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André Lewin
Ahmed Sékou Touré (1922-1984).
Président de la Guinée de 1958 à 1984.

Paris. L'Harmattan. 2010. Volume II. 263 pages


Chapitre 54. — 23 mai 1963
Sékou Touré réalise l'un de ses rêves : il est l'un des fondateurs de l'Organisation de l'Unité Africaine, mais boycottera quatorze Sommets sur les vingt-trois tenus de son vivant


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Depuis la signature, en novembre 1958 à Accra, de la déclaration d'intention sur l'Union Ghana-Guinée, prémisse d'une union plus large à laquelle s'associera effectivement le Mali de Modibo Keita, cependant que des propositions précises étaient faites à ce sujet au leader camerounais en exil Félix Moumié et au Congolais Patrice Lumumba, Sékou Touré ne cesse de penser à l'union du continent et d'oeuvrer en sa faveur.

Pendant les quelques mois qui précèdent la conférence d'Addis Abeba en mai 1963, Sékou Touré, souvent accompagné de Diallo Telli, déploie une intense activité diplomatique. D'avril 1958 à la fin de 1961, il n'y aura pas moins de quatre-vingts rencontres entre chefs d'État et de gouvernement africains, et il n'y en aura guère moins au cours de la seule année 1962 : Sékou participe à un grand nombre d'entre elles. Il est désormais convaincu que l'antagonisme entre les groupes de Monrovia et de Casablanca doit impérativement s'effacer si l'on veut aboutir à l'unité du continent. Il n'a pas toujours professé cette opinion, mais veut désormais apparaître comme l'homme politique africain le plus enclin au compromis et à la conciliation.

En mai 1962, il invite à Labé, capitale du Fouta Djalon, le président Senghor et le président du Conseil Mamadou Dia.

En juin, Hamani Diori, président du Niger, effectue en Guinée une visite officielle de plusieurs jours.

Puis Sékou Touré se rend au Caire pour la troisième session du comité politique du groupe de Casablanca, qui lance aux autres pays un appel pressant à l'unité. En route pour Le Caire, il fait halte à Addis Abeba. Il lui faut en effet calmer Hailé Sélassié, qui se montre vexé car Sékou Touré n'a pas encore rendu de visite officielle à l'Éthiopie, l'un des deux seuls pays africains à n'avoir pas subi la colonisation européenne et à avoir naguère vaincu à Adoua l'envahisseur italien, alors qu'il s'est déjà rendu au Liberia. Le Négus supporte mal aussi que le leader guinéen se montre plus prévenant à l'égard des chefs d'État révolutionnaires qu'à l'égard de la plus ancienne monarchie d'Afrique.

Cette susceptibilité se confirme lorsque Sékou Touré et sa délégation arrivent en Éthiopie. Au lieu d'être reçus à Addis Abeba, la capitale du pays, on les amène à Asmara, chef lieu de l'Érythrée, dans une résidence impériale du Négus, une grande bâtisse coloniale construite à l'époque italienne. Le président guinéen, finalement très soucieux de protocole et fidèle à la tradition africaine, accepte la leçon et se comportera désormais vis-à-vis du Négus avec une réelle déférence 75.

Au cours de cette brève escale éthiopienne s'ébauche aussi la première esquisse de la structure de la future institution africaine. Les idées de Sékou Touré à ce sujet se précisent déjà. A ses côtés au cours de ce rapide séjour à Asmara se trouvent, outre Diallo Telli, Diallo Seydou, ambassadeur de Guinée en Éthiopie, et Diallo Abdoulaye [ambassadeur de Guinée au Ghana]. Il les charge de visiter ensuite les autres capitales de l'Afrique équatoriale et occidentale.

C'est ainsi que le 26 juin 1962, venant de Khartoum, Diallo Telli débarque à Dar Es-Salam, porteur d'une lettre de Sékou Touré au président de la Tanzanie, Julius Nyerere. Deux jours plus tard, il arrive à Brazzaville et s'entretient avec le président Fulbert Youlou, à qui il remet également une lettre du leader guinéen. Celui-ci préconise dans sa missive une rencontre des chefs d'État des groupes de Monrovia et de Casablanca ; par la même occasion, Sékou Touré propose à son collègue congolais — celui-là même dont il précipitera pourtant la chute un an plus tard — l'établissement de relations diplomatiques avec la Guinée.

