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Guinée Française
Géopolitique — Economie — Sociologie


Maurice Houis

Ancien Directeur de l'Institut Français d'Afrique Noire (IFAN) en Guinée

La Guinée Française

Editions Maritimes et Coloniales. 1953. 95 p.


Les groupements ethniques 1

Les minorités ethniques.

Il existe dans ces refuges que sont la plaine côtière, les marches occidentales du Fouta et la région forestière des minorités ethniques dont il est difficile de retracer l'histoire. D'ailleurs en ont-elles une ?(!) Tous ces peuples sont individualistes ou le sont devenus par la force des choses au point que l'on peut parler à leur égard de « sociétés sans Etat »
Ces minorités 2 représentent les vestiges d'un fond ethnique qui occupait autrefois les montagnes de l'intérieur. Certaines ont déjà disparu, assimilées par les envahisseurs mandé.
La Description de la côte occidentale d'Afrique par Valentim Fernandes (1506-1510) fournit d'utiles renseignements. L'auteur avait entrevu l'unité des peuples qui vivent au Sud du Rio Grande et qui sont désignés sous le terme générique de Çapeos — Sapes sur les cartes françaises — aujourd'hui maintenu dans celui de Tiapi, donné aux fractions les plus occidentales des Landouman. Le capitaine portugais note aussi que le royaume Sapes a été envahi par des gens qui s'appellent entre eux Manes vers la fin du XVIe siècle. Les conclusions linguistiques qui, ressortent de l'étude générale de ces peuples confirment les données de Valentim Fernandes. Les Baga-Temné sont effectivement divisés par les Mmani, mais les dialectes de tous ces peuples ont en commun l'usage des affixes de classe. Il faut distinguer

Entre la Grande Scarcie (Kolenté) et la rivière de Morébaya, dans le canton du Samou, vit un peuple que les Sosso appellent Mandonyi et qui se nomme lui-même Mmani (sing. Mani), peuple laborieux d'agriculteurs. Il tire sa subsistance de la culture du riz et des cocoteraies, accessoirement de l'huile de palme, de la pêche et de l'extraction du sel. Proche parent des Boulom et des Sebouras (Sherbro des Anglais), il assure la continuité ethnique avec la Sierra Leone. Les Mmani étaient beaucoup plus étendus autrefois, peut-être ont-ils recouvert le Kaloum. Il semble que, précédés par les Baga dans la plaine côtière, ils ont coupé ceux-ci en tronçons, rejetant l'un d'eux, les Temné, vers la Sierra Leone. La toponymie de la région côtière occupée actuellement par les Mmani relève en fait du Temné (ou Baga) ; il faut remonter dans le Benna pour retrouver une toponymie proprement mmani 3.
En suivant la côte vers le Nord-Ouest s'échelonnent les Baga, depuis la presqu'île du Kaloum jusqu'à la rivé droite du Rio Nunez. Les rapprochements que nous impose la linguistique font entrer dans un même groupe les Temné 4 de Sierra Leone, les Landouman de la région de Boké et les Baga proprement dits : groupements

