Editions du Seuil. Paris. 1979. 187 p.
Au bord de la corniche, la mer chantonne, et la villa de Soriba s'orne de pompons de rosés : c'est là qu'ils se réunissent chaque soir sans rendez-vous ni convocation, au pressant appel d'un rite né d'une condition commune. Là, il y a toujours Soriba, Tiéba et Diouldé. Kaliva, non plus, n'est jamais absent, Kaliva le professeur. Pas plus que Peete le médecin, Kerfala l'ingénieur agronome, ou Boori l'économiste. Là, avec leurs dames.
C'est toujours Mâmata qui ouvre le bal : la grosse femme de Soriba adore les tumultueuses volte-face du rock, les souples ondulations de la samba, les vigoureux pas saccadés de la pachanga et, encore plus, les savantes contorsions d'un slow où, renonçant à sa dernière goutte de pudeur, elle se tord, se cabre et étreint avec fougue. Elle engloutit Diouldé entre son éternel grand-bôubou (qui la grossit impitoyablement) et ses bras de gaillard. On dirait que son danseur va peu à peu disparaître. On ne voit plus qu'un corps de femme difforme qui avance et recule par ondées lentes et, bien des fois, pirouette. A côté du pas sûr et infatigable de Mâmata, il y a celui, gauche et peu décidé de Râhi.
Les hommes voltigent entre les dames et martèlent le sol de leurs pas virils et peu précis.
Seuls Soriba, Kerfala et Diouldé sont mariés. Les autres s'arc-boutent encore au célibat malgré les réprimandes de leurs parents, malgré leurs promesses jamais tenues de saouler tout le monde aux noces – des noces qui auront lieu … dès la mort du prochain mois … Les époux et leurs épousées savent maintenant à quoi s'en tenir et se contentent de recevoir avec une joie bien sincère les filles qui les accompagnent.
Fatigués, ruisselants, ils s'affalent sur les sièges, soufflent, s'épongent.
Le champagne, les beignets et les brochettes rouges
de piment sont apportés par un boy silencieux et docile. Le piment aidant, ils ont vite fait de descendre de nombreux verres qui délient les langues et propulsent leurs éclats de rire.
Au faîte de la saoulerie, Bôri a vite fait de se glisser entre le peu de place qui sépare Râhi et Diouldé, tandis que la main de Mâmata tient déjà l'épaule de Diouldé. Seraient-ce les yeux embués par l'alcool qui inciteraient à ces tics et empêcheraient le moindre soupçon ? Non. Le geste le plus insignifiant, le plus normal est épié, fixé, secrètement photographié et sournoisement rangé dans un coin bien approprié de la mémoire de chacun d'entre eux. Plusieurs années de fréquentation routinière et hermétique les ont conduits à contracter des habitudes de groupe. Tous savent que le très sérieux couple Râhi-Diouldé, à qui l'on « reconnaît » réserve et noble timidité, n'a pas plus de solidité que motte de beurre : qu'on la mette au grand jour, et voici qu'elle fond aux rayons du soleil. L'ardeur que montre Mâmata lorsqu'elle s'empare du bras de Soriba, lorsqu'elle entraîne son mari au rythme de sa sauvage démarche, la bonne entente et la chaleureuse humeur qu'ils étalent en toute occasion ne sont que pure apparence : Mâmata couche avec Diouldé qui couche avec Râhi qui couche avec Bôri… Seulement, crevant le plafond de l'ignominie, ils ne se sont pas loyalement accordés sur un délicieux planning de partouzes. Ils préfèrent feindre, nier avec toute la vigueur de leur inconscience. Et, sitôt isolé dans sa demeure, chaque couple s'enferme dans la chambre conjugale, exige des comptes, crie à la traîtrise, hurle à l'adultère …
— Ne crois surtout pas que ça va continuer comme ça, dit Diouldé ; je sais te lire enfin. Légère, tu es légère comme du coton.
Il n'en faut pas plus pour que Râhi se redresse, monte sur ses petits ergots, tambourine des mains, claque des doigts, se tape les cuisses avant de lancer de sa voix indolente — lorsqu'elle parle, on dirait qu'elle mâche en même temps de la braise :
— Porototo ! Alors, c'est moi qui suis légère nê ! Et ton baratin avec la patate de Soriba ? Apprends que je sais tout. Vous vous voyez chaque jour à l'hôtel, quand tu prétends de ton sourire hypocrite que tu es au bureau. Wuss ! Wass !
— C'est toi qui rejoins Bôri chez lui quand tu fais semblant d'aller faire des courses. Misérable chatte !
La colère se lit dans les yeux de Râhi, ils clignotent sans désemparer, sa bouche se tord.
— Chatte, moi ? Soit. Mais alors méfie-toi, sale raton. Regarde-toi un peu. Raton, oui, raton.
