaque peuple fournissait un contingent, une partie devant aller à la capitale pour former la garde du Mansa. (Ibn Batouta parle du contingent que fournissaient les tribus berbères messoufites pour la garde impériale).

Nous ne pouvons que répéter les chiffres avancés par les auteurs arabes. Ibn Fadl Allah Al Omari dit que Mansa Moussa disposait de 100.000 fantassins et de 10.000 cavaliers. Il faut remarquer que Valentim Fernandez, navigateur portugais qui explora les côtes occidentales d'Afrique à la fin du XVe siècle dit également que le roi du Manding avait une armée considérable qu'il estima à 100.000 hommes et 10.000 cavaliers. Vu l'étendue de l'Empire ces chiffres ne me paraissent pas exagérés.

Cette armée était-elle permanente ? Rien ne nous le dit. Cependant, je penche à croire qu'elle était permanente. Les vivres abondantes des provinces orientales, les impôts en nature facilitaient son entretien. Rien ne dit aussi qu'il ne s'agisse de soldats-paysans comme aux frontières romaines sous le Bas-Empire.

Le manque de documents écrits rend ici impossible toute estimation. La tradition s'intéresse davantage aux faits de guerre des différents chefs de tribus.

L'impôt

De quel nature était l'impôt dans le Mali, comment était-il perçu ? Problème difficile à résoudre vu la carence de documents écrits, mais on peut grâce aux allusions de certains auteurs tenter de donner une idée de l'organisation de l'impôt.

Par son organisation administrative, on sait que l'économie du Mali était essentiellement agricole. L'impôt était versé en nature. Nous avons montré comment les tribus asservies du Moyen-Niger alimentaient les caisses royales. D'une manière générale dans toutes les provinces, les gouverneurs recueillaient les produits agricoles pour les acheminer sur la capitale ou vers les garnisons militaires. Il s'agissait surtout de ravitailler les armées impériales.

A en croire la tradition, tous les paysans versaient la dîme de leur récolte, il s'agit là d'un impôt musulman, la zakkat qu'il faut peut-être faire remonter à Mansa Moussa Ier. Aujourd'hui encore dans certaines provinces malinké, l'impôt se dit Muddé mot dérivé de l'arabe mud (mesure). Toujours selon la tradition, ceux qui ne travaillaient pas la terre donnaient aussi le 10e du fruit de leur activité, il s'agit ici surtout des commerçants, les fameux dioulas (malinké), qui faisaient le trafic entre le Mali et les régions forestières.

C'est à la fin de l'hivernage, au moment des grandes récoltes, dit la tradition, que les caravanes des produits de l'impôt allaient vers la capitale et les grandes villes telles que Sama dans Wagadou où cantonnaient des troupes.

En somme, la monnaie métallique a été peu employée au Mali. Dans l'Empire on usait des mêmes pièces de dinar qu'en Egypte. Mais le Mali ne semble pas avoir fait d'émission; on ne connaît pas encore d'atelier monétaire. L'or servait surtout pour le gros commerce transsaharien. Le Mali échangeait son or contre les produits des pays maghrébins et de l'Egypte. Les Empereurs n'ont jamais cherché à thésauriser systématiquement le métal précieux pour les besoins monétaires.

Les échanges

Il faut ici faire le départ entre les échanges à l'intérieur de l'Empire d'une part et les échanges avec les pays étrangers d'autre part.

A l'intérieur de l'Empire, les échanges reposaient sur le troc mais on se servait souvent du sel comme équivalent général. Cette denrée devint monnaie effective pour tous les petits échanges entre les habitants de l'Empire 55. Voici ce qu'écrit Ibn Batouta (traduction de Slane-Tome IV des voyages p. 379).

« Une charge de chameau se vend à Oualata de huit à dix mithqals ou dinar d'or ou ducat ; à la ville de Mali (la capitale) elle vaut 20 à 30 ducats et quelquefois même 40 … Les nègres emploient le sel pour monnaie comme on fait ailleurs de l'or et de l'argent ; ils coupent le sel en morceaux et trafiquent avec ceux-ci ».

Pour les pays soudanais le sel était un produit rare. On comprend qu'il soit pris comme monnaie. On peut remarquer d'après cet extrait d'Ibn Batouta que la valeur du sel monte à mesure qu'on s'enfonce vers le Sud. A Oualata, situé dans le Sahel, la charge de chameau coûte 10 mithqals soit 4,5 g x 10 = 45 g d'or ; dans la capitale, à Mali, soit à 24 jours de marche de Oualata la charge de chameau vaut 4 fois plus cher soit 4,5 g x 40 = 180 g d'or.

Découpé en petits morceaux le sel gemme constitue une véritable monnaie, un équivalent général pour les pays compris entre le Niger et le Sénégal; ailleurs on utilisa d'autres systèmes.

A l'Est dans le Gourma et dans le royaume vassal de Gao, ainsi que le note également Ibn Batouta, le cauri l'emportait sur le sel. Ce coquillage qui venait de l'Océan Indien était très recherché. Le cauri parvenait dans cette région soit par l'Est directement de l'Océan Indien, soit par le Nord-Est, mais toujours par les Arabes familiers de l'Océan Indien au Moyen Age; ils étaient les seuls fournisseurs du Soudan en cauris. Il serait intéressant de savoir l'origine de l'usage de ce coquillage comme monnaie en Afrique Occidentale 56. Cependant l'aire d'expansion du cauri fut assez limitée jusqu'au XVIe siècle, date à laquelle les Portugais purent commencer à inonder tout le continent noir du précieux coquillage.

Ibn Batouta cite également le cuivre comme monnaie de l'Empire. Le cuivre était extrait à Tigida dans le Sahel. C'était un monopole des Empereurs. Ce cuivre servait surtout dans les transactions avec les peuples de la forêt au Sud des frontières indécises du Mali, dans les pays païens. Le cuivre était changé contre l'or. (100 mithqals d'or contre 60 barres de cuivre [Cf. Al Omari]).

Ainsi il ne semble pas qu'il y ait eu unité dans le système monétaire du Mali, système assez primaire qui contraste avec le brillant extérieur de l'Empire. L'or intéressa peu les habitants de l'Empire dans leurs échanges de tous les jours; le troc, produit contre produit, semble avoir été le fait dominant dans le trafic intérieur.

Cependant de grands courants d'échange reliaient toutes les régions de ce vaste Empire. Des échanges importants de produits de première nécessité étaient constants d'une province à l'autre. Les documents portugais à la fin du Moyen Age, nous révèlent la richesse des provinces occidentales en produits agricoles (riz, mil) qu'on échangeait contre le fer et d'autres métaux qui venaient de l'intérieur (Vieux Manding). Mais pour le commerce intérieur, le fait dominant reste les échanges entre les pays de la savane et les pays de la forêt: ces derniers étaient riches en colas, huile de palme qui manquent à la savane. La forêt (forêt guinéenne et forêt ivoirienne) manquait de sel, de cotonnade et de poissons. Les Malinké jusqu'à nos jours sont restés les ravitailleurs de la forêt pour ces produits. Mopti, sur le Niger, était le point de départ des caravanes de poissons vers la forêt.

Au Moyen-Age par son contact direct avec la forêt, le Mali détenait le monopole des noix de cola, ce fruit très consommé dans tout l'Ouest Africain a toujours été l'objet d'un commerce intense. Le Tarikh el Fettach dit que le Mali avait les plus belles plantations de colas, ce qui est peut-être une exagération car la cola pousse assez mal dans la savane; mais le Mali étant directement en relation avec la forêt, l'auteur du Tarikh a pu croire que les colas venaient de l'Empire même.

Le commerce savane-forêt a été caractérisé par l'infiltration des Malinké vers le Sud où ils formaient des minorités agissantes, propagateurs de l'Islam 57. Il y a eu une véritable colonisation mandingue dans les forêts guinéennes et ivoiriennes.
Mais c'est surtout par son commerce de l'or que le Mali a été connu de l'extérieur, les Empereurs du Mali passant avant tout pour être les « Rois de l'or ».

