Jeune Afrique. N° 875, 14 octobre 1977, pages 35-62
Il est admis que ses richesses minières, ses possibilités agricoles et d'élevage, ses ressources hydrauliques donnent à la Guinée de sérieux atouts économiques. Pour ces raisons au moins, l'aide extérieure a afflué en Guinée depuis 1958. Il faut ajouter une stabilité politique et gouvernementale remarquable puisque, depuis son indépendance, le pays est dirigé par la même équipe du même parti avec le même Ismael Touré au ministère des Affaires économiques.
Ainsi dès le début, l'équipe du PDG semblait bénéficier des meilleures conditions pour affronter le sous-développement, préparer et réaliser le décollage économique et faire de la Guinée un grand centre d'activités industrielles et agricoles en Afrique de l'Ouest. Quel bilan peut-elle présenter aujourd'hui, après dix-neuf ans d'un règne sans partage ?
Les statistiques sur l'économie guinéenne, quand elles existent, sont fragmentaires aussi bien pour l'agriculture, l'industrie, le commerce que pour la dette extérieure. Le bilan est quand même possible au moins dans les grandes lignes.
L'agriculture tient une grande place : 90% des Guinéens sont des ruraux. 85 % des actifs lravaillent la terre. L'économie agricole est constituée d'une gamme variée de cultures vivrières, de cultures industrielles, de l'élevage, de la pêche. Or, dans chacun de ces domaines, la situation n'a cessé de se dégrader et, le 29 janvier 1974, M. Sékou Touré le reconnaît : « Malgré des conditions climatiques excellentes, l'agriculture guinéenne accuse un retard considérable ».
Cette régression est particulièrement importante pour le riz, céréale alimentaire de base. Selon le Bulletin officiel guinéen de statistiques consacré au commerce, les importations de riz sont passées de 6 800 tonnes en 1958 à 39 000 en 1964 : six foix plus en six ans. A partir de 1972, la Guinée devait importer environ 100 000 tonnes de riz et c'est encore M. Sékou Touré qui déclarait le 12 décembre 1973 :
« Si en pleine période coloniale la Guintée ne disposait d'aucun tracteur, il était remarquable qu'elle exportait du riz. Depuis l'indépendance, la Guinée dispose de 2 500 engins modernes agricoles, de dizaines de charrues et, paradoxalement, nous constatons la pénurie de denrées alimentaires. »
D'exportatrice sous le régime colonial, la Guinée indépendante devenait donc importatrice de riz, bien que la production en fut retenue par le Plan triennal (1960-1963) comme objectif prioritaire. Ce plan prévoyait la réalisation par les Soviétiques d'un projet d'aménagement de la vallée de la Fié comportant de vastes plaines rizicoles et la création d'une ferme d'Etat de 7 000 hectares pour la production de 7 000 tonnes de riz dès 1963. Cétait un projet d'envergure. Il fut abandonné.
En 1966, une campagne du riz fut lancée avec le mot d'ordre « produire pour se suffire ». Le résultat escompté ne fut pas atteint. Et Kéïta Fodéba, alors ministre de l'Economie rurale, reconnaissait à l'agriculture guinéenne un taux de croissance faible eu égard aux investissements avec, pour conséquence, l'accroissement régulier des importations de riz. Le déficit en riz continue donc à s'aggraver. La population connaît alors de sérieuses difficultés d'approvisionnement surtout en saison des pluies. Le rationnement est instauré et dure encore. La ration est de 3 kg de riz par personne et par mois, en principe, car, destinée aux seules populations urbaines, au détriment de celles des campagnes, elle est en fait confisquée par une minorité. La distribution se fait au niveau du quartier suivant le même scénario bien rodé. Le riz destiné à la population est livré au président du comité du quartier, responsable de la distribution. Les « militants » sont alors invités à se présenter nantis de leur carte de rationnement. Puisque tout le monde est membre du Parti-Etat, chacun devrait aussi obtenir sa ration.