Il est indiscutable que ces trois peuples parlent des dialectes assez proches issus d'une même langue.
Les Baga forè se situent dans le Monchon. Ils sont de taille moyenne, mais râblés et très robustes. Cultivateurs, ils récoltent le riz, les colas, les palmistes. La dénomination sous laquelle ils sont connus signifie en sosso « Baga noir ». Sans doute le terme pris dans le même sens que le vocable peul ɓaledyo, c'est-à-dire kéfir, fétichiste. Il ne désigne pas un caractère anthropologique. D'ailleurs les Baga foré prétendent que les autres Baga sont aussi forè mais ne veulent pas qu'on les désigne ainsi. Il semble qu'ils soient les plus anciens Baga de la côte. Ils seraient originaires de Timbo et de Labé et seraient venus en plusieurs vagues. Il est intéressant de noter que leur dialecte est assez éloigné de celui des autres Baga et qu'il comporte une forte proportion de mots proches du nalou. La toponymie appelle la même constatation. Les Nalou, plus nombreux, les ont peut-être dominés autrefois. Les Baga foré montrent d'ailleurs dans leur propre pays des colatiers et des manguiers plantés par les Nalou
Enfin ces deux peuples ont en commun un nom patronymique Sampou ou Sampi.
Les terres d'origine des Baga sont le Fouta, dont ils ont été chassés par les invasions mandé et foula. Toutefois ils ont dû participer au vaste empire dénianké de Koli Tenguela, le premier envahisseur peul du XVIIe siècle.
Il faut comprendre également les Landouman, dans le groupe baga. Situés au Nord-Est et à l'Est du Naloutaye, sur les deux rives du Rio Nunez, voisins des Mikiforé, leur lieu d'origine est également le Fouta. L'explication de leur nom à partir de l'anglais land's man est fantaisiste et du même acabit que celle du mot « toucouleur » par l'expression « two colours », Il vaut mieux avouer qu'il n'est pas identifié. Les intéressés eux-mêmes ne peuvent pas en donner une explication, mais reconnaissent qu'ils se sont toujours ainsi dénommés. Le groupe le plus occidental porte le nom de Tiapi qu'on croit reconnaître sur les cartes anciennes sous la forme de Sapé.
Les Nalou prétendent venir du Mali, au Fouta-Dialon. Ils occupent les deux rives du bas Nunez, celles du Rio Componi (Kogon) et les îles Tristâo. Ils seraient parents des Bidyagos des îles Bissagos. Les métissages mandé ont modifié ce peuple et les Nalou du continent sont de beaux hommes au teint clair. Ceux des îles ont des caractères plus négroïdes.
Les marches occidentales du Fouta sont également peuplées de minorités :

Les Foula les appellent Tenda, nom qui a donné lieu à bien des équivoques et d'aucuns y ont vu, à tort, une même race. En fait, il ne semble pas que tous ceux qui sont réunis sous ce vocable soient d'origine unique ; l'examen des caractères physiques confirme cette hypothèse et quant aux langues, bien qu'elles suivent même système morphologique, elles ne forment pas une unité sensible, à l'inverse des dialectes côtiers. Certaines légendes recueillies chez les Tenda affirment qu'un certain nombre d'entre eux sont venus avec les premiers Peuls de Koli Tenguela. Peut-être est-ce vrai pour quelques-uns, mais les Tenda semblent bien être les plus vieux occupants de la moyenne Gambie.

A l'Est de la Guinée, dans la forêt ou à proximité, vivent des peuples inférieurs de taille par rapport aux autres Guinéens, portant sur le dos et sur la poitrine des tatouages cicatriciels. Les Guerzé (ou Kpellé), les Kono, les Manon habitent le Sud du Cercle de Nzérékoré, mais leur aire d'extension couvre aussi une partie du Libéria. Leur dialecte se rattache au groupe mandé fou, ainsi d'ailleurs que celui des Toma. Un tiers seulement de ceux-ci sont en Guinée Française, le reste vivant au Libéria : ce sont les Bouzié. Ils sont comprimés entre les Kissi à l'Ouest et les Guerzé à l'Est. Au Nord, ils s'étendent jusqu'au Konian. Ils ont eu à subir de nombreuses attaques des Malinké dont une traînée de villages s'enfonce dans le pays des Toma séparant ceux-ci en deux tronçons. Ceux du Nord-Ouest, vers les bassins de la Makona et de la Loffa, sont entamés par l'influence Malinké, alors que ceux du Sud-Est, autour du bassin du Diani, conservent mieux leurs coutumes et leur religion. Il est intéressant de constater que les Toma emploient un système d'écriture propre, sans doute d'origine mystique, et dont l'usage s'étend de plus en plus dans les rapports commerciaux avec le Libéria.
Les frontières de la Makona et de la Mafintia, dont l'angle constitue le canton de Wendé (Cercle de Guékédou), limitent, en Guinée Française, le territoire des Kissi. On a noté chez ce peuple les yeux en amande comme chez les Mmani, avec lesquels ils auraient d'ailleurs une parenté linguistique. Mme Paulme-Schaeffner signale que quelques vieillards ont gardé le souvenir d'une grande migration qui aurait, à une époque reculée, évincé les Kissi du pays mandé. Ils se seraient arrêtés plus au Sud de leur territoire actuel et, par petits groupes, lentement, auraient essayé de rejoindre leur berceau ancien. En fait, le pays qu'ils occupent est un carrefour, aussi ont-ils eu à subir les attaques continuelles des sofa de Samori. Aujourd'hui les Kissi qui, au Nord, sont en contact avec les Malinké, adoptent de plus en plus leurs coutumes : la principale famille porte même le nom de Keita. Ils appartiennent à la fois au monde de la forêt et à celui de la savane. Leurs villages se dissimulent dans les bois que la hache et les feux de brousse ont épargnés, tandis qu'en bordure, sur les pentes des collines dénudées et dans les vallées ensoleillées, s'étendent d'immenses lougans de riz ; aussi, pour leurs voisins du Nord, les Kissi sont-ils avant tout « les gens du riz ».

