André Lewin.
Ahmed Sékou Touré (1922-1984).
Président de la Guinée de 1958 à 1984.
Paris. L'Harmattan. 2010. Volume I. 236 pages
Chapitre 14. — 25 janvier 1951 Le gouverneur revoque Sékou Touré
Peu après qu'il eut été nommé comptable des Trésoreries, Sékou Touré devient le 21 juillet 1948 secrétaire général de l'Union des Employés du Trésor (qui compte très peu d'adhérents : 20 seulement en 1950, contre 400 aux Transmissions) ; son ami et compagnon Saïfoulaye Diallo 301, comme lui cadre du Trésor, est également membre du bureau de ce syndicat 302.
[Note. — La remarque sur les fonctions de Sékou et Saifoulaye au Trésor, prête à confusion dans la mesure elle suggère qu'ils appartenaient au même niveau dans la hiérarchie bureaucratique de cette administration. L'auteur aurait dû simplement reproduire le classement respectif des deux fonctionnaires. En l'absence d'une telle indication, notons que la position et le salaire des deux futurs leaders, devaient réfleter leur niveau de formation : Ecole primaire supérieure George Poiret de Conakry (Touré) vs. Ecole normale William Ponty, Sénégal (Diallo). Cette distinction et le complexe d'infériorité qu'en éprouva Sékou, joueront fortement dans la rancune, la vindicte et la répression contre les diplômés de Ponty à partir de 1958. — T.S. Bah]
La même année, alors qu'il est déjà secrétaire général de l'Union territoriale des Syndicats de Guinée, proche de la CGT, Sékou devient secrétaire général de la section guinéenne de la CGT. En décembre 1949, Sékou Touré sera en outre désigné, par 76 voix sur 92 votants, pour représenter les fonctionnaires du cadre secondaire à la Commission paritaire de Dakar.
Sur le plan du travail, Sékou s'occupe de comptabilité jusqu'en septembre 1948, puis de la perception des redevances jusqu'à la fin de l'année ; en janvier 1949, il devient le secrétaire du Trésorier payeur, M. Saint-Criq, avec lequel il a de fréquentes et passionnantes discussions politiques, “terrain sur lequel je garde très souvent une nette supériorité sur lui” 303. Ses bonnes relations avec ce haut fonctionnaire lui valent en outre d'être chargé des fonctions de receveur municipal de Conakry, ce qui lui procure quelques avantages matériels.
“Tu me demandes si je suis heureux de mon nouveau poste de receveur municipal. Oui, je le suis, surtout moralement. Mon prédécesseur était logé gratuitement, doté d'une domesticité, d'une voiture aux frais de la Mairie. Il bénéficiait illégalement de beaucoup de faveurs et, à son tour, il permettait au Maire de passer de fausses opérations budgétaires. Vois-tu, moi j'ai tout refusé et, ainsi libre, j'épure bien sévèrement la gestion comptable de la mairie. ” 304.
En 1949, quatre années après ses débuts, le mouvement syndical a pris de l'extension en Guinée: il y existe dix syndicats patronaux (ceux des négociants, des transporteurs, des agriculteurs et planteurs, du patronat et de l'artisanat, etc…), deux associations professionnelles (dont celle des domestiques et employés de maison), et dix-sept syndicats ouvriers (treize affiliés à la CGT et quatre à la CFTC, sous le contrôle de David Soumah), cependant que Force Ouvrière est encore en voie de création.