Diouldé vacille un quart de seconde et parvient à dire entre mille halètements :
— Ah, je suis un raton ! Tu n'as pas de pot, ma vieille. Tu épouses un raton et tu choisis pour amant un vrai fantôme. Regarde ton cliché de Boori : une liane sans tuteur qui meurt à se tenir debout.
— Si la fortune m'avait souri, je serais aujourd'hui avec la liane, pas avec sa racine. Et puis, je me demande pourquoi tu restes avec moi. C'est ton hypocrisie qui te retient, dis-le, ton souci de bien paraître. A moins que … tu redoutes que Soriba ne te secoue. Hâhâhâ !
— Je ne redoute rien du tout. Et tu risques de le sentir, si à l'instant tu ne fermes pas ton bec, femelle du diable.
— Me battre ? Essaie un peu. Ose-le si ta culotte est vraiment pleine, ose-le et je décampe.
Les voix montent. Les fronts se plissent. Mais, dans la chambre à côté, une toux sèche se fait entendre, qui les désarme. A l'unisson, ils disent, vaincus :
— Moins de bruit, on réveille Mère.
Le lendemain, rien ne subsistera de leurs mesquines querelles. Le réveil sonne, ils ne parviennent pas à se lever, ils plongent encore dans une torpeur qu'expliquent leurs nuits sans sommeil, la voix sifflante de Mère les appelle à la prière :
— Le soleil a percé le voile de l'aube et vous dormez encore. Wuuri, te faudrait-il toujours les suppliques de mon regard pour t'atteler à la prière ! Ton corps ne s'habituera-t-il donc jamais à se dégager du sommeil et à répondre dès la première lueur du jour à l'appel
de Dieu ? Ne serais-tu déjà sous l'emprise de Satan ? Peut-être bois-tu ? Bois-tu du lait de Satan, bois-tu de l'alcool ? Subhânallâhi !
— Mère, si je ne me suis pas levé à temps pour prier, ce n'est point par oubli, ni par volonté délibérée d'enfreindre la loi du Créateur, la loi que nous fit connaître son saint prophète. Seulement, une petite faiblesse, Mère, une simple négligence ; c'est pour avoir trop veillé. Quant à boire de l'alcool, quant à boire de l'alcool, ah, la méprise que vous faites ! Si je buvais, où trouverais-je la force de paraître devant vous, de tourner mon regard vers le Ciel qui nous veille ? Si un jour, même par mégarde, une goutte d'alcool me passait le gosier, il me faudrait plus de mille ans de jeûne pour expier.
Le mensonge de Diouldé aura suffi pour rasséréner Mère. Elle avale sa salive d'un air satisfait, mais ne s'éloignera qu'après avoir vu Diouldé ouvrir la porte, s'agenouiller sur la vieille peau de mouton et, Râhi derrière lui, Râhi l'imitant à souhait, entamer de toute sa gueule la première sourate du Saint-Livre. Maintes
fois, le front sur le sol, dans cette position de profonde
soumission au Maître du monde, maintes fois il a failli succomber au douillet rappel du sommeil. Maintes fois, derrière, Râhi a failli renoncer aux interminables génuflexions.
Mais, par l'entrebâillement de la porte, tout au long, les petits yeux de Mère les a scrutés sans battre des cils.
Le café est heureusement fort — Souley le fait toujours fort — et une tasse suffit pour les ragaillardir un peu. La clef de contact, la grille ouverte, le caracolement de la voiture sur les rues en mauvais état, les voilà devant l'école où Râhi enseigne. Baisers gauches, bonne journée chairrie. Cela n'augure en rien qu'ils feront taire leurs odieuses querelles nocturnes. Le soir, ils recommenceront, comme les autres …
Curieux couple !
C'est à la faveur d'un séjour de vacances scolaires qu'il l'a rencontrée. Tout juste descendu de l'avion qui l'avait ramené de Hongrie, il avait filé à Buruure : le
personnage rude de son père, la monotonie de la vie au village l'avaient bientôt lassé. Alors, il était venu en ville ; là, il y avait de l'animation ; il y avait, pour qui savait se débrouiller, de la vie, quoi ! Et celle-ci ne se faisait pas prier pour vous entraîner dans son tourbillon : depuis les boîtes de nuit mal famées où l'étreinte d'une bouillante fille de joie et le goût amer, le goût délicieusement piquant de la bière vous font oublier la saleté, jusqu'aux palaces où l'on peut, toute la nuit, danser de l'émulation de rythmes endiablés ! Il fallait évidemment s'agréger à un petit groupe de rigolards bien initiés, disposer d'un peu de sous. Diouldé n'était d'aucune bande, mais il était lié avec Soriba, un camarade de lycée, étudiant en Allemagne. Pour ce qui est de l'argent, il parvenait à en mettre de côté puisqu'il touchait une bourse.