Guinee Francaise. Carte ethnique

Les Mandé.

Les coutumes et les langues propres aux peuples guinéens se rattachent soit aux Mandé, soit aux Peuls. Les minorités ethniques, tout en conservant une originalité encore évidente aujourd'hui, subissent pour une grande part l'attraction de l'un ou de l'autre de ces ensembles auxquels elles s'agrègent.
Tous les groupements mandé des Cercles de Kankan, de Kouroussa et de Siguiri, connus sous le nom de Malinké, parlent une langue à peu près homogène et très proche de celle de leurs frères soudanais. Par contre les Sosso, les Dialonké et les peuple s forestiers font usage de dialectes où la langue mandé commune est très altérée. Les premiers sont du groupe mandé-tan, pour respecter la distinction de Delafosse, les seconds du groupe mandé-fou 5.
En quoi ces données éclairent-elles l'histoire ? Les peuples de langue mandé-fou doivent l'hétérogénéité de leur parler au fait que, conquérants, comme les Sosso et les Dialonké, ils ont composé intimement avec les conquis, ou que, assujettis, comme les peuples forestiers — Manon, Kono, Guerzé et Toma — ils ont conservé toutefois des vestiges originaux. D'ailleurs aucun d'entre eux n'a créé d'importants Etats ; aussi font-ils figure de peuples émigrés, vaincus, et s'ils résistent, c'est au prix d'un abaissement de leurs conditions de vie.
C'est vers le pays Malinké proprement dit qu'il faut se tourner pour retrouver le berceau mandé.
Les Malinké 6 sont groupés actuellement en quatre provinces :

Le pays ou l'Etat communément appelé mandé, manding ou Mali se trouve entre Bamako et Siguiri. C'est dire que son identification exacte est mal connue. Il y a en fait deux Etats :

Le Tarikh el Fettach, l'une des plus importantes sources écrites de l'histoire soudanaise, mentionne le nom de deux capitales, qui, malgré les soins de l'auteur à noter les voyelles, ne sont pas identifiables. La seconde est traduite par Niani et placée approximativement dans les environs du village actuel portant le même nom sur le Sankarani, mais les fouilles qui ont été pratiquées ne sont pas concluantes. Toutefois on y relève encore l'emplacement d'une grande cité alimentée par des puits. Les tumuli ont livré des tessons de poterie dont la technologie et les décorations ne sont plus en usage. Malheureusement aucune de ces stèles funéraires dont parle le voyageur arabe Ibn Batouta, à propos de sa visite au cimetière blanc n'a été découverte.