En juillet, alors que l'Algérie vient d'accéder à l'indépendance, Sékou Touré réunit à Conakry les représentants de la Mauritanie, du Sénégal et du Mali pour y discuter de l'aménagement du fleuve Sénégal : c'est la première fois que des responsables sénégalais et maliens acceptent de s'asseoir côte à côte depuis l'éclatement de la Fédération du Mali, deux ans plus tôt. A la même époque, le président guinéen indique aux Marocains qu'ils ne pourront plus compter sur son soutien inconditionnel à propos de la revendication qu'ils formulent sur la Mauritanie 76.

Au mois d'août, Nkrumah et Yaméogo se rencontrent afin de tenter d'aplanir les incessantes difficultés entre le Ghana et le Togo. Au même moment, Modibo Keita se rend à Abidjan auprès d'Houphouët-Boigny ; le leader malien y déclare que "dans quelques mois, les deux groupes, que rien de fondamental ne sépare, se seront retrouvés. Ils doivent surmonter leurs égoïsmes et sacrifier leur orgueil déplacé au bénéfice de l'unité africaine".

En septembre, c'est au tour des pays de l'UAM de tendre, depuis leur réunion de Libreville, une main fraternelle aux États du groupe de Casablanca, en suggérant une rencontre au sommet.

En octobre 1962, lors de la session de l'Assemblée générale de l'ONU à New York, Sékou Touré esquisse les contours d'une instance africaine unique, affirmant que les communautés régionales, économiques ou autres, "qui renforcent leurs structures de jour en jour (…) auront notre plein agrément et notre entier soutien lorsque, renonçant à tout objectif égoïste, elles s'intégreront étroitement aux exigences d'un développement solidaire."
Il déclare ensuite que "l'unité africaine ne saurait signifier l'unicité des institutions et des structures de nos États, encore moins la création d'un seul parti ou d'un seul grand État africain (…) L'un des handicaps majeurs qui ont entravé jusqu'ici la parfaite réalisation de cette unité se trouvait dans la conception que beaucoup se faisaient d'elle et qui consistait à croire qu'elle devait se réaliser autour d'un État ou d'un homme."

Ainsi, Sékou Touré désamorce-t-il l'hostilité de ceux qui pensaient, sans doute à juste titre, que lui-même et K wame Nkrumah se voyaient bien jouer ce rôle-là. Et il se démarque donc de son collègue ghanéen, dont les thèses très fédéralistes ne réussiront pas à s'imposer lors de la réunion d'Addis-Abeba, l'année suivante 77.

En marge de la session de l'ONU, Sékou propose que sept chefs d'État : Hailé Sélassié, Nasser, Tubman, Houphouët-Boigny, Senghor, Fulbert Youlou et Sir Aboubacar Tafawa Balewa, constituent un groupe pour fixer le lieu, la date et l'ordre du jour d'un sommet de l'unité africaine. A peine revenu en Guinée, il reçoit les présidents du Mali et de la Côte d'Ivoire à Komodougou. Nasser, de son côté, renonce à exiger, comme préalable à la participation de l'Égypte à un tel sommet, que tous les pays africains rompent auparavant avec Israël.

[Erratum. — Sir A. Tafawa Balewa était Premier ministre, chef du gouvernement fédéral du Nigéria. Le chef d'Etat était Nnamdi Azikiwe (1904-1996), de 1963 à 1966. — Tierno S. Bah]

Premier chef d'État de l'Union africaine et malgache (UAM) à visiter le Caire, Ahidjo se rend en Égypte en octobre, après qu'un représentant du parti d'opposition de l'Union des populations camerounaises (UPC) en a été expulsé. Senghor pour sa part vient de se rendre à Tunis, marquant ainsi la volonté de l'Afrique du Sud du Sahara d'établir de nouveaux liens avec tous les pays du Maghreb.

Fin avril 1963, Sékou Touré fait une visite officielle de quatre jours au Nigeria, puis, avant de rejoindre Addis, il se rend en visite d'État à Dakar. Plusieurs différends bilatéraux sont en voie de règlement avant la réunion d'Addis Abeba : entre le Sénégal et le Mali, entre le Mali et la Mauritanie, enfin, à la faveur de l'assassinat du président Olympia en janvier et de l'avènement au pouvoir de Grunitzky, entre le Ghana et le Togo.
Subsistent encore les incidents de frontière entre l'Algérie et le Maroc 78, le Maroc et la Mauritanie 79 ainsi qu'entre l'Éthiopie et la Somalie 80 ; quant au problème congolais, il semble réglé au profit du gouvernement central présidé par Joseph Kasavubu.
Au printemps 1963, la voie paraît effectivement libre pour une réussite du sommet. Une semaine avant que ne s'ouvre le sommet proprement dit, une réunion préparatoire des ministres des Affaires étrangères a lieu à Addis-Abeba à partir du 15 mai.

