La Lance N° 153 — 24 novembre 1999
Notre scandale géologique s'est doublé d'une série de scandales financiers. Aujourd'hui nous vivons ceux de Friguia, de l'Anaim et de la douane. Quelque 6 milliards de francs guinéens en cause. Mais aussi en cause, des cadres incarcérés. Des ministres soupçonnés à tort ou à raison. Voilà les rapports, qui eux aussi, sont mis en cause par le Ministre des Mines M. Facinet Fofana.
La Lance : M. le ministre, votre ministère fait l'objet de beaucoup de bruits. On parle de détournement Et vous mêmes, vous avez été incriminé dans certains journaux et dans le rapport de M. Hervé Vincent Bangoura. Est-ce que vous pouvez nous situer?
M. Facinet Fofana : Ce n'est pas un plaisir pour un chef de département de voir son département au centre de scandales de ce type. Nous estimons qu'il était de notre devoir de rétablir la vérité dans les circonstances qui étaient les nôtres. Nous avons découvert des malversations au sein du département. Nous avons essayé de les mettre en évidence, en engageant des audits. Ces audits ont donné des résultats. Nous avons porté ces résultats devant la justice. Comme la pratique le veut chez nous. C'est le travail que nous essayons de faire. Bien entendu dans ce cadre-ci, les gens qui sont impliqués voudraient faire croire à l'opinion qu'ils ne sont pas les seuls. Le rapport Hervé dont j'avais entendu parler pendant longtemps, circule maintenant librement en ville. Mon propos aujourd'hui c'est justement de faire en sorte que le débat reste devant les tribunaux. La voie de la justice c'est la bonne voie. Les prétentions qui figurent dans le rapport Hervé sont sur une fausse base. L'opinion ne doit pas du tout être trompée par cela. Nous pensons que c'est une tentative délibérée, une fuite organisée. Pour faire en sorte qu'on n'aille pas au fond des problèmes qui sont engagés. Vous parlez du dossier Friguia qui est le plus brûlant. L'ensemble des encours, des montants concernés, avoisine les 6 milliards de francs guinéens. Qui s'articulent comme suit:
Pour la société, c'est une saignée financière importante. Le seul bruit qui se fait actuellement tourne autour du dossier du faux redressement fiscal, le dossier des 1,063 milliards FGNqui est, certes très important, mais, il est le moins important des quatre dossiers. L'objectif des protagonistes, c'est d'arriver à incriminer des ministres dans ce premier dossier, pour que tout s'arrête-là. Ils pourront alors librement jouir du reste de leur argent. Je vous démontrerai toute la cabale qui a été mise en marche pour arriver à cet objectif.
Quelle est cette cabale ?
D'abord je voudrais vous indiquer le contexte dans lequel nous avons engagé ces audits.
Au mois de mai 1998 M. Monod, le banquier suisse de Friguia, vient me signaler des détournements, des surfacturations de carburants. Il a évalué à l'époque le montant à 3 millions de dollars.
Au mois de juin 1998, deux de mes conseillers, M. Namory Condé et M. Ibrahima Soumah m'indiquent qu'ils constatent qu'il y a trop de paiements qui vont de Friguia vers les impôts. C'est la deuxième alerte.
La troisième alerte se passe au mois d'octobre 1998. Le ministre des finances, M. Kassory Fofana, dans un avion entre Bruxelles et Conakry attire mon attention sur Bocar Ly:
— « Je pense qu'il est dans l'argent facile. J'ai été témoin de dépenses folles qu'il a engagées sur les Champs-Elysées, au Fouquet's. Et on me signale qu'à Conakry avant de partir pour les Etats-Unis, il a confié une flotte de camions à des gens... Il faut vérifier ».
— Je lui ai dit qu'“on est sur les vérifications. Les résultats vont sortir bientôt”.
Les résultats, c'est le premier audit sur les 1,063 milliards. Qui met en évidence la première cabale. Elle consiste au détournement de l'argent faussement réclamé à Friguia. Et qui avait été épongé par l'Etat. Quand ce dossier est mis en évidence, c'est Dicko, Directeur des impôts de l'époque, qui vient avec mon ancien secrétaire général, Daouda Kourouma "Window", pour m'expliquer comment il a fait le montage. Je lui ai dit de rembourser. “Comme ça, moi, je pourrai dire au Président qu'il y a un plan de remboursement et on pourrait gérer la suite. Vous êtes de jeunes cadres, il ne faut pas que votre carrière soit détruite”. Il revient deux jours après, le même Dicko, cette fois-ci encore devant témoin, M. Naby Touré, un cadre des impôts. Pour me demander de “me sacrifier pour le sauver”.