Le 3 mars 1949, le gouverneur de la colonie entérine une décision de la commission consultative mixte qui fixe les salaires pour les travailleurs du bâtiment et de l'industrie : pour la 1ère catégorie, celle du manoeuvre de base, le tarif journalier sera désormais de 112 francs par jour à Conakry (il est de 80% de cette somme à Kindia, Kankan, Mamou et Siguiri, et de 70% dans le reste du pays) ; cette décision est signée de M. Ramone et M. Marcou (pour le syndicat des entrepreneurs et des industriels), de David Soumah et M. Papa N'Diaye (pour le Syndicat africain des ouvriers des entreprises et de l'industrie). Les chiffres retenus constituent un progrès indéniable par rapport au passé (le salaire journalier avait été fixé à 60 francs en janvier 1947), mais ils apparaissent vite insuffisants, surtout aux responsables CGT qui cherchent alors à compenser une certaine perte d'influence par un activisme et une surenchère constants auprès des masses 305.
En 1949, les syndicats CGT exigent donc la fixation du Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti (SMIG à 164 francs pour les travailleurs de base non qualifiés ; finalement, en mai 1950, la commission consultative mixte composée de représentants des employeurs et des employés propose le chiffre de 134 francs, compromis accepté par Sékou et ses collègues ; mais les principales sociétés établies en Guinée le rejettent. Une tentative de conciliation a lieu le 5 juin ; elle échoue devant l'intransigeance patronale. Le gouverneur Roland Pré, assisté par son chef de cabinet et beau-frère, Fernand Saller, surnommé par ses adversaires “le nègre blanc”, et par le chef de son cabinet militaire, le lieutenant Jean Balladur 306, en fixe unilatéralement le taux à 96 francs, ce qui apparaît comme un retrait par rapport aux accords de l'année précédente.
Oubliant pour un temps leurs différends, les syndicats guinéens (CGT, CFTC, à l'exception de FO) 307 décident une action commune et déposent le préavis réglementaire de grève. Celle-ci dure 48 heures, les 9 et 10 juin 1950, et mobilise 15.000 grévistes, dont 6 à 7.000 des entreprises du secteur privé. Le gouverneur déclare la grève illégale (en vertu du décret du 20 mars 1937 qui prescrit l'arbitrage avant toute grève dans les conflits du travail) et fait écrouer à la prison de Conakry Sékou Touré et six autres meneurs parmi lesquels Soriba Touré, Lamine Fofana, Raymond Faber, Papa Mbaye. Plusieurs centaines de travailleurs sont licenciés et remplacés par de la main d'oeuvre réquisitionnée (militaires, prisonniers). Un vaste mouvement de protestation s'organise en Guinée et en métropole, où le Parlement décide une enquête. Le Coup de Bambou écrit que “toucher à un cheveu de notre ami, c'est faire lever en bloc tous les travailleurs, non seulement de Conakry mais de toute la Guinée”.
Après les avoir fait comparaître le 12 juin, le Tribunal des flagrants délits condamne le 14 juin 1950 Sékou et ses compagnons à des peines de principe : six jours de prison avec sursis et 200 francs d'amende pour “flagrant délit de déclenchement de grève illégale”. A leur sortie de prison, ce même 14 juin, Sékou et ses compagnons sont ovationnés et portés en triomphe. La tension subsistera quelque temps en ville, certains patrons ne voudront pas réembaucher les ouvriers licenciés (600 sur 700 le seront cependant) et quelques boulangers européens ou libanais refuseront de vendre du pain à des Africains. L'Assemblée territoriale interviendra pour calmer les esprits échauffés et finalement le gouverneur rapportera les mesures prises à l'encontre des grévistes. Quelques jours plus tard, le 3 juillet, Sékou écrira dans Le Réveil un article vengeur intitulé : “Ceux qui ont peur du soleil”.
Sentant que l'heure d'une confrontation brutale avec sa hiérarchie approche, Sékou demande à trois reprises sa mise en disponibilité, les 9 juin, 8 juillet et 8 août 1950, ce qui lui est à chaque fois refusé.