Le commerce extérieur

Les relations du Mali avec les pays étrangers (surtout méditerranéens) sont dominées par le trafic de l'or. Le Soudan, pays des Noirs pour les Arabes, est resté le pays de l'or et des esclaves. En cela le Mali n'a fait que perpétuer un trafic déjà connu entre le Ghana et l'Afrique du Nord. Al Békri dans sa Description de l'Afrique Septentrionale parle longuement de la richesse fabuleuse des Rois du Ghana, des réceptions brillantes, des parades; les chiens même de la cour auraient des « colliers d'or ».

La plupart des auteurs arabes ont parlé de la fameuse pierre d'or du Ghana ou du Mali, pierre à laquelle on attachait le cheval impérial. Ibn Khaldoun nous dit qu'elle fut vendue par Mari-Djata II (1360-1374) à des marchands égyptiens 58 (Cf. Ibn Khaldoun, Histoire des Berbères, tome II).

Les Empires soudanais passaient donc pour très riches en or. Les Arabes furent les intermédiaires entre le Soudan et la Méditerranée, cela explique peut-être le monopole de l'or qu'ils gardèrent longtemps pendant le Moyen-Age.

Mais peut-on estimer l'importance de ce commerce ? D'où venait cet or ? On sait que les Arabes n'ont pas connu les sources de l'or; aussi rencontre-t-on toute une littérature fantaisiste sur l'exploitation de l'or. On lit sous la plume d'un auteur arabe, qu'on faisait dans le sable des « plantations d'or comme on plante des carottes ; la récolte est au point du jour ».

Provinces aurifères

  1. Le Bambouk sur le Haut-Sénégal et la Falémé.
  2. Le Bouré, province des Camara, Djallonké et des forgerons près du Vieux Manding, au Nord du fleuve Tinkisso. C'est de loin la province la plus riche en or.
  3. La région forestière où les Malinké échangeaient le cuivre contre l'or comme je l'ai dit plus haut. Les Mansa avaient un droit exclusif sur toutes les exploitations minières. Pour l'or dans la province de Bouré, les Djallonké asservis exploitaient le métal au compte de l'Empereur. La société des orpailleurs était très bien organisée. Maîtres du pays, ces Djallonké étaient seuls admis à l'exploitation des mines.

Les Empereurs ont dû les ménager car généralement on croit que l'or s'enfuit dès que les maîtres du sol sont mécontents 59.

Ce commerce intéressait les marchands du Maghreb et du Caire. L'or était échangé contre les tissus, les tapis, le sel et divers produits fabriqués.
Des études ont été faites pour donner une estimation de l'or que le Mali ou le Soudan fournissait par an; mais faute de documents, dans ce domaine le champ reste libre aux imaginations 60.
Lacour Gayet pour se faire une idée de la production annuelle des régions aurifères du Mali a donné un tableau pour les années 1935 à 1940 :

Régions du Haut-Sénégal et du Haut-Niger
Années Kilogrammes d'or
1935 3,802
1936 3,447
1937 3,907
1938 3,900
1939 4,470
1940 3,796

D'après Lacour Gayet, des études et les dosages effectués par le service colonial des mines ont révélé que les méthodes indigènes d'exploitation sont si imparfaites que 57 % de l'or inclus dans les gisements échappent aux mineurs et aux laveuses. Pour l'auteur, le chiffre de 4.470 kg de l'années 1939 est un maximum car, dit-il, de nos jours l'orpaillage est stimulé par les besoins accrus des collectivités transformées.

Mais il faut convenir que les services administratifs ne peuvent donner que des statistiques plus ou moins fausses car l'orpaillage n'est pas une exploitation rationnelle. On sait que sur les placers il y a un trafic intense du métal précieux et les autorités n'ont jamais pu contrôler la production de l'or 61.

Lacour Gayet n'estime pas à plus de 250 kg d'or par an la production du Haut-Sénégal-Niger. Je ne peux me hasarder à donner un chiffre, cependant il faut remarquer qu'au Moyen Age notamment du temps de Mali, les Empereurs avaient un monopole sur l'or et que la production n'était pas aussi désordonnée que de nos jours. Il y avait une caste d'orpailleurs dont le travail était surveillé. Aujourd'hui, tout homme peut se faire orpailleur et l'Administration ne peut dire combien d'hommes et de femmes travaillent dans les placers ni ce qu'un travailleur recueille d'or par jour.
Nous n'avons donc aucun document qui puisse nous permettre d'évaluer le commerce de l'or dans l'Empire du Mali. Il est du moins certain que le Soudan était d'un apport considérable dans les relations commerciales du monde musulman au Moyen Age. Les sources de l'or du Soudan et du Mali en particulier ont contribué à donner la suprématie aux Arabes en Méditerranée 62.

C'est surtout avec le règne de Mansa Moussa que se répandit la légende d'un Soudan riche en or. On croit que le voyage d'Ibn Batouta en 1352 n'avait pour but autre que donner au Sultan du Maroc une idée sur la richesse du Mali, et, ce n'est pas un hasard si, à la fin du XVIe siècle le Maroc entreprend la conquête du Soudan.

En dépit de la grande richesse de l'Empire en métal précieux, l'or ne semble pas avoir été frappé en monnaie (peut-être est-ce l'abondance du métal qui lui enleva toute valeur monétaire). En tout cas jusqu'à ce jour on n'a pas découvert d'atelier monétaire dans le Mali (il faut dire qu'il y a eu peu de fouilles). Le monopole que les souverains avaient sur l'or et toutes les productions minières peut l'expliquer aussi. Les dinars et les ducats venaient-ils du Maghreb et de l'Egypte ou bien ces pièces étaient-elles frappées à Mali ? Voilà ce que les auteurs arabes ne nous disent pas avec certitude.

Le royaume musulman du Bornou (Est du Mali) avait ses ateliers monétaires. Pourtant il était au même degré d'organisation que le Mali. Seule une plus grande connaissance des centres urbains du Mali peut nous donner la réponse à cette question 63.

De la Capitale du Mali

Depuis un demi-siècle, le problème de l'emplacement de la capitale du Mali n'a cessé d'exercer la sagacité des chercheurs.

Longtemps les auteurs arabes ont confondu la capitale du Mali avec celle du Ghana. Ibn Batouta qui a visité la fameuse capitale lui donne le nom de Mali. La ville des Mansa aurait-elle porté le même nom que l'Empire ? Au XVIe siècle, Mahmoud Kati, auteur du Tarikh el Fettach, parle de deux capitales : la première Djériba et la seconde Niani ; cette dernière a été identifiée avec la ville citée par Ibn Khaldoun qu'une mauvaise lecture de Slane fit traduire « Béni » au lieu de «Niani». C'est à Delafosse que nous devons cette heureuse rectification.

Par une étude minutieuse des rares textes confrontés aux traditions du Vieux Manding, Vidal a pu affirmer que la capitale a toujours été au coeur du Manding primitif. Il ne fallait pas chercher ailleurs.

Révisant ses premières affirmations, Delafosse rejoint Vidal 64. Mais une difficulté subsistait : on trouve au Manding plusieurs villages qui portent le nom de Djéliba ou Djoliba.

  1. Djéliba Koro au Sud de Siguiri.
  2. Djéliba entre Bamako et Kangaba ou Badougou Djéliba.
  3. Djéliba (simple hameau, dit Delafosse, en face de Kangaba et légèrement en amont. Je n'ai pas trouvé ce village, il n'existe pas de Djéliba en face de Kangaba).

Après Vidal, Delafosse aussi conclut que Djéliba-Koro fut la première capitale du Mali, que Niani fut capitale à partir de Soundjata seulement et que cette dernière ville fut ensuite abandonnée au profit de Djéliba (entre Bamako et Kangaba).

Le problème n'était pas résolu malgré ces vastes investigations, ni Niani, ni les Djoliba n'ont révélé des ruines dignes d'une grande capitale ; aussi la question reste-t-elle pendante.