Les Peuls

Origine lointaine et légendaire. — Les Peuls de Guinée Française 7 sont connus administrativement sous le nom de Foula, dénomination empruntée aux Malinké. Leur origine, lointaine et légendaire, s'inscrit dans celle des Peuls en général. Bien qu'ils apparaissent, aussi loin qu'on remonte, comme les propagateurs de l'Islam en Afrique occidentale, il s'en faut de beaucoup qu'ils aient tous été musulmans autrefois. Leur émigration vers les montagnes de Guinée s'échelonne sur un laps de temps assez long, un siècle au moins. Mais les premières vagues d'émigrants n'avaient pas encore subi l'influence de l'Islam et ils durent plus tard se convertir à la foi de leurs frères nouvellement arrivés ou faire cause commune avec les fétichistes 8.
L'émigration lente et continue du Massina amène vers les riches pâturages du Sud un nombre de plus en plus important de ces « Kamites rouges ». A partir du milieu du XVIIIe siècle, ils sont animés d'une foi nouvelle qu'ils imposeront le moment veau à tous leurs voisins. Ceux qui se rattachent aux premières couches résident dans les marches occidentales du Fouta et aussi en Guinée Portugaise : ce sont les Pouli et les Foulakounda. Bien qu'ils soient aujourd'hui à peu près tous islamisés, ils ont conservé des caractères propres dans leurs traits physiques, dans leur mode de vie et dans leur état civil.
Il est difficile d'écrire l'histoire des Peuls de la Guinée Française, comme d'éviter les listes fastidieuses de noms auxquels s'accordent des dates incertaines. Jusqu'ici aucun de ces tarikh — ultime espoir des historiens — qui ont permis de reconstituer l'histoire du Soudan n'a été livré. Il reste donc les récits des premiers voyageurs et administrateurs que Louis Tauxier a repris dans son livre Moeurs et histoire des Peuls, sans en extrapoler toutefois la synthèse. C'est elle que nous tenterons de dégager succinctement à partir des chroniques de Gordon Laing (1882), d'Hecquart (1853) et du livre d'André Arcin. Il faudrait de là pousser des enquêtes dans chaque misiide pour sauver ce qui peut encore être sauvé.
Les Peuls actuels ne sauraient teinter leur origine d'une influence autre que musulmane. Plusieurs légendes concordent sur un point : l'importance d'un certain personnage Oumar ibn Assi, lieutenant du khalife Omar, parvenu au Massina on ne sait comment pour répandre la parole du Prophète. Avant de partir — retourne-t-il en Arabie ou meurt-il dans le pays ? — il transmet ses pouvoirs religieux et temporels à Ougoubatou ibn Yassirou qui épouse la fille du roi du pays. De cette union naissent quatre enfants qui seraient à l'origine des quatre grandes familles peules.
Pourquoi une fraction des habitants du Massina émigre-t-elle vers le Sud ? Nous ne pouvons que rappeler, en réponse à cette énigme, les guerres qui se déchaînent au Soudan du XVe au XVIe siècles. L'Etat du Massina est annexé à l'empire de Gao au début du XVIe siècle. Auparavant il a subi l'attaque du Soni Ali et les Mossi de Nasséré l'ont traversé dans leur marche sur Oualata. Ces guerriers sont peut-être la cause de la fuite des Peuls, leur instinct de nomade aidant. Ils traversent le Boundou, le Wassoulou et s'étendent sur les hauts pâturages de Guinée.
Quand on parle du Massina comme lieu d'origine des Peuls du Fouta, il faut certainement accorder à cette région une ampleur géographique plus vaste que celle qu'évoque aujourd'hui ce mot, puisque les Peuls du Massina venaient eux-mêmes, en partie, du Fouta-Toro.

Arrivée des Pouli. Koli Tenguéla. — Les quatre yettoje (sing. yettoore), noms patronymiques ou tribaux, se retrouvent dans tous les groupes de cette race. Ce sont :

Ces yettoje ne sont pas en usage dans l'état civil courant, sauf précisément dans les marches du Fouta. Mais dans les limites de l'Etat commandé par les Almami, les noms utilisée sont Diallo, Ba ou Baldé, Bari et Sow.
Les Diallouɓe, descendants de Boɗewal, retiendront notre attention, car les premiers ils quittent le Massina pour descendre vers le Sud-Ouest par les vallées du Bafing et du Tinkisso. Tauxier met en avant la date approximative de 1534. L'histoire retient un nom : Bambi-Diadé, gravé dans les mémoires comme celui d'un grand chef qui aurait commandé la première invasion. Son arrière petit-fils est ce fameux Koli Tenguéla ou Koli-Pouli qui, avec l'aide des peuples autochtones montagnards, crée un Etat sans doute bien hétérogène. Sur les cartes anciennes, il figure sous le nom de Kokoli, qui désigne la confédération de ces peuples divers sur lesquels devait se dessiner déjà l'autorité des Pouli. Parmi eux, les Dialonké sont les plus importants, premiers conquérants des Baga et des Tiapi dont les vestiges épars subsistent sur la côte et au Nord-Ouest du Fouta. Mais tandis que le centre de gravité de l'Etat de Koli se déplace vers le Sénégal — les chefs sont appelés silatigui (siratik des anciens narrateurs) — le pays qui sera plus tard le Fouta-Dialon revient à l'état de tribus sous l'autorité de chefs héréditaires et s'accroît sans cesse de nombreux arrivants.
Nous sommes à la fin du XVIIe siècle. Les nouveaux émigrés sont de plus en plus teintés de religion musulmane. Ils s'efforcent encore de passer inaperçus, mais peu à peu, cessant de se cacher pour faire la prière, ils enseignent publiquement le Koran.
Le prestige grandissant des Peuls musulmans les amène à prendre conscience de leur force et de leur mission. A cette société musulmane un devoir impérieux s'impose : la djihad, la guerre sainte.

