Paris, Maspéro, Coll. Cahiers libres, 1964. 205 pages
Les premières oppositions au régime furent nettement contre-révolutionnaires.
Elles étaient d'ailleurs soutenues par des agents français
et visaient à supprimer ce que l'Indépendance politique avait
pu avoir de positif pour la révolution guinéenne. Elles trouvaient
leur base doctrinale dans la critique de mesures "anti-libérales"
selon les normes occidentales et de mesures anti-catholiques qui furent
présentées comme autant de preuves de l'existence d'une dictature
communisante. Très rapidement en effet, pour des raisons qui n'étaient
certainement pas étrangères à l'attitude de suspicion
mutuelle dans laquelle se tenaient les Européens et les Africains,
le Gouvernement guinéen avait pris des décisions privatoires
des libertés "traditionnelles".
Liberté d'information d'abord.
Le 27 janvier 1959, un décret interdisait aux particuliers de posséder
des postes émetteurs-récepteurs sous peine de poursuites judiciaires
pour atteinte à la sécurité intérieure et extérieure
de l'Etat. Le 1er mars 1959, Guinée-Matin était supprimé
(Voir Les Français face à
l'indépendance guinéenne). Seuls paraitraient dorénavant
le bulletin de l'Agence France-Presse, un journal du Ministère de
l'Information et l'organe du Parti Horoya.
Liberté professionnelle ensuite.
Contrairement aux affirmations que Sékou Touré avait soutenues
devant le public européen à la Chambre de Commerce, en septembre
1958, les avocats, notaires et huissiers étrangers ne pourraient
plus exercer leur profession en Guinée, s'ils n'optaient pour la
nationalité guinéenne dans un délai de un mois à
compter de mars 1959.
Liberté religieuse enfin.
Par une conférence de presse en date du 18 septembre 1959, Sékou
Touré annonçait que l'instauration du monopole d'Etat de l'enseignement
primaire avait été décidée par le Congrès
du P.D.G., tenu les jours précédents :
"Le P.D.G. se confond avec la Guinée. Ses décisions doivent être respectées par tous. Il ne s'agit pa seulement d'enseigner les disciplines scolaires aux enfants, il s'agit de les éduquer selon l'optique du Parti qui représente un peuple unanime. C est pourquoi l'Etat guincen doit prendre en mains totalement l'enseignement primaire. Les écoles secondaires privées et éventuellement supérieures sont autorisées."
La mesure ne devait prendre effet que dans un délai de trois ans, comme Sékou Touré l'avait signalé dans son rapport au Congrès, le 14 septembre 1959 :
"Nous nous sommes refusés à mettre fin sans délai à l'existence des écoles privées. Nous leur accordons le soutien de l'Etat sous forme de subvention pendant une durée de trois ans, tout en interdisant aux dirigeants de ces écoles de procéder à de nouveaux recrutements à partir de cette année. Chaque année les classes ainsi libérées seront utilisées par l'enseignement public. Ainsi nous pensons qu'au bout de trois ans... on ne trouvera plus un seul élève n'appartenant pas au secteur pubIic."
En outre, les mouvements de jeunesse catholiques étaient interdits. L'Archevêque de Conakry répondit à ces décisions par une "lettre à la chrétienté de Guinée" :
"Vous n'avez pas été sans apprendre la grande difficulté devant laquelle se trouve actuellement placée l'Eglise de Guinée par suite du traitement qui semble devoir être fait à l'enseignement privé et qui touche surtout les écoles de nos missions. Une circulaire du Ministre de l'Education Nationale prévoit que, lors de la prochaine rentrée scolaire, le recrutement des basses classes dans certairres de nos écoles ne sera plus fait par nous, mais que les inspecteurs de l'enseignement public s'en chargeront et qu'ils pensent y placer un maitre de leur choix. Lors du récent Congrès de Conakry, il était dit que dans un délai de trois ans, tous les enfants passeraient dans les écoles publiques. Nous n'avons pas été sans nous rendre compte de la gravité de cette situation et sommes intervenus pour essayer de sauver cette liberté menacée. Durant les derniers mois, sous prétexte de laïcité, l'Eglise s'est vue interdire les émissions religieuses à la radio ; ses groupements de jeunes se sont vus reprocher de nuire à l'unité du pays et aujourd'hui ce sont ses écoles qui sont visées. Sachez bien que si demain, elle se voyait interdire le droit d'accepter vos enfants dans ses écoles, c'est bien contre son gré qu'elle abandonnerait cette uvre."