De toute façon il est certain qu'il ne faut chercher ailleurs que dans le Vieux Manding.

Une chose est certaine, Djéliba Koro au Sud de Siguiri n'a jamais été capitale, Les traditions de cette ville affirment qu'elle est une fondation tardive des Keita. Djéliba Koro est dans le Dioma. J'ai relaté plus haut l'histoire de l'établissement des Keita dans cette province. Au plus, cette ville n'a pu être fondée que vers 1400 au moment où, perdant les provinces orientales les Keita se rabattant vers le Sud-Ouest (Hamana et Dioma), Djéliba Koro, selon les traditions autochtones, a été fondée à la 6e génération après Soundjata (Voir notre tableau généalogique du Dioma 65).

Un deuxième point est à peu près sûr : Djéliba ou Badougou Djéliba (entre Bamako et Kangaba) n'a pas non plus été une capitale à proprement parler. C'est sans doute de cette ville que parla le Tarikh el Fettach.

D'après la tradition que j'ai recueillie à Kangaba on dit que Djéliba était une résidence des cadets de la famille impériale ainsi que Kangaba. Selon cette tradition, les Keita ne sont passés sur la rive gauche du Niger qu'après les guerres de Soundjata. Aboubakary I alias Mandé Bory, le frère de Soundjata résidait, dit-on, à Djéliba. Il régna de 1275-1285. Le Tarikh el Fettach a pu prendre Djéliba pour la capitale du Mali et son erreur s'explique en partie.

Eliminons aussi Kangaba qui fut une résidence des cadets ; c'est là que résidait Mansa Souleymane, le frère de Hidji Mansa Moussa. Cette ville fut la dernière résidence des Keita après la désagrégation de l'Empire.

Où donc situer la capitale ?

Reste Niani, aujourd'hui bourg d'à peine 400 habitants sur le Sankarani à la hauteur de Siguiri. Niani qu'on appelle plus souvent Nianiba ou Nianimadougou selon toutes les traditions, a été la capitale primitive des Keita. La vallée du Sankarani jusqu'au confluent avec le Niger a été jadis la province des Keita. C'est là où se trouvent les villages les plus anciens des Keita : Figuéra Koro, Faraba Koro, Tigan. C'est cette vieille province que les Keita du Dioma vinrent délivrer de l'invasion peule au début du XVe siècle (Voir le chapitre sur la fin du XVe siècle).

Selon les différentes traditions que j'ai pu entendre, Niani aurait été la première capitale des Keita. La ville fut détruite par Soumaoro et le premier soin de Soundjata après la défaite de son ennemi, fut de restaurer la ville. Dans les Notes Africaines (Juillet 1958) Maurice Montrat donne une explication du nom de Niani. Selon lui, ce nom viendrait du mot malinké Niani ma bori qui veut dire exil et que l'expression date de la fuite de Soundjata. Et de conclure que sans doute Niani est une ville créée en commémoration de cette fuite. Pour ma part, cette explication me semble contestable. On a trop tendance à donner une explication à tous les noms de lieu, c'est même un jeu en pays malinké. Ainsi les exemples de trois noms de ville: Kankan, Siguiri, Bamako. Voici comment on explique ces noms :

Toutes ces explications sont bien sûr une fantaisie, une sorte de calembour. On pourrait cependant croire que pour le cas de Niani l'explication semble plus sérieuse ; mais je pense que M. Maurice Montrat qui sait par ailleurs que Niani a existé avant Soundjata, ne donne cette explication que comme une hypothèse probable.
Gaillard qui a fait l'étude topographique du site de Niani, le prend pour la véritable capitale du Mali 66. Le site est des plus beaux pour l'établissement d'une capitale, entouré de montagnes aux noms significatifs. Au Sud-Est s'étend la grande plaine rizicole du Sankarani, au Nord les collines de Bonkelen Kuru (colline à l'unique maison) — s'agirait-il d'un fort construit jadis en ce lieu ? — « Dawulen Kuru » (Montagne de la porte rouge) et le Niani Kourou ou Montagne de Niani, 431 mètres. Entre ces deux dernières montagnes se trouve la Porte Rouge ou « Dawulen ». Entre Dawulen Kuru et Bonkelen Kuru passe le Manding sila ou route du Manding, c'est la route qui conduit au coeur de la province.

Que Niani ait été la capitale du Mali à un moment donné, personne ne peut en douter et les fouilles entreprises à Niani bien que peu avancées prouvent du moins l'importance qu'à pu avoir la ville. Des restes de forges, des fragments de poteries sont encore les seules trouvailles faites. Mais les tumulus qui avoisinent l'actuel village n'ont pas été explorés. Je n'ai pu me rendre jusqu'à Niani au cours de mon voyage d'études. C'était l'hivernage, les voies de communication étaient coupées par les crues du Niger. Mais à Djéliba Koro et à Kangaba, j'ai pu apprendre que Niani a été l'antique capitale. La grandeur de la ville commença avec Soundjata, le fondateur de l'Empire. Depuis Soundjata la ville a été plusieurs fois détruite. Avec les guerres de Samory à la fin du siècle dernier, les habitants de la ville s'enfuirent. La ville fut reconstruite vers 1877 plus au Nord de l'ancien établissement.

Les malheurs de la ville expliquent sans doute le caractère décousu des informations que les chercheurs ont pu glaner à Niani. A cela s'ajoute le fait qu'on est peu loquace dans le Manding sur l'histoire de Niani et de Soundjata.

C'est dans le Sankarani près de Niani que la tradition fait mourir Soundjata. On continue à faire des sacrifices sur les bords du fleuve en l'honneur de l'Empereur noyé. Le lieu des sacrifices et les rites sont entourés encore de mystère. Là se trouve une des clés de l'énigme du Manding.

Au confluent du Niger et du Sankarani se trouvent des villages ou des ruines de villes peu connus. Dans sa Notice M. Maurice Montrat parle des ruines de Mali (Mali-Tombo ou Mali-les-Ruines); il dit que même à prix d'argent les autochtones n'indiquent pas l'emplacement de ces ruines. A Keyla, quand j'ai parlé de Niani et de Mali-Tombo, le traditionaliste (je préfère taire son nom) m'a dit que ce sont des choses à ne pas dévoiler. Il ne voulut rien me dire et j'ai pu vérifier moi-même ces paroles qu'on a dites à M. Maurice Montrat quand il a voulu en savoir plus long sur Mali-Tombo :

« Ils (les Blancs) ne savent pas garder de secret; ils écrivent et publient tout ce qu'ils ont vu ou entendu. Celui qui leur montrera Mali-Tombo sera tué par les esprits qui ne pardonneront à personne de dévoiler le secret. Le jour de l'arrivée des Blancs à Mali sera la fin du monde. Le lieu sacré sera connu de tous les curieux qui viendront troubler le repos des esprits; ceux-ci se fâcheront alors et tourneront la terre; d'ailleurs tant pis pour l'imbécile qui servira de guide ».

Voilà qui est bien des traditionalistes qui donnent souvent de fausses indications pour dérouter tout chercheur. Je tiens pour sûr que la capitale, la grande capitale du Mali se trouve entre Niani et le confluent Niger-Sankarani.