— « Je peux vous offrir ma villa de Sangoyah ».
Je lui ai dit de la revendre et payer l'argent.
— « Si cette villa vaut 300 millions déjà, cela peut nous faire avancer dans cette affaire. »
Parallèlement, les avocats que j'ai mandatés sur le dossier, avaient engagé la même négociation avec Ly pour qu'il mette un plan de payement en place. Nous ne doutions pas que la suite allait nous révéler d'autres détournements. Ly coupe les ponts. D'abord, il n'est plus à Friguia. Pour dire que tout est justifié, tout est en règle. J'ai dit à son ami Marc.
— « Attention! Dis à ton copain, il ne faut pas qu'il dérape. On a vu les chèques. Les quittances qu'il y a dans le dossier de Fruigia sont fausses. Il ne faut pas qu'il se retranche derrière cela pour s'imaginer que tout est prouvé. Qu'il n'a rien à prouver ».
On a vu les chèques qui démontrent absolument que l'argent n'est pas allé aux impôts. Quand je me suis décidé d'aller vers les tribunaux, des amis m'ont demandé de leur donner une dernière chance. J'ai convoqué Dicko. Devant témoin. Je lui ai dit:
— « Aide-moi à t'aider. Donne-moi un plan de remboursement. Commence à payer. J'irai voir le chef de l'Etat. Pour lui dire "M. le président, le dossier est sous contrôle. On peut passer à la suite".
Je lui ai dit d'aller voir mon secrétaire général Daouda Kourouma Window pour qu'il fasse cela. Il monte chez Window. On ne le revoit plus. Trois jours après, j'apprends qu'ils ont commencé à faire intervenir des marabouts. Le premier chantage c'était au PUP.
— « C'est le PUP qui m'a demandé de faire cela ».
Moi, j'ai vérifié au PUP. Il n'y a rien du tout. Ni au niveau du Secrétaire Général, ni au niveau du trésorier. L'idée consistait à nous empêcher d'aller de l'avant dans la gestion du dossier. A la dernière minute, quand j'ai décidé d'aller, je suis allé voir le Ministre des Finances.
— « Ecoute! Ça c'est du pus. Il faut qu'on perce l'abcès. Sinon, ces petits, Dieu seul sait ce qu'ils préparent par ailleurs. »
On a décidé ensemble de faire avancer le dossier à la justice. Les gens ont commencé à payer. On a eu 463 millions rapidement, payés par GETMA. C'était la part de Bocar Ly dans ce premier dossier. Les gens des impôts ont payé 200 millions sur les 600 millions qu'ils devaient rembourser. On s'attendait à ce qu'ils payent les 400 autres millions. Je sais qu'ils avaient déjà rassemblé cette somme pour compléter le payement de la première tranche. Mais, quelqu'un quelque part leur a dit :
— « Ecoutez! On peut vous aider... Pourquoi voulez-vous payer l'argent. Vous êtes bêtes! »
Tout est parti de là. On a essayé de faire déraper le processus. J'ai vu le rapport Hervé depuis plusieurs mois. Je ne voulais pas en parler parce que c'est un document censé être secret. Je considère que la fuite organisée qu'il y a eue autour de ce rapport est une trahison envers le chef de l'Etat. C'est un document confidentiel envoyé au Président. La fuite n'a été organisée que pour embarrasser le Président. C 'est l'objectif initial de ce rapport. Parce que dès sa publication, il y avait des copies à côté. Alors qu'il était censé être un rapport à copie unique. Moi, je regrette. On a connu une certaine période dans notre pays, période où on faisait des rapports sur les gens pour les envoyer au Camp Boiro. L'opinion n'a encore vu que la première version de ce rapport. Quand vous verrez la deuxième version, vous saurez à quoi nous sommes confrontés.
Monsieur le ministre, aussi bien dans ce rapport de M. Hervé Vincent Bangoura que dans le rapport de la Commission parlementaire des Mines et Géologie, vous êtes accusé personnellement d'avoir détourné de l'argent. Pour preuve vous seriez en train de construire dans certains quartiers de Conakry.