Ayant élu comme président le ministre éthiopien, Ketema Yefrou, elle se dote de deux commissions : l'une est chargée de tout ce qui concerne la création de la nouvelle institution — charte, secrétariat permanent — ainsi que de certains problèmes précis de coopération ; l'autre de tout ce qui a trait à la décolonisation, à l'apartheid, à la discrimination raciale et au désarmement. La première élit comme président le ministre sénégalais Doudou Thiam et comme rapporteur l'Algérien Layachi Yaker ; la deuxième choisit Diallo Telli comme président, et le ministre des Affaires étrangères de la Sierra Leone, le Dr John Karfa Smart, comme rapporteur.

C'est finalement du 22 au 25 mai 1963 que se tient la réunion d'Addis-Abeba; trente pays sont représentés, dont 27 par leur chef d'État ; principaux absents, Hassan II du Maroc et le Togolais Grunitzky ; en revanche, le Congolais Kasavubu est présent.
Les vrais problèmes se sont posés surtout au sein de la première commission. Certains délégués, en effet, ne veulent pas s'engager sur un texte de charte, mais préconisent d'en confier l'examen à un comité d'experts qui seraient désignés la semaine suivante par les chefs d'État et ne se réuniraient qu'ultérieurement. D'autres, au contraire, veulent aller très vite, mais ne sont pas d'accord sur le type d'organisation à créer : une simple institution de coopération ? Une véritable amorce de gouvernement africain ? La commission risque de s'enliser et doit se contenter d'un avant-projet simplifié, basé sur quelques principes très généraux. Mongi Slim, ministre tunisien des affaires étrangères, explique : — Une charte à Addis Abeba ? Rayez cela de vos papiers ! Nous avons seulement rassemblé des documents qui serviront de base aux travaux des chefs d'État.
Et Doudou Thiam de renchérir :
— Nous ne sommes pas des sorciers ; on n'a jamais vu une charte internationale adoptée en une seule conférence.

Les chefs d'État réunis le 23 mai manifestent leur désaccord avec cette approche trop prudente. Dans son discours inaugural, l'empereur Hailé Sélassié lance un appel pressant à ses collègues en s'écriant :

« Cette conférence ne peut se clôturer sans l'adoption d'une seule charte africaine. Nous ne pouvons quitter cette salle sans créer une organisation africaine. Si nous échouons en cela, nous aurons trahi notre responsabilité vis-à-vis de l'Afrique et des peuples que nous dirigeons. Si nous réussissons, c'est alors et alors seulement que nous aurons justifié notre présence ici. »

Nkrumah relance son projet de gouvernement et de parlement uniques. Sékou Touré adjure ses pairs de ne pas se séparer avant un accord sur une organisation, une charte et un secrétariat ; il propose de fixer un délai pour achever le processus de décolonisation, après quoi, une intervention armée sera possible ; chaque pays doit consacrer 1% de son PNB à un fonds de libération nationale ; il propose une révision de la charte de l'ONU qu'il considère comme dépassée, car elle n'accorde pas à l'Afrique un rôle légitime; il appuie les projets de marché commun et de banque de développement et soutient l'idée d'Hailé Sélassié de créer une université africaine.
Au terme des débats au niveau des chefs d'État, une commission spéciale est créée pour mettre au point sans plus tarder un projet définitif de charte.

« Après des jours et des jours de discussions, se souvient Falilou Kane, les chefs d'État décidèrent de ne pas quitter Addis Abeba avant d'avoir signé une charte, et un projet a été soigneusement élaboré. C'est le Sénégal et le Liberia qui ont été désignés pour mettre au propre les textes français et anglais du document, sous la direction de Doudou Thiam et Rudolph Grimes, deux juristes, ministres des Affaires étrangères de leurs pays respectifs. Et pendant que tous les autres délégués étaient en excursion à Bishoftou, Diallo Telli est resté avec nous, du matin au soir, et il a participé à toutes nos discussions lors de ce travail. Avait-il déjà le pressentiment qu'il deviendrait l'exécutant des dispositions de la charte ? Peut-être pas. Mais il appréhendait sûrement l'importance de ce document, qui devait régir l'avenir de l'organisation ; il avait une haute conscience des responsabilités qui nous étaient confiées par toute l'Afrique. » 81

Fruit d'un compromis et de longs conciliabules entre les "modérés", attachés à l'unité progressive du continent, et les "révolutionnaires", partisans d'une fédération immédiate, cette conférence constitutive où est adoptée la Charte de l'Organisation de l'unité africaine marque l'avènement de la première organisation panafricaine. La Charte de l'OUA comporte un préambule et 33 articles qui définissent les objectifs poursuivis, les principes et les institutions de l'OUA. Les premières résolutions votées concernent la lutte contre l'apartheid et celle des mouvements de libération dans les provinces d'Outre-mer portugaises.

