Guinée : dix-neuf ans après le “non” du 28 septembre 1958 |
Il a suffi d'un « non » retentissant prononcé par le peuple guinéen à la demande de Sékou Touré le 28 septembre 1958 — il y a dix-neuf ans — pour que naisse la Guinée indépendante et, avec elle, le mythe de Sékou Touré.
Il a suffi … écrivons-nous aujourd'hui. Mais il faut se reporter à l'époque, et en 1958, il fallait le faire ! Qui plus est, à la face d'un certain général de Gaulle, et comme pour exorciser d'un mot l'humiliation centenaire du peuple noir …
En tout cas, seul Sékou Touré a osé. Les historiens affirment que ce ne fut pas sans hésitation ni tentative désespérée d'annuler ou d'atténuer les effets de l'audace. Il n'importe ! Le mythe s'était élancé dans le ciel et les mythes sont — pour un temps parfois long — plus forts que la vérité …
Compagnon du mythe, un immense espoir est né en 1958. De Conakry, il s'est propagé en ondes vibrantes à travers l'Afrique toute entière, transperçant de plein fouet le coeur de sa jeunesse. Souvenons-nous : c'était en outre la grande époque ; déjà Nkrumah et Nasser, bientôt Lumumba et Ben Bella. En contrepoint, Fanon, Guevara et Fidel. Qui de nous n'a vibré ?
Et qui de nous, aujourd'hui, n'est endolori par la chute ?
C'est que ni Sékou Touré ni la Guinée n'ont su être à la hauteur de l'espoir qu'ils ont fait naître. Tant s'en faut.
La réalité guinéenne est mal connue, aujourd'hui encore, parce que Sékou s'emploie désespérément à la cacher pour faire survivre quelques années de plus un mythe dont — seul — il se nourrit.
II y est puissamment aidé par tous ceux qui refusent d'entendre parce qu'ils veulent maintenir vivant, en eux-mêmes, l'espoir, un espoir, n'importe quel espoir …
Je les comprends, nous les comprenons plus qu'ils ne le pensent. Mais notre rôle à nous, historiens de l'immédiat, tel que nous le concevons à Jeune Afrique, n'est pas d'être l'opium des intellectuels, encore moins de les fournir en LSD.
Notre fonction est au contraire de déraciner les mythes lorsqu'ils sont devenus une imposture. En injectant dans le corps du malade des doses répétées d'un sérum douloureux dénommé « vérité ». C'est ce que nous croyons devoir faire dans ce « Pour tout dire » consacré à la Guinée.
Ce qu'on sait de la réalité guinéenne sans que le doute soit permis est effrayant. En petit, donc en concentré, Sékou a fait de la Guinée ce que Staline a fait de l'URSS sa chose, l'instrument de sa folie. Mais tandis que Staline a tout de même développé son pays, Sékou l'a apprauvi, saigné dans tous les sens du terme (voir bilan économique). Pour paraphraser une formule célèbre : Sékou c'est Staline, moins le développement.
Un petit Staline africain, à l'oeuvre depuis vingt ans et qui continue en 1977 à traquer, à torturer, à tuer. Au nom du socialisme, d'une révolution aussi creuse qu'une coquille de noix. Le laissera-t-on faire jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de Guinéens pour témoigner contre lui pour ses crimes, et contre nous, pour notre silence ?
Dans les pages suivantes, des victimes de Sékou livrent leurs témoignages. L'authenticité en est indiscutable et le ton poignant. Certains d'entre eux racontent ce qu'ils ont enduré ; d'autres tentent désespérément de comprendre : pourquoi ? L'un est encore à Conakry, en danger de mort. Sans nous connaître, en nous écrivant, il a mis sa vie entre nos mains. Un autre nous a apporté le plan du tristement célèbre Camp Boiro. Autant de signes qui ne trompent pas.
Et Diallo Telli, ne vous posez-vous pas la question : dans quelle trappe est-il enseveli ?
Non ! Vous ne pouvez plus vous boucher les oreilles. Vous ne pouvez plus vous taire. L'Afrique ne peut pas se permettre d'enfanter un Staline. Et de le couvrir.