Le rapport de la commission parlementaire ne dit pas cela. Je l'ai encore relu ce matin. Il cite le rapport de Hervé. C'est celui-ci qui m'attaque personnellement. En disant que je suis en train de construire dans certains quartiers de Conakry. Comme si je n'en ai pas le droit. Quelque part, on m'a reproché d'avoir des maisons à l'extérieur. Si je ne peux avoir une maison, ni à l'extérieur, ni à l'intérieur, comment je vais vivre, moi ? Si vous lisez ce rapport, vous verrez que Facinet c'est un vaurien. C'est Bocar Ly qui a tout fait pour lui.
Ce n'est pas sérieux. C'est un tissu de mensonges. Quel est l'argument central en ce qui me concerne dans ce rapport? On dit: « Bocar a donné un chèque de 130 millions à l'électricien du ministre ». C'est vrai. L'électricien est-là. Vous pouvez l'interroger. C'est Sékou Sylla, il travaille pour moi. Il était sur mon chantier, même ce matin. Il a reçu un chèque de 130 millions de Bocar pour autre chose. Qui n'a rien à voir avec moi. Mais, puisqu'on dit d'une part, c'est l'électricien du ministre, d'autre part, il a reçu 130 millions de Bocar Ly, donc il les a reçus pour le chantier du ministre. Il faut lui demander pourquoi Bocar Ly lui a donné l'argent. Parce que Sylla va plus loin dans le rapport de Hervé. C'est pour cela que les gens doivent le lire. Il dit dans le rapport à qui il a donné l'argent. A des fonctionnaires des impôts ! Qu'est-ce qu'ils font sur mon chantier, les deux fonctionnaires nommément mentionnés dans le rapport ? Comment peuvent-ils partir de telles affirmations? Le rapport dit que 65 millions, c'est pour un certain Ibrahima Diogo Diallo de la Direction des impôts, 10 millions pour un autre des impôts et il y a 30 millions pour un certains Lazarre que je n'ai jamais vu de ma vie. C'est l'amalgame stalinienne. Qui consiste à superposer des informations pour en faire la vérité. C'est en cela que je considère que ce rapport est une trahison. C'est très grave pour l'Etat. Il y a pire. La base technique du rapport est fausse. Ce rapport cherche à justifier les 1,063 milliards détournés à Friguia. Qui se décomposent en 600 millions qui sont partis aux impôts et 463 millions qui seraient partis chez moi apparemment. Ce rapport ne justifie que 130 millions qui font partie du deuxième dossier de redressement fiscal. Qu'il faudra justifier. Il n'arrive pas à justifier la destination des 463 millions. Or, tout le monde sait que les 463 millions n'ont pas été payés à Sylla, mais à GETMA pour le compte de Bocar Ly. Pourquoi ce rapport n'en parle-t-il pas ?
Les 130 millions qui ont été payés à Sylla, c'est dans le deuxième dossier de Friguia. Je sais exactement pourquoi il n'en parle pas. Parce qu'ils sont au coeur de la méthode Ly. Le directeur général précédent de Friguia, M. Morales, occupait une villa à Ratoma, équipée par Friguia. Quand il est parti, Bocar vient me voir.
— « M. le ministre, le directeur général est parti. Il y a sa voiture, son groupe électrogène, son antenne parabolique, vous êtes le Président du conseil, vous pouvez les prendre". J'ai dit :
— « Non, Friguia aura toujours un autre directeur général. Tu les gardes. Quand il y aura un autre directeur général, il va en hériter .»
Cela n' a pas raté. M. Jacob est arrivé. C'est la voiture dans laquelle il roule aujourd'hui. Il y avait un piège derrière. Si j'avais partagé ces véhicules avec Ly, on aurait dit “Il a partagé avec le ministre”. Le piège, c'est que M. Ly avait pris la voiture de Mme Morales qu'il a remise à sa femme. Il a également pris la deuxième antenne parabolique. Il a embarqué le reste du mobilier pour Morales en France.