Le Sommet suivant (en général considéré comme le 1er Sommet de l'OUA depuis sa création) se réunit du 17 au 21 juillet 1964 au Caire, dans les bâtiments de la Ligue arabe. Trente-trois délégations sont présentes, parmi lesquelles 29 sont dirigées par des chefs d'État. Bien entendu, Sékou Touré est présent. Nkrumah se fait l'avocat d'une union fédérale forte et rapide de l'Afrique, et se heurte aux objections de la plupart des chefs d'État présents ; même Sékou ne le soutient qu'assez mollement. Président de séance, il affirme : "Le principe d'un gouvernement d'union n'a pas été admis". Il se prononce pour une marche "étape par étape" qui obtient la majorité. La commission de médiation, de conciliation et d'arbitrage et les commissions spécialisées, telle que la commission de la défense créée en remplacement du Haut-commissariat africain, sont mises en place. Le principe de l'intangibilité des frontières héritées de la période coloniale, est réaffirmé.
Une résolution condamnant l'apartheid est adoptée, réclamant la libération des leaders anti-apartheid, parmi lesquels Nelson Mandela. Les premiers conflits frontaliers sont examinés, ainsi ceux qui opposent le Ghana à la Haute-Volta [Burkina Faso] et le Togo au Ghana. C'est également ce Sommet qui procède à l'élection de Diallo Telli comme Secrétaire général 82.

C'est à Accra, du 21 au 25 octobre 1965, que se réunit le 2ème Sommet. Trente-six pays sont représentés dont 19 par leurs chef d'État, mais les pays de l'OCAM sont absents, et Sékou Touré propose le vote d'un blâme à leur encontre. Le projet de mise en place d'un exécutif panafricain échoue. Une résolution demande aux principaux partenaires économiques de l'Afrique du Sud de faire pression sur Pretoria contre le régime d'apartheid. De plus, un appel est lancé à la Grande-Bretagne à propos de l'indépendance unilatérale décrétée en Rhodésie. Des tensions entre le Ghana et la Côte d'Ivoire ainsi qu'entre le Ghana et le Niger marquent cette conférence, ces pays s'accusant mutuellement de subversion. A son retour à Conakry, Sékou Touré annonce qu'il ne se rendra pas au Sommet des non-alignés à Alger.

En raison de l'éviction de Nkrumah, Sékou Touré décide de ne pas assister au 3ème Sommet de l'OUA, tenu à Addis Abeba du 5 au 9 novembre 1966, car il sait que les seize chefs d'État (seulement) qui y participeront avaliseront la présence de la délégation envoyée par les nouveaux dirigeants du Ghana et présidée par le général Ankrah, l'auteur du coup d'État.

De plus, le 29 octobre, la délégation guinéenne conduite par le ministre guinéen des affaires étrangères Lansana Béavogui et qui se rendait à la réunion ministérielle précédant le Sommet, a été arrêtée par les autorités ghanéennes lors de leur escale à Accra. Le fait que leur avion était un appareil de la compagnie américaine PANAM provoque une crise avec les États-Unis 83, mais provoque aussi une vive émotion à l'OUA et à l'ONU.

Le 31 octobre, le conseil des ministres de l'OUA (sans représentation guinéenne) décide d'envoyer une mission à Accra et à Conakry.

Le 2 novembre, le Secrétaire général de l'ONU U Thant demande la libération de la délégation guinéenne, mais demande aussi à Sékou Touré d'accepter une enquête sur les souhaits des Ghanéens séjournant en Guinée autour de Nkrumah. Sékou Touré affirme dans un message à l'OUA que tout Ghanéen désirant rentrer de Guinée au Ghana pourra le faire aux frais de la Guinée.

Finalement, le 5 novembre, la délégation guinéenne est libérée, et peut retourner à Conakry. Le lendemain cependant, Sékou Touré déclare que l'insulte faite à la Guinée n'est pas effacée, parce que les autres chefs d'État acceptent la présence du général Ankrah à l'OUA. La Guinée n'y est représentée qu'à partir du 8 novembre par une délégation dirigée par Léon Maka, président de l'assemblée nationale, chargée d'informer les délégations de la situation. La question du soutien aux mouvements de libération permet néanmoins de retrouver un certain consensus. La Haute-Volta est chargée d'une médiation entre le Rwanda et le Burundi. Et le Sommet recommande des pressions sur la Grande-Bretagne pour le règlement du problème rhodésien.

