André Lewin.
Ahmed Sékou Touré (1922-1984).
Président de la Guinée de 1958 à 1984.
Paris. L'Harmattan. 2010. Volume I. 236 pages
Chapitre 2. — Automne 1936
Sékou “monte” à Conakry pour son éducation, et s'y installe
Que faire de cet orphelin turbulent ? En 1936, après de longues discussions, la famille se décide à envoyer dans la capitale le jeune Sékou, âgé d'une quinzaine d'années à peine. Arrivé à Conakry le 7 septembre 1936, il suit pendant un an et demi les cours de la “section forge et ajustage”, l'une des trois sections (avec la menuiserie et la mécanique; une section électricité y sera ouverte en 1949) de l'École Professionnelle Georges-Poiret. Le 26 novembre 1936, il assiste au milieu de ses camarades et en compagnie de ses professeurs et des notabilités de la ville à l'inauguration de la statue de Georges Poiret 43.
Cette école admet en 1936 18 élèves, et 25 l'année suivante, mais ne délivre respectivement qu'un seul et trois diplômes ; Sékou Touré n'est pas parmi les diplômés. Pendant ses études, il est interne ; l'internat est commun avec celui de l'École Primaire Supérieure. Les élèves de ce dernier établissement iront pour la plupart suivre ensuite des études à Dakar, notamment à l'École William Ponty ; ce n'est pas le cas des élèves de Georges-Poiret, parmi lesquels Sékou Touré. Ceux-ci, des “manuels”, doivent rester en Guinée.
L'avocat guinéen Jean-Maurice Cadoré se rappelle que dans les années 1937-38, “pour améliorer leur instruction et leur français”, il donnait des dictées et des rédactions à faire au jeune Sékou et à quelques commis, comme Damantang Camara — qui travaillait dans les services de la Justice — ou Ibrahima Diané, tous deux déjà ses grands copains et futurs notables du Parti. Les copies de Sékou, assez longues, dénotaient une certaine originalité; un coucher de soleil sur les îles de Los lui inspira en particulier des pages entières de descriptions poétiques, qui s'achevaient sur cette phrase : “Soudain, il (le soleil) disparaît,· le père de la vie est rentré chez lui.” 44
Sékou connaîtra à l'école de Conakry les mêmes difficultés qu'à celle de Kissidougou ; de vifs incidents l'opposent au surveillant général et à l'économe français de l'établissement, M. Allainmat, et il devra quitter l'établissement pendant plusieurs jours. L'inspecteur principal du service de l'enseignement en Guinée (l'équivalent d'un inspecteur d'Académie), un certain You, est particulièrement remonté contre lui 45. Sékou Touré finira par être renvoyé pour insubordination, après avoir tenté de fomenter en janvier 1938 une grève de la faim chez les écoliers pour protester contre les corvées diverses auxquelles ils étaient astreints. Un arrêté du gouverneur l'exclut définitivement de tous les établissements d'enseignement de la colonie. Il exerce alors en ville divers petits métiers manuels, comme apprenti-maçon ou aide-ajusteur.
Après avoir quitté l'internat de l'école Georges-Poiret, Sékou habite chez sa tante, une arrière-petite-fille de Samory, Djimini Saran Touré, dont la maison se trouve “en banlieue” comme on dit alors 46, dans le quartier de Donka en face de l'actuel Stade du 28 septembre ; c'est elle qui, bien plus tard, lui fera rencontrer Félix Houphouët-Boigny 47.
Sékou ne néglige pas les distractions et les plaisirs de l'adolescence. Il apprend à bien jouer aux dames, jeu dont il ne se lassera jamais même lorsqu'il sera président et qu'il pratiquait pendant de longues heures avec les partenaires les plus variés ; ceux-ci avaient en général le bon goût de le laisser gagner.
Mais il s'initie également aux sports collectifs, notamment au football, sport guinéen par excellence ; certains matchs joueront plus tard un rôle important dans les relations de la Guinée avec la Côte-d'Ivoire, le Sénégal ou l'Algérie. A côté d'équipes surtout composées de fonctionnaires de diverses origines (Guinéens, Sénégalais, Dahoméens … ), comme le Racing Club de Conakry, la Société Sportive de Guinée, la Jeanne d'Arc ou le Club des Cheminots, de nombreuses équipes de football amateur se constituent, parfois encouragées par l'administration coloniale, qui souhaite ainsi canaliser les énergies de la jeunesse. Ainsi Sékou jouait-il au football en plein centre de la ville, sur un terrain vague appartenant à la CFAO 48, près de l'église anglicane, et également sur le terrain du camp militaire, où le lieutenant d'artillerie Rétif est chargé de la liaison avec les jeunes. “Il n'était pas conciliant et murmurait en soussou des injures à l'égard des Blancs”, se souvient l'un de ses coéquipiers français 49. Ses copains français et guinéens vantent cependant sa gentillesse, son esprit de camaraderie et son entrain ; ils le surnomment —on ne sait trop pourquoi — “Franchon” 50.