Mais les choses se passent autrement. Le militant est, en la circonstance, celui qui a obtenu, d'une façon ou d'une autre, les faveurs du président du comité. Le riz n'est pas distribué aux « mauvais militants ». Il est alors détourné vers le marché noir où il est vendu à des prix inabordables pour l'écrasante majorité de cette population urbaine. Sur ce marché parallèle le kg de riz se vend en effet jusqu'à 60 sylis (approximativement 750 francs CFA) alors que l'éventail des salaires mensuels varie entre 700 sylis (8 750 francs CFA) 1 (pour le manoeuvre) et 10 000 sylis (125 000 francs CFA) 1. En clair, le salaire du manoeuvre lui permet d'acheter 10 kg de riz, à condition de toucher son salaire et de trouver le riz, ce qui n'est pas toujours le cas. Il ne lui reste rien pour ses autres besoins (viande, sel, habillement). Les familles de douze personnes constituant une
moyenne, on mesure l'ampleur de la détresse matérielle de la population.
La situation est identique pour tous les autres produits de première nécessité. Ainsi, à Conakry en février 1977, un boubou ordinaire se vendait 42 500 francs CFA, une boîte d'allumettes 12,5, un kg de viande de mouton 25 000, un kg d'oignons 3 750, un kg de sucre 2 500 francs CFA.
Même les surplus américains que Washington envoie à la Guinée sont détoumés pour alimenter le marché noir 2. Cette situation est d'auant plus surprenante que la Guinée possède d'immenses plaines aménageables dont 43 000 hectares pour la seule Basse Guinée où la méthode intensive du repiquage du riz permet d'obtenir des rendements de 20 quintaux à l'hectare, soit 86 000 tonnes par an, près de l'équivalent du déficit annuel en riz du pays.
La population vit les mémes difficultés pour les autres produits vivriers (fonio, mil, manioc, patate douce).
La situation n'est guère meilleure pour les cultures industrielles d'exportation, qu'il s'agisse de la banane, du café ou de l'ananas.
Dans le domaine bananier, la Guinée produisait 53 000 tonnes dès 1938, 98 000 en 1955. La production n'était plus que de 60 000 tonnes en 1959, elle tombait à 33 000 en 1964. Un redressement très irrégulier et très léger s'est opéré à partir de 1972, mais la production n'a pu retrouver son niveau de 1955. La quantité est donc plus faible, mais la qualité des fruits laisse également à désirer, ce qui rend la banane guinéenne non compétitive sur le marché international. Néanmoins, la Guinée écoule sa production dans les pays de l'Est avec lesquels elle a conclu des accords de troc en 1960. Mais ces pays deviennent un peu plus exigeants et veulent des bananes de meilleure qualité. Le plan triennal avait prévu une production de 160 000 tonnes en 1963. Mais selon les données officielles, la production de cette année-là a été inférieure à 50 000 tonnes.
La cercosporiose et les autres maladies qui détruisent les feuilles et les racines du bananier, le manque d'engrais, de fongicides, d'insecticides ont sans doute joué un rôle dans la détérioration de la production bananière guinéenne, sans suffire à en expliquer et à en justifier l'ampleur. Il faut rappeler à cet égard qu'un office dénommé Offibanane a été substitué à toutes les organisations professionnelles antérieures à l'indépendance. Il est l'intermédiaire unique entre les coopératives régionales et Guinexport qui a le monopole du commerce extérieur. Cest lui qui est chargé d'approvisionner les planteurs en engrais, insecticides, fongicides et de mettre en oeuvre la politique de l'Etat dans ce domaine. En fait, les engrais, lorsqu'on en importe, restent stockés au port où les pluies les lessivent et les vents les dispersent, suivant la saison. Il y a aussi les détournements : les responsables se servent, servent leurs amis et écoulent le reste au marché noir.
Et les maladies continuent à ravager le bananier, la production à s'effondrer et le revenu de ce secteur à baisser. Ainsi, en 1965, la banane ne rapportait à la Guinée que l'équivalent d'un milliard de francs CFA contre 1,2 et 1,5 milliard en 1964 et 1962 respectivement.