En effet, l'entre-deux-fleuves (Niger- Sankarani) est parsemé de villages portant en apposition le mot Tombo (ruines en malinké). L'approche de ces ruines est considérée comme maléfique. Si Mali-Tombo existe, il faudrait chercher dans la « fourche » du Niger et du Sankarani. Je penche à croire que la ville que visita Ibn Batouta s'appelait effectivement Mali puisque les traditions du Manding parlent d'un Mali-Tombo. C'est en 1352 sous Mansa Souleymane que l'auteur arabe visita Mali. C'est donc qu'à cette époque Niani n'était plus la résidence des Mansa. L'auteur arabe n'eût pas manqué de nous donner le nom exact de la ville qu'il a visitée. Et ceci m'amène à dire que Niani a été abandonnée par les successeurs de Soundjata : Hidji Mansa Moussa, prince fastueux comme on le sait, a pu se faire construire une capitale digne de lui, Mali, où il a élevé sa fameuse maison à Coupole. J'ai rapporté par ailleurs que Mansa Moussa après son pèlerinage, selon les traditions du Dioma, aurait fondé plusieurs villes-résidences dont : Karanina, Bouroun-Kouna, Djedjefe. La ville de Mali ne serait-elle pas une de ces fondations que la tradition omet volontairement? J'ai fait également remarquer qu'aucune de ces villes de Mansa Moussa n'existe aujourd'hui, mais elles ne sont pas ailleurs que dans le Vieux Manding.

Mali a dû être abandonné de bonne heure par les successeurs de Mansa Moussa. Il est très vraisemblable que les Keita du Dioma qui vinrent relever Niani aient abandonné Mali (fin XIVe siècle) au profit de la vieille capitale de l'Empire.
Léon l'Africain qui a visité l'Empire au XVIe siècle parle de Niani et non de Mali, il visita la ville et estima sa population à 6.000 foyers 67.

Mais le problème demeure puisqu'on n'a pas encore trouvé les ruines de Mali.
Mon opinion est que Niani a été la seule capitale depuis Soundjata mais, les Empereurs après lui ont eu plusieurs résidences 68. Mali serait l'une des plus importantes sinon la plus importante de ces résidences et j'attribuerai volontiers sa fondation à Hidji Mansa Moussa. Puisque la tradition parle d'une vine du nom de Mali, je dis qu'Ibn Batouta n'a pas confondu le nom de la capitale avec celui de l'Empire; c'est bien une ville du nom de Mali que l'auteur arabe a visitée en 1352. Mali est à chercher comme dit M. Maurice Montrat « dans la fourche du Niger et du Sankarani » ; il faut remarquer que dans cette région existe un vinage du nom de Mali-Koura (Mali le neuf). Un plan de recherches systématiques doit conduire à un succès certain, car Mali n'existe pas ailleurs que dans le Manding 69.

L'Empire du Mali à la fin du Moyen Age

On admet généralement qu'après le règne de Hidji Mansa Moussa, la décadence de l'Empire fut rapide. La grandeur du Mali finit avec le XIVe siècle. Le XVe siècle voit le démembrement de l'Empire. Gao s'affirme sur les provinces orientales du Mali, les Touareg prennent Tombouctou 70 les rois Mossi font des raids fréquents dans l'Empire.
Cependant si le Mali est menacé à l'Est, il reste encore un Empire puissant ainsi que l'attestent les documents portugais du XVe siècle 71. Jusque là, le Mali était un Empire continental. La perte des provinces de l'Est amena les Empereurs à se replier vers l'Ouest. Cependant le Tekrour et le Djoloff se sont affranchis de la tutelle de Niani, mais la Gambie et la Casamance constituèrent pour le Mali une sorte de fenêtre sur l'Océan Atlantique. La suzeraineté des Empereurs de Niani jusqu'au XVIe siècle sera encore effective sur une partie de la Côte Occidentale (de la Gambie à la Guinée Portugaise). C'est par là que le Mali entre en contact avec les rois du Portugal. Des échanges de cadeaux eurent lieu entre les Empereurs et les rois du Portugal; et même sous Jean II (1481-1495), l'Empereur reçut à Niani deux ambassadeurs portugais : Pero de Evora al Gonzalo et bien avant cette date des relations s'étaient établies entre les Portugais et l'Empire ; c'est vers 1450 que les Portugais découvrent l'estuaire de la Gambie.

L'Ouest du Mali était divisé en deux grandes provinces :

  1. La Gambie ou Bati dont le Gouverneur s'appelait Bati Mansa.
  2. La Casamance ou Cassa Mansa, nom du Gouverneur de la province de Cassa 72.

A côté de ces grandes provinces, subsistaient de petits groupements de peuples côtiers : les Balantes, les Féloups, le Farin, le Farinbrasso, le Gromansa ou Kolo-mansa et plus à l'intérieur le vaste Djallon-mansa; ces groupements formaient de petits royaumes sous la suzeraineté du Mali. Les deux grandes provinces de l'Ouest (Gambie et Casamance) étaient essentiellement peuplées de Malinké descendants des guerriers de Soundjata et de Siriman (Général et cousin de Soundjata). Ces provinces constituèrent une véritable colonie de peuplement pour les Malinkés qui y imposèrent leur langue. En effet, on retrouve dans ces provinces les mêmes noms de village que dans le Vieux Manding 73.
Voici comment V. Fernandes présente le pays :

« Le roi du Mandinga (Mali) s'appelle Mandé Mansa parce que ceux de ce pays dans leur langue appellent la province de Mandinga ; Mandin et Mansa veut dire dans leur langue “Roi”, C'est ainsi qu'on appelle leur roi Mandé Mansa ».

Tout ceci est exact et montre le souci de précision de l'auteur. Citons quelques extraits où l'auteur parle des moeurs et des activités du Malinké:

« La plupart de ces gens [les Malinké] sont des archers et ce sont des hommes vaillants et adroits à la guerre. Et aussi ils font le commerce des chevaux comme les autres tant pour l'honneur que pour la guerre. Ils ont aussi comme coutume générale, que lorsqu'un Mandinga (Malinké) sort de sa maison, il ne doit sortir qu'avec un carquois de flèches en bandoulière et l'arc à la main, même s'il va s'asseoir à la porte ou va dans la rue » (p. 49).

On trouve dans ces lignes la double vocation des Malinké : la guerre et le commerce. Ils constituaient une véritable aristocratie dans les pays conquis, une noblesse guerrière qui toutefois ne méprisait pas le commerce. Pour se rendre compte de l'activité commerciale des Malinké au Moyen Age, il faut encore citer V. Fernandes : « Ils [les Malinké] trafiquent de leurs marchandises très loin vers l'intérieur et plus loin qu'aucun autre peuple de cette région et ils vont même jusqu'au château de Mina par l'intérieur » 74.

Valentin Fernandes donne des renseignements intéressants sur les coutumes malinké, sur les honneurs rendus aux souverains, détails très intéressants qu'on eût aimé trouver sous la plume des auteurs arabes qui ont séjourné au coeur même de Mali au XIVe siècle.

Grâce à ces auteurs portugais, surtout Valentin Fernandes et Duarte Pacheco Pereira, on peut se faire une idée du système d'exploitation de ces provinces occidentales, des activités des hommes à la fin du Moyen Age. On peut même apercevoir le système des échanges entre les diverses régions dont l'économie se complète.