La guerre sainte. — Au début du XVIIIe siècle, vers 1725, les neuf principaux karamoko 9 décident d'opposer aux fétichistes un front commun afin de venir à bout de leur résistance. Dans une réunion célèbre, à Bomboli près de Pita, ils décident d'ouvrir la guerre sainte.
Malgré la rivalité du plus grand guerrier de l'époque, Mamadou Sellou, le conseil choisit un saint homme de la tribu des Bari comme chef du nouvel Etat, Ibrahima Sambegou, dont la tradition a perpétué le prestigieux souvenir sous le nom de Karamoko Alfa. C'est le chef spirituel de la province de Timbo, localité qui, pour cette raison, deviendra la capitale du Fouta.
Bon nombre de chefs fétichistes attaqués par surprise tombent sous les coups des nouveaux maîtres, tandis qu'une partie des Malinké et des Pouli se range sous la bannière des plus forts. Une victoire définitive est remportée près du village de Talansan sur le Bafing. Elle est gravée dans le souvenir comme une bénédiction de Dieu.
Mais cette mainmise des Peuls sur les terres du Fouta-Dialon inquiète les peuples avoisinants qui, en tant que fétichistes, se trouvent menacés : ce sont les petits Etats du Soliman et du Kouranko et les Malinké du Wassoulou et du Sankaran.
Les Peuls s'allient aux Dialonké du Soliman, dont les chefs sont officiellement convertis, ces derniers espèrent surtout obtenir une aide efficace dans leurs luttes contre les Limban et les Temné. Alliance d'ailleurs temporaire puisque plus tard les Dialonké participent à une vaste coalition menée par Kondé Birama, le chef du Wassoulou. Timbo est pris (entre 1760 et 1764); Karamoko Alfa devient fou et meurt.

Ibrahima Sori. — Mais la cause peule est reprise en main par Ibrahima Yoro Paté, guerrier intrépide et chef orgueilleux. La tradition le connaît mieux sous le nom d'Ibrahima Sori 10. La date de son avènement est discutée : 1751 selon Gordon Laing, 1761 d'après Arcin. Cette dernière serait plus logique et nous l'admettrons hypothétiquement.
Ibrahima Sori, grâce au prestige que lui confèrent ses victoires, prend le titre d'almami — commandeur des croyants . La succession de Karamoko Alfa n'avait d'ailleurs soulevé aucune contestation, son fils Alfa Saliou étant trop jeune. Néanmoins le conseil des anciens, constitué par les chefs de chaque diiwal, ne considère le règne d'Ibrahima Sori que comme une régence et une rivalité sourde commence à les opposer. Aussi le conseil, dont les prérogatives sont de plus en plus menacées, ne tarde pas à prendre une décision qui affectera toute l'histoire du Fouta-Dialon et asservira son essor aux tragiques rivalités des chefs : il décide que le, pouvoir et le titre d'almami doivent changer de main tous les deux ans et que le titulaire appartiendra successivement à la descendance de Karamoko Alfa et à celle d'Ibrahima Sori. Tel est le point de départ de l'opposition des Alfaya et des Soria, dont seules quelques fortes personnalités pourront suspendre les conséquences funestes. Cette même dichotomie se retrouve, d'après la constitution, dans les provinces 11.
Alfa Saliou prend donc le titre d'almami, dès que son âge le permet.

