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Williams Sassine
Le Zéhéros n'es pas n'importe qui

Paris. Présence Africaine, 1985. 219 p.


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Chapitre 15

— Où descends-tu, Béatrice ?
Elle me répondit qu'elle avait réservé une chambre à l'hôtel de l'indépendance et qu'elle espérait que j'avais fait de même. Je lui dis, avec juste ce qu'il fallait d'émotion dans la voix pour un exilé qui a préféré l'enfer à la soumission :
— Béatrice, je ne cacherai pas que je vais avoir des problèmes avec la foule qui m'attend. J'aurais voulu que mon arrivée passe inaperçue, mais Radio-Kankan a diffusé la nouvelle dans toute la Guinée.
L'avion avait atterri et s'était immobilisé depuis dix minutes. Nous étions déjà debout dans les allées. On attendait. Quoi ? Une hôtesse finit par nous prévenir en pouffant qu'on cherchait une passerelle. Quelqu'un cria à l'arrière qu'il avait une échelle portative. Personne ne rit. On commençait à étouffer. Un prêtre sortit sa bible, ce n'était pas bon signe. Heureusement qu'un mouvement se fit à l'avant. Enfin !
— Les nouveaux chefs travaillent vite, fis-je remarquer à Béatrice. Du temps du PDG, seuls les miliciens avaient droit à la passerelle.
Dans les dernières marches, Mori lâcha le sac de Béatrice dans mes pieds et je dégringolai jusqu'en bas où je restai prosterné à la façon du pape Jean Paul II, le sportif de la foi.
— Tu n'es pas blessé ? demanda Béatrice dans mon dos.
— Non, c'est l'émotion, lui répondis-je en me relevant. J'avais promis d'embrasser la guinée le jour où je la reverrais.
Au-dessus du hangar qui était l'aéroport international, je montrai à ma compagne une foule gesticulante. Je levai les bras en V et chuchotai à Mori :
— Si tu veux que je te pardonne le coup de la passerelle, agite le bras, tu es le fils d'un héros.
— Mais papa, j'ai les deux bras occupés.
— Alors souris.
Il sourit tout le long de la zone d'obscurité et malgré les deux sacs qui lui tiraient les poings et lui donnaient une démarche de chimpanzé. Il réussira comme tous les enfants qui écoutent leur père, le brave petit. L'accès aux bagages tenait de la guerre. Je me déshabillai dès que je sentis qu'on me prenait pour n'importe qui. Je gardai quand même mon pantalon parce qu'il avait trop de boutons. Je croyais impressionner, mais on avait tout vu à l'aéroport international de Gbéssia. La veille, un avion de l'Aéroflot avait essayé de dispenser ses passagers des formalités de sortie en les déposant directement en ville. Il ne s'était arrêté au bout de la piste que parce que Dieu n'exauce pas les voeux de ceux qui ne croient pas en lui. Moi je croyais en Lui, et cette pensée me réconfortait. Je dis à Béatrice de se coller à moi et je me servis du fiston comme bouclier. Je poussai ceux qu'on repoussait et je tirai ceux qu'on poussait. C'était comme au judo et c'était du judo. Bientôt, entre ceux qui partaient et ceux qui arrivaient, j'entendis un petit couinement de rat étouffé. C'était un autre prêtre qui s'évanouissait. Bon Dieu, personne ne savait s'il voulait entrer ou sortir ! On l'écarta des mains et des pieds. Allah est grand. Il nous aida à repousser les voyageurs au départ, ce qui est la preuve qu'il aimait désormais la Guinée. Les partants n'avaient qu'à attendre, ils s'embarqueraient bien un jour. La petite porte qui s'approchait de nous, nous apparaissait de plus en plus petite. Un fakir n'aurait pu s'y glisser. Mais le policier, de l'autre côté, était beaucoup plus maigre qu'un fakir.
Quand je fus à son niveau, je lui demandai :
— C'est toi qui as fait la porte de sortie ?
Il me montra son unique dent.
— Papa, c'est ça la Guinée ?
— Mori, la Guinée, c'est de l'autre côté.
Un autre policier, tout aussi maigre que le premier mais deux fois plus long, si maigre et si long que je me demandai si je le regardais de face ou de profil, nous fit signe d'avancer. Il voulait savoir si on avait du « vrai argent ».
— J'ai quelques syllis, dis-je pour voir.