Incapable de se plier durablement à la discipline scolaire, il n'en ressent pas moins le besoin de lire et de s'instruire : alors débute pour lui une longue période de boulimie livresque et de culture autodidacte ; une formule d'Anatole France s'applique à lui à merveille : “Comme je n'étudiais rien, j'apprenais beaucoup.” Il découvre la poésie, notamment grâce aux oeuvres de Rimbaud dont il apprécie l'esprit d'aventure.
Il se lie avec Guy Tirolien, jeune administrateur colonial originaire des Antilles, affecté à Conakry en 1944, et qui écrit des poèmes (ceux-ci seront ultérieurement publiés par Présence Africaine). Il lit aussi des illustrés et des bandes dessinées comme tous les adolescents en raffolent ; il apprécie en particulier les productions de Walt Disney 51 et gardera le souvenir du matelot Popeye 52.
Mais il prend connaissance surtout de textes que se passent discrètement les jeunes Africains entre eux, romans ou reportages dans lesquels des auteurs français donnent leur opinion sur l'Afrique, sur les qualités des Noirs ou les méfaits de la colonisation : Batouala de René Maran, un Guyanais né à la Martinique qui a au lendemain de la 1ère guerre mondiale obtenu le Prix Goncourt 53 , le Voyage au Congo d'André Gide, Terre d'Ébène d'Albert Londres 54 , L'heure du nègre de Georges Caraman (pseudonyme de Georges Simenon) … Il se passionne pour l'épopée glorieuse et tragique de Toussaint Louverture, fondateur dans les Caraïbes au début du XIXème siècle du premier État noir libre. Il lit aussi divers livres plus anciens où des écrivains français exaltent la dignité, le courage et les vertus des Noirs: Bug-Jargal de Victor Hugo; Atar Gull d'Eugène Sue ; Tamango de Prosper Mérimée… Lorsqu'il reçoit le diplôme de Docteur honoris causa de l'Université de Zaria au Nigeria, le 6 février 1982, dans son discours, il attribue même à Victor Hugo un roman que celui-ci n'a jamais écrit, Mandingus, dans lequel serait rappelé le drame des esclaves africains déportés vers les Caraïbes et le Brésil !
Il est très impressionné par un livre publié en 1935 avec un grand retentissement : L'Homme, cet inconnu. Écrit dans un style très clair par Alexis Carrel, un docteur lyonnais, prix Nobel de médecine en 1912 pour ses travaux sur les greffes d'organes, ce livre à mi-chemin de la philosophie et de la science vulgarise habilement les connaissances de l'époque 55. Sékou Touré lui empruntera, consciemment ou inconsciemment, nombre de ses idées sur le comportement des êtres humains, le rôle de l'hérédité et de l'éducation, la place des sciences et des technologies, le temps fini et infini, le sens moral et la conscience, l'individu et la société : il s'en inspirera pour forger sa formule — souvent employée — “l'homme, ce connu-inconnu, cet inconnu-connu”, qui sera le thème de beaucoup de ses discours 56. Seul le marxisme, quelques années plus tard, réussira à l'impressionner autant, à la fois comme doctrine et comme explication globale de la société ; il conviendra cependant que le marxisme n'était pas adapté à la société africaine, en raison de l'imprégnation de celle-ci à des traditions culturelles spécifiques, et aussi à la religion (notamment musulmane).
Ce ne sont donc pas les romans qui le passionnent le plus ; il dévore pêle-mêle livres d'histoire, de voyages, de philosophie 57, de théorie et de doctrine politiques 58. Il s'inscrira plus tard aux cours par correspondance de l'École Universelle, 59 Boulevard Exelmans à Paris, dont il recevra pendant longtemps par la poste les grosses enveloppes cachetées ; la réclame de cet établissement affirme : “Chacun peut aujourd'hui acquérir chez soi, à ses heures de loisir, quelles que soient ses occupations, facilement, quelles que soient ses études antérieures, avec le minimum de frais, dans le minimum de temps, toutes les connaissances utiles pour occuper la situation dont il se sent digne.”