Le Sommet suivant se tient le 11 septembre 1967 à Kinshasa ; 36 pays sont représentés et 15 chefs d'État ont fait le déplacement. Bien entendu, Sékou Touré n'est pas du nombre, d'autant que ses relations avec Mobutu, qu'il considère comme responsable de l'assassinat de Lumumba, sont mauvaises. Les tentatives de sécession au Congo-Kinshasa et au Nigeria sont condamnées. Au sujet de la guerre du Biafra, le Sommet désigne une commission de conciliation composée de six chefs d'État. Les conflits opposant le Kenya à la Somalie et le Rwanda au Burundi sont également abordés. Enfin, la réunion adopte des résolutions condamnant Israël (on est trois mois après la guerre des Six Jours, et de nombreux pays, dont la Guinée, ont rompu leurs relations avec Israël ou s'apprêtent à le faire).

C'est Alger qui abrite le Sommet suivant, du 13 au 16 septembre 1968 ; 14 chefs d'État y participent. En dépit de l'absence de Sékou Touré, Diallo Telli est reconduit dans ses fonctions de Secrétaire général. Les travaux sont dominés par la guerre civile au Nigeria et le conflit du Biafra, ainsi que par le conflit israélo-arabe. Enfin, le Sommet adopte une recommandation sur la conservation de la nature et des ressources naturelles du continent.

Le 6ème Sommet se tient du 6 au 9 novembre 1969 au siège de l'organisation, à Addis-Abeba, en présence de 12 chefs d'État seulement. Des inquiétudes sont exprimées à propos du prolongement du conflit du Biafra et devant le flux croissant des réfugiés en Afrique. Le manifeste de Lusaka, décidant de lutter plus fermement contre l'Afrique du sud, est adopté par les participants.

Le 7ème Sommet se tient également à Addis-Abeba, du 1er au 3 septembre 1970 ; 23 chefs d'État y participent. Le conflit du Biafra s'est terminé par la victoire du gouvernement fédéral et la défaite des séparatistes ; l'OUA scelle la réconciliation du Nigeria avec les pays qui avaient reconnu le Biafra (comme la Côte d'Ivoire ou la Tanzanie). La conférence condamne les pays occidentaux fournisseurs d'armes à l'Afrique du sud et demande le retrait d'Israël des territoires occupés.

C'est encore une fois au siège de l'OUA à Addis Abeba que se tient le Sommet suivant (8è), du 21 au 24 juin 1971. Dix chefs d'État seulement y assistent. Le différend Sénégal-Guinée (qui porte sur le fait que le Sénégal n'a rien fait pour empêcher les dissidents guinéens de tenter de comploter contre Sékou Touré) y est évoqué et une commission de médiation nommée. La majorité des participants s'oppose vivement à l'idée d'un dialogue avec l'Afrique du Sud lancée par Houphouët-Boigny 84. En revanche, elle se prononce pour l'envoi d'une mission de chefs d'État africains en Israël et au Moyen Orient. La réunion convient aussi de constituer une mission de conciliation afin de tenter de mettre un terme à l'opposition fratricide entre les mouvements de libération de l'Angola, le MPLA et le FNLA. Une résolution relative à la souveraineté des pays africains sur leurs ressources naturelles est également adoptée.

Au conseil des ministres de l'OUA tenu à Addis Abeba en février 1972, la délégation guinéenne, parmi d'autres, reproche au Conseil de sécurité de l'ONU de ne pas avoir agi lors de sa réunion exceptionnelle sur l'Afrique du Sud (tenue quelques jours auparavant en présence du nouveau Secrétaire général de l'ONU, Kurt Waldheim, qui est autorisé à se rendre à Pretoria en mission d'information), et d'avoir ainsi commis une "erreur historique" ; la Guinée demande des sanctions plus sévères contre la Rhodésie du Sud et l'Afrique du Sud.

En juin 1972, un nouveau conseil des ministres se tient à Addis Abeba ; pour la première fois, il décide d'admettre douze mouvements de libération nationale.

Lors du 9ème Sommet qui se tient à Rabat du 12 au 15 juin 1972, 22 chefs d'État sont présents. En dépit de ses bonnes relations avec le roi Hassan II, Sékou Touré n'a pas fait le déplacement, mais il annonce pendant que se tient le Sommet, le 14 juin, la normalisation des relations de la Guinée avec le Ghana et fait savoir que la dépouille de Nkrumah serait prochainement rendue à son pays (ce sera chose faite début juillet). Les participants au Sommet expriment leur satisfaction. C'est l'objet même du boycott de Sékou Touré vis-à-vis de l'OUA qui devient ainsi sans objet, six ans après l'éviction de Nkrumah; mais Sékou Touré restera quand même absent des Sommets de l'OUA pendant six années de plus.