Grâce à mille privations, il secourait également Mère.
Le voilà donc, par une profonde nuit d'hivernage, en train de sillonner la ville, d'en pénétrer les plus imprévisibles coins ! Soriba se montra un parfait guide. Il connaissait les gens, savait suivre les capricieux entortillements des chemins obscurs, flairer les lieux de plaisir, dénicher des secrets où, ensuite, il se mouvait comme un rat dans son égout.
Partis à deux, ils étaient plus de cinq à la sortie du troisième boui-boui de leur circuit. A L'ombre du cocotier, snack-bar-dancing affichant prétentieusement un pauvre néon, ils avaient rencontré Kerfala (à l'époque, celui-ci était étudiant aux Etats-Unis). Le futur ingénieur agronome puait, ce jour-là, l'alcool à vingt mille lieues, parlait avec emphase, tapotait l'épaule de qui il avait sous la main, tirait sur sa brillante cravate et piaillait sans arrêt :
— Dommage que vous veniez si tard ; maintenant j'ai les poches vides, sinon, je vous aurais noyés, saoulés, je vous dis. Et puis, je n'y suis pour rien, hein. Prenez-vous-en à Soriba, tirez-lui la queue, parce que lui, il savait que j'étais là et que j'étais bien graissé ce soir : j'ai tapé mon vieux, hé ! Il est radin, mon vieux. Seulement, je sais faire des combines, je connais les topos dey …
Il servait avec précaution, cela ne l'empêchait pas de trembler et de répandre à la traînée le whisky, la bouteille était à moitié vide.
— Tu ne guériras jamais, dit Soriba en levant son verre à la ronde. Regardez ce saligaud : son père n'aurait jamais dû le mettre au monde.
Tout le monde rigola. Kerfala, plus que les autres, éprouvant sans doute en les entendant une mâle fierté.
— Vous savez qui est le vieux Diaré ? continua Soriba. Le vieux Diaré, ce commerçant dont on parle tant, qui paraît-il dispose de caisses et de caisses de
billets, mais qui pleure à se fendre les orbites quand il lui faut acheter le caleçon du dernier-né, c'est le père
de Kerfala. Seulement, ce maudit garnement ne se laisse pas faire. Quand il vient en vacances, il rapporte toujours dans ses malles un tas de papiers : ordonnances, bibliographies, arborant un quelconque tampon ; le corniaud se charge lui-même de la signature. Avec ces papiers, il assomme son vieux père profitant de l'ignorance de celui-ci :
— Mon père, ce sont les livres que je dois acheter, ce sont mes ordonnances, je suis souvent malade là-bas à cause du froid.
Voilà pourquoi le chacal ne manque jamais d'argent. Kerfala tirait sur sa cigarette et se laissait dévisager par ses admiratifs ; puis, pour illustrer les dires de Soriba, il se leva galamment, s'efforçant de ne pas froisser son costume de Tergal. Il clama, en tapant la table avec fracas :
— Tant qu'on y est, attendez-moi quelques instants, je reviens. Toi, Soriba, accompagne-moi quand même. Tu conduiras la voiture. Si je le faisais dans cet état …
Une demi-heure ne s'était pas écoulée qu'ils étaient de retour. La poche de Kerfala s'était gonflée.
— Une autre bouteille de whisky, clama-t-il au barman d'une voix qui pouvait largement s'entendre
dehors. Et économisez vos sens, mes agneaux. Après cette bouteille, je vous emmène quelque part.
— Où ? s'enquirent les autres.
— Hâaaaa voilà ! répondit malicieusement Kerfala. Pas n'importe où, puisque je ne suis pas n'importe qui. Apprenez que, si j'ai le sens des affaires, j'ai aussi celui des contacts. Je connais un copain qui connaît l'adorée, aînée d'un homme de la haute classe, d'un ministre quoi.
— Alors ?
— Alors, cette charmante génisse fête aujourd'hui ses vingt-deux hivernages, whisky, champagne, délicieux
mets et une floraison de belles conquêtes auxquelles il ne manque ni la classe ni la grâce. On y va, ou vous voulez que je vous prie ?
Mais l'assoiffé se fait-il prier pour accepter un verre d'eau où clapotent des glaçons ? Le lion à jeun attend-il la prière des dieux pour avaler en un coup de gueule la biche qu'il trouve au détour du chemin ?
Soriba eut un mal fou à trouver où garer la voiture. Sur les cinq cents mètres et des deux côtés de la rue où ils étaient arrivés, les DS, les Mercedes et autres Cadillac, on eût dit deux fourmilières d'engins plus brillants, plus énormes les uns que les autres.