— Je n'ai pas envie de rigoler, dit-il.
Le sylli, c'était la monnaie du PDG. Une monnaie de singe ou plutôt d'éléphant, en tout cas des billets très lourds.
— Est-ce que j'ai l'air de rigoler ? lui répondis-je. Nous avons dépassé le service de change qui a l'air fermé. Attention, je ne suis pas n'importe qui. La Guinée a changé, mais pas certains Guinéens. Attention quand on me monte sur les pieds.
Je criais tout en avançant. Il ne m'entendait peut-être pas, mais il voyait ma bouche s'ouvrir et se refermer à la façon d'un poisson sur terre. A la fin il nous tourna le dos. On pouvait passer. Un autre s'interposa près du rideau derrière lequel je devinai l'antichambre de l'entrée dans mon pays.
— Vous ouvrez les bagages, monsieur et madame.
Vive la liberté ! Vive le comité militaire ! hurlai-je.
— Vous pouvez passer.
Je venais de comprendre le sésame. Les régimes changent, mais le mot de passe reste.
— Essayons à présent de récupérer nos bagages, mon fils.
Béatrice nous suivait, pompant l'air autour de nous avec sa respiration de vieille locomotive poussive. Je revis le prêtre toujours évanoui parmi des colis, sur le tapis roulant qui ne roulait pas. Comment avait-il atterri là ? Les voies du Seigneur sont impénétrables. Béatrice bondit avec des cris de tigresse sur une valise. Elle la disputa un moment à un gringalet, avant de porter les deux dans ses bras jusqu'à la sortie. J'étranglai un peu le fil de fer qui gigotait et gueulait :
— J'ai vu le premier la valise, c'est pour moi.
Je lui dis :
— Moi, j'ai vu ta maman bien avant toi, mais ce n'est pas ma maman.
Il ne trouva rien à répondre et se laissa tomber du haut du corsage de ma copine. Alors je tendis à Béatrice sa lourde sacoche d'inventions et lui assurai :
— Je te téléphone à ton hôtel demain, je t'introduis auprès de qui il faut, mais en attendant, prends des porteurs pour ta valise, c'est plein de taxis dehors. Et si on t'embête, tu racontes que tu as grandi avec Camara Fakoli Filamoudou, le descendant le plus valeureux de Gongodili.
Elle s'en alla et je retournai voir où en était le fiston. II avait fini par trouver le carton de médicaments. Je l'encourageai à se battre pour ma grosse valise rouge. Il fonça dans la mêlée pendant que je me rhabillais. Je me sentais inutilement fatigué, d'un coup. Un des innombrables douaniers repoussa brutalement une petite vieille qui tomba dans mon carton et y resta plantée avec un hurlement de folle. Je l'aidai à se relever et repris ma seringue dans sa fesse. Je m'intéressai ensuite à un gros malabar qui essayait de tirer à lui un paquet, un tout petit paquet. Au bout de son effort, il abandonna, respira un bon coup les avant-derniers souffles d'oxygène qui vivaient encore et recommença. Le minuscule paquet ne bougeait toujours pas. Je m'approchai pour voir ça de plus près. Le type était si gros et le paquet si petit !
— Vous n'avez rien à déclarer? lui demandai-je du ton soupçonneux d'un douanier.
Il ne se retourna même pas.
— Si seulement je savais ce qu'il y a dedans, dit-il en se relevant.
Mori revenait.
— Voilà ce que j'ai trouvé, papa, dit-il en me tendant quelque chose.
La chose, c'était ma valise, ma belle et grosse valise rouge en carton, écrasée, aplatie, pliée aux dimensions d'un vulgaire porte-feuille.
— Tu es sûr que c'est ça ?
— C'est sûr, papa. Il y avait dedans ton cure-dents et une de tes photos d'identité.
Je mis ma valise en poche.
— Je me plaindrai en haut lieu.
— Même le bon Dieu ne pourra rien pour toi, mon frère, m'assura le gros malabar. Aide-moi un peu à tirer ce machin.
— C'est un diable qu'il vous faut, mon frère.
Ce gros bêta me prenait pour n'importe qui. Mori me suivit pendant que je me dirigeais avec ma force tranquille vers le enième rideau qui nous séparait de notre entrée en Guinée.
— Mori, bientôt nous serons chez nous. N'oublie pas que tu es venu pour voir et vaincre.
Il paraît que César l'a dit avant moi. Mais lui, il ne parlait pas malinké.

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