Parallèlement, il protestait contre les difficultés qui
étaient faites à l'Eglise pour tenir des séances de
catéchisme, sous couvert de la nécessité légale
d'une autorisation préalable pour toute réunion publique,
quelle qu'en soit la nature.
Cette controverse devait ultérieurement, en août 1961, trouver
son épilogue dans l'expulsion de l'Archevêque.
C'est donc dans une atmosphère politique d'apparent radicalisme qu'éclata
le "complot" d'avril 1960.
Ce qui frappe avant tout dans cet événement, c'est la disproportion
entre la petitesse des faits et la publicité qui leur fut donnée.
Quatre étrangers, trois Français et un Suisse, furent accusés
d'avoir voulu renverser le Gouvernement et assassiner Sékou Touré.
Deux des conjurés s'enfuyaient de Guinée avant la découverte
même du complot, en volant un Jodel à l'aéro-club. Leur
départ entrainait immédiatement l'arrestation des deux autres,
qui furent condamnés aux travaux forcés à perpétuité.
lls devaient être par la suite libérés. Ce qui, soit-dit
en passant, apportait un démenti sans réplique à la
presse française qui avait à plusieurs reprises annoncé
leur mort.
Seul indice valable de l'existence d'un complot, une enquête menée
au Sénégal en mai 1960, et supervisée par le Premier
Ministre sénégalais d'alors, Mamadou Dia, révélait
l'existence de dépôts d'armes de guerre dans deux villages
situés à la frontière du Sénégal et de
la Guinée ainsi qu'une filière, allant d'officiers activistes
français jusqu'à d'anciens combattants guinéens, permettant
l'entrée de ces armes en Guinée. Dans une conférence
de presse, Sékou Touré déclara que les conjurés
étaient "en correspondance avec des organisations gaullistes
extérieures". Ce que le Gouvernement français nia.
L'incidence de ce ''complot" ne pouvait être que faible. Aucune
solide position politique n'était affirmée. La masse africaine
y était demeurée étrangère.
Cependant Sékou Touré n'hésita pas à faire grand
bruit à ce propos. Par le canal du P.D.G., il fit organiser à
Conakry un meeting de 60.000 personnes, où il annonça que
la contre-révolution avait été démasquée.
Ces révélations n'atteignirent pas profondément l'opinion.
Simplement la méfiance à l'égard des étrangers
s'accrut, entrainant, en décembre 1960, des mesures qui furent qualifiées
de vexatoires à l'égard du personnel des ambassades qui était
dorénavant tenu d'avertir le Ministère guinéen des
Affaires Etrangéres quarante-huit heures avant tout déplacement
hors de Conakry.
Il est certain que Sékou Touré avait cru saisir là
une occasion de ranimer l'élan d'une masse quelque peu déçue.
N'avait-il pas dit, le 2 avril 1960, lors de la Conférence Economique
de Kankan :
"N'ous abordons une phase de lutte d'autant plus difficile que les motifs de l'engagement révolutionnaire sont moins apparents, I'action de sabotage moins perceptible, la réaction, dépossédée de l'autorité que lui conférait l'illégitime regime cotonial, a pris un visage forcément sympathique et des manières amicales, mais sa volonté destructive demeure."
Il est certain aussi qu'il avait tenté de détourner l'attention de certaines déclarations qui décevaient les espoirs de toute la fraction gauche de l'opinion. Quelques jours avant l'annonce du complot, il avait, en effet, affirmé son anti-communisme à un correspondant d'un journal danois, l'Information. D'aucuns d'ailleurs avaient cru et même diffusé dans la presse française que ce journaliste avait été arrêté lors du complot, ce qui était faux. Sékou Trouré lui avait déclaré :
"Je refuse de laisser le Parti Démocrafique Guinéen suivre la ligne idéologique du communisme. Si certains le désirent, qu'ils fondent un parti communiste guinéen mais qu'ils sachent bien que le P.D.G. leur barrera le chemin sous ma propre conduite. Le communisme n'est pas la voie de l'Afrique. La lutte des classes est ici une chose impossible, car il n'y a pas de classes, mais seulement des couches sociales. La base fondamentale de notre société est la famille établie en conformité avec la communauté villageoise."
Il y avait donc un décalage sensible entre la vision de la Guinée qu'avaient les activistes qui voulaient y rétablir la préssence occidentale, et la réalité politique guinéenne. Celle-ci allait d'ailleurs évoluer en moins d'un an et "créer", en novembre 1961, un second complot de nature opposée.
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