Quelques semaines plus tard, sur le rapport du gouverneur Roland Pré, le haut-commissaire de l'AOF à Dakar, Paul Béchard, ancien ministre de la France d'Outre-mer, socialiste enclin à une politique de fermeté, décide le 29 septembre 1950, par note 5337/INT/2, de muter Sékou Touré au Niger 308, ce qui est administrativement possible puisqu'il appartient depuis deux ans au cadre général de l'AOF. 309
Désireux d'éviter que Sékou n'assiste à la mi-octobre au 2ème Congrès du PDG, Roland Pré signe le 3 octobre 1950 la note 820/CP qui invite Sékou à quitter Conakry le 14 octobre (veille de l'ouverture du Congrès!) par le paquebot “Foucauld” 310 afin de rejoindre Dakar, et de là, Niamey. Les protestations se multiplient en Guinée 311 , en AOF et en métropole ; lors du Congrès de la Paix à Varsovie où il se rend en novembre, il s'exprime comme rapporteur des délégués de l'Afrique noire et il est élu membre du Présidium ; sa notoriété internationale s'accroît.
Sékou refuse âprement sa mutation et envisage de démissionner du Trésor. Il sera finalement révoqué le 15 janvier 1951 de l'administration coloniale pour “refus de rejoindre son poste d'affectation au Niger” par un arrêté préparé juste avant son départ par Roland Pré 312, mais signé par son successeur, Paul-Henri Siriex 313. Le 25 janvier, Sekou Touré lui-même precise qu'il a démissionné de l'administration, et qu'il se consacrera désormais entièrement à la défense des intérêts des travailleurs africains.
Au cours d'une tournée en AOF qui l'a aussi conduit en Côte-d'Ivoire où il a inauguré le nouveau port d'Abidjan et le canal de Vridi, François Mitterrand, ministre de la France d'Outre-mer, séjourne début février 1951 en Guinée, où il visite Kankan 314, Kindia et Conakry. Il est accompagné par son secrétaire d'État Aujoulat et par le gouverneur général de l'AOF, Paul Béchard, lui-même accompagné de son aide de camp le colonel Fall. Roland Pré a quitté ses fonctions depuis quelques jours, et le nouveau gouverneur, Paul-Henri Siriex, présent aux côtés du ministre, vient tout juste d'être nommé, le 9 février, jour où ils lancent ensemble les travaux du barrage des Grandes Chutes, première centrale hydroélectrique à être construite en AOF 315.
Si la date de la révocation de Sékou est bien exacte (25 janvier), ainsi que celle de la nomination de Paul-Henri Siriex (9 février), on peut même légitimement se demander si l'arrêté de révocation est bien légal ; en tous cas, il n'a pu être signé à cette date précise par un gouverneur qui n'était plus en fonctions, non plus que par son successeur qui ne l'était pas encore.
Par ailleurs, rien n'indique que Sékou Touré ait rencontré François Mitterrand lors de ce premier passage de celui-ci en Guinée ; il commençait pourtant à jouir d'une certaine notoriété locale, africaine et même internationale, mais il n'avait aucune fonction officielle (il se presentera pour la première fois — mais vainement — aux élections quelques mois plus tard), ne faisait plus partie de l'administration, avait été condamné à une peine de prison l'année précédente, et ne figurait donc probablement pas sur les listes d'invitation officielles ! 316
Du 17 février au 23 mars 1951, Sékou Touré s'absente de Guinée et participe en France à de nombreux débats et réunions, à propos notamment du Code du travail Outre-mer. Il effectue également plusieurs déplacements à l'étranger.
Pierre Ottavy, directeur de la sûreté, s'en félicite, car tant que “Sékou Touré, leader incontesté du syndicalisme CGT local, sera absent, aucune manifestation syndicale d'envergure n'aura lieu en Guinée”.
Mais Galinier, le secrétaire général du gouverneur, écrit au haut-commissaire à Dakar que “son retour a marqué un renouveau de l'activité syndicale, renouveau grandement facilité par la hausse constante du coût de la vie.”
Notes
301. Originaire de la région de Labé, où son père Alpha Bacar Diallo était chef de canton (il refusa de le remplacer), Saïfoulaye Diallo ( 1916-1981 ), diplômé de l'École William Ponty, était comptable du Trésor au Niger de 1943 à 1947 lorsqu'il fut muté en Guinée en septembre 1947.