Quant à la culture de l'ananas pour l'exportation du fruit frais, elle a été entreprise à urne grande échelle après l'indépendance. Elle est surtout le fait de deux groupes privés : le groupe Abou Lanfia et la société Sifra qui, grâce à une certaine autonomie, ont fait preuve de dynamisme. La forte demande des pays de l'Est aidant, la production a connu des progrès appréciables. De 500 tonnes en 1960 elle passait à 8 000 tonnes en 1966 pour atteindre 15 000 tonnes en 1971. Mais une baisse non négligeable a été enregistrée en 1972 et en 1973 avec 12 000 tonnes pour chacune de ces années. En 1973, on assistait à une légère amélioration avec 13 000 tonnes. La production reste cependant de loin inférieure aux prévisions des plans de développement. En effet, le plan triennal prévoyait de multiplier cette production par sept ; avec 7 800 tonnes en 1960, année de lancement du plan, elle aurait dû atteindre 54 600 tonnes dès 1963.
Le plan septennal avait, par contre, des ambitions un peu plus modestes et plus réalistes, puisqu'une production de 25 000 tonnes constituait un objectif satisfaisant. En tout cas, Fodéba Keita encore déplorait en août 1968 quelques mois avant son arrestation que “dans le domaine des grandes cultures d'exportation, les résultats soient encore loin de repondre aux espérances”.
Cette constatation valait naturellement aussi pour le café. Les premiéres exportations guinéennes de cette culture, concentrée surtout dans la région forestière, remontent à 1930 avec 400 tonnes. Interrompues par la deuxième guerre mondiale elles étaient de 630 tonnes en 1949, de 6 720 en 1952, de 11 064 en 1956 et de 15 000 tonnes en 1959. Le déclin commença dès 1960 avec 12 000 tonnes. En 1967, la production atteignit le niveau le plus bas enregistré depuis la fin de la guerre avec 2 000 tonnes. Selon des informations dignes de foi, elle tourne entre 6 000 et 8 000 tonnes depuis 1971, pratiquement moitié moins qu'en 1956.
L'objectif de 16 000 tonnes retenu par le plan triennal pour 1963 n'a donc pas été réalisé.
Pourtant, il paraissait assez modeste puisqu'il maintenait le niveau de 1959. Ici également la trachéomycose, maladie du caféïer, apparue en 1958 et qui toucha rapidement toutes les principales régions productives, a sans doute joué un certain rôle dans la baisse énorme de la production. Pour l'enrayer, un spécialiste éminent, consulté par le gouvernement proposa un plan d'urgence comportant la destruction de la variété sensible à la trachéomycose et son remplacement par une variété plus robuste. A cet égard, M. Jean Suret-Canale dont on connaît la sympathie pour le régime guinéen, note que le plan en question “ne fut malheureusement pas exécuté faute de crédits et, semble-t-il aussi, faute d'intérét et d'esprit de décision des autorités compétentes”.
1955 | 1956 | 1957 | 1965 | 1966 | 1967 | 1968 | 1969 | 1972 | 1973 | 1974 | |
Bovins | 1200 | 1 364 | — | — | 1900 | 1 500 | 1 700 | — | 1 750 | 1800 | 1880 |
Ovins | 600 | 353 | — | — | 376 | 350 | 1100 | — | 450 | 480 | 520 |
Caprins | 200 | 354 | — | — | 420 | 400 | — | — | 460 | 500 | 570 |
Porcins | — | 7 | — | — | 17 | — | — | — | 25 | 29 | 33 |
Péche | — | — | 7 | 7 | — | 2,4 | — | 3 | — | — | 20 |
dont Conakry | 1,8 | 2,7 | — | — | — | — | — | — | — | — | — |
Les chiffres ci-dessus semblent traduire un certain progrès dans le domaine de l'élevage, pouvant laisser supposer que les producteurs connaissent un sort plus enviable que celui des planteurs de bananes, de café ou d'ananas. Ce progrès relatif et irrégulier ne concerne cependant pas tout le cheptel et le troupeau ovin est moins important en 1974 qu'en 1955.
Cest que les méthodes d'élevage n'ont pas changé depuis l'indépendance : le bétail est abandonné à lui-même. Il se nourrit où il peut et comme il peut. D'autre part, le gouvernement n'a pas su traduire dans les faits une volonté de moderniser l'élevage par une éducation appropriée de l'éleveur et par l'amélioration des races et des conditions de l'élevage.