Mon problème avec le rapport Hervé, c'est au niveau de la vérification. Comment un rapport destiné au Chef de l'Etat peut-il échapper à la vérification? Comment peut-on se contenter simplement de la parole de quelqu'un pour faire un rapport pour le Chef de l'Etat ? Le deuxième rapport est manifestement orienté contre Kassory Fofana. Il est intitulé: “Un milliard 63 millions de Friguia”. Mais, on n'y parle que des dettes, de payement des finances. Qu'est-ce que cela a à voir avec Friguia? Il sort complètement de son mandat. De sorte que ceux qui pensaient pouvoir brouiller le débat en organisant la fuite de ce rapport, se desservent eux-mêmes. Ils ne peuvent rien prouver contre moi. Ils ne peuvent rien prouver contre Kassory. Ils veulent faire en sorte que le débat quitte la justice pour la rue. Il ne faut pas leur permettre cela. Nous sommes dans un Etat de droit. Quand une autorité judiciaire est saisie, il faut la laisser sereinement faire son travail. On ne peut pas lui lier les mains avec une fuite comme ça. C'est extrêmement dangereux pour notre Etat. Tout démocrate doit lutter contre cela. Je suis vraiment désolé que le président de la commission des mines, lui qui, dans le passé, a condamné les méthodes du Camp Boiro, embrasse les conclusions de ce rapport sans se poser de questions. Il a été le président de la commission d'enquête. Il aurait pu tout de suite détecter déjà les petites fautes techniques. Sans parler des méthodes et de l'amalgame qu'il y a dedans. Je le pensais au-dessus de cela. Je suis très désolé.
J'ai lu ses propos dans votre journal.
Vous avez quand même une part de responsabilité dans ce pillage financier de la société Friguia. Ne serait-ce que par le silence que vous avez observé. Vous n'avez pas laissé la situation pourrir?
Non, je ne crois pas. J'aurais pu me taire. Figurez-vous je me suis arrêté, je ne regardais que l'année 97. Ce que certains auraient souhaité c'était que je me dise :
— « Ecoute ! Tu as vu ça, tout le monde fait la même chose. Pourquoi tu en parles? ». C'est la première fois qu'une action de ce type est dénoncée dans le pays. Les ministres ne gèrent pas les sociétés. Ce sont des fautes que même les auditeurs de Friguia n'ont pas vues. On était parti notamment pour approuver les comptes au Conseil d'Administration à Bruxelles en juin 98. Et j'ai donné des instructions à mes conseillers. Ce conseil n'approuvant pas les comptes pour qu'on puisse faire un audit approfondi sur ces comptes, sur ces opérations-là. Je pense que j'ai pris toutes mes responsabilités en la matière. Je suis allé jusqu'au bout. Il y a tout un réseau financier interconnecté avec ça. Péchiney m'a signalé au mois de mai que Omar Barry, qui était le chef comptable de Friguia, n'est pas encore arrêté. Il se promène en ville. Après qu'il ait été licencié par la société, il est allé à l'agence de Courbevoie du Crédit Lyonnais pour mouvementer de fortes sommes d'argent. Appartenant à lui et à Bocar Ly. La Banque était tellement effrayée qu'elle a dû appeler Péchiney pour établir l'identité de M. Barry. Péchiney nous a alertés ici. Moi, j'ai alerté la police. A ce jour, j'ai pris un des meilleurs cabinets d'avocat à Paris pour suivre cette affaire. Nous attendons une commission d'interrogation internationale auprès du Tribunal de Paris pour pouvoir mettre notre avocat en mouvement. Certainement les sommes ont disparu maintenant. Parce que le premier transfert, c'était de la France vers la Belgique. Et si on met en place le mécanisme approprié, on peut suivre la trace de cet argent, qui se trouve en France, à Abidjan, à l'Ile Maurice. J'ai pris mes dispositions tant à l'intérieur qu'à l'extérieur. Je découvre un détournement, je saisis les autorités judiciaires. Mais l'enjeu pour ces gens-là, c'est effectivement nous empêcher de mettre la main sur cette manne d'argent. En nous embêtant et en nous divertissant avec les 463 millions qu'ils ne peuvent pas prouver. L'attention de l'opinion est concentrée sur cela. Pendant que des millions de dollars se promènent. C'est mettre la main sur ces millions de dollars qui m'intéresse, pour Friguia et pour l'Etat. Le reste, les gens peuvent dire ce qu'ils veulent. L'argent se trouve ailleurs, il faut le récupérer. On a donné à la police depuis le mois de mai le numéro de compte de Bocar Ly, à la Société Générale, Avenue Champs-Elysées. Clairement dans le deuxième dossier, vous voyez-là que 62,5 millions francs guinéens ont été mis sur Spacetel, pour être transféré de ce compte-là.
Le numéro du compte existe, tout le monde connaît. Spacetel a coopéré tout de suite pour donner l'information.
Parlons des audits. On dit que vous les commanditez pour déterminer les points faibles de l'adversaire. Et vous orientez la justice vers -là. Qu'en est-il exactement ?