  1. A l'embouchure de la Gambie, la province de Bati est avant tout une province agricole. L'élevage également prospérait beaucoup. Contrairement aux provinces orientales peuplées de serfs, ici la population en majorité composée de Malinké est une population d'hommes libres.
    Il semble que vers la fin du XVe siècle cette province produisait surtout beaucoup de riz. V. Fernandes dit qu'une partie du riz était exportée vers l'intérieur sans doute vers le Vieux Manding. On y cultivait également beaucoup de mil. Notre auteur donne une longue liste des productions de la province. Le coton tient une place importante. Ce coton, comme dit l'auteur, est envoyé en Casamance où l'on trouve un peuple de tisserands. Les tissus sont ensuite exportés sur la Côte et vers l'intérieur. Prolongeant le Bati, le Kantor (Haute Gambie) était davantage tournée vers l'élevage : « il y a de grands élevages de vaches et aussi des ânes 75, et des moutons sans laine et beaucoup de ces derniers ». L'auteur nous donne même le régime alimentaire des populations mandingues du Bati et du Kantor. On y mangeait surtout du riz, du lait, du mil et des ignames cuits et rôtis: « (ils) mangent de l'herbe de coco (le taro) et des haricots » 76. Donnant plus de précisions, l'auteur ajoute des pauvres qui ne possèdent pas d'ignames et de riz, mangent des norças sauvages cuits et assaisonnés comme le pois chiche d'ici mais toujours amer » (p. 49).
    On trouvera dans cette source inestimable une foule de renseignements sur la faune et la flore des provinces occidentales du Mali. On pourrait sans-doute dresser un tableau d'ensemble de l'économie de l'Empire si nous possédions autant de renseignements sur les autres provinces. Les auteurs portugais s'intéressaient plus que les Arabes à la vie des petites gens, aux moeurs et aux coutumes.
    Nous apprenons par Valentin Fernandes que les provinces de Bati et de Kantor étaient également très riches en miel et en cire. Depuis ce temps, la récolte a conservé les mêmes méthodes et il est intéressant de le noter : « dans ce pays il y a beaucoup de cire, de miel et des ruches très nombreuses dans les arbres et ces ruches sont faites de paille et d'argile » (p. 55).
    Cependant le Kantor et le Bati manquaient de fer. Ce minerai venait de l'intérieur par pirogue sur la Gambie. « Ils n'ont pas de fer sauf que les marchands qui viennent du haut de la rivière de Gambie, apportent du fer et par ces marchands s'approvisionnent la plus grande partie du Gyloffa (royaume Ouolof) et ce fer arrive de l'intérieur de Sierra Lyoa transporté sur cette rivière ».
    Il y avait donc ainsi un échange continuel de produits entre les provinces de l'Ouest et l'intérieur. Les Dioulas (ou commerçants malinké) étaient les gros bénéficiaires de cet échange. Riche en produits agricoles, le Bati les échangeait contre l'or et le fer qui venait de l'intérieur.
    Grâce aux sources portugaises, on peut ainsi se faire une idée sur les liaisons économiques des provinces du Mali. On se rend également compte que les pays de la côte ne vivaient pas isolés comme on l'a cru longtemps.
  2. Au Sud de la Gambie, la province de « Casamance » était peuplée de Malinké, mais « dans ce royaume, dit V. Fernandes il y a un mélange de toutes les races comme les Mandings, Floups, Balangas ». Ici les habitants sont en majorité tisserands. « Les habitants de ce pays sont communément tous tisserands et font des pagnes de très nombreuses façons et couleurs. Et là les cultivateurs viennent échanger leur coton pour des tissus » (p. 59). Cependant l'agriculture y est aussi prospère; on cultive beaucoup de riz, on retrouve les mêmes cultures que dans le Bati 77.

Ainsi le Bati et la Casamance se complétaient du point de vue artisanal; la première province produit du coton qui est tissé en Casamance; les deux provinces riches en produits agricoles exportaient l'excédent vers l'intérieur.
Les Portugais nous signalent à la fin du XVe siècle un intense cabotage sur les côtes, mais l'économie est nettement tournée vers le continent. Les Villes commerçantes sont à l'intérieur. Les Portugais remontaient la Gambie et la Casamance, loin à l'intérieur pour faire du commerce.
La Gambie est remontée par la marée jusqu'à 400 km à l'intérieur des terres (d'après l'Africa Pilot p. 224); là dans le Kantor se trouvent quatre grandes villes citées par Duarte Pacheco Pereira et qui n'ont pu être identifiées (voir « Esmeraldo de Situ Orbis » p. 66-67-68: la première ville Sutucoo 4.000 habitants ; Jalancoo Dobanco. Jamnan Sura.
J'identifierai Jalancoo avec Djalakoro, aujourd'hui petite bourgade au confluent du Niériko et de la Gambie ; pour les trois autres l'identification est difficile, toutefois il faut reconnaître que ces noms ont des résonances bien malinké et j'ai tendance à lire Doubako plutôt que Dobanco, Sotoukoro au lieu de Sutucoo, Djamana Soura au lieu de Jamnan Sura.
Tous les noms de lieux et de peuples cités par Duarte Pacheco et Valentin Fernandes ne sont pas encore identifiés avec certitude. Ainsi, Beetuu, Habambarana et Bahaa que cite Duarte Pacheco comme points de départ des commerçants du Mali vers le Sud au pays des Tom (les Ashanti du Golfe de Guinée). J'ai tendance à identifier Beetuu des Portugais avec Bitou, autre appellation de la ville de Oualata, grande ville commerçante à la lisière du désert, centre actif du commerce de l'or dont les Portugais ont pu entendre parler. M. Mauny suggère que Habambarana peut désigner le pays des Bambaras; en effet en malinké, Bambarana veut dire chez les Bambara. Quant à Bahaa, je l'identifie avec Baghana, un des noms du territoire de Ghana 78. Oualata (Bitou) Bambarana (Djéné, grande ville commerçante) Baghana étaient tous des centres actifs du commerce de l'or. On peut tenir pour certain que les Portugais qui cherchaient de l'or ont entendu parler de ces centres commerciaux de l'intérieur.
De ces nombreux renseignements des Portugais sur l'Ouest Africain, on peut dire que l'Empire du Mali au début du XVIe siècle était encore un Empire puissant. Si les Mansa ont perdu les provinces de l'Est, leur autorité est encore effective dans le reste de l'Empire, surtout dans l'Occident où les Malinké avaient pratiqué une véritable politique de colonisation rurale, selon les auteurs portugais; de la Gambie au Rio Grande, le Mali avait là une large ouverture sur l'Atlantique; les tributs, disent ces auteurs, étaient régulièrement versés. Ici le Mali a laissé à chaque groupement ethnique son autonomie se contentant de lever seulement un tribut: les minorités de Gogolis (Landouman), les Beafars ou Bedjola (célèbres riziculteurs), conservaient une entière autonomie.
A l'ouest le Mali semble n'avoir pas asservi les populations. On peut comprendre maintenant que ces populations n'aient pas rejeté l'autorité de Niani, autorité qui ne semble pas avoir été tyrannique.
Cependant on peut s'étonner qu'un si vaste Empire ouvert sur l'Atlantique ne se soit point intéressé aux choses de la Mer. C'est que l'économie du pays était entièrement tournée vers l'intérieur; on demandait peu à la mer, mais les voies d'eau (Gambie et Casamance) furent largement utilisées, un cabotage côtier reliait les deux embouchures. Somme toute, le Mali regarda peu vers le grand Océan 78.

Notes
1. Ainsi pour la Haute- Guinée :