Pour remplacer Diallo Telli, qui arrive au terme de ses deux mandats au secrétariat général, le Sommet de Rabat élit le Camerounais Nzo Ekangaki. Le Portugal, l'Afrique du Sud et ses principaux partenaires, ainsi qu'Israël, font l'objet de condamnations. Un accord est également conclu entre les mouvements de libération de l'Angola, le MPLA d'Agostinho Neto (proche de Sékou Touré) et le FNLA de Roberto Holden, qui s'embrassent. Mais Sékou Touré fait savoir qu'il n'y croit pas (il a raison).

En septembre 1972, Sékou Touré donne l'accord de la Guinée pour s'associer à une initiative de l'OUA lors de l'invasion de l'Ouganda par des partisans de l'ancien président Oboté, réfugiés en Tanzanie 85.

Le 10ème Sommet se tient Addis-Abeba du 25 au 29 mai 1973, en présence de 22 chefs d'État. Des comités de bons offices sont constitués pour tenter de trouver une solution aux différends Rwanda-Burundi, Ouganda-Tanzanie et Somalie-Éthiopie. Des résolutions condamnant l'Afrique du Sud, le Portugal, l'Espagne, la Grande-Bretagne et la France pour le maintien de colonies sur le continent africain.

Le 11ème Sommet se tient à Mogadiscio du 12 au 16 juin 1974, avec la participation de 20 chefs d'État. L'OUA compte un nouveau membre, la Guinée-Bissau, présente et admise avant même la massive décolonisation portugaise qui sera consécutive à la Révolution des OEillets, qui vient de commencer et s'étendra jusqu'en 1975 86. Nonobstant les difficultés avec la Somalie, pays-hôte du Sommet, le Négus est venu en avion y passer quelques heures et prononcer le discours au nom de son pays ; moins de trois mois tard, il sera déposé, et assassiné l'année suivante 87.

Le Secrétaire général de l'OUA, Nzo Ekangaki, éclaboussé par le scandale de la firme sud-africaine Lonrho, est contraint de démissionner ; il est remplacé par un autre Camerounais, William Eteki Mboumoua. Plusieurs résolutions relatives au droit des peuples palestinien et sud-africain sont adoptées. Le régime de Ian Smith en Rhodésie du Sud est une fois de plus condamné. Le problème de la sécheresse est abordé pour la première fois.

Le 12ème Sommet de l'OUA se tient du 28 juillet au 2 août 1975 à Kampala, sous la présidence d'Idi Amine Dada. 19 chefs d'État prennent part à la session, qui voit pour l'essentiel l'admission des anciennes colonies portugaises ayant acquis leur indépendance cette année-là.

Du 10 au 13 janvier 1976 se réunit à Addis Abeba le premier Sommet extraordinaire de l'OUA. 46 pays sont représentés, dont 15 par leurs chefs d'État. Cette réunion exceptionnelle est justifiée par le conflit qui se prolonge en Angola entre les divers mouvements de libération, que le Portugal n'est pas parvenu à mettre d'accord. Les tentatives pour trouver une solution débouchent sur un échec, 22 pays soutenant le MPLA, 22 autres s'alignant derrière l'Unita et le FNLA, et 2 restant neutres. La Guinée soutient fermement le MPLA, en raison notamment des liens entre Sékou Touré et Agostinho Neto ; d'ailleurs, l'aéroport de Conakry est utilisé librement comme base de transit par les avions soviétiques et plus encore par les avions cubains pour acheminer des renforts en hommes et des équipements en Angola.

Du 2 au 5 juillet 1976 se réunit à Port-Louis (île Maurice) le 13ème Sommet. Dix chefs d'État seulement sont présents. Lors de ce sommet, Israël, après son raid sur Entebbe pour libérer les passagers de l'avion d'Air France retenus par des Palestiniens, est sévèrement condamné, ainsi que l'Afrique du Sud pour les massacres de Soweto. Parmi les autres thèmes abordés figure pour la première fois l'affaire du Sahara occidental, mais on retrouve le conflit entre la Somalie et l'Éthiopie, ainsi que le différend frontalier entre la Somalie et Djibouti (qui est sur la voie de l'indépendance et sera admis en 1977 à l'ONU). Le Sommet ne propose finalement aucun candidat africain à la succession de Kurt Waldheim, qui sera ainsi facilement réélu au poste de Secrétaire général de l'ONU à la fin de l'année ; la candidature, potentiellement possible, du ministre des affaires étrangères de Somalie Omar Arteh n'avait pas abouti, en raison des différends qui opposaient son pays à plusieurs de ses voisins, et le nom de Diallo Telli, lui aussi un moment envisagé, n'avait plus été mentionné puisque sa situation en Guinée même s'était fragilisée depuis quelque temps déjà, et qu'il sera arrêté le 16 juillet dans le cadre du "complot peul" 88.