Ceux qui ont approché Sékou pendant cette période se souviennent que dans sa chambre, son lit était entouré de piles de livres. Les amis qu'il se fait en France après la guerre ne cessent de recevoir de lui des demandes concernant surtout des ouvrages politiques 59. Ils ne se souviennent pas, en revanche, l'avoir jamais vu à l'époque faire ses prières, comme tout bon Musulman pratiquant.
Sékou parfait aussi ses connaissances de comptabilité, spécialité dont il raffole et sur laquelle, lorsqu'il sera président, il fera d'interminables discours destinés à montrer aux cadres des sociétés d'État comment gérer leur entreprise et améliorer leur productivité. “Profession: comptable”, inscrira-t-il sur ses documents d'identité de député en 1956.
Et lorsqu'il devient président du Conseil Supérieur des Normes et Comptabilités de Guinée, il invitera le Congrès Africain de la Comptabilité à se tenir à Conakry en 1985; seule sa mort en 1984 l'aura empêché d'y briller une fois de plus.
Quelques mois après le début de la guerre, en 1940, Sékou devient commis aux écritures (certains dossiers emploient même le joli terme d'“écrivain”) à la Compagnie du Niger Français ; ses connaissances déjà bonnes et son goût pour la comptabilité en feront un spécialiste du calcul des prix de revient. Le Niger Français est l'une des grandes compagnies coloniales de l'époque, filiale française du groupe anglo-hollandais Unilever, qui possède un comptoir important près du port de Conakry, à l'angle du 3ème Boulevard et de la 9ème Avenue, ainsi que des “factoreries” à Kindia, Mamou, Kankan et Siguiri. Spécialisée dans l'alimentation, la confection, la quincaillerie et les produits pétroliers, la société représente également les réfrigérateurs à pétrole Frigelux, les radios Philips, ainsi que les automobiles, camionnettes et camions Renault.
Sékou travaille un peu plus d'une année dans ses bureaux, en compagnie d'un autre commis, Barco Ousmane Bangoura, délégué syndical, futur militant du PDG, sous la direction d'un cadre d'origine camerounaise, Richard Mbamdja, qui apprécie ses qualités d'ordre et de méthode, mais déplore sa “forte tête” et son tempérament de raisonneur, affirmant même qu'il a brièvement tâté de la prison; ils resteront cependant liés d'amitié ; Richard Mbamdja militera même activement aux côtés de Sékou au début de l'époque du PDG, dont il sera le trésorier dès 1947.
L'irrésistible penchant de Sékou pour les femmes, y compris pour celles des autres, l'amènera vite à se colleter avec le directeur des achats de Niger-France, un Corse lui-même peu commode ; ce sera la fin de son emploi dans cette compagnie coloniale.
Sékou ne veut pas en rester là ; comme beaucoup de jeunes Guinéens, il est tenté par l'administration, qui lui assurerait permanence de l'emploi et sécurité financière. Les privations dues à la guerre se manifestent aussi en Guinée, et il connaît des jours difficiles. Il songe un moment à s'engager dans l'armée, mais l'armistice imposé en 1940 par les Allemands à la France en a tari le recrutement ; de plus, lors d'une visite médicale, il est exempté de service militaire.
Il parvient alors à obtenir provisoirement un emploi dans les Postes : le 14 septembre 1941, la décision 2340/CP le nomme comptable auxiliaire à la station de radio fédérale de Conakry. L'année suivante, il réussit le concours du cadre local des services financiers des PTT de Guinée ; la décision 2917/CP du 24 novembre 1942 l'intègre comme commis de 6ème classe stagiaire du cadre local des commis des PTT ; son salaire mensuel est d'environ 2.900 francs.
Il est parfois choisi comme facteur intérimaire ; peut-être même est-il envoyé à Dakar — ce serait son premier voyage hors de Guinée — pour une formation. Ses tentatives ultérieures pour passer d'autres concours dans cette administration échouent devant l'opposition de son chef de service, qui lui reproche un comportement revendicatif 60.
Noté comme “fonctionnaire de valeur moyenne, indiscipliné, plus préoccupé de politique et de syndicalisme que de son travail”, il restera dans l'administration des Postes pendant six ans, jusqu'au 26 avril 1948, date de sa démission à la suite de sa réussite au concours des cadres du Trésor. C'est donc aux PTT administration dont il conservera toujours le meilleur souvenir 61, qu'il commence son activité de syndicaliste et d'agttateur politique 62.