Abdoul Gadiri. — Une période de trouble s'étend de 1794 à 1813, date à laquelle le parti soria revient au pouvoir avec Abdoul Gadiri, l'un des fils d'Ibrahima Sori. Abdoul Gadiri n'a qu'une idée: venger l'assassinat de son frère Sadou. Il y parvient en menant la rébellion contre l'almami Bademba qui, en fuite vers le Labé, est rattrapé et tué. Les anciens veulent le juger our meurtre mais il échappe au verdict en distribuant force cadeaux. Les premières années de son règne sont ensanglantées par la réaction des alfaya qu'il parvient à dominer. Il étend suite les limites du Fouta jusqu'au Niokolo et au Ngabou, qu'il place sous l'autorité de son ami l'Alfa mo Labé. La fin de son règne voit le déclin de sa puissance ; il mène en effet une guerre malheureuse contre le Sankaran. Vers 1825, il meurt de maladie à Timbo. Cette date cet assez précise puisque René Caillé qui est passé dans le pays en 1827 affirme qu'Abdoul Gadiri vient de mourir.

Almami Oumarou et ses successeurs. — Avec l'almami Oumarou (Soria), l'Etat du Fouta va redorer son blason. C'est un fils d'Abdoul Gadiri, né vers 1814, qui pendant les précédentes guerres civiles s'est réfugié chez un cousin, chef du Boundou. Ce dernier est un ami des Français et Oumarou apprend ainsi à les connaître et à les admirer au cours des nombreuses palabres que donne son parent. Vers 1835, il revient au Fouta et se retire à Sokotoro où, par ses largesses et son prestige, il attire à lui beaucoup de jeunes gens. Il mène plusieurs expéditions contre les infidèles, laissant toujours à ses hommes le partage du butin.
C'est pourquoi le parti soria, éloigné du pouvoir depuis presque dix ans, met ses espoirs en Oumarou et se groupe autour de lui.
Un jour, un fils de l'almami alfaya, Boubakar, injurie une des femmes d'Oumarou qui aussitôt venge cet affront en le tuant. Appelé devant le tribunal des anciens à Timbo, il refuse de s'y rendre. Le verdict le condamne à mort par défaut. Boubakar veut lancer les troupes contre lui, mais cette querelle est considérée comme personnelle de l'avis du conseil des anciens qui refuse à l'almami l'aide qu'il demande de peur de plonger à nouveau le Fouta dans des désordres sans nom.
Oumarou et le parti soria redressent la tête. Oumarou se fait proclamer almami à Fougoumba et marche sur Timbo avec ses partisans. Après un combat de trois jours, alors même que l'avantage semble être à ses troupes, la mère d'Oumarou, Néné Kadiata, d'origine Dialonké, s'efforce de réconcilier les deux ennemis. Elle demande à son fils de cesser la lutte et à l'almami alfaya d'oublier le passé et de consentir à reconnaître Oumarou comme son successeur. Les deux partis cessent la lutte et des promesses sont échangées de part et d'autre. Oumarou se retire à Sokotoro.
Mais son attente est brève, l'almami Boubakar devant mourir cinq mois plus tard. On essaye de cacher l'événement à Oumarou, qui l'apprend par ses espions et se rend aussitôt à Timbo, où il fait le salam sur le corps de l'almami défunt. Profitant de l'ambiance dramatique et grandiose ainsi créée, il appelle les deux partis à la réconciliation, convoque Ibrahima Sori Dara 12, fils de Boubakar, et promet devant les anciens de lui laisser le pouvoir dans deux ans.
La forte personnalité d'Oumarou n'est pas à comparer avec celle d'Ibrahima Sori Dara. En effet celui-ci, cédant à son entourage, refuse, le moment venu, de remettre le pouvoir à Oumarou qui, doit alors le prendre par la force, bien décidé cette fois à le conserver. En 1851, il le possède sans partage depuis douze ans quand son rival, à nouveau, se révolte. L'explorateur français Hecquart, alors l'invité d'Oumarou, est envoyé par ce dernier en ambassadeur. L'almami alfaya demande pour prix, de sa reddition les provinces du Timbi et du Labé, prétentions inacceptables qui auraient pour conséquence le démembrement de l'Etat et la possibilité pour un rival de lever des troupes. Finalement l'alfaya accepte de se rendre sans condition et, à la mosquée de Timbo, renonce officiellement à ses droits.
Nous n'insisterons pas sur les guerres nombreuses que livre Almami Oumarou : Sankaran, Kouranko, Kissi, Ngabou. Elles sont semblables à toutes celles qu'engagèrent les autres Almami : guerres de conquête et d'extension sous couvert de la Parole divine 13.
A la mort d'Oumarou 14, l'investiture, au titre des soria, est donnée à son frère Ibrahima Sori Donhol-Fella dit Ibrahima Sori III. L'almami alfaya qui se trouve à Timbo monte alors une nouvelle expédition contre les Houbbou et assiège leur chef Abbal dans sa résidence fortifiée de Bokéto. Cette expédition se termine par un désastre pour l'armée du Fouta. Ibrahima Sori ara y trouve la mort avec ses deux fils.
Nous sommes en 1873. Le deuxième fils de Boubakar, Ahmadou, est nommé almami alfaya, mais il ne songe pas à venger on frère. D'ailleurs son rival Soria, qui est un ancien élève de Mamadou Diouhé, le patriarche des Houbbou, ne le permettrait pas. Mais si, à l'avenir, les almami ne portent plus la guerre chez les Houbbou, ils sauront se servir de Samori qui décimera ces puritains. Abbal sera coupé en morceaux à la suite d'une expéition de Kémokho Bilali, l'un des lieutenants de Samori, en 1882. Il y a donc en 1873 deux Almami en présence, l'un Ahmadou, de la lignée alfaya, fils de Boubakar, l'autre Ibrahima Sori III, soria, fils d'Abdoul Gadiri. Le premier fait la guerre au Kolisokho, au milieu des Sosso et des Baga. L'autre attaque, sans beaucoup de succès, les Sosso du Moréa.
Mais désormais l'histoire du Fouta se trouve influencée par l'arrivée des Français avec lesquels les deux almami vont entamer les premières démarches. Elles sont d'ailleurs marquées par une indécision délibérée en réponse aux propositions de traité que leur feront les autorités françaises. Le seul moyen de parer à cette évidente duplicité et d'amener définitivement le Fouta dans l'orbite de la France sera de créer officiellement la Guinée Française.