Les trois fermes d'Etat de Ditinn, Famoyla et Malea ont été créées par l'ancien colonisateur. Enfin te sixième congrès du PDG de décembre 1962 prenait dans le domaine agricole une mesure de nature à décourager les éleveurs. Il restaurait une pratique que le colonisateur avait abandonnée à la fin de la guerre et qui consiste en un prélèvement obligatoire de denrées et de bétail sur les productions. Les régions dites excédentaires (le Fouta-Djallon essentiellement) doivent fournir à l'Etat 10% du bétail recensé pour approvisionner les régions déficitaires (Conakry en particulier). Sous l'apparence d'une organisation rationnelle du marché de la viande, se cache en fait ce qu'il faut bien appeler une spoliation : le contingent fourni est payé au producteur à un prix de moitié inférieur au cours du marché libre. Le résultat fut le développement des exportations frauduleuses du bétail vers les pays voisins (Sierra Leone, Liberia, Côte d'Ivoire, Guinée-Bissau).
Il y a aussi les effets du marché noir où est écoulée à des prix particulièrement intéressants pour les spéculateurs (20 000 francs CFA le kg de boeuf) la viande provenant d'un abattage clandestin et des détournements de la viande importée. Ce marché constitue évidemment un frein au progrès de l'élevage puisque la pénurie est sa raison d'être.
Il faut d'ailleurs rappeler que les pourvoyeurs du marché noir et de l'exportation frauduleuse ne sont pas toujours les éleveurs. Ces opérations lucratives sont, la plupart du temps, organisées par des hommes de paille des responsables du parti et de l'Etat. Certains éleveurs, quant à eux, massacrent leur troupeau pour se soustraire à la fourniture obligatoire.
Tel fut le cas à Saramoussaya où, en 1969, des éleveurs brûlèrent leur bétail dans l'étable avant de prendre le chemin de l'exil. Si l'on ajoute qu'aucun effort sérieux n'a été fait pour dépister et combattre les épizooties (péripneumonie bovine, peste bovine, charbon, rage), on comprend que la survie du cheptel tient du miracle. Et l'étonnement de Suret-Canale qui note que la Guinée est un des pays les plus riches en bétail bovin d'Afrique noire à l'exception du Sahel. Mais, paradoxalement, le pays a des difficultés d'approvisionnement en viande.
La majorité des Guinéens ne mangent pas de viande de l'année, même pendant les fêtes (Ramadan, Tabaski, etc.). Ce n'est pas la création d'Obétail (office du bétail), doté sur le papier d'un monopole de commercialisation et d'apllrovisionnement des boucheries, qui a pu suffire à' résoudre le problème. Celui-ci est plus humain et économique qu'administratif et policier. Cest ce que ne semblent pas avoir compris les responsables. On a assisté jusqu'à présent à une succession d'appareils bureaucratiques où la politique l'emporte sur la technique : des Sociétés de modernisation et de développement rural (SMDR) jusqu'aux actuelles Brigades attelées de production (BAP) et Brigades mécanisées de production (BMP),
en passant par les Coopératives agricoles de production (CAP), les Centres de modernisation rurale (CMR), les Centres nationaux de production agricoles (CNPA), les Collèges d'enseignement rural (CER), les Comités d'unité de production (CUP). Dès qu'un organisme s'avère incapable, on le remplace par un autre dont la seule originalité réside dans le changement de sigle, sans étude préalable des causes de l'échec antérieur ni recherche des remèdes à administrer.
La situation de la pêche n'est guère meilleure. Pourtant la côte guinéenne abonde en poissons (thon notamment) et possède des sites naturels aménageables en ports. En outre, la Guinée, qu'on a appelée « le château d'eau de l'Afrique de l'Ouest » en raison de son important réseau hydrographique (le Niger, le Sénégal, la Gambie entre autres y prennent leur source) peut organiser la pêche fluviale.