302. Composition de ce bureau au 21 juillet 1948 :
- Secrétaire général : Sékou Touré (comptable au Trésor)
- Secrétaire : Mohamed Touré (commis expéditionnaire)
- Trésorier : Siradiou Baldé (comptable au Trésor)
- Trésorier adjoint : Saïfoulaye Diallo (comptable au Trésor)
- Archiviste : Arouna Ndiaye (comptable au Trésor)
- Assesseurs : Louis Bicaise (comptable au Trésor) et Charles Guizan (commis expéditionnaire)
En 1952, un jeune fonctionnaire originaire de Macenta les rejoint depuis Dakar où il avait été affecté à sa sortie de l'École William Ponty : Mohamed Mancona Kouyaté. En même temps qu'il est secrétaire général du bureau de l'Union forestière (en 1952-53), celui-ci milite au PDG et entre en 1954 à son comité directeur. Il poursuivra sa carrière comme gouverneur de Kissoudougou, Faranah, Pita, Kindia, Mamou et Dalaba (de 1958 à 1973), ambassadeur à Belgrade (1975-79) et directeur du cabinet du ministre du contrôle d'État ( 1979-85). Il publiera en 1996 un attachant ouvrage autobiographique, Nous sommes tous responsables.
303. Lettre à Raymonde Jonvaux, 14 mai 1949.
304. Lettre à Raymonde Jonvaux, 4 juillet 1949.
305. Les rapports de police de cette époque montrent bien le rôle personnel joué par Sékou. Le rapport mensuel de police pour avril 1949 cite “le commis au Trésor Sékou Touré, dont l'activité inlassable au sein de la section RDA ainsi que dans le Groupe d'études communistes et dans l'Union des syndicats CGT le place au premier rang des militants affichant une foi et un optimisme systématiques.”
306. Celui-ci est bien le frère d'Edouard, futur Premier ministre français.
307. A cette époque, leurs forces respectives sont les suivantes (source: F. Gonidec, “L'évolution du syndicalisme en Afrique Noire”, Recueil Penant, no 691):
Secteur privé | Secteur public | |
Confédération Générale du Travail CGT | 20.000 | 10.000 |
Confédération Française des Travailleurs Chrétiens CFTC | 7.500 | 4.200 |
Force Ouvrière FO (proche des socialistes) | 3.700 | 2.400 |
Autonomes | 6.700 | 9.900 |
Total | 37.900 | 26.500 |
308. A la même époque, les étudiants qui militent au PDG voient leurs bourses d'études supprimées. Quant aux principaux responsables du PDG, ils sont également mutés loin de Conakry : Ibrahima Diané à Beyla, Moussa Diakité à Mali en plein Fouta-Djalon [Erratum. La [préfecture] de Mali n'est pas au centre du Fuuta-Jalon ; elle occupe la périphérie nord et fait frontière avec le Sénégal. — T.S. Bah], Saïfoulaye Diallo en Haute-Volta ; Madeira Keita, muté en juillet au Dahomey puis en août à Dakar et enfin au Niger, ce qu'il refusera ; il sera privé de solde en septembre 1950 et tergiversera pendant deux ans avant de se rendre à Dakar, puis au Mali, laissant libre le secrétariat général du Parti Démocratique de Guinée, qui reviendra alors à Sékou, après qu'y furent élus pour peu de temps deux autres militants. Madeira Keita reviendra en Guinée en 1959. Ministre au Mali pendant la présidence de Modibo Keita, il sera emprisonné après la chute de ce dernier, et restera en prison jusqu'en 1978. Sékou Touré lui rendra visite à Bamako dès sa libération.
309. A l'époque, Sékou réussit avec d'excellents résultats un concours organisé par l'administration de I'AOF pour passer du cadre local au cadre général, et obtint l'un des trois postes de comptables mis au concours.