Notes
43. Georges Poiret fut gouverneur de la Guinée française de 1916 à 1930, poste qu'il occupa donc plus longtemps que tout autre gouverneur ; il en était déjà le secrétaire général depuis 1912. Né en 1872, il mourut en 1932 d'un douloureux et long cancer à la gorge et au visage. L'ouvrage Conakry, porte de la Guinée donne pour l'inauguration de cette statue, due au sculpteur Baudry, une autre date, celle du 26 mai 1935. La statue occupait un rond-point situé entre le Grand-Hôtel (devenu après 1958 — et jusqu'en 2008 — ambassade des États-Unis) et l'école professionnelle ; elle fut démontée pendant les années de guerre sur l'ordre de l'ingénieur Dewavrin, directeur des Travaux publics de Guinée, sans doute parce qu'elle honorait un franc-maçon notoire (Poiret avait été membre de la Loge maçonnique de Conakry L'Étoile de Guinée).
44. Jean-Maurice Cadoré, d'origine martiniquaise, alors adjoint au chef du bureau politique du gouverneur de la Guinée française, plus tard avocat, candidat des Indépendants d'Outre-mer (TOM) aux élections législatives de 1951 contre Sékou Touré et le PDG, puis en 1958 premier magistrat de la Guinée indépendante : il est en effet nommé procureur général. (Lettre à l'auteur en date du 20 septembre 1986). Voir aussi son témoignage sur la suppression de la chefferie au chapitre 16.
45. “C'était un homme grand, mince, élégant, avec des lunettes et de petites moustaches, tout à fait le type anglais ; il conduisait l'une des premières voitures décapotables de Conakry”, se souvient Colette Fraisse, née Lamour, fille d'un agent des Chargeurs Réunis, qui, âgée de 12 ans environ, frequenta cette école de 1936 à 1938. Elle se rappelle les classes mixtes, garçons et filles mêlés, avec beaucoup de petits Africains et de petits Libanais et Syriens. Le directeur, M. Drusset, faisait lui-même passer les examens (plusieurs conversations avec l'auteur au Thoureil, Maine-et-Loire, dont le 26 août 2005).
46. Le terme de “banlieue” a longtemps désigné les quartiers de Conakry situés sur la presqu'île de Kaloum, au-delà de l'ancienne île de Tumbo ; celle-ci est elle-même devenue petit à petit une presqu'île par suite de la construction successive de deux digues qui furent progressivement remblayées. Au contraire, tout ce qui se trouvait sur l'ancienne île de Tumbo était dit: “en ville”. Ces expressions sont encore employées aujourd'hui.
47. “Houphouët lui conservait une étrange mansuétude nourrie de vieux souvenirs. Il m'a raconté que c'était une tante de Sékou qui était venue le voir, qui s'était agenouillée devant lui et qui lui avait confié son neveu.” (Extrait de l'interview donnée par Siradiou Diallo sous le titre “Ce que vous ne savez pas sur Houphouët” parue dans Jeune Afrique no. 1719 du 16 décembre 1993, peu après la mort du leader ivoirien ; propos recuellis par Hamid Barrada et Philippe Gaillard). Une photo de Hadja Djimini Saran Touré figure au début de l'ouvrage Nous sommes tous responsables de Mohamed Mancona Kouyaté, publié à Conakry en avril 1996.
48. Compagnie Française de l'Afrique Occidentale.
49. Lettre de Jacques Bès à l'auteur en date du 28 juillet 1986.
50. Après la guerre, les camarades de Sékou Touré l'appellent souvent “Franchon”, nom du secrétaire général de la CGT française de 1947 à 1967. Mais il semble qu'il n'y ait pas de lien avec cet autre surnom, qui date d'avant la guerre.
51. Lorsqu'il effectuera à l'automne 1959 son premier voyage aux Etats-Unis et qu'il y rencontrera John F. Kennedy, alors en pleine campagne présidentielle, les deux hommes décident de visiter ensemble Disneyland. Kennedy loue un hélicoptère avec lequel ils se rendent en Californie où ce parc d'attractions a été ouvert quelques années plus tôt, en 1955 (voir chapitre 38 sur les relations avec les Etats-Unis).
52. L'auteur a assisté un jour à une discussion entre Sékou Touré et des représentants de sociétés aluminières qui voulaient le dissuader d'augmenter les taxes sur la bauxite en lui parlant d'une nouvelle découverte qui permettrait de faire de l'alumine à partir de l'eau de mer et ainsi de se passer de minerai. Sékou répliqua : “Vous ne m'impressionnez pas et je ne crois pas à cette menace ; j'ai lu Popeye dans mon adolescence et je sais que l'on peut faire du fer à partir d'épinards ; je pense quand même qu'on ne fermera pas les mines de fer pour les remplacer par des champs d'épinards.”