En 1961 , Soguipol (Société d'économie mixte associant la Guinée et la Pologne) était constituée pour la pêche industrielle dans le cadre du plan triennal. Elle dépos son bilan en 1963 après avoir perdu en deux ans seulement l'équivalent de plus d'un milliard de francs CFA. Elle fut remplacée par l'Office national des pêches maritimes (OPEMA). Cette prise en main de la pêche maritime n'a pas empêché la production de dégringoler de 7 000 tonnes en 1957 à 2400 en 1967. De tels résultats donnent à penser que l'objectif de 22 000 tonnes inscrit au plan septennal pour 1971 n'a pu être réalisé. En 1974, la production n'était que de 20 000 tonnes, bien que trois sociétés d'économie associant à l'Etat guinéen des intérêts étrangers aient été constituées en 1973. Les gisements de bauxite et de fer de la Guinée et aussi ses ressources hydroélectriques sont des atouts importants. Le tableau ci-dessous, qui ne comprend pas Friguia, montre l'importance considérable de son potentiel minier. D'après des déclarations officielles guinéennes, les réserves de bauxite ne seraient pas de 6 milliards, mais varieraient entre 8 et 10 milliards de tonnes.
Région | Minerai | Réserves (en millions de tonnes) | Teneur en métal |
Boké | Bauxite | 4 200 | 58% |
Dabola | Bauxite | 460 | 47% |
Tougué | Bauxite | 1 447 | 45% |
Forecariah & Farmoriah | Bauxite | 4 | 40% |
Kindia | Bauxite | 70 | 50% |
Total | 6181 | ||
Nimba | Fer | 300 | 65% |
Simandou | Fer | 700 | 65% |
Kaloum | Fer | 3000 | 50% |
Total | 4000 |
Il semble en tout cas, d'après des sources dignes de foi, que la Guinée possèderait la moitié des réserves de bauxite connues dans le monde. De même, à partir de 1978, elle devrait être le premier exportateur mondial de minerai de fer après la mise en exploitation des gisements des monts Nimba-Simandou aux confins du Liberia. Pour la mise en valeur de ces gisements, ont été constituées des sociétés d'économie mixtes unissant l'Etat guinéen et des partenaire étrangers à raison de 49 % au premier.
La Guinée y détient cette fois 50 % du capital et a pour partenaires l'Algérie, le Libéria, le Nigeria, le Zaïre, la Yougoslavie, des sociétés belge, suisse, japonaise, espagnole, l'Intermaritime Bank. L'exploitation doit démarrer en principe entre 1977 et 1982 pour le Nimba avec une production de 15 millions de tonnes, mais plus tard pour le Simandou avec une production de 25 millions de tonnes. Il est envisagé de faire évacuer le minerai par le Libéria, en attendant la construction d'une ligne de chemin de fer, le Transguinéen, qui reliera les gisements au port de Benty, en Basse Guinée. Un accord a été signé à cet effet avec la société japonaise Nippon Koe. Cette revue des implantations et projets industriels de la Guinée peut faire naître l'illusion d'un pays enfin lancé dans la voie du développement économique réel. Ce serait se leurrer. L'examen de chaque implantation a permis de constater, comme le montrent les chiffres du tableau ci-dessous, qu'une faible pan de la bauxite est transformée dans le pays en alumine, que le reste est exporté sous forme brute et qu'enfin aucun des projets de création d'usines d'aluminium n'a été réalisé. En tout cas jusqu'à présent les efforts entrepris pour exploiter les immenses ressources minières de la Guinée ne paraissent pas avoir donné une impulsion réelle à l'économie du pays.
1969 | 1970 | 1971 | 1972 | 1973 | 1974 | 1975 | |
Bauxite (en milliers de tonnes) | 2 459 | 2 490 | 2 630 | 2 650 | 3 660 | 7 605 | 10 640 |
Alumine (en milliers de tonnes) | 572 | 610 | 665 | 663 | 5500 | 600 | 650 |
En fait, d'ailleurs, le système d'exploitation de la bauxite guinéenne n'est en rien différent de celui employé par des pays que M. Sékou Touré appelle néo-coloniaux et réactionnaires. Il n'est même pas différent de celui pratiqué dans sa colonie par une métropole. Ce qu'on peut appeler l'appareil industriel minier guinéen est entièrement tourné vers l'extérieur Banane : d'abondantes plantations où sévissent les maladies et constitue pratiquement un ensemble d'enclaves économiques sans effet d'entraînement sur l'ensemble de l'économie. Le jour où les gisements seront épuisés, il ne restera pas grand-chose à la Guinée en dehors d'installations qu'elle aura du mal à utiliser, et des chômeurs en plus.