Kerfala les avait conduits devant une énorme grille portant une lettre dorée sur chaque battant, sans doute les initiales de l'hôte royal de la demeure … Deux hommes factionnaient devant la grille, en vareuse et pantalon bleu marine bordés de larges raies blanches. Il était difficile de prime abord de savoir s'il s'agissait de deux grooms ou de deux sentinelles appartenant à la garde de quelque prince, un de ces princes autour desquels tournent les légendes des riches pays lointains.
A la hauteur des deux hommes, ils s'arrêtèrent : leur regard de marbre n'incitait guère à la camaraderie. Kerfala, qui, décidément, n'arrêtait pas de susciter la plus vive admiration, se dégagea du groupe et accosta lesdits personnages dans un style approprié aux circonstances. De loin, on pouvait le voir gesticuler de la main droite tandis que la main gauche disparaissait dans la poche de son pantalon et soulevait sa veste, dessinant ainsi comme un zeste d'élégance. La scène dura longtemps, les autres ne savaient toujours pas si le fieffé marchandeur qu'était Kerfala parviendrait à forcer l'entrée de la noble maison pour tout le monde.
De temps en temps, il arrivait des hommes et des femmes, de respectables invités ceux-là, qui, montrant simplement un carton, se voyaient ouvrir le passage avec de lourdes révérences par les cerbères.
Kerfala marchandait toujours quand les deux gaillards l'écartèrent avec vigueur : des notables, qui dans un beau costume, qui dans son froufroutant boubou, qui dans sa robe du soir, sortaient solennellement en file. Des chauffeurs et des gardes du corps s'affairaient à retrouver les voitures, à les garer devant la grille, ouvraient les portières. En une minute, le cortège avait démarré, encadré par les motards.
Les gardiens devinrent presque aimables :
— Le patron présent, nous ne pouvions vous laisser entrer. Maintenant, oui, si vous nous promettez de vous conduire bien.
Quant au spectacle qui les attendait, une fois qu'ils furent autorisés à fouler le sol de la miraculeuse habitation, ils n'avaient jamais rien vu de semblable. Sauf peut-être Kerfala que sa sacrée débrouillardise avait
sans doute conduit à bien des aventures dorées. De toute façon, le destin n'avait jamais offert à Diouldé le broussard que les sentiers boueux de Buruure, la mortelle cour du lycée et le restaurant universitaire de Budapest.
Une vaste étendue de tendre gazon tondu avec art ; çà et là, de fraîches paillotes perdues dans un entrelacement de rosiers, de citronniers, de palétuviers et de manguiers ; sous la cime de cette forêt domestiquée, de coquets chemins de galets et de coquillages serpentant dans tous les sens avant de mener à l'étincelant joyau, la villa où se tenait la fête. La terrasse donnait sur une cour intérieure, celle-ci descendait vers une plage qui scintillait de tout l'éclat de son fin sable blanc. Et devant la mer, il y avait aussi une piscine, dont les eaux, véritable miroir fluide, flirtaient avec les jeux de lumière sophistiqués, renvoyant des reflets aux colorations multiples et frivoles.
Un instant abasourdi, émerveillé et béat, Diouldé ne s'aperçut pas que ses acolytes s'étaient éparpillés, qu'ils l'avaient laissé seul dans la cour, au milieu des couples attablés devant des montagnes de choses appétissantes.
Kerfala dansait sur la terrasse qui servait de piste. Les autres, après s'être dirigés vers la plage ou la piscine, accostaient témérairement de belles filles à l'allure de fleurs. Diouldé s'attabla sagement dans un coin, déboucha une bouteille de champagne et s'attaqua à un coq, géant de sa race.
— T'isole pas, mon vieux. Ici, il faut faire comme si on y était né. Bouge, drague, que dis-je. Ces succulentes filles à papa ne cherchent qu'à se faire cajoler. Chante-leur la berceuse de tes aïeux. Ça marche toujours. Seulement, il faut du cran, mon gars.
C'était Kerfala qui était venu le voir entre deux danses. Là-dessus, comme propulsé par quelque ressort invisible, Diouldé se retrouva au milieu d'un groupe de nénettes endimanchées qui piaillaient sans arrêt, sans s'écouter, chacune perdue à dévoiler aux autres les faits et actes de sa menue vie ; chacune se faisait et se refaisait belle, renouait sa tresse, arrangeait son chignon, rajoutait son fard, étirait son jupon pour sauver un pli et elles s'interpellaient dans un caquetage général de Nini, Nénée, Loulou, Lilie, Chouchou …
— Elle est belle, ta robe, Mimie, affirmait une voix non sans une pointe de jalousie. Dis-moi donc où tu l'as trouvée, mon chou. Des robes pareilles se trouvent rarement. Il m'en faut une, moi aussi, je jure, quitte à m'écorcher vive.
— C'est vrai que le modèle est rare, surtout ici, répondait l'âme flattée, le visage tout lumineux de découvrir son joujou de robe tant enviée. C'est tonton Kaba qui me l'a ramenée de Rome.