Je vais vous dire la vérité. Moi, je cherche à être très équitable. Pourquoi aujourd'hui je n'ai pas encore mis le dossier de la surfacturation pétrolière devant la justice? Parce que j'ai dit aux auditeurs: “Je ne vais pas accuser les gens à tort”. La commission des mines dit dans son rapport que sur le dossier pétrolier plus de un (1) milliard sont allés sur le compte de Bocar Ly à l'étranger. Je ne suis pas sûr ! Donc, je ne peux pas encore porter ce quatrième dossier devant la justice. C'est pour dire que moi je n'oriente pas les audits. La maison qui a fait l'audit c'est Price & Waterhouse. C'est la meilleure signature de l'industrie aujourd'hui. Vous savez, ceux qui ont épinglé les Russes pour tout ce scandale de 10 milliards [de dollars], c'est pas avec moi qu'ils vont s'amuser. Quand j'ai vu leur dernier rapport sur la surfacturation pétrolière, on en parle. La commission en parle mais elle a sauté des conclusions, c'est des politiciens. Moi, je suis en train de faire un travail professionnel. Je ne peux pas me lancer de manière irresponsable contre des gens, si je ne suis pas sûr que le rapport d'audit est vraiment concluant. On ne fait pas de chasse aux sorcières.
M. Koly Kourouma estime que sur des comptes dans lesquels vous avez votre signature, l'argent a disparu.
M. Koly ne peut pas le prouver. On a fait un grand audit de l'ANAIM. On a fait un premier petit audit et la banque mondiale s'en est saisie. Pour commanditer un grand audit. C'est ouvert. Chez moi, dans ma famille, on ne vole pas. Nous sommes des serviteurs de l'Etat. Nous aimons la bonne vie, les gens sont peut être surpris de voir mes conditions de vie. Mais moi, je vis comme ça ! J'étais expatrié en Europe. Je vous indique ma maison de Dabompa a été mon premier chantier en Guinée, je l'ai commencée en 91. Je ne l'ai pas terminée encore. Je dis à mes collaborateurs:
— « Quand vous êtes en négociation avec les gens, je ne veux même pas qu'ils payent votre hôtel.»
Je mets tout le monde en condition. Le Président nous a donné les moyens de nous mettre en condition de travail, pour faire la promotion de ses services. C'est sur ces seuls comptes justement qu'il n'y a pas eu de vol. Quand je fais des opérations pour le compte de l'Etat, je ne le dis pas à M. Koly. Je n'ai pas de compte à lui rendre. C'est lui qui me rend des comptes. Il sait que c'est faux ce qu'il vous dit-là.
Vous avez négocié avec Reynolds pour reprendre Friguia. Au même moment, les gens négociaient pour récupérer Reynolds. Pourquoi ne vous êtes-vous pas orienté ailleurs ?
D'abord au moment où on négociait, Reynolds était le troisième producteur mondial d'aluminium. Souvenez-vous qu'un ou deux mois avant, on venait de conclure avec Alcoa pour la CBG. La stratégie consistait à ne pas concentrer tout entre les mêmes mains. Autant je souhaite attirer cette grande société ici, autant je souhaite qu'elle se diversifie. Que l'avenir industriel et la bauxite de la Guinée ne soient pas entre les mains d'un seul groupe. C'est pour cela d'ailleurs que vous verrez qu'au sein de la nouvelle entité qui va être créée à Friguia, Aluminium Compagny of Guinea, Reynolds sera l'opérateur. Mais, il y aura des actionnaires privés importants, qui ne sont pas forcément sous le diktat de Reynolds, qui viennent au sein de ce groupe-là. Reynolds n'aura que 20% du consortium qui va être mis en place à côté de l'Etat et d'autres acteurs privés. Figurez-vous que par rapport à l'ancien schéma Péchiney n'avait que 15% dans Friguia. Donc notre stratégie, c'est d'attirer les grands parmi les plus grands, mais ne pas laisser la Guinée entre les mains d'un seul opérateur. Nous sommes sur le dossier de la bauxite et de l'aluminium aussi. C'est un dossier sur lequel on est en train de travailler. Je n'ai invité aucun des grands là-dessus. Parce que ces grands se sont repartis le monde en cartel. Ma stratégie consiste à diversifier les partenaires de la Guinée dans cette industrie. C'est un dossier que j'ai envoyé au gouvernement la semaine dernière sur lequel on va commencer à négocier à partir du 29 novembre. Vous verrez de grandes signatures là-dessus. Mais des gens qui veulent se faire une place dans l'industrie de l'aluminium qui ne le sont pas encore. Et que j'invite à venir en Guinée.