Comment se présente la situation dans le domaine de la petite industrie légère ? Depuis l'indépendance, la Guinée a créé de nombreuses petites entreprises dont le capital appartient soit à l'Etat seul, soit à l'Etat et à des sociétes publiques. En 1974, on estimait à une quarantaine le nombre de ces entreprises devant produire des biens de consommation non durables tels que jus de fruits, thé, cigarettes, chaussures, ou durables tels qu'ustensiles, matériaux de construction. Mais ce secteur ne contribue que pour 5 % environ au produit nalional brut et 1 % aux recettes des exportations. Celles-ci, en quantité fort limitées, consistent surtout en jus de fruits, et huile de palme. Par contre, de nombreuses usines dépendent pour leur fonctionnement de matières premières importées (tabac, aluminium). En outre toutes ces usines, sauf la Fabrique des Cigarettes et Allumettes, fonctionnent non seulement en deçà de leur capacité, mais également au-dessous du seuil de rentabilité. Enfin, de nombreuses entreprises ont été lancées un peu trop hâtivement, pour des impératifs plus politiques qu'économiques sans tenir compte, dans le choix du lieu d'implantation, de certaines contraintes telles que l'approvisionnement en matières premières, l'infrastructure pour le transport du produit ou l'existence d'un marché solvable. Cest le cas de la Cimenterie de Mali lancée en 1970 avec l'aide de l'Espagne sans études sérieuses de ces contraintes et dont le produit rendu à Mamou coûterait une fois et demie plus cher que le ciment importé. Dès lors, si l'on tient compte aussi des détournements et du fait que toutes les décisions sont prises par le chef de l'Etat, les responsables n'ayant aucun pouvoir, il n'est pas surprenant que ces entreprises soient déficitaires et aient besoin de concours financiers permanents de l'Etat. La conserverie de Mamou connaît un dfficit moyen de 25 millions de francs CFA et la fabrique de carrelage de Kobaya de 97 millions.
Mais ce n'est pas uniquement sur le plan intérieur que la Guinée connaît des difficultes économiques. Elle en rencontre sur le plan extérieur en raison d'un très lourd endettement. Le montant du service annuel de la dette pendant les exercices budgétaires de 1973-1974 à 1976-1977, compte non tenu des arriéres, s'élève à 776 millions de dollars. Par rapport aux recettes des exportations, ce montant tend à diminuer du fait notamment de l'entrée en activité de Boké, mais il represente tout de même 22 % à son niveau le plus bas, contre 45% en 1973- 1974. Un bilan suffisamment lourd pour qu'il ne soit pas néessaire de le commenter davantage.
Pays créanciers | Dette nette | Dette comprenant celle non remboursée |
Belgique | 5,916 | 5,916 |
République populaire de Chine | 15,711 | 15,711 |
Pays de l'Europe de l'Est | 18,823 | 25,128 |
France | 13,635 | 13,635 |
Allemagne fédérale | 14,500 | 14,500 |
Ghana | 13,988 | 13,988 |
Italie | 2,062 | 2,062 |
Maroc | 1,946 | 1,946 |
Suisse | 6,123 | 6,123 |
République arabe unie | 435 | 435 |
Royaume-Uni | 9,242 | 9,242 |
URSS | 70,450 | 81,632 |
Etats-Unis — USAID | 2,427 | 5,503 |
Yougoslavie | 6,319 | 8,312 |
Total dette publique extérieure | 181,916 | 204,133 |
* Non compris les dettes de 5,2 millions de Deutsche Mak.
Estimée à moyen et long terme en cours de règlement et comprenant la dette non payée depuis le 30 juin 1963.
Notes.
1. Cette évaluation faite par J.P. Alata est deux fois trop forte mais, même sur cette base, la lutte pour la survie doit être uncauchemar permanent.
2. En 1962, sur 30 000 tonnes de riz importé, 27 000 tonnes provenaient des surplus américains.
3. Il est piquant de rappeler à cet égard qu'une partie de l'alumine guinéenne fabriquée à Fria prend le chemin de l'usine d'aluminium d'Edéa au Cameroun.
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