— Moi ce sont les tchoss 1 de Fifie qui me bottent, mon Dieu. Faut que tu me passes le tuyau, coquine.
— Il n'y a pas de tuyau, mon ange. Cousin Lama en est le seul secret : il les a dénichées dans un chic magasin de Paris lors de sa dernière mission.
Ceci, sans faire état du sac de Kadie, rapporté de Moscou par quelque adorable tantie, de la robe de Lolo, de la montre électronique de Neene, précieux objets mille fois couvés de regards ardents de fou désir, mille fois tâtés, essayés, empruntés, échangés.
Diouldé n'avait pas besoin d'en écouter davantage pour comprendre quel intérêt cette basse-cour de petites gâtées accordait au luxe des choses venues de loin. Peut-être s'intéressaient-elles aussi à l'envoûtant mystère qui dormait en ceux qui, comme lui, avaient eu l'inappréciable veine de fouler les modernes pays ?
Budapest aurait-il le pouvoir de leur arracher quelque
regard, voire quelque attention ? En tout cas, il s'enhardit et jeta d'une voix dont l'assurante mesure
l'étonna le premier et qui coupa d'un net tranchant le flot de dires que les pimpantes demoiselles avaient jusqu'ici déversé :
— Ah, elles ont été achetées à Paris, tes chaussures ?
J'en ai bien vu de pareilles à Budapest : à Budapest où je fais mes études.
Quelle suite de douces caresses que de se sentir tout
à coup le point de mire de tous ces yeux de diablonnes de la coquetterie, des yeux qui ne roulaient plus que pour mieux le voir ! Et, sans plus se laisser retenir par le moindre fil de scrupule, il avait ajouté au plus pressé, conscient de son éhonté mensonge :
— D'ailleurs, oui oui, j'y suis tout à fait maintenant, j'en ai bien vu à Paris aussi ; à Paris où j'ai maintes fois fait escale en allant à Budapest.
— A Paris ? avait gémi du tréfonds de son âme une fille au teint de mangue mûre. (C'était Râhi…)
Ils devaient s'avouer plus tard qu'ils avaient oublié les riches péripéties qui les conduisirent, ce soir-là, bras dessus, bras dessous, tour à tour sur la piste de danse, dans les verts coins secrets du jardin qui appelaient à l'amour, puis dans les vagues immenses d'une mer qui ne semblait plus rouler que pour leur faire fête, telle une foule d'admirateurs lançant à leurs pieds des monceaux de guirlandes … Combien de fois s'étaient-ils embrassés, caressés, pincés, reniflés, humés, serrés, presque étranglés ? Combien de fois lui avait-elle dit :
— Chairri, parle-moi de Paris !
Combien de fois lui avait-il parlé du quartier Latin, de Pigalle, de Montparnasse, du bois de Boulogne et de celui de Vincennes ? …
Cependant, les conquêtes féminines n'avaient jamais été son fort. Au lycée, sa morbide réserve et son pauvre étalage vestimentaire lui avaient valu l'insupportable indifférence des lycéennes. A Budapest, il s'était creusé l'arrière-fond de la cervelle pour connaître les secrets de ceux de ses compatriotes qui, à chaque nouveau soleil, affichaient une nouvelle mignonne … On lui avait pourtant dit :
— Tu verras, là-bas, il te suffira d'éternuer pour ployer à tes désirs la plus entêtée de leurs blondes.
Mais, dans son coin d'amphithéâtre, pas même la petite Eléna, rabougrie et boutonneuse de partout, ne lui avait consenti un regard. “Il faudrait peut-être ne
pas se presser”, s'était-il dit en signe d'espoir. Et, à la fête de l'Université, il avait abordé Vanina ; celle-ci avait secoué son abondante chevelure de blé, puis avait fait une moue de dédain. Il avait fini par rengainer pour de bon sa panoplie de Don Juan écolier.
Or, ce soir-là, la fortune lui souriait tellement ; à aucun prix, il ne fallait rater l'aubaine.
Car c'était bien une aubaine, même si Râhi n'était pas une de ces proies véhiculant dans son sang l'excellence d'un père, fabuleux ministre, mais la modeste cadette d'un instituteur de brousse en retraite. Elle était venue là pratiquement dans les mêmes conditions que lui : elle s'était fait inviter sur l'invitation accordée à une camarade qui connaissait quelqu'un, qui connaissait un autre, qui connaissait la cousine du côté maternel de la troisième épouse du ministre dont la fille fêtait son anniversaire …
Mais ils s'étaient découvert l'un l'autre ces petits côtés infaillibles de gestes lents et de paroles molles qui dénotaient leur commune origine paysanne. Ils ne mirent pas longtemps avant de parler mariage :
— Juste deux maudites années et je te reviendrai glorieux ingénieur, lui avait-il dit en promenant ses doigts sous son mouchoir de tête pour toucher les tresses clairsemées de ses brillants cheveux noirs.