2. Au cours de mes enquêtes je me suis aperçu que neuf fois sur dix on obtenait des listes fausses si on demande aux traditionnalistes de dire les noms des princes lentement pour vous permettre d'écrire ; il perd le fil, sa méthode étant brisée.
3. L'histoire et l'Art oratoire ne font qu'un au Manding ; les « historiens » de Keyla sont avant tout de « grands parleurs » comme on dit ; il ressort de mon contact avec eux qu'il y a une « langue historique », qui a son vocabulaire propre qu'un non initié a du mal à comprendre.
4. Après le retour au paganisme consécutif à la chute de l'Empire (1670), Camambolon, devint une case à fétiches. Ce fut seulement vers 1840 qu'El Hadj Omar revenant de la Mecque rendit la case à l'Islam.
5. La présente étude s'appuie sur les traditions historiques du Dioma et du Hamana et malheureusement en partie seulement sur celles du Vieux Manding (Keyla) dans la mesure où on a pu obtenir quelques renseignements des griots ici trop fermés.
6. La géographie politique du vieux Manding n'est pas facile à rétablir ; la tradition parle de noms de provinces aujourd'hui inusités. Ainsi on parle d'une province du nom de Do où régnaient les Kondé, alliés des Keita, il me semble que cette province aux Rois célèbres était plus au nord sur le Niger, Ségou a pu être la capitale de cette province (il faut remarquer que Kondé et Diarra sont des noms synonymes, le premier étant davantage employé par les malinkés, le second par les Bambara, on trouve des Diarra surtout à Ségou). Selon la tradition les Keita de la famille impériale ont toujours pris femme chez les Kondé du pays de Do.
7. L'Apogée de l'Empire de Ghana se situe au IXe siècle et au Xe, siècle. La domination des Keita sur le Manding doit probablement se situer vers cette date ou au plus tôt au VIIIe siècle, on compte huit générations avant le 1er pèlerinage à la Mecque effectué par un Souverain du XIe connu sous le nom de Baramandana.
8. C'est El Bekri qui nous parle de cette conversion en donnant même des précisions sur les mobiles qui amenaient le Roi à briser les fétiches : une sécheresse désolait de Manding ; le Roi conseillé par un Arabe qui vivait à sa cour (c'était même dit El Bekri, un parent du Chef Almoravide Yayia), se convertit à l'Islam ; ses prières furent exaucées et la pluie tomba. C'est approximativement qu'on place la conversion entre 1050 et 1070 au début de l'expansion des Almoravides.
9. Il est assez fréquent encore en Haute-Guinée de voir des villages s'opposer pour question de descendance légitime ; à ces occasions les Belen-Tigi tiennent conférences en présence des Anciens et tranchent le différend en disant les droits respectifs des descendants et en mettant chacun à sa place ...
10. L'Afrique Noire pour parler en général, n'a connu qu'une formule politique, la monarchie, qu'elle soit tempérée par un conseil ou qu'elle soit absolue. Au Manding en particulier, la monarchie tempérée fut la forme de gouvernement par excellence et le pouvoir a toujours été le partage des seuls descendants mâles. Chez certains peuples de la forêt (Côte d'Ivoire), on peut encore constater la transmission de l'héritage en ligne féminine (d'oncle à neveu), mais cela n'a jamais été pour le Manding selon la tradition.
11. Dans la liste des deux frères de Soudjata dressée par Delafosse, on retrouve des noms de la liste ci-dessus; « Koninyogo Simbon» (dans ma liste Kaninyo Simbon) «Maritanyagele» (Simbon Bamarin ou Bamaritagnaki de ma liste). Delafosse n'a pas indiqué sa source, je présume que l'auteur a dû recueillir une tradition populaire du Vieux Manding même où on parle des deux frères des Soundjata.
12. Ibn Khaldoun au Caire a pu également se renseigner auprès des gens qui ont approché de près l'Empereur Kankou Moussa lors de son pèlerinage en 1325.
13. Maghan était le titre des Rois de Ghana, Kaya Maghan veut dire « Roi de l'Or » cf. Tarikh el Fettach. Traduction O. Houdas et M. Delafosse, Leroux Paris, 1913, page 75.
Les Souverains de Mali l'adoptèrent comme nom.
14. Poésie que j'ai recueilli avec Gbésiran Moudou Kouyaté du village de Djélibakoro (Siguiri).
15. En général dans le Hamana et le Dioma, les princes ont les mêmes noms, il n'y a de différence que pour les surnoms.
16. Pour les XIIIe et XIVe siècles, les dates sont fournies par Ibn Khaldoun et le Tarikh el Fettach. Delafosse les a établies d'une manière presque définitive.
17. Pour le Hamana (Kouroussa), Guinée, le traditionaliste est du village de Fadama et s'appelle Babou Kondé; Djélibakoro du Dioma a pour Belen-Tigi, Gbéssiran-Moudou, et à Keyla (Kangaba), c'est Balla Diabaté.
18. C'est depuis lors, que les Keita de la famille impériale prirent l'habitude de prendre femme chez les Kondé.
19. On sait que les Cissé régnaient à Ghana, Soundjata serait-il allé si loin? Ce n'est point impossible puisque Méma sur le lac Faguibine est à la même hauteur à peu près; Les Tounkara du Méma étaient de même famille que les Cissé de Ghana. On peut croire qu'inquiétés par Soumaoro qui dominait Ghana, les exilés sont partis à Méma.
20. On trouve encore dans cette région de la Guinée les descendants de Dankaran Touman. Kissidougou veut dire « pays du Salut » en Malinké, Kissi voulant dire « Vie sauve ».
21. On sait que les Cissé régnaient à Koumbi-Ghana. Serait-ce le roi de Ghana qui, pour faire pièce à Soumaoro, se serait allié à Soundjata ?
22. La tradition a même conservé les paroles de provocation que Soundjata et Soumaoro échangèrent avant d'engager le combat, car la guerre alors était toujours précédée de nombreux discours et pourparlers entre les belligérants. Voici quelques répliques :

Soundjata : — Je suis de retour, Soumaoro ; rends-moi mon traditionaliste et dédommage mes alliés, promets de ne plus dévaster le Manding.
Soumaoro : — Je suis Roi du Manding par les armes, je suis l'igname sauvage des rochers, tu n'es que feu de paille, c'est moi qui règne sur le Manding.
Soundjata : — J'ai sept forgerons qui feront éclater le rocher, igname je te mangerai.
Soumaoro : — Apprends donc que je suis le champignon vénéneux des champs qui fait vomir l'affamé.
Soundjata : — Je suis un poulet affamé, le poison n'a pas d'effet sur moi, Soumaoro, il n'y a pas place pour deux Rois sur une même peau, je veux le Manding.
Soumaoro: — Insolent, tu l'auras voulu, petit étourdi, tu sauras que je suis le Roi des Rois.

Soumaoro mutila l'ambassadeur de Soundjata, c'était la guerre.
23. C'est à tort que Delafosse a placé Kirina au Nord de Bamako, le village même existe encore entre Bamako et Kangaba.
24. Il existe plusieurs versions de la disparition de Soumaoro, la plus répandue est celle qui dit que Soumaoro a disparu dans une grotte du Mont Koulikoro (Soudan).
25. La légende dit que c'est après le meurtre du Serpent, génie protecteur de la ville, que la sécheresse désola le pays, la population s'enfuit et abandonna la ville. Ibn Khaldoun ne parle point de destruction de la ville par Soundjata, il dit seulement « la population de Mali prit un tel accroissement qu'elle se rendit maîtresse de toute cette région et subjugua les contrées voisines. Ayant vaincu les Sossos elle occupa tous les États qui formaient cet ancien royaume et étendit sa domination sur le royaume du Ghana jusqu'à l'Océan Atlantique du côté de l'Occident.
26. A Gao on a conservé les belles constructions funéraires des souverains de la dynastie des Askias.
27. Le mot « Soussou » est une déformation française, les intéressés eux-mêmes s'appellent «Sosoe» (pluriel de Soso). Une tradition du Rio Pongo (Basse-Guinée) recueillie par Saint-Père dans le « Bulletin d'Etudes Scientifiques et Historiques de l'AOF » raconte l'Odyssée d'une tribu venant de l'Est. D'ailleurs on retrouve souvent les mêmes noms de famille chez les Soussou et chez les peuples nigériens - Kanté (tribu de Soumaoro), Camara (Malinké et Djallonké), Sylla (Sarakholé), Souma équivalent de Kéita, etc. Une autre tradition recueillie par M. P. Humblot (Notes africaines no. 2, 1951) prétend que les Souma seraient une fraction des Kéita du Kissi qui se sont enfuis vers le Sud lors des guerres contre Soumaoro.
28. Voir Ibn Khaldoun, Histoire des Berbères, Tome II, pages 108-109. Traduction Slane, 1852-1856. Alger.
29. M. Delafosse. Haut- Sénégal Niger, Chap. Mali.
30. Tarikh el Fettach, page 65, sur l'activité commerciale des Mandingues.
31. Très souvent Delafosse avance des dates et des faits sans citer ses sources ce qui est vraiment regrettable. On aurait aimé savoir ou cet éminent africaniste a puisé certains renseignements.
32. On pourrait identifier ce personnage avec celui que le Tarikh el Fettach appelle Silman Bana, l'officier qui dirigeait l'avant-garde du cortège impérial (p. 58-59).
33. Cf. le Tarikh et Fettach p. 57.
34. C'est le rite malékite qu'adoptèrent presque tous les rois africains du Moyen Age.
35. Presque aucune construction d'époque ne nous est parvenue. Les nombreuses guerres dont le Soudan fut le théâtre à partir du XVIe siècle sont en partie cause de l'abâtardissement du style « Mansa Moussa ». Néanmoins la mosquée de Diéné et quelques constructions civiles de Mopti notamment, donnent une idée de cette architecture d'origine orientale.
36. Al Omari, Masalik el Absar fi Mameluk el Amsar, Traduction Gaudefroy-Demanbynes. Paris 1927 p. 64 : ce détail montre que cet auteur est bien informé.
37. Al Omari, page 81.
38. Un dicton dit qu'il est dangereux de faire la guerre aux peuples de la forêt car on se verrait priver de colas et d'huile de palme.
39. Dans l'empire même entre le Bani et le Niger et sur la rive gauche de ce dernier fleuve les Bambara semblent avoir formé un îlot réfractaire à l'Islam.
40. Se rappeler les Fatimides d'Egypte, les nombreux dynasties du Maghreb.
41. La tradition historique parle de ces descendants d'Arabes. Je suis persuadé qu'une enquête nous permettrait de connaître l'arbre généalogique de certains Chérifs du Manding ; je soupçonne que des manuscrits ne nous soient inconnus. Le Tarikh el Fettach que nous avons suivi dans ce chapitre concernant les chérifs noirs, prétend que les 4 Arabes qui suivirent Mansa Moussa étaient non pas des Coreichites, mais des affranchis de cette tribu ; par contre selon l'auteur tombouctain, c'est Askia Mohamed (1493-1529) qui vint au Soudan avec d'authentiques Coreichites. Cette affirmation de l'auteur n'a rien d'étonnant puisque le Fettach fut écrit précisément sous le règne de Askia Mohamed.
42. Soumises à l'autorité du Roi des Noirs elles (ces tribus berbères ou maures) lui paient l'impôt et fournissent des contingents à ses armées. (Ibn Khaldoun, « Histoire des Berbères »). Le voyageur Ibn Batouta trouva à la Cour de Mali un contingent de Maures Messoufites.
43. Voir chapitre sur les échanges dans l'Empire de Mali.
44. Aujourd'hui les Keita de Niani et du Vieux Dioma sont désignés sous le nom de Nya Maghan Sy, ce qui indique leur appartenance à un même ancêtre (Nya Maghan, petit fils de Soundjata, d'après notre tableau).
45. Aujourd'hui encore les Peulhs Wassoulounké occupent la rive droite du Sankarani ; à en croire la tradition ils se seraient fortement installés dans la région de Niani, ils y auraient fondé 105 villages dont :