A vous entendre, on a l'impression que vous n'avez aucune responsabilité dans ces détournements de Friguia et ANAIM. Selon vous, quelles sont les conséquences de ces détournements dans vos rapports avec le FMI et la Banque Mondiale.
Je ne fuis pas mes responsabilités. Je suis le ministre en charge du secteur. Je suis président de Friguia. Donc, je suis le premier responsable tant politique qu'administratif de Friguia. Donc, je ne peux pas fuir mes responsabilités. Le Fonds Monétaire nous a félicités. Il pense que ce qu'on a fait va dans le sens de la bonne gouvernance. Personne ne m'a demandé de faire l'audit de Friguia. Ni l'Etat, ni l'inspection ici, ni la Banque Mondiale. C'est nous qui l'avons initié. Le FMI nous en félicite. Il a demandé que le même type d'audit soit organisé dans d'autres sociétés de la place:
Le Fonds Monétaire en a félicité le chef de l'Etat. Ce qu'il demande, c'est qu'on aille jusqu'au bout de notre logique. Ce qui a été fait à Friguia, c'est crapuleux et criminel. Ceci aurait pu amener à l'arrêt total de l'usine si on ne l'avait pas arrêté à temps. De sorte que je me rends compte qu'il y a des personnes dans mon entourage qui ne voulaient pas qu'on privatise Friguia. Ils avaient la main là-dessus, ils bouffaient comme ils voulaient. L'opération de privatisation est importante pour l'Etat. Cela met des partenaires sérieux dans le rouage et qui ne vont pas permettre que ce type de dérapage se passe. Il y a toute une série de cadres dans nos structures qu'il faut éliminer. Sinon, notre pays n'ira pas de l'avant.
Quelle est la réaction du chef de l'Etat face à ces détournements ?
Il est meurtri, contrarié. Il ne pensait pas qu'on pouvait trouver ce type de personnes chez nous. Mettez-vous à sa place. Le chef du pays qui met les cadres en marche, qui veut qu'on responsabilise les cadres guinéens. Qui découvre que les cadres guinéens sont capables de ça. Et pire, les gens disent que c'est le ministre. C'est trop facile d'accuser le ministre. Supposer même qu'il mette sur mon dos les 463 millions. Comment ils expliquent les 5 milliards. Est-ce que je suis fou pour être dans une affaire de 5 milliards, et que je ne prends que 400 millions? (Rires) Il ne faut pas déconner!
Certains pensent que pour faire la lumière sur cette affaire, il faudrait que vous démissionniez de votre poste de ministre, pour permettre à la justice de vous interroger...
Ecoutez! La justice est souveraine dans notre pays. Le président de la commission des mines a demandé que je démissionne. Je crois que ce monsieur devrait me féliciter. Il ne connaît pas les contours du problème. Ou bien il est de mauvaise foi. Il fait de la politique. Il devrait se féliciter que des ministres guinéens aient pu déclencher des opérations comme celles-là. Toute l'opinion devrait s'en féliciter. Parce qu'on ne va pas arrêter. C'est un début. Kassory a déclenché la même chose aux Finances. Si vous voyez le deuxième rapport, les gens qui ont été nettoyés par Kassory au ministère des Finances, c'est ce que M. Hervé Vincent met en avant pour cracher sur le ministre. Il commence par une citation de Lénine. Notre pays doit se débarrasser de cela. On doit se féliciter que des ministres aient le courage dans ce pays de s'attaquer à ces bastions qui ont beaucoup d'argent. Je mettrai toute la force de la loi internationale derrière pour récupérer ces montants. Comme ça, personne ne le fera plus. Mais je pense que Siradiou veut régler des comptes politiques. Il a peur de nous. Il pensait que Conté n'avait personne. Coup sur coup, il découvre que Kassory arrive à s'entendre avec le Fonds Monétaire pour boucler le programme sur trois ans. Il découvre que Facinet amène tous les grands de l'industrie mondiale ici. On pensait que le Président Conté n'avait personne. On découvre qu'il a des chevaux. Il faut les arrêter avant qu'il ne soit trop tard. C'est ça son problème. Alors, il ne faut pas qu'il nous égare.
Propos recueillis par Benn Pepito
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