Paris, Maspéro, Coll. Cahiers libres, 1964. 205 pages
On a parlé d'indépendance. Je dis ici plus haut encore
qu'ailleurs que l'Indépendance est à la disposition
de la Guinée. Elle peut la prendre, elle peut la prendre le
28 septembre en disant Non à à la proposition
qui lui est faite et dans ce cas, je garantis que la Métropole
n'y fera pas obstacle. Elle en tirera bien sûr des conséquences. Général de Gaulle, 25 août 1958, Conakry. |
Le privilège d'un peuple pauvre est que le risque que courent ses entreprises est mince, et les dangers qu'il encoure sont moindres… Nous préférons la Pauvreté dans la Liberté à la Richesse dans l'Esclavage. Sékou Touré, 25 août 1958, Conakry. |
Dix-huit mois après la mise en application de la Loi-Cadre de
1956, les gouvernements autochtones qui avaient été longs
à se roder étaient loin encore d'en avoir tiré toutes
les conséquences pratiques. Parmi les réformes rendues juridiquement
possibles et qui paraissaient indispensables aux dirigeants africains, très
rares étaient celles menées à bien ou même simplement
amorcées. Pratiquement la réglementation en vigueur sous le
régime antérieur demeurait toujours applicable. Dans ces conditions,
un surcroit d'autonomie aurait été momentanément un
luxe superflu pour des gouvernements qui n'avaient pas encore atteint la
limite de leurs récentes prérogatives. Aussi, en 1958, le
problème qui passionnait l'opinion politique africaine d'obédience
francaise était-il moins le problème de la révision
des liens constitutionnels qui unissaient individuellement les territoires
à leur métropole que celui de l'unité africaine qui
dans ces pays se confondait avec le problème des Fédérations.
Le problème était d'autant plus brûlant, que la Loi-Cadre
de 1956 avait démantelé l'organisation centralisatrice, qui
depuis 1904 était axée sur l'A.O.F. (Afrique Occidentale Française)
et sur l'A.E.F. (Afrique Equatoriale Française). Elle avait en effet
transféré aux territoires la plupart des pouvoirs relevant
auparavant des Fédérations, la plupart également des
ressources budgétaires.
Cependant, malgré les attaques juridiques dont elles avaient été
l'objet les Fédérations conservaient encore un réel
pouvoir.
La territorialisation du pouvoir financier recélait en elle-même
un risque pour les intérêts métropolitains engagés
outre-mer. En permettant aux instances territoriales de fixer souverainement
le taux des impôts et des taxes notamment des droits de douane et
des tarifs mercuriaux, le capitalisme aurait laissé à d'autres
la possibilité d'introduire des règles exorbitantes à
son jeu normal. Aussi bien dans le but officiel de ne pas nuire à
la vie de la Fédération tout entière le législateur
français avait-il mis au point un système lourd et complexe
de coordination interterritoriale, en matière financière,
destiné à ne conserver que les côtés bénéfiques
pour le colonialisme de la division politique des Fédérations.
Cette coordination aboutissait à doter les autorités fédérales
d'un pouvoir financier certain, qui au moins en théorie permettait
une orientation dans le choix et l'implantation des investissements.
Pour que ce pouvoir ne restât point aux mains des seuls métropolitains,
les leaders africains réclamaient un Exécutif fédéral,
c'est-à-dire un Conseil de Gouvernement élu démocratiquement
à l'échelon des Fédérations. La Loi-Cadre de
1956 avait, en effet, confié le pouvoir exécutif de l'A.O.F.
et de l'A.E.F. à un Haut-Commissaire nommé par la France,
alors que celui des territoires, à l'exception du Premier ministre,
était nommé par des assembléss elles-mêmes élues
au suffrage universel à collège unique.
Lors de son Congrès constitutif, tenu à Dakar le 13 janvier
1957, la Convention Africaine avait avec force montré la primauté
du problème.
La résolution politique, votée au troisième Congrès
interterritorial du R.D.A. à Bamako, le 30 septembre 1957, affirmait
la même volonté :
Conscient des liens économiques, politiques et culturels indissolubles qui unissent les Territoires et soucieux de préserver les destinées de la Communauté africaine, le Congrès donne mandat aux élus de déposer une proposition de loi tendant à la démocratisation des organes exécutifs fédéraux existants.
Cette revendication s'inscrivait certes dans le courant d'une déjà
ancienne et vague aspiration au panafricanisme, mais en 1958 elle
revêtait surtout un caractère de tactique politique. Il n'avait
pu échapper à l'attention des leaders africains qu'à
chaque pas en avant fait en apparence par la métropole dans le sens
de l'autonomie africaine, correspondait un nouveau démantèlement
des Fédérations.
Seule la Côte d'lvoire, lasse d'une Fédération qui,
par un jeu de péréquation des ressources douanières,
lui coûtait plus qu'elle ne lui rapportait, était violemment
hostile aux Fédérations et partisane de l'autonomie au stade
des territoires et de l'établissement de relations médiates
avec la métropole.
C'est dire la nécessité impérieuse de l'antériorité
de l'élaboration de fédérations démocratiques
à toute réorganisation des relations juridiques avec la métropole.
Aussi, dès qu'il apparut évident que la Cinquième République
pourtant née du seul problème de l'Algérie entendait
remanier tout l'ensemble de l'Union Française, les leaders africains
établirent-ils des programmes qui, sauf celui d'Houphouët-Boigny,
dirigeant de la Côte d'lvoire, étaient centrés sur trois
points étroitement associés : autonomie interne, exécutif
fédéral, communauté d'Etats libres et égaux
avec la France. Sékou Touré ne devait pas faire exception
à la règle. Dès le 5 juin 1958, au IVè Congrès
Territorial du P.D.G., il défendait cette position.
Le 28 juillet 1958, devant l'Assemblée Territoriale, il la reprenait
telle d'ailleurs qu'il l'avait exposée à l'intention du Gouvernement
Français, dans un communiqué en date du 18 juillet 1958 :
La future constraction franco-africaine devra, pour être viable être fondée sur une adhésion unanime et sincère des peuples d'outre-mer, être libre, égalitaire et historiquement juste." Cette construction devra s'inspirer des principes suivants:
Ces grandes lignes permettront aux anciennes Fédérations de l'Afrique Occidentale Française, de l'Afrique Equatoriale Française et de Madagascar et aux Etats du Togo et du Cameroun, de résoudre les problèmes que soulèvera la nécessité de renforcer leur unité et de réaliser une large décentralisation et une profonde déconcentration. Elles petmettront aussi d'élever les peuples d'outre-mer au rang de peuples souverains, dont la véritable nationalité sera ainsi réhabilitée et associée librement aux autres nationalités constituant la Communauté entre la France et les Territoires d'outre-mer, sans exclure les Etats anciennement liés a la France et ayant déjà accédé à l'Indépendance.
Il s'agissait là pour lui d'une condition sine qua non à une réponse positive au référendum que nulle crainte, ni sentimentalité ne sauraient modifier.
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