— Tu nous achèteras une voiture, n'est-ce pas ? avait-elle répondu.
— Une voiture ? Ce sera la moindre des choses. Et un frigo, bien entendu. Et puis le climatiseur. Voilà, aujourd'hui, des choses indispensables.
— Et que sera pour moi ton premier cadeau de
mariage ?
— Que diras-tu du joli saphir que je t'offrirai pour nos fiançailles dès la fin de mes études ? Et puis, des robes, de belles robes, cintrées, brodées, dentelées,
comme tu le voudras.
— Et puis des chaussures.
— Oui, des chaussures, qui du reste n'auront rien à voir avec les savates vernies de la Fifie. Car, imagine-toi, ma très belle, les chaussures de cette mouche, qui ici font miracle, là-bas on les voit sur le dernier rayon des modestes magasins. Pas même un manoeuvre en chômage ne les achèterait pour sa femme. Moi, je t'en décrocherai des vraies de luxe, du pur cuir, bien tanné, bien coupé ; pas des pirogues pour encorner tes tendres orteils miens.
Et ainsi de suite … De la machine à laver à la vaisselle en or, de la machine à coudre aux sous-vêtements les plus soyeux, les plus moulants … Comme si ces choses se cueillaient en levant le bras, comme lorsqu'on s'apprête à démunir de ses feuilles un champ de manioc où la gracieuse miséricorde des dieux a déversé l'abondance de la fertilité.
Mais, après tout, que ne pourrait-il avoir avec un diplôme d'ingénieur ? pensait-il.
Et quand les pluies du mois d'août se furent espacées, nourrissant de moins en moins les petits torrents des fossés et des ornières, cessant enfin d'inonder et quelquefois d'emporter les bicoques de la ville, ce fut pour lui le triste moment de reprendre l'avion, de retrouver à Budapest le cours monotone de ses études. A la veille de son départ, il avait acheté quelques cadeaux pour Râhi : une bague marchandée toute une matinée avec un commerçant peu conciliant, un bracelet qu'un obscur bijoutier avait bricolé et sur lequel le brave artisan avait accepté de graver un Râhi pratiquement illisible, un sac à main. De quoi sans doute contenter son être adoré, de quoi la retenir avant l'ère des saphirs, des diadèmes et des soies, avant l'ère qui fatalement s'ouvrirait pour eux deux au sortir de ses études. Mais ses cadeaux n'avaient pas su éclairer le visage de Râhi de la joie qu'en secret il escomptait. Le merci chairri » qu'elle avait susurré n'avait rien à voir avec la chaleur qu'il attendait, la molle bise qu'elle lui avait faite ne ressemblait en rien au flux serré de forts baisers qu'il eût voulu recevoir. A l'aéroport, jusqu'à la passerelle de l'avion, elle l'avait pourtant accompagné, collée à lui comme une verrue, inondant son épaule d'abondantes larmes, toutes chaudes.
— Ce sera long, ces deux années. Tu penseras à moi, n'est-ce pas ? Tu penseras à moi tout le temps, n'est-ce pas ? avait-elle dit.
— Je penserai à toi et je t'écrirai tout le temps, avait-il répondu, fébrile.
Furtivement, ils avaient échangé des photos-souvenirs. Diouldé lui avait offert un sombre portrait en buste où il arborait un sourire crispé et fronçait les sourcils ; son regard en était tout ouvert et paraissait abominablement vide. Pour Râhi, ce fut un portrait clair, peut-être un peu trop clair, qui atténuait, dissolvait presque ses traits dans la blancheur du papier.
A Budapest, Diouldé avait soigneusement encadré le portrait de Râhi et l'avait fixé au mur de sa chambre : personne ne pouvait l'ignorer de ceux qui s'aventuraient chez lui. Il entraînait aussitôt ses visiteurs devant l'inévitable photo et là, d'un index soumis à l'on ne sait quelle vibration, il montrait sa bien-aimée et disait d'une voix fière :
— C'est ma fiancée.
