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Presse écrite
La Lance

N° 147 — 13 octpbre 1999


Interview de Siradiou Diallo, président de l'UPR. « Sékou Touré: une réhabilitation hâtive…»

Siradiou Diallo

“C'est la manière de baptiser le Palais qui m'a choqué beaucoup plus que le fait”, s'est écrié M. Siradiou Diallo, Président de l'UPR. Qui nous a reçu le dimanche 10 octobre au siège de son parti à Lanséboundji. Nous avons évoqué avec lui sa pérégrination à l'étranger, les communales, le congrès de l'UPR, le baptême du nouveau Palais Présidentiel, l'affaire Friguia-ANAIM, etc.

La Lance : Vous venez de rentrer d'un long séjour… de vacances.
Siradiou Diallo : C'est un voyage qui répondait à une invitation de nos militants notamment des Etats-Unis
et ceux de France, de la Belgique, d'Allemagne et d'un peu partout. Donc le président d'honneur du Parti et moi-même, nous avons commencé par la France où nous avons rencontré, à l'occasion de différentes assemblées générales et meetings, nos militants de France. Nous nous sommes rendus également à New York où vit aujourd'hui une forte communauté guinéenne. Nous sommes surpris même par l'importance du nombre de Guinéens qui vivent aujourd'hui aux Etats-Unis.
D'abord il faut savoir que cette communauté qui est là-bas, n'est peut-être numériquement pas aussi importante que celle qui est à l'intérieur pour voter, mais c'est des gens qui pendant la campagne dernière, ont apporté un soutien financier considérable. A l'occasion du passage aux Etats-Unis du Président Lansana Conté, ce sont des gens qui n'ont pas hésité à manifester presque jour et nuit dans tous les endroits où le président Conté s'est rendu. Que ce soit aux Nations Unies, à l'ambassade de Guinée à New York, que ce soit dans les hôtels ou au Fonds Monétaire International. Partout où le Président s'est rendu, cette communauté s'est manifestée et a montré son mécontentement au régime en présence.

La Lance: On ne peut pas faire de la politique, M. Diallo, sans avoir certains moyens financiers et matériels.
Siradiou Diallo : Est-ce qu'on peut envisager les partis politiques guinéens sans l'apport financier des compatriotes guinéens à l'étranger?
En ce qui concerne l'UPR, nous avons le soutien de nos amis qui sont à l'extérieur. C'est à dire nos militants, nos responsables, tous participent au financement de nos activités. C'est un parti qui repose financièrement parlant sur, non seulement, les contributions des Guinéens de l'intérieur mais aussi sur les contributions de ceux de l'extérieur. Ce sont tous des patriotes et des compatriotes qui ont les mêmes droits et les mêmes devoirs.

La Lance : La CODEM a décidé de siéger depuis la semaine dernière. Qu'est-ce qui vous a motivé à siéger après tant d'absence?
Siradiou Diallo : Vous savez chaque action politique doit être considérée. A chaque moment il faut s'arrêter pour regarder derrière pour savoir si ce qu'on a fait est bon ou non. Nous avions refusé de siéger en solidarité avec nos amis du RPG. Donc nous n'avons pratiquement pas siégé à la dernière session des lois. Mais nos partis membres de la CODEM, c'est-à-dire les cadres qui étaient là se sont concertés et moi-même j'étais en rapport avec les responsables de l'UPR, du PDGA, de l'UPG et de l'UPR. Nous avons pensé qu'il fallait siéger. Notre président de groupe parlementaire Bâ Mamadou était chargé de convaincre aussi nos amis du RPG pour que tous on reprenne nos places à l'Assemblée. Nous avons pensé que c'était mieux maintenant d'aller exprimer nos points de vue au sein de l'institution. J'espère d'ailleurs que nos amis du
RPG vont venir. Depuis mon retour, j'ai constaté que les députés du RPG ont siégé dans les commissions et ont travaillé avec nous. La commission que moi j'ai l'honneur de présider, l'un des vices présidents de la commission est un membre du RPG. Il a siégé avec nous, il a travaillé avec nous au sein de la commission. Donc je m'en réjouis.

La Lance : On a l'impression que l'opposition est beaucoup plus active à l'étranger que sur le plan national.
Siradiou Diallo : L'opposition est active partout. Pendant que nous étions absents ici, il n'y a pas eu un jour où l'UPR n'a pas envoyé des délégations quelque part à l'intérieur du pays. Si vous allez à Labé, si vous allez à Siguiri ou partout nous sommes présents et on se réunit, on a des activités, on travaille. Ce n'est pas parce que M. Bâ Mamadou et moi nous sommes allés en France ou aux Etats-Unis ou en Belgique que vous allez dire qu'on est plus actif là-bas qu'ailleurs. Nous sommes restés en France environ un mois. Pendant que nous étions là-bas notre parti travaillait normalement ici. On avait des réunions non seulement à Conakry mais aussi à l'intérieur du pays. A Télimélé on a renouvelé le bureau fédéral, il y avait un monde fou.

