Cheick Oumar Kanté
Les orphelins de la révolution
Menaibuc, 2004. 376 p.
Deuxième partie.
Plus complexe, le retour ?
Et, pour la révérence !
Mi -septembre 2000 ! …
Même si son collège du Beaujolais est moins paisible qu'avant, malheureusement, ma femme ne postule plus pour la Guinée. Sa plus récente tentative, infructueuse comme toutes les précédentes, remonte à mes derniers séjours, lointains déjà, pour la création et l'animation de Soriba.
D'y retourner d'autres fois, je ne désespère cependant pas, moi, trente ans après mon départ fatidique. Il me tarde trop d'y poursuivre l'activité grâce à laquelle je grefferai enfin des racines guinéennes à ma petite famille française, seule façon pour moi de la remercier de son hospitalité ! En tout état de cause, elle est grande mon autre frustration de ne pas pouvoir compter d'anciens élèves dans mon pays d'origine alors que j'en dénombre plusieurs dizaines en Centrafrique et des milliers en Côte d'Ivoire ! …
Voilà quatre ans maintenant que nous sommes installés — en attendant, je l'espère ! — de l'autre côté de la Saône, dans l'Ain, en léger retrait des grandes agglomérations, dans une localité où nous jouissons des avantages et des inconvénients cumulés de la ville et de la campagne : une commune rurbaine, comme on les appelle !
Cette année, par deux fois déjà, — la première à la fin de l'été et la seconde par temps de grand froid — nous avons été quelques dizaines « d'ennemis de la mal-bouffe et des épandages nauséabonds » à manifester dans les rues de notre village de moins de mille habitants contre l'implantation d'un élevage industriel d'une capacité de trente-cinq mille poulets ! …
Dans notre jardin, par bonheur, deux cerisiers sont fiers d'exhiber leur retour de floraison magnifique. Avec un prunus et un prunier, ils remplacent comme ils le peuvent, les manguiers, les orangers et les mandariniers de mon enfance.
Il me plaît aussi — ô combien ! — de trouver des airs de ressemblance entre la Mâtre coulant en contrebas de notre demeure caladoise et la Doŋora du lieu de ma naissance.
La route départementale à l'horizon sud n'est pas sans évoquer, elle non plus, la corniche à proximité de notre logement à Dimbokro !
Quant à la fenêtre de notre bureau sur la façade nord, elle rappelle tant une portion de la grande baie vitrée de notre ancien appartement à Bangui, poste d'écriture de la plupart de mes derniers textes ! …
Alors, au moment où je mets un point final à ce récit, je ne puis m'empêcher de révéler les quelques questions angoissantes que je ne cesserai de me poser parce qu'elles sont, pour moi, ontologiques, après tout. Et, qu'importe si elles rappellent un tant soit peu les paroles plates et nonchalantes d'un certain jeune chanteur de rap français !
— Est-ce que je suis d'ici maintenant ?
— Ou est-ce que je suis encore de là-bas comme toujours ?
— Sans doute, ne suis-je plus tout à fait de là-bas, à présent !
— Mais serai-je d'ici « à jamais » ? …
Qu'on ne se méprenne surtout pas ! Je ne me sens ni écartelé ni embarrassé ! Je forme un souhait unique, celui de n'avoir jamais — je dis bien : « jamais ! » — à choisir de façon exclusive l'une ou l'autre de mes deux chaises. A force, elles me sont de la même manière indispensables.
Question subsidiaire mais préoccupante tout autant :
— Et, puisque j'ai dû manger plus d'andouillettes lyonnaises que de brochettes de boeuf korhogolaises 1, plus de « poulet industriel » que de « poulet-bicyclette » traditionnel 2, malgré ma vigilance … « révolutionnaire », ai-je failli dire, n'ai-je pas, déjà, perdu au change?
Au long de ma seconde moitié de siècle d'âge, j'ose caresser l'espoir de trouver sur mon chemin plusieurs autres centres d'intérêt moins alimentaires.
Notes