De méchantes langues raconteront que Râhi, elle, prenait mille et une précautions pour ne pas montrer la photo de son chairri aux curieux. Lorsqu'elle avait annoncé qu'elle venait de se fiancer avec un étudiant poursuivant ses études en Hongrie, elle précisait tout de suite qu'il était sur le point de décrocher son terrible diplôme d'ingénieur. Et quand un de ses camarades apercevait le maudit portrait, elle s'empressait de lui signifier que, oui, c'était bien son fiancé ; mais, attention, il était étudiant et, qui plus est, bientôt ingénieur : il ne fallait en rien se laisser tromper par ce carton ; chacun savait que, dans cette foutue ville, pas un seul photographe n'était digne de ce nom : des pourfendeurs de portrait, voilà ce qu'étaient les photographes ici …
Qu'importe ! Dans deux années, Diouldé, ingénieur, pourrait, avec elle, décider de la date de leur mariage. Rien ne s'y opposait, ou plutôt si : une chose à quoi Diouldé, jusqu'ici soumis à la douce euphorie des premières amours, n'avait pas songé : l'existence de son père. Comment annoncerait-il à ce farouche gardien des principes ancestraux qu'il avait tout seul décidé de se fiancer avec une jeune fille pour l'avoir fait danser un beau soir ? Comment lui ferait-il comprendre que les temps avaient décidément bien changé ; que les jeunes n'avaient plus le tempérament à se faire marier à la guise de tel père ou de tel oncle ? La tâche lui aurait été encore bien plus facile si, dès l'âge où il en était à jouer dans la poussière, son oncle, en réalité le plus proche cousin de son père, n'avait un jour réuni tous
ceux qui, dans le village, l'expérience des années acquise, savaient, disait-on, distinguer le bien du mal, l'essentiel du futile et la droiture de l'égarement, et n'avait porté à la connaissance de la lourde 2 et respectable assemblée de tels sages qu'au nom de leur lignée — dont la même sève millénaire leur parcourait le corps à tous — il avait décidé d'offrir Kadidiatou, le dernier fruit de sa quatrième épouse, à son cousin, justement ; que cette décision lui était d'autant plus agréable que ce dernier n'avait jamais ôté une seule feuille à l'arbre qui lui avait donné de l'ombre ; en plus, libre cours, il laissait à son cher parent le soin de marier la fille à qui il voudrait ; mais sa préférence, si on lui permettait d'exprimer sa préférence, serait que ce soit à un des fils de son cousin, car, par ces temps où la main ne reconnaît plus son propriétaire, où la bouche n'obéit plus à celui qui la possède, la sagesse même recommandait de se montrer d'une extrême prudence : mieux valait voir sa fille liée à un proche parent, à un autre soi-même, que de la voir emboîter le pas au premier venu dans l'inconnu de l'aventure. A quoi, Alfâ Bâkar avait répondu que jamais, par la ceinture de son père, jamais il n'avait entendu paroles aussi mielleuses, qu'elles lui faisaient à la gorge l'effet d'une eau de source bue après avoir mâché une saine et volumineuse noix de cola fraîche de la fraîcheur du matin; que, puisque la coutume disait bien : « Même si on te crève un oeil, garde le bon sur la génisse que l'on t'a confiée, quitte à perdre ton troupeau entier », son bonheur serait de garder la promise pour un dont sa chair avait donné la vie, pour son fils aîné, Diouldé. Aussitôt, Mère avait été appelée et, dès que la nouvelle lui avait été annoncée, elle s'était affalée, saisie par le coup du bonheur, frétillant même des cheveux dans sa transe. On avait croqué la cola, on s'était félicités, on avait remercié Dieu et les ancêtres pour tant de bénédiction, tant de paix, tant d'harmonie feutrée. Les vieux avaient sorti leurs éternelles quintes de toux, discrètement, s'étaient gratté les hanches. Le griot avait fait frémir par sa voix rauque, catarrheuse, presque obstruée, qui avait comme qui dirait du mal à sortir, mais qui sortait quand même, toujours …
Quelles ne furent les railleries des petits camarades
de Diouldé ! La fiancée, petite morveuse d'à peine douze saisons d'existence, n'apparaissait plus devant foule de bambins sans que des voix sarcastiques s'élèvent pour annoncer la femme de Diouldé ! Au détour d'un chemin, la femme de Diouldé, pleurnichant derrière sa mère ; à la rivière où les gamins avaient décidé de s'offrir une partie de baignade, la femme de Diouldé, flanquée de ses soeurs et s'évertuant à suivre les conseils de ses petites aînées sur la manière de blanchir un linge irréversiblement rouge du rouge de la terre. Au clair de la lune, dans le cercle de danse, la femme de Diouldé, qui, d'ailleurs, ne semblait nullement s'en offusquer — comment en serait-il ? — mais s'adonnait plutôt avec une précocité inquiétante au jeu malicieux de la promise prude : elle savait déjà se cacher à la vue de son futur époux, prestement derrière une palissade, elle se terrait dans un lougan bordant le chemin. C'était déjà une femme qui ne laissait plus passer ni Ramadan ni Tabaski 3 ni tuppal 3 ni hirde 3, sans composer avec l'art d'une mère quelque mystérieux lacciri 4 accompagné d'un lait consistant et du meilleur des beurres qu'elle offrait à Diouldé et à ses petits camarades. La réplique à tant d'éducation ne tardait pas de la part des parents de Diouldé : Alfâ Bâkar saisissait toutes les occasions pour rendre les honneurs à la belle-famille, un sachet de cola à la main. Mère ne s'arrêtait plus de carder, tisser, coudre, et teindre pagnes, camisoles, mouchoirs de tête pour la belle-fille.