La Lance : Comment préparez-vous les communales?
Siradiou Diallo : Vous pensez que les communales auront lieu? Je vous pose la question! (Rire)
Quand je quittais ici, on s'était réunis. Notre parti avait préparé son canevas de travail. Nous avons décidé d'envoyer des gens partout et d'envoyer des moyens pour que nous soyons représentés partout dans les commissions administratives de recensement. Cela est fait et d'ailleurs là-aussi quand vous dites qu'on n'existe pas, allez voir dans nos différentes préfectures si l'UPR n'a pas participé à toutes les commissions administratives.

La Lance : Pourquoi ne pas vous battre pour que les communales aboutissent ?
Siradiou Diallo : Le gouvernement nous avait fait croire que les élections locales allaient avoir lieu au mois de novembre et l'élection communale au mois de décembre. Mais pour de telles choses, il y a un canevas quand même, un calendrier qui est fixé. Nous ne voyons rien. Ils nous ont promis plein de choses. C'est comme lorsqu'ils nous ont dit de prendre nos dispositions pour la révision des listes électorales. Les commissions administratives allaient travailler du 15 août au 15 septembre et j'ai vu les rapports ici. Je ne peux vous les montrer. Ce qui devait commencer le 15 août, n'a commencé parfois que le 20 août, parfois même début septembre…

La Lance : Ne pensez-vous pas qu'il revient à l'opposition de bousculer les choses?
Siradiou Diallo : Nous faisons ce que nous pouvons. C'est le gouvernement qui a fixé un calendrier. Les élections communales, les élections des chefs de districts et des chefs de quartiers auraient dû être faites depuis 1995. Le gouvernement viole lui-même toutes ses lois. Nous ne cessons de le dénoncer. Qu'est-ce que vous voulez qu'on fasse de plus? Nous ne pouvons que dénoncer ces violations des lois qui ont été exclusivement élaborées par des gens du pouvoir. Ce sont des lois qui nous régissent aujourd'hui. Que ce soit la loi fondamentale, les lois organiques qui gèrent toutes ces élections, tout cela a été fait rien que par les gens choisis par le président Conté. C'est pourquoi je vous ai posé la question, “est-ce que vous croyez que ce gouvernement va organiser les élections communautaires et les élections communales?”
Moi, j'en doute.

La Lance : Le congrès de l'UPR tarde à se réaliser…
Siradiou Diallo : Nous voulons organiser notre congrès après les élections communautaires, après les élections communales et avant les élections législatives. Donc nous pensons que ce serait vers le début de l'année prochaine.