Notes
1. Le tableau de la répartition de la population (p. 50) donne l'indication des groupements ethniques dominants par Cercle.
2. Elles groupent environ 600.000 individus.
3. Renseignements donnés par M. Moity, planteur à Benti.
4. Ils se partagent avec les Sosso le village de Pamélap en Guinée Française.
5. Distinction utile mais imparfaite, basée sur la communauté de l'emploi du vocable tan ou fou, signifiant dix.
6. 500.000 individus environ.
7. 870.000 individus environ.
8. Nous employons ce terme dans un sens bien précis : ce sont ceux qui s'opposent à l'Islam et eurent à subir la guerre sainte. Il serait faux de les qualifier d'animistes car la religion la mentalité peules elles-mêmes ne sont pas exemptes d animisme.
9. Ce terme, qui fait au pluriel Karamokooɓe, traduit le mot impropre de marabout et provient de l'arabe kara : lire.
10. Ibrahima « le matinal », en raison de sa tactique guerrière consistant à attaquer à l'aube.
11. Jusqu'à la fin de son règne, Ibrahima Sori mène la guerre de toute part, et fait respecter son autorité auprès des autres diiwe. Il consolide l'influence des Ourouɓe des Timbi pour contrebalancer celle des Diallouɓe de Labé. Les provinces de Koin et de Kolladé se soumettent. Le Labé conserve toujours une certaine autonomie, malgré son apparente soumission, saura se tailler dans la guerre sainte la part du lion. Bien qu'appuyés par l'almami, les Ourouɓe (Ba) perdent la province de Kankalabé où enterré leur patriarche, Modi Souleyman. Plus tard, ils seront également délogés de l'Ouest des Timbi, mais conserveront leur autorité sur le Kébou.
12. A ne pas confondre avec Ibrahima Sori Mawɗo, qui est à l'origine de la lignée des Soria. Celui-là est un alfaya; le nom du village où résident ordinairement les alfaya, Dara, est surajouté à son nom.
13. Sauf, peut-être, celle qu'Oumarou mena contre les Houbbou, Peuls puritains, qui s'étaient révoltés contre l'almami pour des raisons qu'il est difficile de percer.
14. Survenue en 1872.


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