Or, précisément ces villages relient le Dioma à la région de Niani ; ainsi les fils de Borikoro unifièrent leurs conquêtes. La nouvelle province de Niani prit le nom de Dioma Wagna (Dioma le rugueux) parce que, dit-on, la lutte y fut âpre contre les Peulhs. La première conquête prit le nom de Dioma Nounkou (Dioma le lisse) ; la conquête y fut moins difficile. (Voir « Notes Africaines », juillet 1958, l'article de M. Montrat.)
46. A Keyla, au cours de mon voyage d'études, il m'a été donné d'assister à une représentation théâtrale qu'on appelle Koteba. On m'a dit que le Koteba est très ancien et que du temps des Mansa, c'était le divertissement favori de ceux-ci. Comme j'ai pu le constater il s'agit de saynètes qui s'inspirent de la vie de tous les jours, la plupart du temps les acteurs improvisent sur les thèmes du chasseur ridicule, du polygame aux prises avec ses femmes etc. . . .
On ne peut donc retrouver d'originaux du temps des Mansa sauf peut-être les chants, dont l'un parle de Nana Kankou, la mère de Mansa Moussa.
47. Pour ce qui-est des tambours jusqu'à nos jours le tambour royal est fondamental dans les attributs royaux ; le tambour se dit tubul en arabe et en malinké tabulé. Je pense que le mot malinké dérive de l'arabe. Un dicton malinké dit que le Pouvoir se trouve-là où il y a le tambour « royal ».
48. Tous les royaumes vassaux envoyaient des otages à la cour. Ces fils de rois grandissaient à la cour et devenaient de bons serviteurs des Empereurs. (cf. Tarikh es Soudan, les princes de Gao grandirent à la cour de Mali).
49. Le Tarikh el Fettach cite souvent l'auteur Aboul Abbas Ahmed Baba, auteur du « Kifayat el Mohtadj », il cite aussi Baba Gouro ben El Hadj Mohamed ben El Hadj El Amin Ganou, auteur du Dorer el hisan fi Akhbar Baid molouk es Soudan (Les belles perles de l'histoire d'une partie des Rois du Soudan). En outre, El Fettach donne une longue liste des savants de Djéné, le Tarikh es Soudan en fait autant pour Tombouctou, il serait étonnant que de tous ces lettrés rien ne soit resté.
50. Ces provinces furent enlevées au Mali par Ali le Grand Roi de Gao (1465-1492).
51. Le mot Farin est malinké. Farba, Farma, qui désignent aussi des hauts fonctionnaires sont dérivés du malinké. Fama veut dire Chef ; Farin se dit des Chefs militaires. « Kè Farin » se dit d'un brave, un homme de poigne. Depuis la décadence de l'Empire le mot Mansa (Empereur) est tombé en désuétude au profit du Mot Fama (Gouverneur, Chef). Samory au siècle dernier portait le titre de Fama.
52. Voici la liste des 12 tribus que cite le Tarikh el Fettach (p. 20-22) :

  1. Les Tyindiketa, expression malinké signifiant « coupeur de chaume » ; l'auteur du Tarikh qui était Songhay a mal transcrit l'expression malinké — je propose qu'on lise Binkala ou à la rigueur Tihola et non Tyindiketa.
  2. Les Diam Ouali (Le mot Diam en songhay veut dire artisan : forgeron, Ouali est le nom de l'ancêtre de la tribu).
  3. Les Diam Téné. Caste d'artisans.
  4. Les Komé.
  5. Les Sorobanna: Pour la construction de minarets, de maisons, c'est la caste des maçons, on les trouve encore dans la région de Mopti, Djéné.
  6. Elle fait partie selon le Tarikh de la tribu païenne des Bambara.
  7. Tire son origine de N'Garatibi (mot de lecture douteuse dans le manuscrit).
  8. La 8e tire son origine de Kassanbara, ville située au Nord-Ouest de Goumbou (Soudan).
  9. La 9e tire son origine de Samatséko, caste d'artisans en songhay.
  10. Les Sorko (ou pêcheurs en songhay).
  11. La 11e les Kourounkoi (Garanké en malinké); ce sont les cordonniers.
  12. Les Arbi ou Galibi « hommes noirs » en songhay. S'agirait-il des premiers occupants du pays nigérien ?

53. Il est intéressant de noter la méthode de travail de ces serfs :

« On réunissait les gens par groupe de cent personnes, hommes et femmes ensemble et le Chi (Roi) faisait mesurer à chaque groupe deux cent coudées sur le sol ; les gens se rassemblaient alors au son du tam-tam et des flûtes et labouraient la terre pour lui en poussant des cris à la façon des laboureurs tandis qu'on frappait sur les tambours ; lorsqu'arrivait le moment de la moisson le produit de ces champs était partagé par le Chi entre les soldats et, si la récolte était nulle, il frappait les gens d'une imposition et les en rendait responsables » (p. 108-109).