La Lance : Comment avez-vous apprécié le baptême du Palais Présidentiel?
Siradiou Diallo : Ce que je regrette et que je déplore, c'est la manière de faire du Président Conté. Dans ma conception, le chef de l'Etat doit être un rassembleur, un homme qui rassure, qui fait tout pour que le peuple guinéen soit uni. Il ne doit pas être quelqu'un qui soit je-m'en-foutiste et qui dit tant-pis ou faites ce que vous voulez! Il a dit à l'occasion tant-pis pour ceux qui ne seront pas contents. Beaucoup de gens ont rapproché cela à son malheureux mot en 1985 quand il a dit qu'"on a bien fait" d'avoir détruit les magasins de certains commerçants: “Wo fatara”. C'est exactement la même démarche d'esprit, la même logique de pensée, la même désinvolture. Moi, j'aurais été à sa place, si je décide par exemple de baptiser ce Palais du nom que vous savez, j'aurais lancé un appel à tous les Guinéens. J'aurais dit à peu près ceci: "je sais que certains ne seront pas contents, si je baptise ce palais du nom de l'ancien président Sékou Touré. Mais, il ne faut pas oublier qu'on le veuille ou non que le Président Sékou Touré; a présidé à l'indépendance de ce pays. Lui et son parti et le peuple ont conduit la Guinée à l'indépendance. Donc ce “NON” là restera. C'est l'histoire. On ne peut pas réécrire l'histoire". J'aurais ajouté que “je demande à tous ceux qui ont souffert de l'ancien régime, ceux qui ont eu leurs pères, leurs mères, leurs oncles et leurs parents arrêtés et emprisonnés arbitrairement et parfois tués; je sais que ces gens là ont souffert, je lance un appel en leur direction pour leur demander de passer l'éponge, de pardonner même s'ils n'oublient pas, de tourner la page. Pour qu'on regarde plus vers l'avenir que vers le passé”. S'il avait prêché de cette façon là, au lieu de faire du je-m'en-foutisme, de dire aux gens qu'il s'en fout. Chacun n'a qu'à faire ce qu'il veut. Je pense que même ceux qui ont souffert auraient réfléchi. Peut-être que tous n'auraient pas accepté sa proposition, mais au moins le Président de la République, qu'il est aurait joué son rôle, aurait rempli sa mission. La mission qui consiste à faire en sorte qu'il y ait la concorde, qu'il y ait la paix, qu'il y ait l'unité. C'est comme cela que je conçois la mission d'un chef d'Etat. Le chef d'Etat n'a pas à être un chef de clan, un diviseur. Un je-m'en-foutiste. Cela, je le déplore. Donc c'est la manière moi qui m'a choqué beaucoup plus que le fait. Parce que de toutes les façons, je pense que c'est le peuple guinéen, en particulier les générations montantes, c'est à ceux-là de savoir, le jour venu, s'il faut réhabiliter M. Sékou Touré ou pas. Mais je crois que dans la conjoncture actuelle, quinze ans seulement après sa disparition, je crois que les plaies ne se sont pas encore refermées. Mais il ne faut pas exclure que tout peut arriver. Tout est possible dans un pays. L'histoire est là. Ceux qui ont souffert du régime de Sékou Touré ne seront pas là dans quelques années. Mais il appartiendra alors aux autres de savoir, de regarder l'histoire avec beaucoup de calme, beaucoup de sérénité et de voir si vraiment ce que M. Sékou Touré a fait est bon. Est-ce que ce qui est bon est plus lourd sur la balance que ce qui est mauvais? Cela, c'est au peuple et surtout aux jeunes générations de le savoir.

La Lance : Votre opinion sur les arrestations dans les affaires Friguia et ANAIM…
Siradiou Diallo : Vous savez que je suis président de la commission des mines de l'Assemblée Nationale. A la date du 11 mai 1999, l'Assemblée Nationale nous a chargés de nous pencher sur ces détournements qui ont eu lieu à Friguia et lorsque je suis rentré ici, le président de l'Assemblée nationale a également envoyé une lettre pour demander à la commission de faire son rapport. Depuis donc le mois de mai dernier, la commission travaille. Elle a rencontré et écouté de nombreuses personnes y compris le ministre des Mines, M. Facinet Fofana, ses collaborateurs, ses avocats, les dirigeants de la compagnie Friguia. Nous nous y sommes rendus et nous avons travaillé deux jours à Fria. Nous avons rencontré les syndicats des travailleurs et beaucoup d'autres personnes. Nous venons de demander au président de l'Assemblée Nationale d'user de son influence pour que nous puissions rencontrer ceux que nous n'avons pas pu voir et qui sont accusés. C'est-à-dire Bocar Ly, Sidy Mouctar Dicko, Malal Baldé. Le président de l'Assemblée Nationale a d'ailleurs adressé une lettre dans ce sens au ministre de la justice et au procureur de la République. Notre commission est prête à les rencontrer, les écouter. Parce que nous voulons faire un travail sérieux, un travail calme, responsable et sans parti-pris. Nous devons éclairer l'Assemblée Nationale et l'opinion à partir d'un travail sérieux. J'en ai profité pour rencontrer d'anciens responsables de Friguia, des Européens, qui résident maintenant en France. Je me suis rendu à l'intérieur de la France pour rencontrer l'ancien directeur de la compagnie, M. Morales dont le nom est sorti dans la presse ici. Vous savez qu'il est retourné là-bas depuis le mois de novembre 1998. Après toutes ces affaires-là, il était normal qu'on l'entende. J'ai rencontré d'autres, un des vice-président de Pechiney, je me suis rendu également à Zurich pour voir les responsables de la Banque qui finance habituellement la compagnie Friguia. C'est vous dire que je n'ai pas perdu mon temps et que nous sommes en plein travail pour déposer un rapport sérieux, complet sur le bureau de l'Assemblée Nationale le moment venu.
Je dois reconnaître qu'à propos de cette affaire Friguia, il faut rendre hommage à la presse privée guinéenne, qui fait un travail remarquable. La presse a non seulement soulevé le lièvre, mais elle a suivi presque jour après jour toutes ces affaires-là pour essayer d'apporter un éclaircissement. En tout cas, tous les jours, on apprend quelque chose de plus. Je vous félicite.

Propos recueillis par Benn Pepito