310. Le “Foucauld” est, avec le “Katoumba”, le “Brazza,” le “Touareg”, le “Tamara”, le “Victor Schoelcher” et le “Général Leclerc”, l'un des paquebots mixtes qui desservent Conakry. Ils peuvent transporter 5.400 tonnes de marchandises et 182 passagers.
311. Le Coup de Bambou du 4 octobre 1950 proteste sur un ton que Sékou Touré n'aurait jamais employé, mais de mise dans les milieux communistes de l'époque : “(…) En vérité, l'administration colonialiste veut priver l'Union des Syndicats Confédérés CGT de Guinée du courageux et dynamique dirigeant qu'est Touré Sékou, la cynique coalition Administration-patronat veut priver les travailleurs guinéens de leur guide le plus sûr, du militant syndicaliste clairvoyant qui sait toujours dans l'intérêt des salariés déjouer les basses manoeuvres des ennemis jurés de la classe ouvrière: on veut ici consacrer la ruine du syndicalisme en frappant le tête, on veut se débarrasser de Touré Sékou, ardent défenseur des travailleurs (…)” C'est aussi la volonté de réaliser ce “climat politiquement sûr” cher à Truman, car chacun sait que les maîtres américains ont engagé en Guinée des capitaux énormes, notamment dans les mines pour la préparation de leur guerre d'extermination du genre humain et exigent la mort des mouvements syndicaux afin de continuer à recruter une main d'oeuvre bon marché et s'assurer des superbénéfices sur la sueur des travailleurs guinéens. Mais, pensons-nous, les travailleurs de la Guinée entière se dresseront comme un seul homme contre la volonté des impérialistes américains fauteurs de guerre, contre la volonté des colonialistes français devenus les plats valets des magnats de Wall Street et visant à tuer le mouvement syndical afin de domestiquer les salariés. Les travailleurs guinéens se lèveront contre l'arbitraire qui frappe leur meilleur défenseur et ne laisseront pas partir Sékou Touré.
312. Le gouverneur Roland Pré a été muté à la suite de plaintes déposées à Paris le 25 Janvier 1950 par Fodé Mamadou Touré, Kaba Sinkoun et Amara Soumah, après une enquête demandée par une lettre du 7 janvier 1950 du deputé Yacine Diallo au ministre de la France d'Outre-mer Jean Letourneau ; les manoeuvres politiques et les interventions économiques du sénateur Raphaël Saller (élu deux années auparavant apres qu'il eut réussi à faire éliminer Fodé Mamadou Touré) y ont été pour beaucoup sympathies de même que les sympathiesde Roland Pré pour le parti gaulliste, auquel s'étaient ralliés la plupart des planteurs et beaucoup d'Européens. L'inspection envoyée par Paris à propos de la gestion financière du territoire révèle pour le moins de nombreux problèmes, en particulier à propos de travaux confiés par la colonie à la Société d'Etudes et de Travaux Coloniaux dirigée par M. Pedron, un beau-frère de Fernand Saller. Dans une lettre du 8 mai 1950 au ministre Jean Letourneau, l'un des membre du “clan Pré-Saller” (certains présalaire), Raphel Saller se défend et explique que “le RDA est à l'heure actuelle en pleine déroute en Guinée ; deux de ses principaux chefs ont été condamnés pour escroquerie, les autres quittent le territoire ou sont prêts à le quitter…” Roland Pré n'évoque pas ces problèmes dans le récit qu'il dicte, un quart de siècle plus tard, en octobre-novembre 1975, alors qu'il se trouve en traitement à l'hôpital parisien du Val-de-Grâce, et dont la famille a confié un exemplaire à l'auteur. On trouvera en annexe à ce chapitre les pages consacrées à la Guinée, et sont — à la connaissance de l'auteur — inédites.