Une chose menacera pourtant et troublera, sans que personne ait pu le prévoir, cet hyménée comme fatidique, ce parachèvement de la quiétude du village : sous l'incitation d'un voisin qui connaissait la ville, Alfâ Bâkar avait admis que Diouldé fût mis à l'école. Comment, dès lors, les hommes sages du village ne surent percevoir qu'un fossé s'était creusé, qu'il allait de jour en jour s'agrandir entre ces deux petits cousins que la tradition, dans son infini bon sens, avait décidé de lier pour le bonheur de tous ?
Lorsque Diouldé, sortant de l'hésitation, entreprit d'encourir risques et périls pour écrire à son père sa décision d'épouser Râhi, l'étonnement fut grand.
La réponse d'Alfâ Bâkar ne tarda pas :
— Toi que j'ai conçu, que j'ai mis au monde pour tout dire, que j'ai élevé avec peine. Toi pour qui j'ai sué, chaque jour, à chaque instant, c'est toi qui m'insultes,
me profanes, m'humilies, me traînes nu sur la place du village, sous les yeux gourmands des curieux, devant parents et amis, pour lesquels, tu le sais bien, j'ai toujours porté l'habit de l'homme qui ne dit pas mot pour rien, qui respecte sa parole donnée. J'ai toujours baigné dans le respect et l'honneur, Diouldé, et on m'aurait fendu le crâne, je n'aurais pas cru qu'il te reviendrait à toi, toi, le fruit de ma chair, de m'en priver.
Mais voilà : il faut se rendre à l'évidence. Dans le village, je n'ose plus paraître. Je ne puis, vois-tu, supporter ces chuchotements dans mon dos, ces salutations soudain furtives, fuyantes, ces regards en lesquels je ne lis plus ni la franchise ni la confiance. Hey Diouldé, hey, es-tu donc assez naïf pour préférer le promis au possédé, le sombre attrait d'une passante à la disponibilité sûre et entière d'une fille que les tiens t'ont donnée ? Oseras-tu vraiment m'ôter le bonnet de la tête et défier avec tant d'effronterie les lois qui nous attachent tous, blesser à jamais tous ceux qui, ici, n'ont cessé de nous aimer, de nous épauler ? Prendras-tu pour femme une misérable pécheresse ?
Pourtant, Diouldé, pourtant, le proverbe dit bien :
“Ne crève pas l'oeil de celui qui t'a appris à voir.” Si encore je croyais infléchir ta décision, je te dirais de te
reprendre ; mais, puisqu'il en est ainsi, awa Diouldé,
awa … En tout cas, une telle conduite, tu ne la prends pas de moi. Personne ne saurait me convaincre de porter un tel héritage, même au plus intime lieu de mon être … Là, c'est ta mère, Diouldé, là, c'est ta mère. Il n'y a qu'à voir la conduite dont elle a toujours fait montre …
Un dernier mot, Diouldé. Si tu épouses cette fille, alors, Diouldé, considère que je ne suis plus pour toi qu'un étranger, plus un père ; que la parenté qui nous
liait est devenue celle du singe et de la pierre. Je dis, si tu épouses cette fille, ne me tends plus la main, je ne la prendrai pas, ne m'écris plus, je ne te lirai pas, ne me fais plus cadeau de rien, ce serait une grande insulte.
Rien y fit, cependant : Diouldé épousa Râhi. De toute la famille, Mère seule assista à la cérémonie. Elle n'ignorait pas qu'ainsi elle portait outrage à son mari. Ne lui avait-il pas dit :
— Voici ton oeuvre. Voici la conduite de ce que tu as mis au monde. Tu iras évidemment l'assister dans le fin mot de sa déchéance, n'est-ce pas? Tu iras à ce mariage, hein? Avoue que tu iras ?
Elle était venue, partagée entre l'irrésistible appel d'un fils enseveli sous les dalles du déshonneur que crée la faute, et l'indiscutable désir d'un mari fort de la raison des principes coutumiers. En vérité, elle n'avait su choisir entre ces deux pôles d'une même douleur. Ce n'était peut-être pas elle qui était venue à ce mariage proscrit, mais la fibre principale de sa poitrine, la personne profonde de son être.
Notes
1. Mot d'argot pour chaussures.
2. Honorable.
3. Fête religieuse.
4. Idem.
5. Idem.
6. Couscous de maïs.
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Fulbright Scholar. Rockefeller Foundation Fellow. Internet Society Pioneer. Smithsonian Research Associate.