Le 14ème Sommet se tient à Libreville (Gabon) du 2 au 5 juillet 1977. Plusieurs textes condamnant les "homelands" sud-africains et appelant à la résolution des conflits inter-africains (Tchad-Libye, Kenya-Somalie, Zambie-Rhodésie) sont adoptés.
Absent des Sommets de l'OUA depuis 1966, Sékou Touré n'en retrouvera le chemin qu'après treize années d'absence, lors du Sommet de Khartoum en juillet 1978, où il rencontrera une trentaine de collègues, dont beaucoup qu'il ne connaît pas encore parce qu'ils ont accédé au pouvoir entre temps, souvent par des coups d'État, ou parce que leur pays n'était pas encore indépendant et n'avait pas été admis à l'organisation. Il ne manquera plus un seul de ces Sommets jusqu'en 1983, se rendant successivement à Monrovia (1979), à Freetown (1980), à Nairobi (1981) et à Addis Abeba (1983).
En revanche, comme nous le verrons par ailleurs, il ne se rendra pas aux deux Sommets avortés de Tripoli, en 1982.
C'est largement au sein de ces sommets qu'il développera désormais une politique africaine très active, qui emprunte souvent la voie de l'organisation continentale, mais souvent aussi la voie bilatérale 89.

La date de 1978 n'est évidemment pas due au hasard : en mars de cette année-là, Sékou Touré s'est réconcilié à Monrovia avec deux de ses voisins avec lesquels la Guinée avait entretenu pendant deux décennies des rapports orageux, souvent très tendus, voire des périodes de rupture complète des relations, alors que les présidents de ces deux pays exercent sans conteste une réelle influence en Afrique et dans le monde : le Sénégal de Léopold Sédar Senghor et la Côte d'Ivoire de Félix Houphouët-Boigny. Senghor quittera le pouvoir en 1980, mais Houphouët-Boigny restera au pouvoir jusqu'à sa mort en 1993.

Dix ans plus tôt, en 1983, Sékou Touré participera (pour lui, ce sera la première et aussi la dernière fois) au Sommet franco-africain de Vittel, et y sera considéré, au même titre qu'Houphouët, comme l'un des doyens influents du continent ; François Mitterrand les prendra d'ailleurs l'un et l'autre à ses côtés dans son avion personnel.

Lors du Sommet d'Addis Abeba de 1983, Sékou Touré a formulé personnellement l'invitation à tenir à Conakry le Sommet de 1984, le vingtième ; l'offre de la Guinée est acceptée le 12 juin 1983.
Dans la capitale guinéetme, les préparatifs de la tenue de cette réunion, que Sékou considère comme une consécration de son engagement en faveur de l'unité africaine, vont déjà bon train : pendant des mois, on s'active autour du chantier du Palais des Nations (inauguré le 9 mai 1983), et de la construction des villas pour les chefs d'État et les délégations …

Sékou Touré aurait également souhaité que le sommet de Conakry élise le ministre sénégalais des affaires étrangères Moustapha Niasse comme Secrétaire général de l'OUA. Mais le président Abdou Diouf tient à le garder encore à ses côtés 90.

La mort de Sékou Touré en mars 1984 met un terme à tous ces projets, bien que le gouvernement mis en place par les militaires en avril eut songé un temps à maintenir la réunion. Deux jours après le décès, le président Omar Bongo propose que le 20ème Sommet se tienne à Lomé.

En fait, il se tiendra à Addis Abeba, du 12 au 15 novembre 1984, en présence de 26 chefs d'État. Le Maroc, face à la présence du président de la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD), venu siéger pour la première fois, décide de se retirer de l'organisation. Cette rupture est sans précédent dans l'histoire de l'OUA, et aurait constitué un sérieux revers pour Sékou Touré, qui s'était fermement engagé dans la recherche d'une solution au problème du Sahara occidental.

Finalement, Sékou Touré aura participé à neuf Sommets de l'OUA entre 1963 et 1983, et, de 1966 à 1977, mais en aura boycotté treize (quatorze si l'on compte le Sommet "raté" de Tripoli en 1982).