313. Siriex était un ancien compagnon de Pleven à la France Libre. Dans ses Souvenirs en vérité publiés en 1993, Siriex raconte notamment (pages 588-89) comment Sékou Touré fit annuler un ordre de grève générale lancé par le syndicat des enseignants de l'AOF à la suite de mutations décidées par le gouverneur à l'encontre du directeur (blanc) d'une école qui avait giflé un instituteur africain, et de l'inspecteur d'académie (européen lui aussi) qui l'avait soutenu ; Sékou, en plein accord avec cette mesure disciplinaire, affirmait ainsi qu'il était désireux, dans certaines circonstances, de collaborer avec l'administration. En revanche, dans cette relation, l'ancien gouverneur fait plusieurs confusions de dates : d'abord, il qualifie Sékou “d'ancien fonctionnaire révoqué des Postes”, alors que c'est lui-même qui le révoqua après que Sékou eût appartenu plus de cinq années déjà au Trésor ; ensuite, il le présente comme “secrétaire générale de l'UGTAN,” alors que ce syndicat ne fut créé qu'en 1957, six annés après les faits racontés, et que Sékou en fut le président et non le secrétaire général ; enfin, il affirme que Sékou vivait “surtout à Paris et à Prague”, ce qui est très excessif pour la première ville et tout à fait inexact pour la seconde ; en 1955, l'inspecteur général Pruvost avait déjà fait justice de cette légende tenace (voir note du chapitre II). Quoi qu'il en soit, le texte en question figure en annexe. Paul-Henri Siriex est décédé en 2003.
314. Dans cette ville, il décore de la Légion d'honneur le Père Flavien Laplagne 1877-1961), arrivé en Guinée en 1903, près d'un demi-siècle plus tôt. En lui remettant sa décoration, François Mitterrand lui dit : “Vous l'avez bien méritée”, et le père lui rétorque: “Oui, au moins aujourd'hui.” Déjà coutumier de retards, le ministre l'avait fait attendre, aligné avec d'autres récipiendaires, pendant plus d'une heure en plein soleil ! (témoignage du Père René Danguy des Déserts, dans un récit sur “Cent ans d'évangélisation au Kissi”, communiqué à l'auteur en 3 mars 2007. Le Père des Déserts, de la Congrégation du Saint Esprit, arrivé en Guinée en 1952, expulsé le 31 mai 1967, retourné en Guinée de 1994 à 2004).
315. Le 9 février 1951 , il préside la cérémonie de démarrage des travaux sur le site du barrage des Grandes Chutes, dans la région de Kindia. Madame Huguette Jeanteur, née Cazal, dont le père, Raoul Cazal, ancien de l'École nationale de la France d'Outre-mer, avait été à plusieurs reprises administrateur de région en Guinée, se souvient d'avoir assisté, alors qu'elle était adolescente, à la résidence officielle de son père à Kindia, à un repas auquel participait François Mitterrand (conversation avec l'auteur, Paris, 31 janvier 2004). Les travaux de cette centrale située sur la rivière Samou seront achevés en 1953, et l'inauguration officielle a lieu le 8 février 1954. Il est improbable que Sékou Touré ait à l'époque figuré sur les listes d'invitation, d'autant qu'il venait d'être révoqué de l'administration. Peut-être en réponse à une interrogation du ministre au cours ou après ce voyage, le gouverneur général définit Sékou, dans une correspondance du 23 février 1951 , comme “un communiste notoire”. Au cours de cette visite, fatigué, François Mitterrand ne reçoit pas une délégation de chefs coutumiers, dont le programme avait prévu qu'ils lui seraient présentés (information donnée par Claude Celibert, fils d'un ancien administrateur, Paris, Il mars 2005).
316. Il faut noter que Paul Béchard envoie le 23 février une correspondance au ministre, où il qualifie Sékou Touré de “communiste notoire”. Peut-être cette lettre répond-elle a une question que lui a posée le ministre pendant ou à l'issue de sa visite en Guinée.