Paris, Maspéro, Coll. Cahiers libres, 1964. 205 pages
En fait, le programme guinéen reposait sur l'idée juste
que le sous-développement était dû à la colonisation
mais aussi sur la conclusion simpliste que la seule suppression des formes
traditionnelles de la colonisation suffirait à assurer le développement,
sans voir que cent ans de colonisation avaient peut-être sclérosé
l'organisation économique.
Il reposait également sur la théorie erronée du montant
nominal du revenu national. Il était couramment admis que le progrés
économique se confondait automatiquement avec l'accroissement en
valeur de la production nationale. Or cet accroissement peut être
obtenu de deux manières, ou bien par développement de la production
indigène traditionnelle ou bien par la création d' industries.
L'effet monétaire n'en est pas le même : dans le premier cas,
où le salaire nominal horaire est bas, la progression nominale est
nécessairement lente, dans le deuxième cas, au contraire,
avec des salaires nominaux élevés (même si, ce qui est
le cas courant, ces salaires ne sont pas versés aux autochtones,
le prix de vente est calculé sur leur base) la progression nominale
est très rapide. La tendance naivement spontanée des économistes
bourgeois de l'assistance technique étant de diviser le montant nominal
de la production par le nombre d'habitants pour obtenir le revenu moyen
individuel, ils en concluent facilement à la supériorité
d'une méthode sur l'autre.
Or, cette assimilation faite entre le montant monétaire du revenu
national et de la richesse nationale d'une part, et la richesse individuelle
d'autre part, est peu conforme à la réalité.
Il est déjà hâtif d'incorporer automatiquement au revenu
national, la production d'usines âppartenant, même en partie
seulement, à des capitalistes étrangers. Cela l'est également
de diviser arithmétiquement par le nombre d'habitants la valeur de
la production d'industries, dont la plupart vivent sur le plan local en
circuit fermé et travaillent surtout pour l'exportation, même
si l'on chiffre les revenus indirects nés dans le pays de cette industrie.
Cela l'est plus encore de prendre toute transformation quantitativement
volumineuse et techniquement moderne pour de l'industrialisation, alors
qu'industrialiser un pays sous-développé devrait signifier
incorporation de techniques productives à l'ensemble de l'économie
sous-développée, notamment dans son secteur agricole, et devrait
s'accompagner d'un réemploi plus productif des artisans et commerçants
traditionnels privés de leur gagne-pain par l'implantation d'une
usine concurrente.
Mais surtout, la libération économique d'un pays nouvellement
indépendant qui veut se libérer d'industries coûteuses
à entretenir et n'offrant d'intérêt que pour les marchés
développés des anciennes métropoles, et qui entend
élever le niveau de vie de masse qui consomme en priorité
des produits estimés en salaire horaire bas, cette libération,
compte tenu des différences de salaires horaires, peut et doit même
passer par la diminution nominale du revenu national, diminution qui, loin
de signifier une baisse de la production, traduit la transformation de la
structure de la production, qui d'étrangére devient, en son
sens le plus profond, nationale.
De plus, pas un seul instant n'avait été posé le probléme
de la nature de l'Etat. Voyant dans toute étatisation quelle qu'elle
fût, une panacée, Bettelheim se contentait d'un voeu pieux,
exprimé dans l'article déjà cité des Cahiers
Internationaux :
"Ces transformations doivent étre radicales, aussi, parce qu'il est indispensable que soient mises en place des structures qui, lorsque se développeront les forces productrices, ne donnent pas naissance à de nouvelles formes d'exploitation de l'homme par l'homme, soit sur la base du capital privé, soit sous la forme d'un capitalisme de type burenacratique.
Pour cela, il est indispensable que le secteur d'Etat et les coopératives s'épanouissent dans des conditions de démocratie reelle, afin d'éviter que le surplus formé grâce à l'activité productive du pays ne soit accaparé par quelques groupes privilégiés utilisant soit leur position de capitalistes privés, soit leur position dans l'appareil de l'Etat. L'expérience montre que ce dernier danger est loin d'ètre irréel et qu'il est indispensable de le prévoir pour étre en mesure de le prévenir."
Par là, Bettelheim rejoignait les conseils moralisants de René Dumont :
"Pour la réussir — la politique d'austérité— les dirigeants doivent donner l'exemple qui ne pourraient sans danger prendre trop les habitudes de vie de leurs prédécesseurs: autos modestes sans chauffeur, train de vie réduit, pas trop de domestiques distraits de la production, travail commençant de très bonne heure, et pour cela éviter de veiller tard le soir, réhabilitation de l'habit de travail, du prestige du travail manuel, par la participation périodique directe à ce travail des responsables politiques, à l'exemple des Chinois, me semblent étre parmi les principales conditions du succès."
Cependant de telles considérations, liant le socialisme à l'abstinence, ont autant de chance de succès que celles liant le capitalisme à la charité chrétienne. Les conditions objectives mondiales et africaines, par contre, pesant sur la vie interne guinéenne, influèrent sur le rapport de forces entre le secteur privé et le secteur d'Etat, en modifiant la nature de ce dernier. C'est dire que l'aspect socialiste de la poIitique guinéenne dépendait moins des volontés locales que des forces internationales qui s'exerçaient sur un petit Etat, placé, par les circonstances extérieures, à l'avant-garde du combat africain
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