53. René Maran, Batouala, véritable roman nègre, prix Goncourt 1921 , Paris, Albin Michel, 189 p. Beaucoup plus que le roman lui-même, sa préface est un virulent réquisitoire contre le colonialisme. (voir Marc Michel, “L'affaire Batouala : René Maran anticolonialiste ou écrivain de l'ambigüité” in Identités caraïbes, sous la direction de Pierre Guillaume, Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, 2000).
54. Paru en 1929 chez l'éditeur Albin Michel, le livre d'Albert Londres écrit à la suite de son voyage de 1928 en Afrique, fait scandale, comme l'avaient fait quelques mois auparavant ses articles parus dans le Petit Parisien. Le ministre des colonies doit s'expliquer à la Chambre des deputes (notamment à propos de la construction du chemin de fer Congo-Océan), et le gouverneur general de l'AOF organise un “voyage de presse” pour contrer ses reportages.
55. Certaines de ses thèses eugénistes sont très contestées, de même que son attitude pendant la guerre et l'occupation. Paradoxalement, Carrel est aujourd'hui revendiqué à la fois par une partie de l'extrême droite française et par certains fondamentalistes islamistes. Il est infiniment probable que Sékou Touré n'a pas eu connaissance de ces controverses.
56. Ce sera par exemple le thème de son éditorial dans Horoya du 19 novembre 1971.
57. Jacques Marchandise, important dirigeant de la société Pechiney, venu en mai 1960 pour s'entretenir avec lui des problèmes de production de l'usine de Fria (qui entre en service a cette époque), se voit brusquement poser des questions sur les philosophes français du XVIIIème siècle (entretien de Jacques Marchandise et de l'auteur lors d'un colloque à Paris sur Jacques Foccart ; confirmé par Jacques Larrue, lui-même à l'époque cadre de Pechiney, dans son mémoire présenté en 1988 à l'IEDES sur “Sékou Touré et l'Islam”).
58. Maurice Jouannin dans sa thèse de doctorat en sciences politiques (Paris 1966) sur “La Pensée de Sékou Touré” se référant aux chercheurs de l'Institut américain de Columbia Wallerstein et Fischer attribue essentiellement — mais sans en apporter de preuves crédibles — à Hobbes (la théorie de la souveraineté limitée), à Spinoza (la relation entre l'homme et l'État), à Jean-Jacques Rousseau (le contrat social), voire à Teilhard de Chardin (la coïncidence entre science et religion) une forte influence sur Sékou Touré lui-même ainsi que sur l'idéologie du Parti Démocratique de Guinée. L'influence marxiste paraît singulièrement plus forte, moins d'ailleurs sur l'idéologie que sur les techniques d'organisation.
59. Ainsi, le 14 avril 1949, il demande à Raymonde Jonvaux, une militante de la CGT avec laquelle il est très lié et dont nous aurons l'occasion de reparler, de lui envoyer “livres, romans, brochures (…), les cours de doctrines sociales, d'économie, de droit, de français (utilisés par) des collègues de travail (…) et si possible les cours complets de l'École elementaire du Parti communiste français”.
60. Ainsi, le 29 mai 1945, Sékou écrit au gouverneur général de l'AOF pour solliciter son inscription sur la liste des candidats au concours des commis du cadre commun secondaire des services financiers ; mais en transmettant cette requête au gouverneur de la Guinée, son directeur formule le 15 juin un avis négatif, soulignant que “le service des postes — de Guinée — a besoin de tout le personnel actuellement à sa disposition. D'autre part, cet agent est l'éternel candidat à tous les concours concernant différents emplois.” Finalement, le 25 juin, le gouverneur de la Guinée française, Jacques Fourneau, émet lui aussi un avis défavorable parce que l'intéressé “ne réunit pas les 5 ans de service nécessaires pour participer au concours d'entrée dans le cadre secondaire des transmissions”, ce qui est — formellement — exact. Bien entendu, Dakar ne donne aucune suite à la demande formulée par Sékou.
61. “Nous devons vous dire, et vous le savez certainement, que nous-mêmes, nous sommes postier. Nous avons eu à servir dans presque toutes les disciplines de ce secteur, aussi bien techniques qu'administratives et comptables”, rappellera-t-il le 19 avril 1983 aux participants de la 7eme reunion de la sous-commission des télécommumcations de la CEDEAO tenue à Conakry.
62. Le fait d'être comme lui commis ans l'administration des Postes le rapprochera — parmi bien d'autres choses — de Patrice Lumumba. On notera que plusieurs autres dirigeants africains ont appartenu à l'administration des Postes : outre Sékou Touré et Patrice Lumumba Omar Bongo, Simon Oyono Aba'a (le fondateur du Morenais gabonais), et, en Guinée, le sénateur Fodé Mamoudou Touré