Le Palais des Nations, construit et équipé par les Yougoslaves, les Coréens du Nord, les Allemands de l'Est, sera la principale cible des militaires insurgés lors des affrontements des 2 et 3 février 1996 ; fortement endommagé par des tirs à l'arme lourde, incendié puis pillé, il est longtemps resté une ruine calcinée, ne rappelant que de très loin la forme d'un "camembert", surnom que lui avaient donné les habitants de Conakry. Il a subi des travaux de restauration dans le cadre de la préparation des cérémonies du cinquantenaire de l'indépendance de la Guinée, en 2008.

Quant aux 57 luxueuses villas de l'OUA, construites en style mauresque et financées par le Maroc avec l'aide de capitaux provenant d'Arabie saoudite et de pays du Golfe (l'ensemble du projet aurait coûté 62 millions de dollars), seront progressivement affectées à des administrations ou louées à des societes 91.

Notes.
75. Le Négus se rendra en visite officielle en Guinée en octobre 1963 et en novembre 1971.
76. Il en ira autrement à propos de l'affaire du Sahara occidental où dans les années 1980 Sékou Touré soutiendra comme nous le verrons la thèse marocaine au point de compromettre à un certain moment ses relations avec l'Algérie.
77. Voir le livre de Nkrumah Africa Must Unite (1963). La traduction en français, due à L. Jospin (ce n'est pas Lionel, mais Laurent) L'Afrique doit s'unir (Paris, Payot, 1964, 254 p.)
78. Ce conflit perdurera pendant une partie de l'année et sera finalement réglé par un accord signé à Bamako fin octobre 1963, par le roi du Maroc Hassan II et Ben Bella, en présence du Négus Hailé Sélassié et de Modibo Keita. Une réunion prévue quelques jours plus tôt à Tripoli, puis à Tunis, en présence de Bourguiba, de Nasser, du roi Idriss de Libye et de Sékou Touré, sera annulée à la demande du Maroc. L'ambassadeur du Maroc en Guinée est longtemps resté absent de Conakry en raison du soutien donné par Sékou à l'Algérie, mais reviendra en février 1964, où il sera même aux côtés de Ben Bella, en visite officielle. La presence de Moktar Ould Daddah à Addis Abeba amènera Hassan II à renoncer à s'y rendre, mais le Maroc sera néanmoins représenté par un observateur.
79. La presence de Moktar Ould Daddah à Addis Abeba amènera Hassan II à renoncer à s'y rendre, mais le Maroc sera néanmoins représenté par un observateur.
80. Toutefois, le président Abdallah Osman participera au sommet.
81. Lettre à l'auteur, 29 août 1985.
82. Sur le rôle joué par Diallo Telli comme secrétaire général de l'OUA et sur ses difficultés à chaque fois que la Guinée sera partie à un différend, voir le chapitre 56.
83. Voire le chapitre 38 sur les relations entre la Guinée et les États-Unis.
84. Mais le Sommet de l'OCAM tenu à Fort-Lamy en janvier 1971 ne s'était pas mis d'accord non plus sur une politique vis-à-vis de l'Afrique du Sud.
85. Lorsque le 25 janvier 1971 , le président ougandais Milton Oboté avait été renversé par Idi Amine Dada, Sékou Touré avait demandé à ce dernier de renoncer à un pouvoir qu'il avait conquis par la trahison et la force brutale.
86. Peu après, le 17 septembre 1974, la Guinée-Bissau est admise comme État-membre de l'ONU (ce qui implique qu'il n'y a eu aucun veto d'un membre permanent au Conseil de sécurité). Elle est ainsi la première des provinces portugaises d'Outre-mer à accéder formellement à l'indépendance. Les autres colonies devront attendre la révolution des oeillets en 1975. Lors de son passage à Conakry en mars 1974, le secrétaire général de l'ONU Kurt Waldheim avait encouragé les responsables du PAIGC à présenter la candidature de leur pays.
87. L'auteur, qui a assisté au Sommet de Mogadiscio en tant que porte-parole du Secrétaire général de l'ONU, invité à tous ces Sommets, a été frappé par le maintien déterminé du Négus, très droit dans sa tenue d'apparat, lisant d'une voix ferme son discours rédigé en langue amharique, et reprenant son avion immédiatement après l'avoir prononcé.
88. Voir le chapitre 75.
89. C'est donc dans le cadre du chapitre consacré à ses initiatives africaines après 1978 que nous étudierons son action africaine.
90. Interview de Moustapha Niasse dans Jeune Afrique, n° 2142, 29 janvier 2002.
91. Bien connus du palais royal marocain, l'architecte Pinseau et le décorateur Paccard ont été chargés de la réalisation de ces villas, toutes identiques. Voir l'article de Laurent Zecchini paru dans Le Monde des 1er/2 janvier 1984, intitulé “Guinée : 57 villas de milliardaires”.

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