Renseignement intéressant qui nous fait savoir comment les serfs travaillaient et comment les produits étaient utilisés. En Afrique encore, les travaux des champs se font souvent au son des tam-tams et des tambours.
54. Avec l'état d'insécurité qui s'installe en Afrique à partir du XVIe siècle, les castes se morcellent et se renferment de plus en plus sur elles-mêmes. Actuellement encore bien des tribus restent fermées ; on sait que d'une manière générale, les castes artisanales sont plus ou moins méprisées selon les régions.
55. Dans l'Empire on ne connaissait pratiquement que le sel gemme, exploité dans les mines de Teggaza (Sahara) ; le transport était très coûteux (cf. Ibn Batouta, Voyages T. IV p. 38). Le sel marin était peu répandu. Idrissi parle des salines d'Oulil à l'embouchure du Sénégal. Ce sel était surtout consommé dans les provinces de l'Ouest (Tékrour, Djoloff). Le sel était ainsi un produit rare. On comprend dès lors son importance commerciale (cf. Lacour Gayet, Histoire du commerce Tome III p. 53 et Annales d'histoire économique et sociale 1948 p. 188-199 l'article de Lombard sur l'or musulman).
56. On peut penser que ce sont les tribus wangara qui ont introduit le précieux coquillage dans l'Ouest Africain (ne dit-on pas que les Wangara viennent de l'Est ?). Dès le XIe siècle Al Békri signale ce coquillage que les Arabes transportaient vers le Soudan. Le mot malinké pour désigner cauri comme le français dérive du sanscrit : Kapardika qui devient avec les Maharattes Kavari d'où vient l'anglais cowri, le français cauri et probablement le malinké coron (cf. Lacour Gayet, Histoire du Commerce, Tome III, p. 108, Spid-Paris 1923).
57. Aujourd'hui la marche des Malinké vers le Sud continue. En Guinée, Kissidougou, Macenta, Guékédougou, Beyla sont peuplés en majorité de marchands malinkés. En Côte d'Ivoire l'avance mandingue dépasse Korogo.
58. Pour vrai, le Ghana a eu sa « pierre d'or » ainsi que le Mali ; il semble bien que la « pierre d'or » du Mali ait disparu sous Mari-Djata II. La tradition parle aussi du trône d'or des Empereurs.
59. Aujourd'hui encore dans les placers du Bouré on ne commence l'exploitation d'un puits qu'après avoir payé un droit aux maîtres des lieux. Ceci me laisse croire que les Empereurs du Mali autrefois ont dû ménager les Djallonké, ce qui explique qu'ils soient restés païens en plein coeur de l'Empire. Sans doute comme l'Empereur de Ghana, les Mansa ne laissaient aux habitants que la poudre d'or, les pépites revenaient de droit au souverain. Sur ce point le Masalik (p. 58) de Al Omari et la Description de Al Békri se recoupent.
60. Annales d'Histoire Economique et Sociale 1947, l'article de Lombard sur “L'or musulman au Moyen-Age” ; Lacour Gayet (Histoire du Commerce, tome II, p. 57-58) ; Monteil, Bulletin de l'A.O.F., octobre 1928, Tome No. 4.
61. Pendant la guerre mondiale 1939-1945 en dépit de la douane et de sa surveillance vigilante, une importante contrebande s'était créée sur l'or entre la Guinée, le Soudan et les territoires anglais.
62. Voir Perroy dans Revue historique 1954, “ Encore Mahomet et Charlemagne” ; Lopez “Relations Between East and West in the Middle Age”, Cahier d'Histoire Mondiale 1954 ; Gautier, “L'or du Soudan”, Annales d'Histoire Ec. et Soc.», 1935
63. Je n'ai pas cru devoir insister sur le système des poids et mesures dans l'Empire du Mali.
Lacour Gayet (Histoire du Commerce, Tome III, page 120) a donné le système mandingue ; les droits de douane, les transports fluviaux et les moyens de circulation sont également bien traités. J'ai trouvé inutile de les reproduire ici.
64. Vidal. Au sujet de l'emplacement de Mali, Bulletin Comité d'Etudes Historiques et Scientifiques de l'AOF 1923 p. 251-268. et Le véritable emplacement de Mali 1923 p. 606-619. Egalement, M. Delafosse. Le Ghana et le Mali et l'emplacement de leur capitale 1924 Bulletin du Comité d'études Historiques et Scientifiques de l'AOF p. 479-542.
65. M. Person, Administrateur des Colonies, dans Notes Africaines avril 1958, semble aboutir à la même conclusion : Djalibakoro n'a pas été une capitale du Mali.
66. Gaillard. Niani, Bulletin du Comité d'Etudes Historiques et Scientifiques No. 2 1923. Ibn Batouta qui a visité la capitale du Mali parle d'un cimetière musulman mais on n'a pas encore trouvé de reste de cimetière à Niani, à moins qu'il faille chercher à Mali-Tombo dont parle la tradition.
67. Duarte Pacheco Pereira, navigateur portugais (fin XVe siècle), parle également de Niani dans son livre Esmeraldo de Situ Orbis.
68. Opinion déjà émise par Gaillard dans sa note sur les capitales de Mali (Bulletin du Comité d'Etudes Historiques et Scientifiques, 1923).
69. Même pour les autochtones il est difficile d'arracher certains secrets aux traditionalistes ; toutefois il ne faut pas désespérer car avec une longue habitude on arrive à vaincre la défiance des détenteurs des « secrets » du Manding. Mais il faut beaucoup de tact.
70. Cf. Tarikh el Fettach sur les conquêtes de Soni Ali, les pillages des Touaregs et les incursions mossi à la fin du XVe siècle.
71. Les auteurs français qui se sont intéressés à l'histoire du Mali n'ont pu utiliser les écrits de certains navigateurs portugais tel que Valentin Fernandes. C'est en 1951 que les oeuvres de cet auteur furent traduites en français par l'I.F.A.N. de Dakar.
72. Ce sont les tribus guerrières de Keita, Sissoko, Koroma, Camara qui ont occupé la Gambie. Ces tribus sont originaires du Vieux Manding, comme on le sait. Voici quelques noms de village qu'on retrouve aussi bien en Gambie dans le Vieux Manding : Djalakoro Niani ; le Canton de Sirimana rappelle le nom du Général de Soundjata qui conquit la province, Siriman Keita.
73. Il s'agit de l'actuel El Mina dans le Nouvel Etat du Ghana (ex-Gold Coast) Les Malinké commerçants et colporteurs sont appelés Dioulas par les peuples de la Forêt. Il faut dire que sans doute ce ne sont pas les Malinké de la Gambie qui vont jusque sur le Golfe de Guinée, il s'agit ici des Malinké du Haut-Niger qui ont toujours fait la liaison entre la Forêt et les pays de la savane et du Sahel.
74. L'élevage des ânes était très important à cette époque. Animal résistant, l'âne était plus utilisé que le cheval pour les relations entre la savane et la forêt.
75. Certaines plantes citées par V. Fernandes ne sont pas encore identifiées. Voir Notes Africaines, p. 81, l'article de M. Portères : Plantes non encore identifiées, citées par V. Fernandes (1506), Juillet 1958.
76. Grâce à ces auteurs portugais, on voit que la culture de riz si savante des peuples de la Casamance et de l'actuelle Guinée Portugaise repose sur une tradition plusieurs fois séculaire.
77. Baghana, Wagadou, Ghana désignent le même territoire, le royaume de Ghana-Koumbi.
78. Hidji Mansa Moussa affirma aux habitants du Caire que son prédécesseur au trône était mort au cours d'une exploration de l'Atlantique. Ce roi voulut savoir où finit « l'eau salée » après avoir armé de nombreux navires. Il partit, mais ne revint plus (Cf. Ibn Fadl Al Omari. Trad. Gaudefroy-Demombynes). On est étonné devant une telle assertion vu l'ignorance des Noirs dans la navigation en haute mer, l'usage de la voile était inconnue. Gaudefroy Demombynes dit que le souverain a voulu éblouir ses auditeurs par un récit fabuleux. On ne peut prétendre que l'anecdote soit vraie mais il ressort que Mansa Moussa par ce récit montre que le Mali a plus ou moins regardé vers le Grand Océan; il n'est pas exclu que les Empereurs aient tenté de connaître la mer, il a pu y avoir des tentatives de reconnaissance des côtes africaines avant les Portugais. Mais aucune installation portuaire ne donne des indices sur de telles expéditions.


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